19 décembre 1978 – Au Conseil des Conférences Episcopales d’Europe
Je suis très heureux de vous recevoir, car j’attribue une grande importance à ces réunions plénières de votre Conseil, auxquelles participent des Evêques délégués par chacune des Conférences épiscopales de l’ensemble du continent européen.
1. Cette collaboration s’effectue conformément aux statuts qui ont été canoniquement approuvés par le Saint-Siège, le 10 janvier 1977. Elle consiste à échanger régulièrement des informations, des expériences et des points de vue sur les principaux problèmes pastoraux qui se posent dans vos pays. Elle vous amène aussi à assumer ensemble des devoirs qui prennent une dimension européenne.
C’est l’une des façons d’incarner la collégialité dans le cadre de laquelle l’enseignement du Concile Vatican II peut porter tous ses fruits. La collégialité signifie ouverture réciproque et coopération fraternelle des Evêques au service de l’évangélisation, de la mission de l’Eglise. Une ouverture et une coopération de ce genre sont nécessaires, non seulement au niveau des Eglises locales et de l’Eglise universelle, mais aussi au niveau des continents, comme en témoignent la vitalité d’autres organismes régionaux – même si les statuts sont un peu différents – tels que le Conseil Episcopal Latino-Américain (CELAM), le Symposium des Conférences Episcopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM) ou la Fédération des Conférences des Evêques d’Asie (FABC), pour ne citer que ces grandes Assemblées. Le Pape et le Saint-Siège se font un devoir de promouvoir de tels organismes, aux divers échelons de coopération collégiale, étant entendu que les instances régionales ou continentales ne se substituent pas à l’autorité de chaque Evêque ni de chacune des Conférences épiscopales pour ce qui est des décisions, et qu’elles situent leur recherche dans le cadre des orientations plus générales du Saint-Siège, en liaison étroite avec le Successeur de Pierre. Et dans le cas présent, la dimension européenne apparaît au Pape très importante et même nécessaire.
2. Le Conseil des Conférences Episcopales d’Europe (CCEE), parmi ses nombreux échanges et activités, a pris une initiative importante: il organise, tous les trois ans un symposium des Evêques d’Europe. Le symposium prévu pour cette année n’a pu avoir lieu à cause de la mort de mes deux prédécesseurs et des conclaves qui ont suivi; la préparation se poursuit sur le thème: la jeunesse et la foi. C’est un thème très important: il faut l’aborder avec beaucoup d’objectivité et avec l’espérance des apôtres qui savent que le message du Christ peut et doit toucher les jeunes de chaque génération.
J’ai eu la chance de participer au Symposium de 1975 et d’y prononcer une conférence. Je désire rappeler au moins quelques-unes des pensées qu’avait alors exprimées Paul VI en nous recevant. Il s’agissait de pensées regardant l’Europe, son héritage chrétien et son avenir chrétien. Il nous invitait à « réveiller l’âme chrétienne de l’Europe où s’enracine son unité » ; à purifier et à ramener à leur source les valeurs évangéliques encore présentes mais comme désarticulées, axées sur des objectifs purement terrestres ; à réveiller et fortifier les consciences à la lumière de la foi prêchée à temps et à contre temps ; à faire converger leur flamme par dessus toutes les barrières...
Paul VI, dans la ligne de ces pensées, a établi saint Benoît comme patron de l’Europe, et désormais, le quinzième centenaire de la naissance de ce grand saint se fait proche.
3.L’Europe n’est pas le premier berceau du christianisme. Même Rome a reçu l’Evangile grâce au ministère des Apôtres Pierre et Paul, qui sont venus ici de la patrie de Jésus-Christ. Mais, de toute façon, il est vrai que l’Europe est devenue, durant deux millénaires, comme le lit d’un grand fleuve où le christianisme s’est répandu, rendant fertile la terre de la vie spirituelle des peuples et des nations de ce continent. Et sur cette lancée, l’Europe est devenue un centre de mission qui a rayonné vers les autres continents.
Le Conseil des Conférences épiscopales d’Europe constitue une représentation particulière des Episcopats catholiques de l’Europe. Nous devons souhaiter que tous les Episcopats soient pleinement représentés dans cette organisation, avec la possibilité d’y participer effectivement. C’est seulement dans ces conditions que l’analyse des problèmes essentiels de l’Eglise et du christianisme peut être complète. Il s’agit bien des problèmes de l’Eglise et du christianisme, abordés aussi dans une perspective ½cuménique. Car s’il est vrai que toute l’Europe n’est pas catholique, elle est presque toute chrétienne. Votre Conseil doit devenir en quelque sorte la pépinière où s’exprime, se développe et mûrit, non seulement la conscience de ce que le christianisme était hier, mais la responsabilité de ce qu’il doit être demain.
C’est dans ces sentiments que je vous présente mes v½ux de Noël et du nouvel An, à l’intention de chacun d’entre vous, de votre Conseil, de tous les Episcopats que vous représentez et de toutes les nations de ce continent, auquel la Providence a lié l’histoire du christianisme d’une façon aussi éloquente.
20 juin 1979 – Homélie de la Messe avec les Evêques d’Europe, dans la Chapelle Sixtine
Chers frères
1. Je vous dis la joie cordiale et sincère que me donne votre rencontre, surtout parce qu’elle se situe dans le cadre du Symposium sur « les jeunes et la foi ».
Je me souviens du Symposium précédent, en 1975, auquel j’ai eu le bonheur de participer activement puisque j’en étais l’un des rapporteurs. Je voudrais en même temps dire ma joie de me trouver aujourd’hui avec vous, en concélébrant la sainte Eucharistie. J’espère que dans cette communion, où s’exprime de la façon la plus complète et la plus profonde notre unité sacerdotale et épiscopale, le Christ, prince des Pasteurs, nous donnera un surcroît de lumière et de force de l’Esprit Saint. Unique et éternel prêtre, il est en effet également unique source et fondement de cette unité que nous manifestons et vivons dans la concélébration eucharistique.
Nous avons tant besoin de cette lumière et de cette force de l’Esprit du Christ pour toutes les tâches qui découlent de notre mission — par exemple le monde des jeunes, qui constitue le thème de ce Symposium — mais non pas d’une façon exclusive. L’ensemble de ces tâches, toute notre mission, exige une grâce particulière pour que nous sachions répondre exactement et pleinement aux signes des temps qui constituent le « kairos » de salut pour les Européens et le continent que nous représentons et auquel nous « sommes envoyés » comme successeurs des apôtres, ces hérauts de l’Évangile d’où part l’histoire de l’Europe après le Christ.
2. Votre rencontre — et donc aussi notre concélébration eucharistique d’aujourd’hui — s’enracinent dans cette heureuse pensée de Vatican II qui rappelle aux évêques de toute l’Église le caractère collégial de leur ministère. C’est justement de cette pensée, exprimée avec la plus grande précision doctrinale dans la Constitution dogmatique « Lumen gentium », que tirent leur origine une série d’institutions et d’initiatives pastorales qui, dès maintenant, témoignent de la nouvelle vitalité de l’Église et certainement constitueront dans l’avenir le fondement du renouveau ultérieur de sa mission de salut, dans la variété des dimensions et des sphères d’action.
À vrai dire, j’ai encore dans les yeux la merveilleuse assemblée des évêques de l’Église d’Amérique latine, que j’ai eu la joie d’inaugurer le 28 janvier dernier à Puebla, au Mexique. Cette assemblée était le fruit d’un collaboration systématique de toutes les conférences épiscopales de cet immense continent où habite actuellement près de la moitié des catholiques du monde entier. Ce sont des épiscopats d’une importance numérique variable. Certains sont très nombreux, surtout celui du Brésil qui, à lui seul, compte plus de 500 évêques. La collaboration méthodique de toutes les Conférences épiscopales d’Amérique latine s’appuie sur le Conseil communément appelé « CELAM », lequel permet à ces Conférences d’étudier ensemble les tâches qui se présentent aux pasteurs de l’Église dans ce grand continent, si important pour l’avenir du monde.
Déjà le thème même de la Conférence qui s’est tenue à Puebla du 27 janvier au 13 février 1979 l’atteste très nettement. Ce thème — « L’évangélisation de l’Amérique latine aujourd’hui et demain » — nous permet déjà de voir facilement combien Puebla a bénéficié du thème providentiel — l’Évangélisation — de la session ordinaire du Synode des évêques qui s’est tenue en 1974.
3. En rapport avec ce thème fondamental, chaque évêque du monde, en tant que pasteur de son Eglise particulière, de son diocèse, pouvait et devait considérer son Église du point de vue de son caractère actuel. Et comme l’évangélisation exprime la mission de l’Église, ce regard doit se rattacher au passé et ouvrir la perspective de l’avenir : hier, aujourd’hui et demain. Et ce n’est pas seulement chaque évêque dans son diocèse, mais aussi les différentes communautés d’évêques et surtout les Conférences épiscopales nationales qui peuvent et doivent faire de ce « thème clef » du Synode de 1974 un objet de réflexion sur la société à l’égard de laquelle elles ont des responsabilités pastorales d’évangélisation. Le thème proposé par Paul VI au Synode il y a 5 ans offre de multiples possibilités d’application sur différents plans.
En même temps, ce thème conduit à une réflexion fondamentale sur l’application du Concile et la mise en ½uvre de sa doctrine. La réalisation fondamentale de Vatican II n’est rien d’autre qu’une nouvelle conscience de la mission divine confiée à l’Église « parmi toutes les nations » et « jusqu’à la fin des temps ». La réalisation fondamentale de Vatican II n’est rien d’autre que le nouveau sens de la responsabilité pour l’Évangile pour la Parole, pour les sacrements, pour l’½uvre de salut, que tout le Peuple de Dieu doit assumer de la façon qui lui est conforme. La tâche des évêques est de diriger ce grand processus. C’est en cela que réside leur dignité et leur responsabilité pastorale.
4. Il est très important et fondamental de réfléchir sur le problème de l’évangélisation du continent européen. Je considère ce thème comme complexe, extrêmement complexe. Comme pour tout autre contexte d’ailleurs, il faut faire émerger de l’analyse de la situation présente la vision de l’avenir, étant donné que cette situation est la conséquence du passé, d’un passé aussi ancien que l’Église, que le christianisme tout entier. Cette analyse devra englober chaque pays, chaque nation de notre continent. Mais elle devra aussi tenir compte de chacune de leurs situations, en ayant devant les yeux les grands courants de l’histoire qui, spécialement pendant le second millénaire, ont divisé l’Église et le christianisme sur le continent européen.
Je pense qu’actuellement, à l’heure de l’½cuménisme, le moment est venu de regarder ces questions à la lumière des critères élaborés par le Concile, dans un esprit de collaboration fraternelle avec les représentants des Églises et communautés avec lesquelles nous ne sommes pas en pleine unité. Et en même temps il les fait regarder en esprit de responsabilité pour l’Évangile. Et cela, non seulement sur notre continent, mais au-delà. L’Europe est encore et toujours le berceau de la pensée créatrice, des initiatives pastorales, des structures d’organisation, dont l’influence dépasse ses frontières.
En même temps l’Europe, avec son grandiose passé missionnaire, s’interroge sur les divers points de son actuelle « géographie ecclésiale » et elle se demande si elle ne va pas devenir un continent de mission.
Pour l’Europe se pose donc le problème de l’« autoévangélisation » selon l’expression de l’Exhortation apostolique « Evangelii nuntiandi ». L’Église doit toujours s’évangéliser. L’Europe catholique et chrétienne a besoin de cette évangélisation. Elle doit s’évangéliser elle-même. Peut-être nulle part ailleurs n’apparaissent aussi clairement que dans notre continent les courants de la négation de la religion, de la « mort de Dieu » de la sécularisation programmée, de l’athéisme militant organisé. Le Synode de 1974 nous a fourni beaucoup de matériel sur ce point.
Il est possible d’examiner tout cela selon des critères historiques et sociaux. Mais le Concile nous a indiqué un autre critère, celui des « signes des temps », c’est-à-dire d’un défi spécial de la Providence, de Celui qui est « le maître de la moisson » (Lc 10,2).
L’an prochain, nous célébrerons le XVe centenaire de la naissance de St Benoît, que Paul VI a proclamé patron de l’Europe. Peut-être cela pourrait-il être l’occasion de mener cette réflexion approfondie sur le problème de « l’hier et l’aujourd’hui » de l’évangélisation de notre continent, ou plutôt sur ce défi de la Providence qui, dans son éventail historique riche et varié, constitue l’ « aujourd’hui » chrétien de l’Europe quant à sa responsabilité pour l’Évangile ; et aussi dans la perspective de l’avenir.
Notre mission est toujours et partout tournée vers l’avenir : aussi bien l’avenir eschatologique, l’avenir dont nous avons la certitude dans la foi, que l’avenir dont nous pouvons humainement être incertains. Nous pensons aux premiers messagers de la bonne nouvelle qui sont venus sur le continent européen, comme Pierre et Paul. Nous pensons à ceux qui, tout au long de l’histoire de l’Europe, ont aplani les voies menant vers de nouveaux peuples, comme Augustin ou Boniface, ou les frères de Thessalonique : Cyrille et Méthode. Eux non plus n’étaient pas certains de l’avenir humain de leur mission et même de leur propre sort. Leur foi et leur espérance, l’amour du Christ qui les « étreignait » (cf. II Co 5,14) furent plus forts que cette incertitude humaine. Dans cette foi, cette espérance et cette charité s’est manifestée l’action de l’Esprit. Il est nécessaire que nous aussi nous devenions des instruments dociles et efficaces de son action à notre époque.
5. Le thème de votre Symposium est : « les jeunes et la foi », et cela est bien. Je pense qu’il s’inscrit organiquement et profondément dans le grand thème de réflexion de toute l’Église postconciliaire, qui ne pourrait pas longtemps échapper à notre attention : le thème de l’évangélisation. Si nous pensons à l’évangélisation en fonction de l’avenir, il nous faut nous tourner vers les jeunes. Nous devons rencontrer les intelligences, les c½urs, les caractères des jeunes C’est le problème premier, à travers lequel nous parvenons au problème global.
Votre échange d’expériences et de suggestions doit être large ; il ne peut rester « particulier ». Toute pratique de la collégialité sert la cause de l’universalité de l’Église. Vous aussi, chers frères par cette pratique de la collaboration collégiale, au sein de votre Symposium, vous devez pour ainsi dire « élargir les espaces de l’amour » (St Augustin, « De Ep. Joan., ad Parthos », X 5 : PL XXXV, 2060). Cet élargissement n’éloigne jamais de la responsabilité confiée directement à chacun de nous ; il la rend au contraire plus vive. Il faut que les évêques et les conférences épiscopales de chaque pays et nation d’Europe vivent les intérêts de tous les pays et nations de notre continent. Et que ceux d’entre vous qui sont absents soient — dirais-je — encore plus intensément présents. Il faut élaborer des méthodes spéciales, efficaces, pour « rendre intensément présents » ceux qui sont « absents ». Leur absence ne peut être passée sous silence ou être justifiée par des lieux communs.
Souvenez-vous en : de même que toutes les Conférences épiscopales d’Europe participent à ce Symposium par leurs représentants, de même autour de cet autel, ce sont tous les épiscopats tous les évêques qui sont présents à la communion eucharistique d’amour, sacrifice et prière.
Et d’une certaine façon ceux qui manquent, ceux qui n’ont pas pu être là, sont encore plus présents.
À travers tous, l’Église, Peuple de Dieu de tout notre continent, « élabore » son avenir chrétien dans l’union avec le Christ prince des pasteurs, avec le Christ prêtre éternel. Amen.
2 juin 1980 – Discours à l’UNESCO
Monsieur le Président de la Conférence générale,
Monsieur le Président du Conseil exécutif,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames, Messieurs,
1. Je désire d'abord exprimer mes remerciements très cordiaux pour l’invitation que Monsieur Amadou Mahtar-M’Bow, Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, m’a adressée à plusieurs reprises, et déjà dès la première des visites qu'il m’a fait l’honneur de me rendre. Nombreuses sont les raisons pour lesquelles je suis heureux de pouvoir répondre aujourd’hui à cette invitation, que j’ai aussitôt hautement appréciée.
Pour les aimables paroles de bienvenue qu’ils viennent de prononcer à mon intention, je remercie Monsieur Napoléon Leblanc, Président de la Conférence générale, Monsieur Chams Eldine ElWakil, Président du Conseil exécutif, et Monsieur Amadou Mahtar-M’Bow, Directeur général de l’Organisation. Je veux saluer aussi tous ceux qui sont rassemblés ici pour la cent neuvième session du Conseil exécutif de l’UNESCO. Je ne saurais cacher ma joie de voir réunis en cette occasion tant de délégués des Nations du monde entier, tant de personnalités éminentes, tant de compétences, tant d’illustres représentants du monde de la culture et de la science.
Par mon intervention, j’essaierai d’apporter ma modeste pierre à l’édifice que vous construisez avec assiduité et persévérance, Mesdames et Messieurs, par vos réflexions et vos résolutions dans tous les domaines qui sont de la compétence de l’UNESCO.
2. Qu’il me soit permis de commencer en me rapportant aux origines de votre Organisation. Les événements qui ont marqué la fondation de l’UNESCO m’inspirent joie et gratitude envers la Providence: la signature de sa constitution le 16 novembre 1945; l’entrée en vigueur de cette constitution et l’établissement de l’Organisation le 4 novembre 1946; l’accord entre l’UNESCO et l’Organisation des Nations Unies approuvé par l’Assemblée Générale de l’ONU en la même année. Votre Organisation est en effet l’½uvre des Nations qui furent, après la fin de la terrible deuxième guerre mondiale, poussées par ce qu’on pourrait appeler un désir spontané de paix, d’union et de réconciliation. Ces Nations cherchèrent les moyens et les formes d’une collaboration capable d’établir, d’approfondir et d’assurer de manière durable cette nouvelle entente.
L’UNESCO est donc née, comme l’Organisation des Nations Unies, parce que les peuples savaient qu’à la base des grandes entreprises destinées à servir la paix et le progrès de l’humanité sur l’ensemble du globe, il y avait la nécessité de l’union des nations, du respect réciproque, et de la coopération internationale.
3. Prolongeant l’action, la pensée et le message de mon grand prédécesseur le Pape Paul VI, j’ai eu l’honneur de prendre la parole devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, au mois d’octobre dernier, à l’invitation de Monsieur Kurt Waldheim, Secrétaire général de l’ONU. Peu après, le 12 novembre 1979, j’ai été invité par Monsieur Edouard Saouma, Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture à Rome. En ces circonstances, il m’a été donné de traiter de questions profondément liées à l’ensemble des problèmes qui se rapportent à l’avenir pacifique de l’homme sur la terre. En effet, tous ces problèmes sont intimement liés. Nous nous trouvons en présence, pour ainsi dire, d’un vaste système de vases communicants: les problèmes de la culture, de la science et de l’éducation ne se présentent pas, dans la vie des nations et dans les relations internationales, de manière indépendante des autres problèmes de l’existence humaine, comme ceux de la paix ou de la faim. Les problèmes de la culture sont conditionnés par les autres dimensions de l’existence humaine, tout comme, à leur tour, ceux-ci les conditionnent.
4. Il y quand même ― et je l’ai souligné dans mon discours à l’ONU en me référant à la Déclaration Universelle des droits de l’homme ― une dimension fondamentale, qui est capable de bouleverser jusque dans leurs fondements les systèmes qui structurent l’ensemble de l’humanité et de libérer l’existence humaine, individuelle et collective, des menaces qui pèsent sur elle. Cette dimension fondamentale, c’est l’homme, l’homme dans son intégralité, l’homme qui vit en même temps dans la sphère des valeurs matérielles et dans celle des valeurs spirituelles. Le respect des droits inaliénables de la personne humaine est à la base de tout [1].
Toute menace contre les droits de l’homme, que ce soit dans le cadre de ses biens spirituels ou dans celui de ses biens matériels, fait violence à cette dimension fondamentale. C’est pourquoi, dans mon discours à la FAO, j’ai souligné qu’aucun homme, aucun pays ni aucun système du monde ne peut rester indifférent devant la « géographie de la faim » et les menaces gigantesques qui en suivront si l’orientation entière de la politique économique, et en particulier la hiérarchie des investissements, ne changent pas de manière essentielle et radicale. C’est pourquoi aussi j’insiste, en me référant aux origines de votre Organisation, sur la nécessité de mobiliser toutes les forces qui orientent la dimension spirituelle de l’existence humaine, qui témoignent du primat du spirituel dans l’homme ― de ce qui correspond à la dignité de son intelligence, de sa volonté et de son c½ur ― pour ne pas succomber de nouveau à la monstrueuse aliénation du mal collectif qui est toujours prêt à utiliser les puissances matérielles dans la lutte exterminatrice des hommes contre les hommes, des nations contre les nations.
5. A l’origine de l’UNESCO, comme aussi à la base de la Déclaration Universelle des droits de l’homme, se trouvent donc ces premières nobles impulsions de la conscience humaine, de l’intelligence et de la volonté. J’en appelle à cette origine, à ce commencement, à ces prémisses et à ces premiers principes. C’est en leur nom que je viens aujourd’hui à Paris, au siège de votre Organisation, avec une prière: qu’au terme d’une étape de plus de trente ans de vos activités, vous vouliez vous unir encore davantage autour de ces idéaux et des principes qui se trouvèrent au commencement. C’est en leur nom aussi que je me permettrait maintenant de vous proposer quelques considérations vraiment fondamentales, car c’est seulement à leur lumière que resplendit pleinement la signification de cette institution qui a pour nom UNESCO, Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture.
6. Genus humanum arte et ratione vivit [2]. Ces paroles d’un des plus grands génies du christianisme, qui fut en même temps un continuateur fécond de la pensée antique, portent au-delà du cercle et de la signification contemporaine de la culture occidentale, qu’elle soit méditerranéenne ou atlantique. Elles ont une signification qui s’applique à l’ensemble de l’humanité où se rencontrent les diverses traditions qui constituent son héritage spirituel et les diverses époques de sa culture. La signification essentielle de la culture consiste, selon ces paroles de saint Thomas d’Aquin, dans le fait qu’elle est une caractéristique de la vie humaine comme telle. L’homme vit d’une vie vraiment humaine grâce à la culture. La vie humaine est culture en ce sens aussi que l’homme se distingue et se différencie à travers elle de tout ce qui existe par ailleurs dans le monde visible: l’homme ne peut pas se passer de culture.
La culture est un mode spécifique de l’« exister » et de l’« être » de l’homme. L’homme vit toujours selon une culture qui lui est propre, et qui, à son tour, crée entre les hommes un lien qui leur est propre lui aussi, en déterminant le caractère inter-humain et social de l’existence humaine. Dans l’unité de la culture comme mode propre de l’existence humaine, s’enracine en même temps la pluralité des cultures au sein de laquelle l’homme vit. Dans cette pluralité, l’homme se développe sans perdre cependant le contact essentiel avec l’unité de la culture en tant que dimension fondamentale et essentielle de son existence et de son être.
7. L’homme qui, dans le monde visible, est l’unique sujet ontique de la culture, est aussi son unique objet et son terme. La culture est ce par quoi l’homme en tant qu’homme devient davantage homme, « est » davantage, accède davantage à l’« être ». C’est là aussi que se fonde la distinction capitale entre ce que l’homme est et ce qu’il a, entre l’être et l’avoir. La culture se situe toujours en relation essentielle et nécessaire à ce qu’est l’homme, tandis que sa relation à ce qu’il a, à son « avoir », est non seulement secondaire, mais entièrement relative.
Tout l’« avoir » de l’homme n’est important pour la culture, n’est un facteur créateur de la culture, que dans la mesure où l’homme, par l’intermédiaire de son « avoir », peut en même temps « être plus pleinement comme homme, devenir plus pleinement homme dans toutes les dimensions de son existence, dans tout ce qui caractérise son humanité. L’expérience des diverses époques, sans en exclure l’époque présente, démontre qu’on pense à la culture et qu’on en parle d’abord en relation avec la nature de l’homme, puis seulement de manière secondaire et indirecte en relation avec le monde de ses produits.
Ceci n’enlève rien au fait que nous jugions le phénomène de la culture à partir de ce que l’homme produit, ou que nous tirions de cela en même temps des conclusions sur l’homme. Une telle approche ― mode typique du processus de connaissance « a posteriori » ― contient en elle-même la possibilité de remonter, en sens inverse, vers les dépendances ontico-causales. L’homme, et l’homme seul, est « acteur », ou « artisan », de la culture; l’homme, et l’homme seul, s’exprime en elle et trouve en elle son propre équilibre.
L'homme intégral, sujet de la culture
8. Nous tous ici présents, nous nous rencontrons sur le terrain de la culture, réalité fondamentale qui nous unit et qui est à la base de l’établissement et des finalités de l’UNESCO. Nous nous rencontrons par le fait même autour de l’homme et, en un certain sens, en lui, en l’homme. Cet homme, qui s’exprime et s’objective dans et par la culture, est unique, complet et indivisible. Il est à la fois sujet et artisan de la culture. On ne peut dès lors l’envisager uniquement comme la résultante de toutes les conditions concrètes de son existence, comme la résultante ― pour ne citer qu’un exemple ― des relations de production qui prévalent à une époque déterminée. Ce critère des relations de production ne serait-il alors aucunement une clé pour la compréhension de l’historicité de l’homme, pour la compréhension de sa culture et des multiples formes de son développement?
Certes, ce critère constitue bien une clé, et une clé précieuse même, mais il n’est pas la clé fondamentale, constitutive. Les cultures humaines reflètent, cela ne fait aucun doute, les divers systèmes de relations de production; cependant, ce n’est pas tel ou tel système qui est à l’origine de la culture, mais c’est bien l’homme, l’homme qui vit dans le système, qui l’accepte ou qui cherche à le changer. On ne peut penser une culture sans subjectivité humaine et sans causalité humaine; mais dans le domaine culturel, l’homme est toujours le fait premier: l’homme est le fait primordial et fondamental de la culture.
Et cela, l’homme l’est toujours: dans l’ensemble intégral de sa subjectivité spirituelle et matérielle.
Si la distinction entre culture spirituelle et culture matérielle est juste en fonction du caractère et du contenu des produits dans lesquels la culture se manifeste, il faut constater en même temps que, d’une part, les ½uvres de la culture matérielle font apparaître toujours une « spiritualisation » de la matière, une soumission de l’élément matériel aux forces spirituelles de l’homme, c’est-à-dire à son intelligence et à sa volonté, ― et que, d’autre part, les ½uvres de la culture spirituelle manifestent, d’une manière spécifique, une « matérialisation » de l’esprit, une incarnation de ce qui est spirituel.
Dans les ½uvres culturelles, cette double caractéristique semble être également primordiale et également permanente.
Voici donc, en guise de conclusion théorique, une base suffisante pour comprendre la culture à travers l’homme intégral, à travers toute la réalité de sa subjectivité. Voici aussi ― dans le domaine de l’agir ― la base suffisante pour chercher toujours dans la culture l’homme intégral, l’homme tout entier, dans toute la vérité de sa subjectivité spirituelle et corporelle; la base qui est suffisante pour ne pas superposer à la culture ― système authentiquement humain, synthèse splendide de l’esprit et du corps ― des divisions et des oppositions préconçues. En effet, qu’il s’agisse d’une absolutisation de la matière dans la structure du sujet humain, ou, inversement, d’une absolutisation de l’esprit dans cette même structure, ni l’une ni l’autre n’expriment la vérité de l’homme et ne servent sa culture.
9. Je voudrais m’arrêter ici à une autre considération essentielle, à une réalité d’un ordre bien divers. Nous pouvons l’aborder en notant le fait que le Saint-Siège est représenté à l'UNESCO par son Observateur permanent, dont la présence se situe dans la perspective de la nature même du Siège Apostolique. Cette présence est. d’une façon plus large encore, en consonance avec la nature et la mission de l’Église catholique et, indirectement, avec celle de tout le christianisme. Je saisis l’occasion qui m’est offerte aujourd’hui pour exprimer une conviction personnelle profonde.
La présence du Siège Apostolique auprès de votre Organisation ― bien que motivée aussi par la souveraineté spécifique du Saint-Siège ― trouve, par-dessus tout, sa raison d’être dans le lien organique et constitutif qui existe entre la religion en général et le christianisme en particulier, d’une part, et la culture, d’autre part. Cette relation s’étend aux multiples réalités qu’il faut définir comme des expressions concrètes de la culture aux diverses époques de l’histoire et dans tous les points du globe. Il ne sera certainement pas exagéré d’affirmer en particulier que, à travers une multitude de faits, l’Europe tout entière ― de l’Atlantique à l’Oural ― témoigne, dans l’histoire de chaque nation comme dans celle de la communauté entière, du lien entre la culture et le christianisme.
En rappelant cela, je ne veux en aucune manière diminuer l’héritage des autres continents, ni la spécificité et la valeur de ce même héritage qui dérive des autres sources de l’inspiration religieuse, humaniste et éthique. Bien plus, à toutes les cultures de l’ensemble de la famille humaine, des plus anciennes à celles qui nous sont contemporaines, je désire rendre l’hommage le plus profond et sincère. C’est en pensant à toutes les cultures que je veux dire à haute voix ici, à Paris, au siège de l’UNESCO, avec respect et admiration: « Voici l’homme! ». Je veux proclamer mon admiration devant la richesse créatrice de l'esprit humain, devant ses efforts incessants pour connaître et pour affermir l’identité de l’homme: de cet homme qui est présent toujours dans toutes les formes particulières de culture.
10. En parlant au contraire de la place de l’Église et du Siège Apostolique auprès de votre Organisation, je ne pense pas seulement à toutes les ½uvres de la culture dans lesquelles, au cours des deux derniers millénaires, s’exprimait l’homme qui avait accepté le Christ et l’Évangile, ni aux institutions de différentes sortes qui sont nées de la même inspiration dans les domaines de l’éducation, de l’instruction, de la bienfaisance, de l’assistance sociale et en tant d’autres. Je pense surtout, Mesdames et Messieurs, au lien fondamental de l’Évangile, c’est-à-dire du message du Christ et de l’Église, avec l’homme dans son humanité même. Ce lien est en effet créateur de culture dans son fondement même. Pour créer la culture, il faut considérer, jusqu’en ses dernières conséquences et intégralement, l’homme comme une valeur particulière et autonome, comme le sujet porteur de la transcendance de la personne. Il faut affirmer l’homme pour lui-même, et non pour quelque autre motif ou raison: uniquement pour lui-même! Bien plus, il faut aimer l’homme parce qu’il est homme, il faut revendiquer l’amour pour l’homme en raison de la dignité particulière qu’il possède. L’ensemble des affirmations concernant l’homme appartient à la substance même du message du Christ et de la mission de l’Église, malgré tout ce que les esprits critiques ont pu déclarer en la matière, et tout ce qu’ont pu faire les divers courants opposés à la religion en général et au christianisme en particulier.
Au cours de l’histoire, nous avons déjà été plus d’une fois, et nous sommes encore, les témoins d’un processus, d’un phénomène très significatif. Là où ont été supprimées les institutions religieuses, là où les idées et les ½uvres nées de l’inspiration religieuse, et en particulier de l’inspiration chrétienne, on été privées de leur droit de cité, les hommes retrouvent à nouveau ces mêmes données hors des chemins institutionnels, par la confrontation qui s’opère, dans la vérité et l’effort intérieur, entre ce qui constitue leur humanité et ce qui est contenu dans le message chrétien.
Mesdames et Messieurs, vous voudrez bien me pardonner cette affirmation. En la proposant, je n’ai voulu offenser absolument personne. Je vous prie de comprendre que, au nom de ce que je suis, je ne pouvais m’abstenir de donner ce témoignage. Il porte aussi en lui cette vérité ― qui ne peut être passée sous silence ― sur la culture, si l’on cherche en elle tout ce qui est humain, ce en quoi l’homme s’exprime ou par quoi il veut être le sujet de son existence. Et en parlant, je voulais en même temps manifester d’autant plus ma gratitude pour les liens qui unissent l’UNESCO au Siège Apostolique, ces liens dont ma présence aujourd’hui veut être une expression particulière.
11. De tout cela se dégage un certain nombre de conclusions capitales. En effet, les considérations que je viens de faire montrent à l’évidence que la tâche première et essentielle de la culture en général, et aussi de toute culture, est l’éducation. L’éducation consiste en effet à ce que l’homme devienne toujours plus homme, qu’il puisse « être » davantage et pas seulement qu’il puisse « avoir » davantage, et que par conséquent, à travers tout ce qu’il « a », tout ce qu’il « possède », il sache de plus en plus pleinement « être » homme. Pour cela il faut que l’homme sache « être plus » non seulement « avec les autres », mais aussi « pour les autres ».
L’éducation a une importance fondamentale pour la formation des rapports inter-humains et sociaux. Ici aussi, j’aborde un ensemble d’axiomes sur le terrain duquel les traditions du christianisme issues de l’Évangile rencontrent l’expérience éducative de tant d’hommes bien disposés et profondément sages, si nombreux dans tout les siècles de l’histoire. Ils ne manquent pas non plus à notre époque, ces hommes qui se révèlent grands, simplement par leur humanité qu’ils savent partager avec les autres, en particulier avec les jeunes.
En même temps, les symptômes des crises de tous genres auxquelles succombent les milieux et les sociétés par ailleurs les mieux pourvus ― crises qui affectent avant tout les jeunes générations ― témoignent à l’envi que l’½uvre d’éducation de l’homme ne s’accomplit pas seulement à l’aide des institutions, à l’aide des moyens organisés et matériels, fussent-ils excellents. Ils manifestent aussi que le plus important est toujours l’homme, l’homme et son autorité morale qui provient de la vérité de ses principes et de la conformité de ses actions avec ces principes.
12. En tant que l’Organisation mondiale la plus compétente dans tous les problèmes de la culture, l’UNESCO ne peut pas négliger cette autre question absolument primordiale: que faire pour que l’éducation de l’homme se réalise surtout dans la famille?
Quel est l’état de la moralité publique qui assurera à la famille, et surtout aux parents, l’autorité morale nécessaire à cette fin? Quel type d’instruction? Quelles formes de législation soutiennent cette autorité ou, au contraire, l’affaiblissent ou la détruisent? Les causes de succès et d’insuccès dans la formation de l’homme par sa famille se situent toujours à la fois à l’intérieur même du milieu créateur fondamental de la culture qu’est la famille, et aussi à un niveau supérieur, celui de la compétence de l’État et de ses organes, dont elles demeurent dépendantes. Ces problèmes ne peuvent pas ne pas provoquer réflexion et sollicitude dans le forum où se rencontrent les représentants qualifiés des États.
Il n’y a pas de doute que le fait culturel premier et fondamental est l’homme spirituellement mûr, c’est-à-dire l’homme pleinement éduqué, l’homme capable de s’éduquer lui-même et d’éduquer les autres. Il n’y a pas de doute non plus que la dimension première et fondamentale de la culture est la saine moralité: la culture morale.
13. Certes, on trouve dans ce domaine de nombreuses questions particulières, mais l’expérience montre que tout se tient, et que ces questions se situent dans des systèmes évidents de dépendance réciproque. Par exemple, dans l’ensemble du processus de l’éducation, de l’éducation scolaire en particulier, un déplacement unilatéral vers l’instruction au sens étroit du mot n’est-il pas intervenu?
Si l’on considère les proportions prises par ce phénomène, ainsi que l’accroissement systématique de l’instruction qui se réfère uniquement à ce que possède l’homme, n’est-ce pas l’homme lui-même qui se trouve de plus en plus obscurci? Cela entraîne alors une véritable aliénation de l’éducation: au lieu d’½uvrer en faveur de ce que l’homme doit « être », elle travaille uniquement en faveur de ce dont l’homme peut se prévaloir dans le domaine de l’« avoir », de la « possession ».
L’étape ultérieure de cette aliénation est d’habituer l’homme, en le privant de sa propre subjectivité, à être objet de manipulations multiples: les manipulations idéologiques ou politiques qui se font à travers l’opinion publique; celles qui s’opèrent à travers le monopole ou le contrôle, par les forces économiques ou par les puissances politiques, des moyens de communication sociale; la manipulation, enfin, qui consiste à enseigner la vie en tant que manipulation spécifique de soi-même.
Les impératives apparents de notre société
Il semble que de tels dangers en matière d’éducation menacent surtout les sociétés à civilisation technique plus développée. Ces sociétés se trouvent devant la crise spécifique de l’homme qui consiste en un manque croissant de confiance à l’égard de sa propre humanité, de la signification du fait d’être homme, et de l’affirmation et de la joie qui en dérivent et qui sont source de création.
La civilisation contemporaine tente d’imposer à l’homme une série d’impératifs apparents, que ses porte-parole justifient par le recours au principe du développement et du progrès. Ainsi, par exemple, à la place du respect de la vie, « l’impératif » de se débarrasser de la vie et de la détruire; à la place de l’amour qui est communion responsable des personnes, « l’impératif » du maximum de jouissance sexuelle en dehors de tout sens de la responsabilité; à la place du primat de la vérité dans les actions, le « primat » du comportement en vogue, du subjectif, et du succès immédiat.
En tout cela s’exprime indirectement une grande renonciation systématique à la saine ambition qu’est l’ambition d’être homme. N’ayons pas d’illusions: le système formé sur la base de ces faux impératifs, de ces renoncements fondamentaux, peut déterminer l’avenir de l’homme et l’avenir de la culture.
14. Si, au nom de l’avenir de la culture, il faut proclamer que l’homme a le droit d’« être » plus, et si pour la même raison il faut exiger un sain primat de la famille dans l’ensemble de l’½uvre de l’éducation de l’homme à une véritable humanité, il faut aussi situer dans la même ligne le droit de la Nation; il faut le placer lui aussi à la base de la culture et de l’éducation.
La Nation est en effet la grande communauté des hommes qui sont unis par des liens divers, mais surtout, précisément, par la culture. La Nation existe « par » la culture et « pour » la culture, et elle est donc la grande éducatrice des hommes pour qu’ils puissent « être davantage » dans la communauté.
Elle est cette communauté qui possède une histoire dépassant l’histoire de l’individu et de la famille.
C’est aussi dans cette communauté, en fonction de laquelle toute famille éduque, que la famille commence son ½uvre d’éducation par ce qui est le plus simple, la langue, permettant ainsi à l’homme qui en est à ses débuts d’apprendre à parler pour devenir membre de la communauté qu’est sa famille et sa Nation. En tout ce que je proclame maintenant et que je développerai encore davantage, mes mots traduisent une expérience particulière, un témoignage particulier en son genre.
Je suis fils d’une Nation qui a véçu les plus grandes expériences de l’histoire, que ses voisins ont condamnée à mort à plusieurs reprises, mais qui a survécu et qui est restée elle-même. Elle a conservé son identité, et elle a conservé, malgré les partitions et les occupations étrangères, sa souveraineté nationale, non en s’appuyant sur les ressources de la force physique, mais uniquement en s’appuyant sur sa culture. Cette culture s’est révélée en l’occurrence d’une puissance plus grande que toutes les autres forces.
Ce que je dis ici concernant le droit de la Nation au fondement de sa culture et de son avenir n’est donc l’écho d’aucun « nationalisme », mais il s’agit toujours d’un élément stable de l’expérience humaine et des perspectives humanistes du développement de l’homme. Il existe une souveraineté fondamentale de la société qui se manifeste dans la culture de la Nation. Il s’agit de la souveraineté par laquelle, en même temps, l’homme est suprêmement souverain. Et quand je m’exprime ainsi, je pense également, avec une émotion intérieure profonde, aux cultures de tant de peuples antiques qui n’ont pas cédé lorsqu’ils se sont trouvés confrontés aux civilisations des envahisseurs: et elles restent encore pour l’homme la source de son « être » d’homme dans la vérité intérieure de son humanité.
Je pense aussi avec admiration aux cultures des nouvelles sociétés, de celles qui s’éveillent à la vie dans la communauté de la propre Nation, ― tout comme ma Nation s’est éveillée à la vie il y a dix siècles ― et qui luttent pour maintenir leur propre identité et leurs propres valeurs contre les influences et les pressions de modèles proposés de l’extérieur.
15. En m’adressant à vous, Mesdames et Messieurs, vous qui vous réunissez en ce lieu depuis plus de trente ans maintenant au nom de la primauté des réalités culturelles de l’homme, des communautés humaines, des peuples et des Nations, je vous dis: veillez, par tous les moyens à votre disposition, sur cette souveraineté fondamentale que possède chaque Nation en vertu de sa propre culture.
Protégez-la comme la prunelle de vos yeux pour l’avenir de la grande famille humaine. Protégez-la! Ne permettez pas que cette souveraineté fondamentale devienne la proie de quelque intérêt politique ou économique. Ne permettez pas qu’elle devienne victime des totalitarismes, impérialismes ou hégémonies, pour lesquels l’homme ne compte que comme objet de domination et non comme sujet de sa propre existence humaine.
Pour ceux-là aussi, la Nation ― leur propre Nation ou les autres ― ne compte que comme objet de domination et appât d’intérêts divers, et non comme sujet: le sujet de la souveraineté provenant de la culture authentique qui lui appartient en propre. N’y a-t-il pas, sur la carte de l’Europe et du monde, des Nations qui ont une merveilleuse souveraineté historique provenant de leur culture, et qui sont pourtant en même temps privées de leur pleine souveraineté? N’est-ce pas un point important pour l’avenir de la culture humaine, important surtout à notre époque, quand il est tellement urgent d’éliminer les restes du colonialisme?
16. Cette souveraineté qui existe et qui tire son origine de la culture propre de la Nation et de la société, du primat de la famille dans l’½uvre de l’éducation, et enfin de la dignité personnelle de tout homme, doit rester le critère fondamental dans la manière de traiter ce problème important pour l’humanité d’aujourd’hui qu’est le problème de moyens de communication sociale (de l’information qui leur est liée, et aussi de ce qu’on appelle la « culture de masse »).
Vu que ces moyens sont les moyens « sociaux » de la communication, ils ne peuvent être des moyens de domination sur les autres, de la part des agents du pouvoir politique comme de celle des puissances financières qui imposent leur programme et leur modèle.
Ils doivent devenir le moyen ― et quel important moyen! ― d’expression de cette société qui se sert d’eux, et qui en assure aussi l’existence. Ils doivent tenir compte des vrais besoins de cette société. Ils doivent tenir compte de la culture de la Nation et de son histoire. Ils doivent respecter la responsabilité de la famille dans le domaine de l’éducation. Ils doivent tenir compte du bien de l’homme, de sa dignité. Ils ne peuvent pas être soumis au critère de l’intérêt, du sensationnel et du succès immédiat, mais, en tenant compte des exigences de l’éthique, ils doivent servir à la construction d’une vie « plus humaine ».
17. Genus humanum arte et ratione vivit. On affirme au fond que l’homme est lui-même par la vérité, et devient davantage lui-même par la connaissance toujours plus parfaite de la vérité. Je voudrais ici rendre hommage, Mesdames et Messieurs, à tous les mérites de votre Organisation, et en même temps à l’engagement et à tous les efforts des États et des Institutions que vous représentez, sur la voie de la popularisation de l’instruction à tous les degrés et à tous les niveaux, sur la voie de l’élimination de l’analphabétisme qui signifie le manque de toute instruction même la plus élémentaire, manque douloureux non seulement du point de vue de la culture élémentaire des individus et des milieux, mais aussi du point de vue du progrès socio-économique.
Il y a des indices inquiétants de retard en ce domaine, lié à une distribution des biens souvent radicalement inégale et injuste: pensons aux situations dans lesquelles il existe, à côté d’une oligarchie ploutocratique peu nombreuse, des multitudes de citoyens affamés vivant dans la misère. Ce retard peut être éliminé non pas par la voie de luttes sanguinaires pour le pouvoir, mais surtout par la voie de l’alphabétisation systématique à travers la diffusion et la popularisation de l’instruction. Un effort ainsi orienté est nécessaire si on désire opérer ensuite les changements qui s’imposent dans le domaine socio-économique.
L’homme, qui « est plus » grâce aussi à ce qu’il « a », et à ce qu’il « possède », doit savoir posséder, c’est-à-dire disposer et administrer les moyens qu’il possède, pour son bien propre et pour le bien commun. A cet effet, l’instruction est indispensable.
18. Le problème de l’instruction a toujours été étroitement lié à la mission de l’Église. Au cours des siècles, elle a fondé des écoles à tous les niveaux; elle a donné naissance aux Universités médiévales en Europe: à Paris comme à Sologne, à Salamanque comme à Heidelberg, à Cracovie comme à Louvain. A notre époque aussi elle offre la même contribution partout où son activité en ce domaine est demandée et respectée. Qu’il me soit permis de revendiquer en ce lieu pour les familles catholiques le droit qui appartient à toutes les familles d’éduquer leurs enfants en des écoles qui correspondent à leur propre vision du monde, et en particulier le droit strict des parents croyants à ne pas voir leurs enfants soumis, dans les écoles, à des programmes inspirés par l’athéisme. Il s’agit là en effet d’un des droits fondamentaux de l’homme et de la famille.
19. Le système de l’enseignement est lié organiquement au système des diverses orientations données à la façon de pratiquer et de populariser la science, ce à quoi servent les établissements d’enseignement de haut niveau, les universités et aussi, vu le développement actuel de la spécialisation et des méthodes scientifiques, les instituts spécialisés. Il s’agit là d’institutions dont il serait difficile de parler sans une émotion profonde. Ce sont les bancs de travail, auprès desquels la vocation de l’homme à la connaissance, ainsi que le lien constitutif de l’humanité avec la vérité comme but de la connaissance, deviennent une réalité quotidienne, deviennent, en un certain sens, le pain quotidien de tant de maîtres, coryphées vénérés de la science, et autour d’eux, des jeunes chercheurs voués à la science et à ses applications, comme aussi de la multitude des étudiants qui fréquentent ces centres de la science et de la connaissance.
Nous nous trouvons ici comme aux degrés les plus élevés de l’échelle que l’homme, depuis le début, gravit vers la connaissance de la réalité du monde qui l’entoure, et vers celle des mystères de son humanité. Ce processus historique a atteint à notre époque des possibilités inconnues autrefois; il a ouvert à l’intelligence humaine des horizons insoupçonnés jusque-là. Il serait difficile d’entrer ici dans le détail car, sur le chemin de la connaissance, les orientations de la spécialisation sont aussi nombreuses qu’est riche le développement de la science.
L’UNESCO lieu de rencontre de la culture humaine
20. Votre Organisation est un lieu de rencontre, d’une rencontre qui englobe, dans son sens le plus large, tout le domaine si essentiel de la culture humaine. Cet auditoire est donc l’endroit tout indiqué pour saluer tous les hommes de science, et rendre hommage particulièrement à ceux qui sont ici présents, et qui ont obtenu pour leurs travaux la plus haute reconnaissance et les plus éminentes distinctions mondiales. Qu’il me soit permis dès lors d’exprimer aussi certains souhaits qui, je n’en doute pas, rejoignent la pensée et le c½ur des membres de cette auguste assemblée.
Autant nous édifie dans le travail scientifique ― nous édifie et aussi nous réjouit profondément ― cette marché de la connaissance désintéressée de la vérité que le savant sert avec le plus grand dévouement et parfois au risque de sa santé et même de sa vie, autant doit nous préoccuper tout ce qui est en contradiction avec les principes de désintéressement et d’objectivité, tout ce qui ferait de la science un instrument pour atteindre des buts qui n’ont rien à voir avec elle. Oui, nous devons nous préoccuper de tout ce qui propose et présuppose ces seuls buts scientifiques en exigeant des hommes de science qu’ils se mettent à leur service sans leur permettre de juger et de décider, en toute indépendance d’esprit, de l’honnêteté humaine et éthique de tels buts, ou en les menaçant d’en porter les conséquences quand ils refusent d’y contribuer.
Ces buts non scientifiques dont je parle, ce problème que je pose, ont-ils besoin de preuves ou de commentaires? Vous savez à quoi je me réfère; qu’il suffise de faire allusion au fait que parmi ceux qui furent cités devant les tribunaux internationaux, à la fin de la dernière guerre mondiale, il y avait aussi des hommes de science. Mesdames et Messieurs, je vous prie de me pardonner ces paroles, mais je ne serais pas fidèle aux devoirs de ma charge si je ne les prononçais pas, non pas pour revenir sur le passé, mais pour défendre l’avenir de la science et de la culture humaine; plus encore, pour défendre l’avenir de l’homme et du monde! Je pense que Socrate qui, dans sa rectitude peu commune, a pu soutenir que la science est en même temps vertu morale, devrait en rabattre de sa certitude s’il pouvait considérer les expériences de notre temps.
Adresser la science en défense de la vie de l'homme
21. Nous nous en rendons compte, Mesdames et Messieurs, l’avenir de l’homme et du monde est menacé, radicalement menacé, en dépit des intentions, certainement nobles, des hommes de savoir, des hommes de science. Et il est menacé parce que les merveilleux résultats de leurs recherches et de leurs découvertes, surtout dans le domaine des sciences de la nature, ont été et continuent d’être exploités ― au préjudice de l’impératif éthique ― à des fins qui n’ont rien à voir avec les exigences de la science, et jusqu’à des fins de destruction et de mort, et ceci à un degré jamais connu jusqu’ici, causant des dommages vraiment inimaginables.
Alors que la science est appelée à être au service de la vie de l’homme, on constate trop souvent qu’elle est asservie à des buts qui sont destructeurs de la vraie dignité de l’homme et de la vie humaine. C’est le cas lorsque la recherche scientifique elle-même est orientée vers ces buts ou quand ses résultats sont appliqués à des fins contraires au bien de l’humanité. Ceci se vérifie aussi bien dans le domaine des manipulations génétiques et des expérimentations biologiques que dans celui des armements chimiques, bactériologiques ou nucléaires.
Deux considérations m’amènent à soumettre particulièrement à votre réflexion la menace nucléaire que pèse sur le monde d’aujourd’hui et qui, si elle n’est pas conjurée, pourrait conduire à la destruction des fruits de la culture, des produits de la civilisation élaborée à travers des siècles par les générations successives d’hommes qui ont cru dans la primauté de l’esprit et qui n’ont ménagé ni leurs efforts ni leurs fatigues. La première considération est celle-ci. Des raisons de géopolitique, des problèmes économiques de dimension mondiale, de terribles incompréhensions, des orgueils nationaux blessés, le matérialisme de notre époque et la décadence des valeurs morales ont mené notre monde à une situation d’instabilité, à un équilibre fragile qui risque d’être détruit d’un moment à l’autre à la suite d’erreurs de jugement, d’information ou d’interprétation.
Une autre considération s’ajoute à cette inquiétante perspective. Peut-on, de nos jours, être encore sûr que la rupture de l’équilibre ne porterait pas à la guerre, et à une guerre qui n’hésiterait pas à recourir aux armes nucléaires? Jusqu’à présent on a dit que les armes nucléaires ont constitué une force de dissuasion qui a empêché l’éclatement d’une guerre majeure, et c’est probablement vrai.
Mais on peut en même temps se demander s’il en sera toujours ainsi. Les armes nucléaires, de quelque ordre de grandeur ou de quelque type qu’elles soient, se perfectionnent chaque année davantage, et elles s’ajoutent à l’arsenal d’un nombre croissant de pays. Comment pourra-t-on être sûr que l’usage d’armes nucléaires, même à des fins de défense nationale ou dans des conflits limités, n’entraînera pas une escalade inévitable, portant à une destruction que l’humanité ne pourra ni envisager, ni accepter? Mais ce n’est pas à vous, hommes de science et de culture, que je dois demander de ne pas fermer les yeux sur ce qu’une guerre nucléaire peut représenter pour l’humanité entière [3].
22. Mesdames et Messieurs, le monde ne pourra pas poursuivre longtemps sur cette voie. A l’homme qui a pris conscience de la situation et de l’enjeu, qui s’inspire aussi du sens élémentaire des responsabilités qui incombent à chacun, une conviction s’impose, qui est en même temps un impératif moral: il faut mobiliser les consciences! Il faut augmenter les efforts des consciences humaines à la mesure de la tension entre le bien et le mal à laquelle sont soumis les hommes à la fin du vingtième siècle. Il faut se convaincre de la priorité de l’éthique sur la technique, du primat de la personne sur les choses, de la supériorité de l’esprit sur la matière [4]. La cause de l’homme sera servie si la science s’allie à la conscience. L’homme de science aidera vraiment l’humanité s’il conserve « le sens de la transcendance de l’homme sur le monde et de Dieu sur l’homme » [5].
Ainsi, saisissant l’occasion de ma présence aujourd’hui au siège de l’UNESCO, moi, fils de l’humanité et Évêque de Rome, je m’adresse directement à vous, hommes de science, à vous qui êtes réunis ici, à vous les plus hautes autorités dans tous les domaines de la science moderne. Et je m’adresse, à travers vous, à vos collègues et amis de tous les pays et de tous les continents.
Je m’adresse à vous au nom de cette menace terrible qui pèse sur l’humanité, et, en même temps, au nom de l’avenir et du bien de cette humanité dans le monde entier. Et je vous supplie: déployons « ous nos efforts pour instaurer et respecter, dans tous les domaines de la science, le primat de l’éthique. Déployons surtout nos efforts pour préserver la famille humaine de l’horrible perspective de la guerre nucléaire!
J’ai abordé ce sujet devant l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies, à New York, le 2 octobre de l’année dernière. Je vous en parle aujourd’hui à vous. Je m’adresse à votre intelligence et à votre c½ur, par-dessus les passions, les idéologies et les frontières. Je m’adresse à tous ceux qui, par leur pouvoir politique ou économique, pourraient être et sont souvent amenés à imposer aux hommes de science les conditions de leur travail et son orientation. Je m’adresse avant tout à chaque homme de science individuellement et à toute la communauté scientifique internationale.
Tous ensemble vous êtes une puissance énorme: la puissance des intelligences et des consciences!
Montrez-vous plus puissants que les plus puissants de notre monde contemporain! Décidez-vous à faire preuve de la plus noble solidarité avec l’humanité: celle qui est fondée sur la dignité de la personne humaine. Construisez la paix en commençant par le fondement: le respect de tous les droits de l’homme, ceux qui sont liés à sa dimension matérielle et économique comme ceux qui sont liés à la dimension spirituelle et intérieure de son existence en ce monde. Puisse la sagesse vous inspirer! Puisse l’amour vous guider, cet amour qui étouffera la menace grandissante de la haine et de la destruction! Hommes de science, engagez toute votre autorité morale pour sauver l’humanité de la destruction nucléaire.
23. Il m’a été donné de réaliser aujourd’hui un des désirs les plus vifs de mon c½ur. Il m’a été donné de pénétrer, ici même, à l’intérieur de l’Aréopage qui est celui du monde entier. Il m’a été donné de vous dire à tous, à vous, membres de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, à vous qui travaillez pour le bien et pour la réconciliation des hommes et des peuples à travers tous les domaines de la culture, de l’éducation, de la science et de l’information, de vous dire et de vous crier du fond de l’âme: Oui! l’avenir de l’homme dépend de la culture! Oui! la paix du monde dépend de la primauté de l’Esprit! Oui! l’avenir pacifique de l’humanité dépend de l’amour!
Votre contribution personnelle, Mesdames et Messieurs, est importante, elle est vitale. Elle se situe dans l’approche correcte des problèmes à la solution desquels vous consacrez votre service.
Ma parole finale est celle-ci: Ne cessez pas. Continuez. Continuez toujours.
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[1] Cfr. Discours à l'O.N.U., nn. 7 et 13.
[2] Cf. Saint Thomas, commentant Aristote, dans Post. Analyt., n.1.
[3] Cf. Homélie pour la Journée mondiale de la paix, 1er janvier 1980.
[4] Cf. Redemptor Hominis, n.16.
[5] Discours à l'Académie Pontificale des Sciences, 10 novembre 1979, n.4.
*AAS 72 (1980), p. 735-752.
Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. III, 1 p. 1636-1655.
L'Osservatore Romano 3.6.1980 pp.1, 2, 3.
L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n. 21 p. 1, 9-11.
La Documentation Catholique n.1788 p.603-609.
9 novembre 1982 l’Appel de Compostelle, proclamé dans la cathédrale de Snatiago de Compostelle, en présence du Roi d’Espagne. Le matin, le Pape avait célébré la Sainte Messe en présence de 500 000 fidèles.
MAJESTÉS, MESDAMES ET MESSIEURS,
MES FRÈRES,
l. Alors que je termine mon pèlerinage en terre espagnole, je m'arrête dans cette splendide cathédrale, si étroitement liée à l'apôtre Jacques et à la foi de l'Espagne. Permettez-moi, avant tout, de vivement remercier sa Majesté le roi pour les paroles significatives qu'il m'a adressées au début de cette cérémonie.
Ce lieu, si cher aux Galiciens et à tous les Espagnols, a été dans le passé un centre d'attraction et de convergence pour l'Europe et toute la chrétienté. C'est pourquoi j'ai voulu rencontrer ici les éminents représentants des organismes européens, des évêques et des organisations du continent. A tous j'adresse mon défèrent et cordial salut, et avec vous je voudrais réfléchir ce soir sur l'Europe.
Mon regard s'étend, en cet instant, sur tout le continent européen, sur l'immense réseau de voies de communications unissant les villes et les nations qui le composent, et je revois ces chemins qui, depuis le Moyen Age, ont conduit et conduisent vers Saint-Jacques-de-Compostelle - comme le montre l'Année sainte, qui se célèbre cette année — d'innombrables pèlerins, attirés par la dévotion à l'apôtre.
Depuis les XIe et XIIe siècles, sous l'impulsion des moines de Cluny, les fidèles de tous les coins de l'Europe accourent toujours plus nombreux vers le tombeau de Jacques, rolongeant jusqu'à l'endroit que l'on considérait alors comme la « Finis terrae », lecélèbre « chemin de saint Jacques », que les Espagnols avaient déjà parcouru en pèlerins, et trouvant l'aide et
la protection dans des figures exemplaires de chante comme saint Dominique de la Calzada et saint Jean Ortega, ou dans des lieux comme le sanctuaire de la Vierge du Chemin.
Arrivaient ici de France, d'Italie, d'Europe centrale, des pays nordiques et des nations slaves, des chrétiens de toute condition sociale, des rois aux plus humbles habitants des hameaux; des chrétiens de tout niveau spirituel, depuis des saints comme François d'Assise et Brigitte de Suède (pour ne pas citer tant d'autres Espagnols), jusqu'aux pêcheurs publics en quête de pénitence.
L'Europe tout entière s'est trouvée elle-même autour du « mémorial » de Saint-Jacques, aux siècles mêmes où elle s'édifiait en continent homogène et spirituellement unique. C'est pourquoi Goethe lui-même suggérera que la conscience de l'Europe est née en pèlerinage.
2. Le pèlerinage de Saint-Jacques fut l'un des points forts qui favorisèrent la compréhension mutuelle de peuples européens si différents, comme les Latins, les Germains, les Celles, les Anglo-Saxons et les Slaves.
Le pèlerinage rapprochait, mettait en contact et unissait entre eux ces nations qui, siècles après siècles, convaincus par la prédication des témoins du Christ, embrassaient l'Évangile et, dans le même temps, on peut l'affirmer, naissaient comme peuples et comme nations.
L'histoire de la formation des nations européennes va de pair avec celle de leur évangélisation ; à tel point que les frontières européennes coïncident avec celles de la pénétration de l'Évangile. Après vingt siècles d'histoire, malgré les conflits sanglants qui ont opposé les peuples européens, et malgré les crises spirituelles qui ont marqué la vie du continent — jusqu'à poser à la conscience de notre temps de graves interrogations sur son sort à venir - on doit affirmer que l'identité européenne est incompréhensible sans le christianisme et que c'est précisément en lui que se trouvent ses racines communes qui ont permis la maturation de la civilisation d'un continent, de sa culture, de son dynamisme, de son esprit d'entreprise, de sa capacité d'expansion constructive, y compris dans les autres
continents ; en un mot, tout ce qui constitue sa gloire.
Et de nos jours encore, l'âme de l'Europe reste unie car, en plus de son origine commune, elle possède des valeurs chrétiennes et humaines identiques, comme la dignité de la personne humaine, le sens profond de la justice et de la liberté, l'application au travail, l'esprit d'initiative, l'amour de la famille, le respect de la vie, la tolérance et le désir de coopération et de paix, toutes valeurs qui la caractérisent.
3. Je porte mon regard sur l'Europe comme sur le continent qui a le plus contribué au développement du monde, aussi bien dans le domaine des idées que dans celui du travail, des sciences et des arts. Et tandis que je bénis le Seigneur de l'avoir éclairée de sa lumière
évangélique depuis les débuts de la prédication apostolique, je ne peux passer sous silence l'état de crise dans lequel elle se trouve, au seuil du troisième millénaire de l'ère chrétienne.
Je m'adresse à des représentants d'organisations créées pour la coopération européenne, et à des frères dans l’épiscopat des différentes Églises locales d'Europe. La crise atteint la vie civile comme la vie religieuse. Dans le domaine civil, l'Europe est divisée.
Des fractures artificielles privent ses peuples du droit de se rencontrer tous dans un climat d'amitié ; et du droit à unir librement leurs efforts et leur créativité au service d'une vie sociale pacifique, ou d'une contribution solidaire pour résoudre les problèmes qui touchent les autres continents. La vie civile se trouve marquée par les conséquences d'idéologies sécularisées, qui vont de la négation de Dieu ou de la limitation de la liberté religieuse à l'importance prépondérante attribuée au succès économique par rapport aux valeurs humaines du travail et de la production ; du matérialisme et de l'hédonisme, qui sapent les
valeurs de la famille nombreuse et unie. celles de la vie dès la conception et de la protection morale de la jeunesse, jusqu'à un « nihilisme » qui désarme la volonté d'affronter les problèmes cruciaux comme le sont ceux des nouveaux pauvres, des émigrés, des minorités ethniques et religieuses, du bon usage des moyens d'information, tout en armant les mains du terrorisme.
En outre, l'Europe est divisée sur le plan religieux : non pas tant ni principalement à cause des divisions qui se sont produites au cours des siècles, que parce que les baptisés et les croyants ont abandonné les raisons profondes de leur foi et la vigueur doctrinale et morale de cette vision chrétienne de la vie qui garantit l'équilibre des personnes et des communautés.
4. C'est pourquoi, moi, Jean-Paul, fils de la nation polonaise qui s'est toujours considérée comme européenne par ses origines, ses traditions, sa culture et ses relations vitales ; slave parmi les Latins et latine parmi les Slaves; moi, successeur de Pierre sur le siège de Rome, siège que le Christ a voulu placer en Europe qu'il aime à cause des efforts qu'elle a faits pour
diffuser le christianisme à travers le monde. Moi, évêque de Rome et pasteur de l'Église universelle, depuis Saint-Jacques-de-Compostelle, je lance vers toi, vieille Europe, un cri plein d'amour : Retrouve-toi toi-même. Sois toi-même. Découvre tes origines. Ravive tes racines. Revis ces valeurs authentiques qui ont rendu ton histoire glorieuse, et bienfaisante ta présence sur les autres continents. Reconstruis ton unité spirituelle, dans un climat de plein respect des autres religions et des libertés authentiques. Rends à César ce qui est à
César et à Dieu ce qui est à Dieu. Ne t'enorgueillis pas de tes conquêtes au point d'en oublier leurs éventuelles conséquences négatives. Ne te laisse pas abattre par la perte quantitative de ta grandeur dans le monde, ou par les crises sociales et culturelles qui te touchent
aujourd'hui. Tu peux être encore un phare de civilisation et un élan de progrès pour le monde. Les autres continents te regardent et attendent aussi de toi la réponse que saint Jacques a donnée au Christ : « Je le peux. »
5. Si l'Europe est une, et elle peut l'être dans le respect dû à toutes ses différences, y compris celles des divers systèmes politiques; si l'Europe se remet à penser dans la vie sociale, avec la vigueur contenue dans certaines affirmations de principes comme celles
de la Déclaration universelle des droits de l'homme, de la Déclaration européenne des droits de l'homme, de l'Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe; si l'Europe recommence à agir, dans la vie plus spécifiquement religieuse, avec la connaissance et le respect dus à Dieu, fondement de tout droit et de toute justice; si l'Europe ouvre de
nouveau les portes au Christ et n'a pas peur d'ouvrir à sa puissance de salut les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les vastes domaines de la culture, de la civilisation et du développement (cf. discours de Jean-Paul II, 22 octobre 1978) (2), son avenir ne sera pas dominé par l'incertitude et la crainte, mais s'ouvrira au contraire à une nouvelle
période de vie, aussi bien intérieure qu'extérieure, bénéfique et décisive pour le monde constamment menacé par les nuages de la guerre et par la possibilité d’un holocauste nucléaire.
6. En ce moment me viennent à l'esprit les noms de grandes personnalités : hommes et femmes qui ont apporté splendeur et gloire à ce continent par leur talent, leur capacité et leurs vertus. La liste en est si longue parmi les penseurs, les scientifiques, les artistes,
les explorateurs, les inventeurs, les chefs d'État, les apôtres et les saints, que je ne puis l'abréger. Tous représentent un patrimoine stimulant d'exemple et de confiance. L’Europe a encore en réserve des énergies humaines incomparables, capables de la soutenir dans
ce travail historique de renaissance continentale et de service de l'humanité.
Il m'est maintenant agréable de rappeler avec simplicité la force d'esprit de Thérèse de Jésus, dont j’ai voulu tout particulièrement honorer la mémoire au cours de ce voyage, et la générosité de Maximilien Kolbe, martyr de la chanté dans le camp de concentration d’Auschwitz, que j'ai récemment proclamé saint.
Mais les saints Benoît de Nurcie et Cyrille et Méthode, patrons de l'Europe, méritent une mention particulière. Dès les premiers jours de mon pontificat, je n ai cessé de souligner ma sollicitude pour la vie de l'Europe et d'indiquer quels sont les enseignements qui proviennent de l'esprit et de l'action du « patriarche de l'Occident » et des deux « frères grecs », apôtres des peuples slaves.
Saint Benoît a su allier la romanité à l'Évangile, le sens de l'universalité et du droit à la valeur de Dieu et de la personne humaine. Par sa phrase bien connue, « Ora et labora » - prie et travaille —, il nous a laissé une règle encore valable aujourd'hui pour l'équilibre de la
personne et de la société, menacées par la prédominance de l'avoir sur l'être.
Les saints Cyrille et Méthode surent devancer certaines conquêtes, qui ont été assumées pleinement par l'Église dans le Concile Vatican II, sur l'inculturation du message évangélique dans les diverses civilisations, en prenant la langue, les coutumes et l'esprit de la race dans toute la plénitude de leur valeur. Et ils le réalisèrent au IXe siècle avec l'approbation et le
soutien du Siège apostolique, permettant ainsi la présence du christianisme parmi les peuples slaves, présence qu'encore aujourd'hui on ne peut supprimer, malgré les vicissitudes actuelles contingentes. J'ai consacré aux trois patrons de l'Europe des pèlerinages,
des discours, des documents pontificaux et un culte public, en implorant sur le continent leur protection et en montrant en même temps leurs pensées et leur exemple aux nouvelles générations.
L'Église est, en outre, consciente de la place qui lui revient dans la rénovation spirituelle et humaine de l'Europe. Sans revendiquer certaines positions qu'elle a occupées jadis et que l'époque actuelle considère comme totalement dépassées, l'Église elle-même, en
tant que Saint-Siège et communauté catholique, offre son service pour contribuer à la réalisation de ces objectifs destinés à procurer aux nations un authentique bien-être matériel, culturel et spirituel. C'est pourquoi elle est aussi présente au niveau diplomatique, par l'intermédiaire de ses observateurs dans les divers organismes communautaires non politiques ; pour la même raison, elle entretient des relations diplomatiques les plus larges possibles avec les États ; pour la même raison elle a participe, en tant que membre, à la Conférence d'Helsinki et la rédaction de son important Acte final, ainsi qu'aux réunions de
Belgrade et de Madrid, cette dernière ayant repris ses travaux aujourd'hui et pour laquelle je formule les meilleurs v½ux en des moments qui ne sont pas faciles pour l'Europe.
Mais c'est la vie ecclésiale qui est principalement en cause, afin de continuer à donner un témoignage de service et d'amour, pour contribuer à dépasser les crises actuelles du continent, comme j'ai eu l'occasion de le répéter récemment au Symposium du Conseil des
conférences épiscopales européennes (cf. Discours de Jean-Paul II, 5 octobre 1982) (3).
7. L'aide de Dieu est avec nous. La prière de tous les croyants nous accompagne. La bonne volonté de nombreuses personnes inconnues, artisans de paix et de progrès, est présente au milieu de nous, garantissant que ce message adressé aux peuples de l'Europe va tomber dans une terre fertile.
Jésus-Christ, Maître de l'histoire, maintient l'avenir ouvert aux décisions généreuses et libres de tous ceux qui, accueillant la grâce des bonnes inspirations, s’engagent dans une action décidée pour la justice et la chanté, dans le cadre du plein respect de la vérité et de
la liberté.
Je recommande ces pensées à la Très Sainte Vierge pour qu'elle les bénisse et les fasse fructifier, et, en rappelant le culte rendu à la Mère de Dieu dans les nombreux sanctuaires d'Europe, de Fatima à Ostra Brama, de Lorette à Czestochowa, je lui demande de
recevoir les prières de tant de c½urs pour que le bien continue à être une joyeuse réalité en Europe et que le Christ garde toujours notre continent uni à Dieu
26 novembre 1982 – Discours de Jean Paul II aux participants à la rencontre européenne de Pastorale Familiale
Monsieur le Cardinal,
Chers Frères et S½urs,
Laissez-moi tout d’abord vous dire combien je suis heureux de vous recevoir aujourd’hui, vous qui êtes venus de plusieurs pays d’Europe, et qui portez avec moi ce souci qui me tient tant à c½ur touchant l’avenir de la famille sur notre continent.
1. L’objet de vos réflexions en ces journées d’études consacrées à la pastorale du mariage et de la famille en Europe et préparées conjointement par le Conseil pontifical pour la Famille et l’Institut d’Etudes sur le mariage et la famille, est de grande importance. Un an après sa publication, vous avez voulu examiner l’exhortation apostolique “Familiaris Consortio” afin d’en souligner les points les plus saillants, évaluer l’accueil que lui ont réservé vos communautés, en vue de contribuer à la rénovation spirituelle de l’Europe. Cette exhortation indique en effet les orientations fondamentales, selon lesquelles l’Eglise devra, en cette fin du second millénaire, veiller sur le mariage et la famille.
L’Eglise est soucieuse de parvenir à une intelligence toujours plus profonde de la vérité qu’elle a mission de présenter. Ainsi la première orientation donnée par l’exhortation apostolique est-elle une invitation lancée à toute l’Eglise d’annoncer, avec fidélité et un humble courage, cette vérité à l’homme d’aujourd’hui. Il s’agit du dessein de Dieu sur le mariage et sur la famille, car c’est seulement dans la fidélité à celui-ci que se trouve le salut de l’institution matrimoniale et familiale pour tous ceux qui se marient. Ce devoir premier de l’Eglise doit s’exprimer clairement dans une culture européenne encore marquée par des valeurs humaines et chrétiennes authentiques, mais trop souvent obscurcies par des déviations dues soit à des conceptions erronées, soit à un laisser-aller moral. Il est plus que jamais urgent et nécessaire de reconstruire en chaque homme et en chaque femme la certitude d’une vérité concernant leur mariage et les valeurs éthiques qui doivent la soutenir. A travers l’annonce de la vérité, l’Eglise est appelée à une estime plus profonde de l’amour conjugal, compris en toutes ses dimensions, à une estime accordée à chacune de ses richesses. De leur côté, les époux, sollicités par tant de théories diverses sur le bonheur du couple et de la famille, ne se retournent-ils pas aujourd’hui vers l’Eglise dans une recherche plus urgente de cette vérité, de cette sagesse?
La vérité que l’Eglise annonce est une vérité de vie: elle doit devenir vie. Ceci est une seconde orientation fondamentale tracée par l’exhortation apostolique. Cette exigence de la vérité concerne soit la vie personnelle des conjoints, soit la culture dans laquelle vivent les époux en Europe. En effet, cette vérité se veut inspiratrice d’une culture familiale. Les Pères du synode ont à juste titre insisté sur cette nécessité. Le processus d’inculturation, dont parle “Familiaris Consortio”, comporte deux moments étroitement unis entre eux. Il implique un jugement critique, pour discerner ce qui est conforme au dessein de Dieu sur le mariage et la famille, et ce qui s’en écarte. Chaque croyant a été confié à l’Esprit, afin qu’il soit en état d’élaborer un tel jugement. Mais il n’est pas suffisant d’exercer un jugement critique sur les diverses propositions culturelles. On doit créer une culture matrimoniale et familiale qui réalise dans l’Europe d’aujourd’hui l’identité humaine et chrétienne du mariage et de la famille: c’est un devoir qui fait partie de la mission évangélisatrice de l’Eglise, laquelle doit en outre s’efforcer de restaurer l’unité entre la foi chrétienne et la culture en Europe à propos de la famille.
2. Dans votre réflexion, toutefois, vous ne vous limitez pas à prendre en compte les orientations pastorales fondamentales. Vous voulez aussi faire une première évaluation de l’accueil réservé à l’exhortation “Familiaris Consortio” dans les communautés chrétiennes d’Europe.
En effet, ce que le Synode des évêques a enseigné et que mon exhortation apostolique a fait sien doit s’enraciner dans l’esprit et le c½ur de chaque fidèle et être totalement assimilé. Car c’est le même et unique Esprit qui éclaire les Pasteurs de l’Eglise quand ils enseignent la doctrine du Christ, avec l’autorité qui leur est propre, et qui habite dans le c½ur des époux afin qu’ils réalisent le projet de Dieu sur leur mariage.
Et donc, en aidant les époux à être toujours plus fidèles à l’Esprit par l’adhésion de l’intelligence et du c½ur à ce que l’Eglise enseigne, on se propose d’atteindre deux objectifs.
Il s’agit d’abord de mettre en lumière les raisons profondes, les motifs d’un tel enseignement. En effet, il n’est pas seulement en butte à des difficultés d’ordre pratique: ce sont ses raisons ultimes qui souvent ne sont pas accueillies. Il est donc nécessaire de revenir à ses sources, qui se trouvent au c½ur même de la Révélation quand elle nous dévoile la vérité tout entière sur l’homme. Il faut apprendre aux époux à demeurer dans ce c½ur, dans ce centre radieux dans lequel ils peuvent comprendre leur vocation et par conséquent les motifs de l’enseignement de l’Eglise. Ils saisiront alors que, pour l’essentiel, l’enseignement de l’Eglise découle de la vision évangélique de l’amour, de la sexualité humaine, en un mot de la personne humaine. Je souhaite vivement que de nombreuses personnes dans l’Eglise se préoccupent de répandre cette lumière. C’est pour cela, pour ce travail “d’intelligence de la foi”, de réflexion sur les raisons ultimes de la doctrine chrétienne qu’à été fondé l’Institut d’études sur le mariage et la famille, qui veut être un centre culturel au service de toute l’Eglise.
Le second objectif vers lequel tend notre effort pour que l’enseignement de l’Eglise soit accueilli par les époux, est de leur offrir tous les moyens nécessaires afin qu’ils soient en mesure de le mettre en pratique. Il ne fait pas de doute en effet que les époux peuvent rencontrer des difficultés non seulement au plan de la question “pourquoi un tel enseignement?”, mais aussi quand ils se demandent “comment mettre en pratique un tel enseignement?”. C’est dans ce contexte qu’il faut envisager toutes les initiatives destinées à aider les conjoints à approfondir leur vie spirituelle par la prière, la mise en commun de leurs joies et de leurs difficultés, la réception fréquente des sacrements, grâce à des mouvements ou des associations familiales.
3. Mais vous réfléchissez sur la famille en vue, aussi, de la renovation spirituelle de l’Europe.
Plus que jamais l’Europe a besoin de retrouver son identité spirituelle, incompréhensible sans le christianisme. Le christianisme n’est pas quelque chose qui vient en supplément, quelque chose d’étranger à la conscience européenne: à cette conscience qui constitue le tissu conjonctif profond et véritable du vieux continent, sousjacent à la légitime diversité des peuples, des cultures et des histoires. Le christianisme, l’annonce de l’Evangile, est à l’origine de cette conscience, de cette unité spirituelle, comme le montrent bien déjà les débuts de son histoire à travers les noms de Benoît, patriarche de l’Occident, et de Cyrille et Méthode, les frères slaves. La reconstruction de l’Europe exige avant tout cet effort pour la rendre de nouveau consciente de son identité tout entière, de son âme.
Cette rénovation, qui met en ½uvre toutes les forces de l’Eglise, trouve dans la famille un des sujets actifs les plus importants.
C’est dans la famille, comme je l’ai déjà dit, que la personne humaine trouve la première et irremplaçable école pour être vraiment humaine: c’est en premier lieu dans la famille que se transmet la culture. Et c’est pourquoi il lui revient à elle, à l’origine, d’assurer la continuité dans le développement historique de la conscience et de la culture d’un peuple.
L’histoire de l’Europe montre bien comment, à divers moments, des institutions ont été créatrices de culture et de civilisation, dans une synthèse féconde de christianisme et d’humanisme. Il suffit de penser au rôle des monastères bénédictins et des Universités qui ont surgi un peu partout en Europe, de Paris à Oxford, de Bologne à Cracovie, de Prague à Salamanque. L’institution de la famille, puisqu’elle est appelée dans le projet salvifique de Dieu à être l’institution éducatrice originelle et première, doit toujours renforcer sa présence au sein de ces institutions créatrices de vraie culture.
Voilà comment je vois votre rencontre européenne de pastorale familiale: c’est un signe et une promesse. C’est le signe que l’Eglise prend toujours plus conscience de ce qu’est la famille, et c’est la promesse d’un nouveau combat en faveur de la personne humaine, pour la personne humaine à qui Dieu a donné pour toujours son propre Fils, son Fils unique. Je suis sûr que votre réunion sera fructueuse, grâce à votre travail et à l’esprit de communion qui vous anime et qui a présidé à l’organisation de ce colloque.
Qu’il me soit permis, avant de nous séparer, de vous inviter, en ce qui vous concerne, à reprendre dans la prière ce qui a fait l’essentiel de vos réflexions, afin que le Seigneur lui-même fasse grandir et germer la parole d’espérance que vous vous efforcez de propager. C’est pourquoi, en vous accordant ma Bénédiction Apostolique, je Lui demande de bénir vos personnes et vos activités au service de la famille chrétienne.
11 octobre 1988 – Discours de Jean Paul II au Parlement Européen, à Strasbourg
1. First of all, permit me to say how much I appreciate the words of welcome and consideration which you have been good enough to express in my regard. I wish to thank you most warmly, Mr President, for having personally renewed the invitation, first extended in 1980, to come and address this prestigious Assembly. The hope which I expressed more than three years ago before the representatives of the European Institutions is now being realized, and I am very conscious of the importance of my present meeting with the representatives of the twelve countries which make up the European Community, that is to say, the representatives of some three hundred and thirty million citizens who have entrusted to you the mandate of directing their common destinies.
Now that your Assembly, which has been the centre of European integration since the beginnings of the European Coal and Steel Community and the signing of the Treaty of Rome, is elected by direct universal suffrage and, consequently, enjoys increased prestige and authority, it rightly appears to your compatriots as the institution that will guide their future as a democratic community of countries, desirous of integrating their economy more closely, of harmonizing their legislations on a number of points, and of offering all their citizens greater freedom in the perspective of mutual cooperation and cultural enrichment.
Our encounter takes place at a special moment in the history of this continent when after a long journey, not without difficulties, we stand at the beginning of new and decisive stages which, with the coming into force of the Single European Act will hasten the process of integration which has been patiently conducted during recent decades.
I
2. Depuis la fin de la dernière guerre mondiale, le Saint-Siège n’a pas cessé d’encourager la construction de l’Europe. Certes, l’Eglise a pour mission de faire connaître à tous les hommes leur salut en Jésus-Christ, quelles que soient les conditions de leur histoire présente, car il n’y a jamais de préalable à cette tâche. Aussi, sans sortir de la compétence qui est la sienne, considère-t-elle comme son devoir d’éclairer et d’accompagner les initiatives développées par les peuples qui vont dans le sens des valeurs et des principes qu’elle se doit de proclamer, attentive aux signes des temps qui invitent à traduire dans les réalités changeantes de l’existence les requêtes permanentes de l’Evangile.
Comment l’Eglise pourrait-elle se désintéresser de la construction de l’Europe, elle qui est implantée depuis des siècles dans les peuples qui la composent et les a un jour portés sur les fonts baptismaux, peuples pour qui la foi chrétienne est et demeure l’un des éléments de leur identité culturelle?
3. L’Europe d’aujourd’hui peut certainement accueillir comme un signe des temps l’état de paix et de coopération définitivement installé entre ses Etats membres, qui pendant des siècles avaient épuisé leurs forces à se faire la guerre et à rechercher l’hégémonie les uns sur les autres.
Signe des temps encore, la sensibilité accrue aux droits de l’homme et à la valeur de la démocratie, dont votre Assemblée est l’expression et veut aussi être le garant. Cette adhésion est d’ailleurs toujours à confirmer pour que prévale en toutes circonstances le respect du droit et de la dignité de la personne humaine.
Signe des temps aussi, croyons-nous, le fait que cette partie de l’Europe, qui a jusqu’ici tant investi dans le domaine de sa coopération économique, soit de plus en plus intensément à la recherche de son âme, et d’un souffle capable d’assurer sa cohésion spirituelle. Sur ce point, me semble-t-il, l’Europe que vous représentez se trouve au seuil d’une nouvelle étape de sa croissance, tant pour elle-même que dans sa relation avec le reste du monde.
4. L’«Acte unique», qui entrera en vigueur à la fin de 1992, va hâter le processus de l’intégration européenne. Une structure politique commune, émanation de la libre volonté des citoyens européens, loin de mettre en péril l’identité des peuples de la Communauté, sera plus à même de garantir plus équitablement les droits, notamment culturels, de toutes ses régions. Ces peuples européens unis n’accepteront pas la domination d’une nation ou d’une culture sur d’autres, mais soutiendront le droit égal pour toutes d’enrichir les autres de leur différence.
Les empires du passé ont tous failli, qui tentaient d’établir leur prépondérance par la force de coercition et la politique d’assimilation. Votre Europe sera celle de la libre association de tous ses peuples et de la mise en commun des multiples richesses de sa diversité.
5. D’autres nations pourront certainement rejoindre celles qui aujourd’hui sont ici représentées. Mon v½u de Pasteur suprême de l’Eglise universelle, venu de l’Europe de l’Est et qui connaît les aspirations des peuples slaves, cet autre «poumon» de notre même patrie européenne, mon v½u est que l’Europe, se donnant souverainement des institutions libres, puisse un jour se déployer aux dimensions que lui ont données la géographie et plus encore l’histoire. Comment ne le souhaiterais-je pas, puisque la culture inspirée par la foi chrétienne a profondément marqué l’histoire de tous les peuples de notre unique Europe, grecs et latins, germaniques et slaves, malgré toutes les vicissitudes et par-delà les systèmes sociaux et les idéologies?
6. Les nations européennes se sont toutes distinguées dans leur histoire par leur ouverture sur le monde et les échanges vitaux qu’elles ont établis avec les peuples d’autres continents. Nul n’imagine qu’une Europe unie puisse s’enfermer dans son égoïsme. Parlant d’une seule voix, unissant ses forces, elle sera en mesure, plus encore que par le passé, de consacrer ressources et énergies nouvelles a la grande tâche du développement des pays du tiers-monde, spécialement ceux qui entretiennent déjà avec elle des liens traditionnels. La «Convention de Lomé», qui a donné lieu à une coopération institutionnalisée entre des membres de votre Assemblée et des représentants de soixante-six pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, est à bien des égards exemplaire. La coopération européenne sera d’autant plus crédible et fructueuse qu’elle se poursuivra, sans arrière-pensée de domination, avec l’intention d’aider les pays pauvres à prendre en charge leur propre destin.
7. Monsieur le Président, le message de l’Eglise concerne Dieu et la destinée ultime de l’homme, questions qui ont au plus haut point imprègne la culture européenne. En vérité, comment pourrions-nous concevoir l’Europe privée de cette dimension transcendante?
Depuis que, sur le sol européen, se sont développés, à l’époque moderne, les courants de pensée qui ont peu à peu écarté Dieu de la compréhension du monde et de l’homme, deux visions opposées alimentent une tension constante entre le point de vue des croyants et celui des tenants d’un humanisme agnostique et parfois même «athée».
Les premiers, considèrent que l’obéissance à Dieu est la source de la vraie liberté, qui n’est jamais liberté arbitraire et sans but, mais liberté pour la vérité et le bien, ces deux grandeurs se situant toujours au-delà de la capacité des hommes de se les approprier complètement.
Sur le plan éthique, cette attitude fondamentale se traduit par l’acceptation de principes et de normes de comportement s’imposant à la raison ou découlant de l’autorité de la Parole de Dieu, dont l’homme, individuellement ou collectivement, ne peut disposer à sa guise, au gré des modes ou de ses intérêts changeants.
8. La deuxième attitude est celle qui, ayant supprimé toute subordination de la créature à Dieu, ou à un ordre transcendant de la vérité et du bien, considère l’homme en lui-même comme le principe et la fin de toutes choses, et la société, avec ses lois, ses normes, ses réalisations, comme son ½uvre absolument souveraine. L’éthique n’a alors d’autre fondement que le consensus social, et la liberté individuelle d’autre frein que celui que la société estime devoir imposer pour la sauvegarde de celle d’autrui.
Chez certains, la liberté civile et politique, jadis conquise par un renversement de l’ordre ancien fondé sur la foi religieuse, est encore conçue comme allant de pair avec la marginalisation, voire la suppression de la religion, dans laquelle on a tendance à voir un système d’aliénation. Pour certains croyants, en sens inverse, une vie conforme à la foi ne serait possible que par un retour à cet ordre ancien, d’ailleurs souvent idéalisé. Ces deux attitudes antagonistes n’apportent pas de solution compatible avec le message chrétien et le génie de l’Europe. Car, lorsque règne la liberté civile et que se trouve pleinement garantie la liberté religieuse, la foi ne peut que gagner en vigueur en relevant le défi que lui adresse l’incroyance, et l’athéisme ne peut que mesurer ses limites devant le défi que lui adresse la foi. Devant cette diversité des points de vue, la fonction la plus élevée de la loi est de garantir également à tous les citoyens le droit de vivre en accord avec leur conscience et de ne pas contredire les normes de l’ordre moral naturel reconnues par la raison.
9. A ce point, il me paraît important de rappeler que c’est dans l’humus du christianisme que l’Europe moderne a puisé le principe – souvent perdu de vue pendant les siècles de «chrétienté» – qui gouverne le plus fondamentalement sa vie publique: je veux dire le principe, proclamé pour la première fois par le Christ, de la distinction de «ce qui est à César» et de «ce qui est à Dieu»[1].
Cette distinction essentielle entre la sphère de l’aménagement du cadre extérieur de la cité terrestre et celle de l’autonomie des personnes s’éclaire à partir de la nature respective de la communauté politique à laquelle appartiennent nécessairement tous les citoyens et de la communauté religieuse à laquelle adhérent librement les croyants.
Après le Christ, il n’est plus possible d’idolâtrer la société comme grandeur collective dévoratrice de la personne humaine et de son destin irréductible. La société, l’Etat, le pouvoir politique appartiennent au cadre changeant et toujours perfectible de ce monde. Nul projet de société ne pourra jamais établir le Royaume de Dieu, c’est-à-dire la perfection eschatologique, sur la terre. Les messianismes politiques débouchent le plus souvent sur les pires tyrannies. Les structures que les sociétés se donnent ne valent jamais d’une façon définitive; elles ne peuvent pas non plus procurer par elles-mêmes tous les biens auxquels l’homme aspire. En particulier, elles ne peuvent se substituer à la conscience de l’homme ni à sa quête de la vérité et de l’absolu.
La vie publique, le bon ordre de l’Etat reposent sur la vertu des citoyens, qui invite à subordonner les intérêts individuels au bien commun, à ne se donner et à ne reconnaître pour loi que ce qui est objectivement juste et bon. Déjà les anciens Grecs avaient découvert qu’il n’y a pas de démocratie sans assujettissement de tous à la loi, et pas de loi qui ne soit fondée sur une norme transcendante du vrai et du juste.
Dire qu’il revient à la communauté religieuse, et non à l’Etat, de gérer «ce qui est à Dieu», revient à poser une limite salutaire au pouvoir des hommes, et cette limite est celle du domaine de la conscience, des fins dernières, du sens ultime de l’existence, de l’ouverture sur l’absolu, de la tension vers un achèvement jamais atteint, qui stimule les efforts et inspire les choix justes. Toutes les familles de pensée de notre vieux continent devraient réfléchir à quelles sombres perspectives pourrait conduire l’exclusion de Dieu de la vie publique, de Dieu comme ultime instance de l’éthique et garantie suprême contre tous les abus du pouvoir de l’homme sur l’homme.
10. Notre histoire européenne montre abondamment combien souvent la frontière entre «ce qui est à César» et «ce qui est à Dieu» a été franchie dans les deux sens. La chrétienté latine médiévale – pour ne mentionner qu’elle –, qui pourtant a théoriquement élaboré, en reprenant la grande tradition d’Aristote, la conception naturelle de l’Etat, n’a pas toujours échappé à la tentation intégriste d’exclure de la communauté temporelle ceux qui ne professaient pas la vraie foi. L’intégrisme religieux, sans distinction entre la sphère de la foi et celle de la vie civile, aujourd’hui encore pratiqué sous d’autres cieux, paraît incompatible avec le génie propre de l’Europe tel que l’a façonné le message chrétien.
Mais c’est d’ailleurs que sont venues, en notre temps, les plus grandes menaces, lorsque des idéologies ont absolutisé la société elle-même ou un groupe dominant, au mépris de la personne humaine et de sa liberté. Là où l’homme ne prend plus appui sur une grandeur qui le transcende, il risque de se livrer au pouvoir sans frein de l’arbitraire et des pseudo-absolus qui le détruisent.
III
11. D’autres continents connaissent aujourd’hui une symbiose plus ou moins profonde entre la foi chrétienne et la culture, qui est pleine de promesse. Mais, depuis bientôt deux millénaires, l’Europe offre un exemple très significatif de la fécondité culturelle du christianisme qui, de par sa nature, ne peut être relégué dans la sphère privée. Le christianisme, en effet, a vocation de profession publique et de présence active dans tous les domaines de la vie. Aussi mon devoir est-il de souligner avec force que si le substrat religieux et chrétien de ce continent devait en venir à être marginalisé dans son rôle d’inspirateur de l’éthique et dans son efficacité sociale, c’est non seulement tout l’héritage du passé européen qui serait nié, mais c’est encore un avenir digne de l’homme européen – je dis de tout homme européen, croyant ou incroyant – qui serait gravement compromis.
12. En terminant, j’évoquerai trois domaines où il me semble que l’Europe intégrée de demain, ouverte vers l’Est du continent, généreuse envers l’autre hémisphère, devrait reprendre un rôle de phare dans la civilisation mondiale:
– D’abord, réconcilier l’homme avec la création, en veillant à préserver l’intégrité de la nature, sa faune et sa flore, son air et ses fleuves, ses subtiles équilibres, ses ressources limitées, sa beauté qui loue la gloire du Créateur.
– Ensuite, réconcilier l’homme avec son semblable, en s’acceptant les uns les autres entre Européens de diverses traditions culturelles ou familles de pensée, en étant accueillant à l’étranger et au réfugié, en s’ouvrant aux richesses spirituelles des peuples des autres continents.
– Enfin, réconcilier l’homme avec lui-même: oui, travailler à reconstituer une vision intégrée et complète de l’homme et du monde, à l’encontre des cultures du soupçon et de la déshumanisation, une vision où la science, la capacité technique et l’art n’excluent pas mais appellent la foi en Dieu.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, en répondant à votre invitation de m’adresser à votre illustre Assemblée, j’avais devant les yeux les millions d’hommes et de femmes européens que vous représentez. C’est à vous que ceux-ci ont confié la grande tâche de maintenir et de développer les valeurs humaines – culturelles et spirituelles – qui correspondent à l’héritage de l’Europe et qui seront la meilleure sauvegarde de son identité, de sa liberté et de son progrès. Je prie Dieu de vous inspirer et de vous fortifier dans ce grand dessein.
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[1] Cfr. Matth. 22, 21.
*AAS 81 (1988), p. 695-701.
Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. XI, 3 pp. 1171-1179.
L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n. 43 pp. 16, 17, 18.
La Documentation Catholique n.1971 pp.1043-1046.
8 mai 1995 – Message pour le 50ème anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre Mondiale en Europe.
1. Il y a cinquante ans, le 8 mai 1945, la deuxième guerre mondiale s'achevait sur le sol de l'Europe. La fin de ce terrible fléau, qui ravivait dans les c½urs l'attente du retour des prisonniers, des déportés et des réfugiés, suscitait aussi le désir de construire une Europe meilleure. Le continent pouvait recommencer à espérer un avenir de paix et de démocratie.
Un demi-siècle plus tard, les individus, les familles et les peuples gardent encore la mémoire de ces six terribles années : des souvenirs de peurs, de violences, de pénurie extrême, de mort ; des expériences dramatiques de séparations douloureuses, vécues dans la privation de toute sécurité et de toute liberté ; des blessures indélébiles dues à des massacres sans fin.
Avec le temps, on comprend mieux le sens
2. Il ne fut pas facile de comprendre alors entièrement les dimensions multiples et tragiques du conflit. Mais, au cours des années, on a mieux pris conscience des conséquences de cet événement sur le XXesiècle et sur l'avenir du monde. La deuxième guerre mondiale n'a pas été seulement un épisode historique de premier plan ; elle a constitué un tournant pour l'humanité d'aujourd'hui. Avec le temps, les souvenirs ne doivent pas s'estomper ; ils doivent plutôt devenir une dure leçon pour notre génération et pour celles qui la suivront.
La signification de cette guerre pour l'Europe et pour le monde a été perçue au cours de ces cinq décennies grâce à la connaissance de nouvelles données qui ont permis de mieux comprendre les souffrances qu'elle avait provoquées. L'expérience tragique qui a été vécue entre 1939 et 1945 représente aujourd'hui une sorte de référence nécessaire à qui veut réfléchir sur le présent et sur l'avenir de l'humanité.
En 1989, à l'occasion du cinquantième anniversaire du début de la guerre, j'écrivais: "Cinquante ans après, nous avons le devoir de nous souvenir devant Dieu de ces faits dramatiques pour honorer les morts et pour compatir à tous ceux que ce déferlement de cruauté a blessés dans leur c½ur et dans leur corps, tout en pardonnant les offenses" [1].
Il faut maintenir vivante la mémoire de ce qui est arrivé ; c'est pour nous un vrai devoir. Il y a six ans, au moment même de cet anniversaire, on voyait se dessiner en Europe de l'Est de nouvelles structures sociales et politiques à cause de la chute rapide des régimes communistes. C'était un bouleversement social profond qui permettait d'éliminer certaines conséquences tragiques de la guerre mondiale, dont la fin n'avait pas permis à beaucoup de nations européennes de commencer à jouir pleinement de la paix et de la démocratie, comme on aurait pu logiquement s'y attendre le 9 mai 1945. En effet, certains peuples avaient perdu le pouvoir de disposer d'eux-mêmes et ils avaient été enfermés à l'intérieur des frontières oppressantes d'un empire, tandis que l'on cherchait à détruire non seulement leurs traditions religieuses, mais aussi leur mémoire historique et les racines séculaires de leur culture. C'est ce que j'ai voulu souligner dans la lettre encyclique Centesimus annus [2]. Pour ces peuples, en un sens, la deuxième guerre mondiale n'a pris fin qu'en 1989.
Une guerre aux destructions incroyables
3. Les conséquences de la deuxième guerre mondiale pour la vie des nations et des continents ont été immenses. Les cimetières militaires réunissent dans un même souvenir des chrétiens et des croyants d'autres religions, des militaires et des civils d'Europe et d'autres régions du monde. Car il y eut aussi des soldats de pays non européens qui vinrent combattre sur le sol du vieux continent : beaucoup tombèrent sur les champs de bataille; pour d'autres, le 8 mai marqua la fin d'un cauchemar effrayant.
Des dizaines de millions d'hommes et de femmes furent tués ; on ne compte pas les blessés et les disparus. Un nombre incalculable de familles se virent contraintes à abandonner leurs terres auxquelles elles étaient liées par un attachement séculaire ; des habitations et des monuments chargés d'histoire ont été dévastés, des villes et des pays furent bouleversés et réduits à l'état de ruines. Jamais les populations civiles, notamment les femmes et les enfants, n'avaient payé dans un conflit un prix aussi élevé en morts.
La mobilisation de la haine
4. Plus grave encore fut la diffusion d'une "culture de la guerre" avec son triste cortège de mort, de haine et de violence. "La deuxième guerre mondiale - ai-je écrit à l'épiscopat polonais en 1989 - a permis à tous de prendre conscience du degré de gravité, jusque là inconnu, auquel pouvaient arriver le mépris de l'homme et la violation de ses droits. Cette guerre a opéré une mobilisation inouïe de la haine, piétinant l'homme et tout ce qui est humain au nom d'une idéologie impérialiste" [3].
On ne le dira jamais assez, la deuxième guerre mondiale a transformé douloureusement la vie d'une multitude d'hommes et de peuples. On a même construit des camps d'extermination infernaux où des millions de juifs, des centaines de milliers de tsiganes, et d'autres êtres humains pour la seule raison qu'ils appartenaient à des peuples différents, ont trouvé la mort dans des conditions dramatiques.
Auschwitz : monument aux conséquences du totalitarisme
5. Auschwitz, à côté de tant d'autres lager, reste le symbole dramatiquement éloquent des conséquences du totalitarisme. Le pèlerinage de la mémoire et du c½ur en ces lieux, au moment du cinquantième anniversaire, est un devoir. Comme je le disais en 1979 pendant la messe célébrée à Brzezinka, non loin d'Auschwitz, "je viens m'agenouiller sur ce Golgotha du monde contemporain" [4]. Comme à ce moment-là, je reprends par la pensée mon pèlerinage en ces camps d'extermination. "Je m'arrête en particulier [...] devant la pierre qui porte l'inscription en langue hébraïque", pour rappeler le souvenir du "peuple dont les fils et les filles étaient destinés à l'extermination totale" et pour répéter qu'"il n'est permis à personne de passer avec indifférence"[5]. Comme à l'époque, je m'attarde devant la pierre en langue russe, après les changements survenus dans l'ex-Union soviétique, et je rappelle "la part qu'a eue ce pays dans la dernière et terrible guerre pour la liberté des peuples"[6]. Je m'arrête ensuite devant la pierre en langue polonaise et je repense au sacrifice d'une si grande partie de la nation, qui marque "un compte douloureux avec la conscience de l'humanité". Comme je l'ai dit en 1979, je le répète aujourd'hui : "J'ai choisi trois pierres. Mais il aurait fallu s'arrêter sur chacune d'elles" [7]. Oui, en ce cinquantième anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale, je ressens le besoin intérieur de m'arrêter devant toutes les pierres, notamment celles qui rappellent le sacrifice de victimes moins connues ou même oubliées.
6. De cette méditation naissent des interrogations que l'humanité doit nécessairement se poser. Pourquoi est-on parvenu à un tel degré d'anéantissement de l'homme et des peuples ? Pourquoi, à la fin de la guerre, n'a-t-on pas tiré de son amère leçon les conséquences qui s'imposaient pour l'ensemble du continent européen ?
Le monde, et en particulier l'Europe, alla vers cette immense catastrophe pour avoir perdu l'énergie morale nécessaire à la lutte contre ce qui le poussait dans le gouffre de la guerre. En effet, le totalitarisme détruit les libertés fondamentales de l'homme et il en foule aux pieds les droits. En manipulant l'opinion publique par le martellement incessant de la propagande, il pousse facilement à céder à l'appel de la violence et des armes et il finit par détruire le sens de la responsabilité de l'être humain.
Alors, par malheur, on ne se rendit pas compte que lorsqu'on en vient à piétiner la liberté, on pose les prémices d'un glissement dangereux dans la violence et dans la haine, fondements d'une "culture de la guerre". C'est précisément cela qui s'est produit : les chefs n'eurent pas de difficulté à pousser les masses au choix fatal. Ils utilisèrent l'affirmation du mythe de l'homme supérieur, l'application de politiques racistes ou antisémites, le mépris de la vie de ceux qui étaient considérés comme inutiles parce que malades ou asociaux, la persécution religieuse ou la discrimination politique, l'étouffement progressif de toute liberté par le contrôle policier et le conditionnement psychologique qui dérive de l'usage unilatéral des moyens de communication. C'est précisément à cela que se référait le Pape Pie XI quand, dans l'encycliqueMit brennender Sorge, du 14 mars 1937, il parlait de "sombres desseins" qui apparaissaient à l'horizon [8].
On n'édifie pas une société humaine sur la violence
7. La deuxième guerre mondiale a été le fruit direct de ce processus de dégradation : mais en a-t-on tiré les conséquences nécessaires dans les décennies qui ont suivi ? Malheureusement, la fin de la guerre n'a pas amené la disparition des politiques et des idéologies qui l'avaient provoquée ou favorisée. Sous une autre forme, les régimes totalitaires ont perduré et se sont même développés, surtout dans l'Est de l'Europe. Après ce 8 mai, sur le sol du Continent et ailleurs, de nombreux camps de concentration sont restés ouverts, tandis que de nombreuses personnes ont continué à être emprisonnées au mépris de tout droit humain élémentaire. On n'a pas compris qu'il est impossible d'édifier une société digne de la personne sur sa destruction, sur la répression et sur la discrimination. Cette leçon de la deuxième guerre mondiale n'a encore été ni pleinement ni partout reçue. Pourtant, elle reste et doit rester comme un avertissement pour le prochain millénaire.
En particulier, dans les années qui ont précédé la deuxième guerre mondiale, le culte de la nation, développé au point de devenir comme une nouvelle idolâtrie, provoqua dans ces six terribles années une horrible catastrophe. Pie XI, dès décembre 1930, donnait cet avertissement : "Il est plus difficile, pour ne pas dire impossible, que la paix dure entre les peuples et les États si, au lieu du vrai et pur patriotisme, règne et sévit un nationalisme dur et égoïste, c'est-à-dire la haine et l'envie au lieu du mutuel désir du bien, la défiance et la suspicion au lieu de la confiance fraternelle, la concurrence et la lutte au lieu de la bonne entente et de la coopération, l'ambition d'hégémonie et de prépondérance au lieu du respect et de la protection de tous les droits, fussent-ils ceux des faibles et des petits" [9].
Ce n'est pas un hasard si certains hommes d'État éclairés d'Europe occidentale ont voulu, à partir de la méditation sur les désastres causés par le second conflit mondial, créer un lien communautaire entre leurs pays. Ce pacte s'est développé dans les décennies qui ont suivi ; les nations qui y entrèrent réalisaient leur volonté de ne plus être seules face à leur destin. Elles avaient compris qu'au-delà du bien de chaque peuple, il existe un bien commun de l'humanité, que la guerre écrase violemment. Une réflexion sur cette expérience dramatique les conduisit à considérer que les intérêts d'une nation ne pouvaient être convenablement défendus que dans le contexte d'une interdépendance solidaire avec les autres peuples.
L'Église écoute le cri des victimes
8. À l'occasion du cinquantième anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale, les voix qui se lèvent sont nombreuses, cherchant à dépasser les divisions entre les vainqueurs et les vaincus. Le courage et le sacrifice de millions d'hommes et de femmes sont évoqués. En ce qui la concerne, l'Église se met surtout à l'écoute du cri de toutes les victimes. C'est un cri qui aide à mieux comprendre le scandale de ce conflit qui a duré six ans. C'est un cri qui porte à réfléchir sur ce que ce scandale a comporté pour l'humanité. C'est un cri qui constitue une dénonciation des idéologies qui conduisirent à cette catastrophe terrible. Face à toutes les guerres, nous sommes tous appelés à méditer sur nos responsabilités, en demandant pardon et en pardonnant. En tant que chrétiens, nous sommes amèrement touchés, en considérant que "les monstruosités de cette guerre se sont produites sur un continent qui se faisait gloire d'une floraison particulière de la culture et de la civilisation ; sur le continent qui est demeuré le plus longtemps sous l'influence de l'Évangile et de l'Église" [10]. Pour cela, les chrétiens d'Europe doivent demander pardon, tout en reconnaissant que les responsabilités dans la construction de la machine de guerre furent différentes.
La guerre ne peut pas donner la justice
9. Les divisions provoquées par la deuxième guerre mondiale nous renvoient au fait que la force au service de la "volonté de puissance" est un instrument inapproprié pour construire la justice véritable. Bien plus, elles amorcent un processus néfaste, aux conséquences imprévisibles pour les hommes, les femmes, les peuples, qui risquent d'y perdre toute dignité, en même temps que leurs biens et leur propre vie. L'avertissement que le Pape Pie XII lança en août 1939, à la veille même de ce conflit tragique, dans une dernière tentative pour supplier de ne pas recourir aux armes, retentit encore fortement : "Le danger est imminent, mais il est encore temps. Rien n'est perdu avec la paix. Tout peut l'être avec la guerre. Que les hommes recommencent à se comprendre, qu'ils recommencent à traiter !" [11].Pie XII s'engageait ainsi sur les traces du Pape Benoît XV, qui, après avoir mis en ½uvre tous les moyens pour empêcher le premier conflit mondial, n'a pas hésité à le caractériser de "massacre inutile" [12]. Moi-même, je ne me suis pas éloigné de cette voie quand, le 20 janvier 1991, devant la guerre du Golfe, j'ai déclaré : "La tragique réalité de ces derniers jours rend encore plus évident le fait que non seulement les problèmes ne se résolvent pas avec les armes, mais que de nouvelles et plus grandes tensions se créent entre les peuples" [13]. C'est là une constatation qui, au fil des ans, ne cesse de se confirmer toujours davantage, alors que, dans certaines régions d'Europe et dans d'autres parties du monde, continuent à s'allumer de douloureux foyers de guerre. Dans l'encyclique Pacem in terris, le Pape Jean XXIII plaçait parmi les signes des temps le développement de la conviction que "les éventuels conflits entre les peuples ne doivent pas être réglés par le recours aux armes, mais par la négociation" [14]. Malgré les échecs humains, il y a bien des événements, même récents, capables de témoigner que la négociation honnête, patiente et respectueuse des droits et des aspirations des parties en présence peut ouvrir la voie à une résolution pacifique des situations les plus complexes. Dans cet esprit, j'assure de ma plus vive reconnaissance et de mon plus grand soutien tous les bâtisseurs contemporains de la paix.
Je le fais en particulier à cause du souvenir ineffaçable des explosions atomiques, qui frappèrent d'abord Hiroshima, puis Nagasaki, en août 1945. Elles témoignent d'une manière bouleversante de l'horreur et de la souffrance provoquées par la guerre : le bilan définitif de cette tragédie - comme je l'ai rappelé au cours de ma visite à Hiroshima- n'a pas encore été dressé entièrement, et son coût humain global n'a pas encore été calculé, surtout lorsque l'on considère ce que la guerre nucléaire a apporté et pourrait encore apporter pour notre pensée, nos attitudes et notre civilisation. "Rappeler le passé, c'est s'engager dans le futur. Rappeler Hiroshima, c'est abhorrer la guerre nucléaire. Rappeler Hiroshima, c'est s'engager pour la paix. Rappeler que les gens de cette ville ont souffert, c'est renouveler notre foi dans l'homme, dans sa capacité de faire ce qui est bon, dans sa liberté de choisir ce qui est juste, dans sa détermination à transformer un désastre en un nouveau commencement" [15].
Cinquante ans après ce conflit tragique, qui s'est achevé quelques mois plus tard dans le Pacifique, avec les événements dramatiques de Hiroshima et Nagasaki, et à la suite de la capitulation du Japon, cette guerre apparaît avec toujours plus de clarté comme "un suicide de l'humanité" [16]. À tout bien considérer, elle est en effet une défaite pour les vainqueurs comme pour les vaincus.
La machine à propagande
10. Une réflexion ultérieure s'impose : durant la deuxième guerre mondiale, hormis les armes conventionnelles, chimiques, biologiques et nucléaires, on a largement recouru à un autre instrument de guerre meurtrier : la propagande. Avant de frapper l'adversaire, avec des moyens de destruction physique, on a cherché à l'anéantir moralement, par le dénigrement, les fausses accusations, l'orientation de l'opinion publique vers l'intolérance la plus irrationnelle, à travers des formes d'endoctrinement, spécialement à l'intention des jeunes. Il est en effet typique de tous les régimes totalitaires de mettre en marche une gigantesque machine de propagande, en vue de justifier ses propres méfaits et d'inciter à l'intolérance idéologique et à la violence raciste contre ceux qui ne méritent pas - dit-on - d'être considérés comme partie prenante de la communauté. Comme tout cela est loin de l'authentique culture de la paix ! Cette dernière suppose la reconnaissance du lien intrinsèque existant entre la vérité et la charité. La culture de la paix se construit en repoussant, dès qu'elle apparaît, toute forme de racisme et d'intolérance, en ne cédant d'aucune manière à la propagande raciste, en contrôlant les aspirations économiques et politiques, en rejetant avec détermination la violence et toute sorte d'exploitation.
Les mécanismes pervers de propagande ne se limitent pas à déformer les données de la réalité, mais corrompent aussi l'information en ce qui concerne les responsabilités, rendant le jugement moral et politique très difficile. La guerre suscite une propagande qui ne laisse pas de place au pluralisme des interprétations, à l'analyse critique des cause, à la recherche des véritables responsabilités. C'est ce qui ressort de l'examen des éléments disponibles sur la période 1939-1945, comme aussi de la documentation relative à d'autres guerres qui ont éclaté dans les années suivantes : dans toute société, la guerre impose un usage totalitaire des moyens d'information et de propagande, qui n'éduque pas au respect de l'autre et au dialogue, mais qui incite plutôt au soupçon et aux représailles.
La guerre n'a pas disparu
11. Avec l'année 1945, les guerres ne se sont malheureusement pas terminées. La violence, le terrorisme et les attaques armées ont continué à endeuiller ces dernières décennies.
On a assisté à ce qu'on a appelé la "guerre froide", qui a vu s'opposer de manière menaçante deux blocs, en équilibre entre eux grâce à une incessante course aux armements. Et, lorsque cette opposition bipolaire a cessé, les affrontements guerriers n'ont pas été terminés.
Dans différentes parties du monde, trop de conflits sont encore ouverts aujourd'hui. L'opinion publique, touchée par les images terribles qui entrent chaque jour dans les maisons par l'intermédiaire de la télévision, réagit avec émotion, mais finit par s'habituer trop rapidement et par presque accepter ces événements comme inéluctables. Hormis le fait qu'elle soit injuste, cette attitude est extrêmement dangereuse. On ne doit pas oublier ce qui est arrivé dans le passé et ce qui arrive encore aujourd'hui. Ce sont des drames qui touchent d'innombrables victimes innocentes, dont les cris de terreur et de souffrance en appellent à la conscience de toutes les personnes honnêtes : on ne peut pas et on ne doit pas céder à la logique des armes !
Le Saint-Siège, en signant aussi les principaux Traités et Conventions internationaux, a voulu rappeler et continue à rappeler inlassablement à la Communauté des Nations l'urgence de renforcer les normes concernant la non-prolifération des armes nucléaires et l'élimination des armes chimiques et biologiques, comme aussi de celles qui ont des effets particulièrement traumatisants et qui frappent sans discrimination. Le Saint-Siège a également invité récemment l'opinion publique à prendre conscience de manière plus vive du phénomène persistant du commerce des armes, phénomène grave à propos duquel une réflexion éthique sérieuse est nécessaire et urgente [17]. Il convient encore de se rappeler que, non seulement la militarisation des États, mais aussi l'accès facile aux armes de la part des particuliers, en favorisant l'extension de la délinquance organisée et du terrorisme, constitue une menace imprévisible et constante pour la paix.
Une école pour tous les croyants
12. Jamais plus la guerre ! Oui à la paix ! Tels étaient les sentiments communément manifestés au lendemain de la journée historique du 8 mai 1945. Les six années terribles de conflit ont été pour tous une occasion de maturation, à l'école de la souffrance : les chrétiens ont aussi eu la possibilité de se rapprocher et de s'interroger sur les responsabilités dans leurs divisions. Ils ont en outre redécouvert la solidarité de destin qui les unit entre eux et avec tous les hommes, de quelque nation qu'ils soient. De ce fait, l'événement qui a laissé le plus de déchirures et de divisions entre les peuples et entre les personnes s'est révélé pour les chrétiens une occasion providentielle de prendre conscience de la communion profonde dans la souffrance et dans le témoignage. Près de la Croix du Christ, les membres de toutes les Églises et communautés chrétiennes ont su résister jusqu'au sacrifice suprême. Beaucoup d'entre eux ont défié les bourreaux et les oppresseurs de manière exemplaire, avec les armes pacifiques du témoignage souffrant et de l'amour. Avec d'autres, des croyants et des non-croyants, des hommes et des femmes de toutes races, religions et nations, ils ont exprimé fortement un message de fraternité et de pardon, au-delà de la marée montante de la violence.
En cet anniversaire, comment ne pas faire mémoire des chrétiens qui, témoignant contre le mal, ont prié pour les oppresseurs et se sont penchés sur les plaies de tous pour les soigner ? En partageant leurs épreuves, ils ont eu les moyens de se reconnaître comme frères et s½urs et d'expérimenter toute l'incohérence de leurs divisions. Les souffrances partagées les ont conduits à ressentir davantage le poids des divisions encore existantes entre les disciples du Christ et le poids des conséquences négatives qui en découlent pour la construction de l'identité spirituelle, culturelle et politique du continent européen. Leur expérience est pour nous un avertissement : il convient de poursuivre dans cette voie, en priant et en travaillant avec une confiance et une générosité intenses, dans la perspective du grand Jubilé de l'An 2000, désormais proche. Nous sommes en chemin vers ce but, dans un pèlerinage de pénitence et de réconciliation [18], avec l'espérance de pouvoir réaliser finalement la pleine communion entre tous ceux qui croient au Christ, ce qui servira assurément la cause de la paix.
13. La vague de souffrance que la guerre a répandue sur la terre a incité les croyants de toutes les religions à mettre leurs ressources spirituelles au service de la paix. Toutes les religions, même si elles ont connu des parcours historiques différents, ont vécu cette expérience unique au cours de ces cinq décennies. Le monde est témoin que, après la cruelle tragédie de la guerre, quelque chose de nouveau est né dans la conscience des croyants des diverses Confessions religieuses : ils se sentent plus responsables de la paix entre les hommes et ils ont commencé à collaborer les uns avec les autres. Le 27 octobre 1986 à Assise, la "Journée mondiale de prière pour la paix" a consacré publiquement cette attitude mûrie dans la souffrance. Assise a révélé "le lien intrinsèque qui unit une attitude religieuse authentique et le grand bien de la paix" [19]. Par la suite, au cours des "Journées de prière pour la paix dans les Balkans" (à Assise, les 9 et 10 janvier 1993, et à la Basilique Saint-Pierre, le 23 janvier 1994), on a particulièrement souligné la contribution spécifique demandée aux croyants pour la promotion de la paix par les armes de la prière et de la pénitence.
Le monde, qui approche de la fin du deuxième millénaire, attend des croyants une action plus déterminée en faveur de la paix. Je disais aux représentants des Églises chrétiennes et des grandes religions réunis à Varsovie en 1989 pour le cinquantième anniversaire du début du conflit : "Du plus profond de nos différentes traditions religieuses, jaillit le sentiment de compassion pour les souffrances des hommes et le respect sacré de la vie. Il y a là une grande énergie spirituelle qui nous rend plus confiants en l'avenir de l'humanité" [20]. À cinquante années de distance, les tristes vicissitudes de la deuxième guerre mondiale nous rendent plus conscients de la nécessité de libérer ces énergies spirituelles avec une vigueur et une détermination renouvelées.
Il convient de rappeler à ce sujet que c'est précisément à la suite de la terrible expérience de la guerre qu'est née l'Organisation des Nations Unies, considérée par le Pape Jean XXIII comme un des signes de ce temps à cause de la volonté "de maintenir et de consolider la paix entre les peuples" [21]. En réaction au mépris cruel pour la dignité et les droits des personnes, a aussi été élaborée la Déclaration universelle des droits de l'homme. Le cinquantième anniversaire des Nations Unies, que l'on célèbre cette année, devra être l'occasion de renforcer l'engagement de la communauté internationale au service de la paix. À cette fin, il faudra donner à l'Organisation des Nations Unies les moyens dont elle a besoin pour poursuivre efficacement sa mission.
Certains préparent encore la guerre
14. Dans de nombreuses régions d'Europe, des cérémonies et des manifestations ont lieu en ces jours ; les Autorités civiles et les Responsables de toutes les communautés et de tous les pays y prennent part. En m'unissant au souvenir du sacrifice de tant de victimes de la guerre, je voudrais inviter tous les hommes de bonne volonté à réfléchir sérieusement sur la cohérence qui s'impose entre la mémoire du terrible conflit mondial et les orientations de la politique nationale et internationale. En particulier, il faudra disposer d'instruments efficaces pour le contrôle du marché international des armes et prévoir en même temps des organismes appropriés d'intervention en cas de crise, afin d'amener toutes les parties à préférer la négociation à l'affrontement violent. N'est-il pas vrai que, tandis que nous célébrons la reconquête de la paix, il y a malheureusement encore ceux qui préparent la guerre tant par l'instauration d'une culture de haine que par la diffusion d'armes de guerre sophistiquées ? N'est-il pas vrai que restent ouverts en Europe des conflits douloureux dont on attend depuis des années la solution pacifique ? Ce 8 mai 1995 n'est malheureusement pas un jour de paix pour plusieurs régions d'Europe ! Je pense, en particulier, aux terres martyres des Balkans et du Caucase, où les armes font encore entendre leur fracas et où l'on verse encore du sang humain.
Vingt ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, en 1965,Paul VI, parlant à l'ONU, s'interrogeait : "Le monde arrivera-t-il jamais à changer la mentalité particulariste et belliqueuse qui a tissé jusqu'ici une si grande partie de son histoire ?" [22]. C'est une question qui attend encore une réponse. Que le souvenir de la deuxième guerre mondiale ravive en tous la résolution de travailler Ä chacun selon ses possibilités propres Ä au service d'une politique ferme de paix en Europe et dans le monde entier !
Signification particulière pour les jeunes
15. Ma pensée se tourne vers les jeunes qui n'ont pas connu personnellement les horreurs de cette guerre. Je leur dis : chers jeunes, j'ai une grande confiance en votre capacité d'être des interprètes authentiques de l'Évangile. Sentez-vous personnellement engagés au service de la vie et de la paix ! Les victimes, les combattants et les martyrs du deuxième conflit mondial étaient en grande partie des jeunes comme vous. C'est pourquoi je vous demande, jeunes de l'An 2000, d'être très vigilants face à la culture de la haine et de la mort qui se manifeste. Rejetez les idéologies bornées et violentes ; rejetez toute forme de nationalisme exacerbé et d'intolérance ; c'est par là que s'insinue insensiblement la tentation de la violence et de la guerre !
La mission vous est confiée d'ouvrir des voies nouvelles pour la fraternité entre les peuples, pour bâtir une famille humaine unique, en approfondissant la "loi de la réciprocité de donner et de recevoir, du don de soi et de l'accueil de l'autre" [23]. Cela est une exigence de la loi morale inscrite par le Créateur au c½ur de toute personne, cette loi qu'Il a reprise dans l'Ancien Testament et que Jésus a portée à sa perfection dans l'Évangile : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" (Lv19, 18 ;Mc12, 31) ; "comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres" (Jn13, 34). Il n'est possible de réaliser la civilisation de l'amour et de la vérité que si la disposition à l'accueil de l'autre s'étend aux rapports entre les peuples, les nations et les cultures. Que retentisse dans la conscience de tous cet appel : Aime les autres peuples comme ton peuple !
La voie de l'avenir de l'humanité passe par l'unité ; et l'unité authentique Ä tel est le message évangélique Ä passe par Jésus Christ, notre réconciliation et notre paix (cf.Ep2, 14-18).
Il faut un c½ur nouveau
16. "Souviens-toi de tout le chemin que le Seigneur ton Dieu t'a fait faire pendant quarante ans dans le désert, afin de t'humilier, de t'éprouver et de connaître le fond de ton c½ur : allais-tu ou non garder ses commandements ? Il t'a humilié, il t'a fait sentir la faim, il t'a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères n'aviez connue, pour te montrer que l'homme ne vit pas seulement de pain, mais que l'homme vit de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur" (Dt8, 2-3).
Nous ne sommes pas encore entrés dans la "terre promise" de la paix. Le souvenir du douloureux chemin de la guerre et de la difficulté de celui du deuxième après-guerre nous le rappelle constamment. Ce chemin, aux temps obscurs de la guerre, dans les moments difficiles de l'après-guerre, dans nos jours d'incertitude et de problèmes, nous a souvent montré que dans le c½ur des hommes, et même des croyants, la tentation est forte de la haine, du mépris de l'autre, de la prévarication. Mais au long du même chemin, n'a jamais fait défaut l'aide du Seigneur, lui qui a fait naître des sentiments d'amour, de compréhension et de paix, en même temps que le désir sincère de la réconciliation et de l'unité. Comme croyants, nous sommes conscients que l'homme vit de ce qui vient de la bouche du Seigneur. Nous savons aussi que la paix s'enracine dans les c½urs de ceux qui s'ouvrent à Dieu. Se souvenir de la deuxième guerre mondiale et du chemin parcouru dans les décennies suivantes ne peut pas ne pas rappeler aux chrétiens qu'il faut un c½ur nouveau, capable de respecter l'homme et de promouvoir son authentique dignité.
Tel est le fondement de l'espérance véritable pour la paix du monde : "L'astre d'en haut nous visite Ä a prophétisé Zacharie Ä pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l'ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix" (Lc1, 78-79). En ce temps pascal, où l'on célèbre la victoire du Christ sur le péché, élément de division porteur de deuils et de déséquilibres, revient sur nos lèvres l'invocation qui conclut l'encyclique Pacem in terris de mon vénéré prédécesseur Jean XXIII: "Que le Seigneur éclaire ceux qui président aux destinées des peuples, afin que, tout en se préoccupant du légitime bien-être de leurs compatriotes, ils assurent le maintien de l'inestimable bienfait de la paix. Que le Christ enfin enflamme le c½ur de tous les hommes et leur fasse renverser les barrières qui divisent, resserrer les liens de l'amour mutuel, user de compréhension à l'égard d'autrui et pardonner à ceux qui leur ont fait du tort. Et qu'ainsi, grâce à Lui, tous les peuples de la terre forment entre eux une véritable communauté fraternelle et que parmi eux ne cesse de fleurir et de régner la paix tant désirée" [24].
Que Marie, Médiatrice de grâce, toujours vigilante et attentive envers tous ses fils, obtienne à l'humanité entière le don précieux de la concorde et de la paix !
Du Vatican, le 8 mai 1995.
[1]Lettre à l'occasion du cinquantième anniversaire du début de la deuxième guerre mondiale (27 août 1989), n. 2:AAS 82 (1990), p. 51.
[2] Cf.n. 18: AAS83 (1991), p. 815.
[3] Message à la conférence épiscopale polonaise à l'occasion du cinquantième anniversaire du début de la deuxième guerre mondiale (26 août 1989), n. 3:AAS 82 (1990), p. 46.
[4] Homélie au camp de concentration de Brzezinka (7 juin 1979), n. 2: La Documentation catholique (1979), p. 632.
[5] Ibid.
[6] Ibid., l.c., p. 633.
[7] Ibid.
[8] N. 11: AAS 29 (1937), p. 186.
[9] Discours à la Curie romaine (24 décembre 1930): AAS 22 (1930), pp. 535-536.
[10] Jean-Paul II, Message à la Conférence épiscopale polonaise à l'occasion du cinquantième anniversaire du début de la deuxième guerre mondiale (26 août 1989), n. 3: AAS 82 (1990), p. 46.
[11] Radiomessage, "Une heure particulièrement grave" (24 août 1939): AAS 31 (1939), p. 334.
[12] Exhortation aux Chefs des Nations en guerre (1eraoût 1917): AAS 9 (1917), p. 420.
[13] Appel après la prière de l'Angélus: Insegnamenti XIV,1 (1991), p. 156.
[14] Chap. III: AAS 55 (1963), p. 291.
[15] Jean-Paul II, Discours au "Peace Memorial Park", Hiroshima (25 février 1981): AAS 73 (1981), p. 417 [La Documentation catholique (1981), p. 332].
[16] Jean-Paul II, Encycl. Centesimus annus(1ermai 1991), n. 18: AAS 83 (1991), p. 816.
[17] Cf. Conseil pontifical "Justice et Paix", Le commerce international des armes (1ermai 1994), Librairie éditrice vaticane, 1994.
[18] Jean-Paul II, Lettre apost. Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994), n. 50: AAS 87 (1995), p. 36.
[19] Jean-Paul II, Discours à l'occasion de la rencontre solennelle de prière inter-religieuse mondiale pour la paix, n. 6:AAS79 (1987), p. 868.
[20] Message télévisé aux participants à la Rencontre internationale de prière pour la paix, à l'occasion du 50eanniversaire du début de la deuxième guerre mondiale (1erseptembre 1989):La Documentation catholique, n. 1992 (15 octobre 1989), p. 876.
[21] Jean XXIII, Encycl. Pacem in terris (11 avril 1963), IV: AAS 55 (1963), p. 295.
[22] Discours à l'Assemblée générale des Nations Unies (4 octobre 1965), n. 5: AAS 57 (1965), p. 882.
[23] Jean-Paul II, Encycl. Evangelium vitæ (25 mars 1995), n. 76: L'Osservatore Romano(31 mars 1995), p. 10 [La Documentation catholique, n. 2114 (16 avril 1995), p. 390].
[24] Chap. V :AAS55 (1963), p. 304.
3 juin 1997 – Message de Jean Paul II aux Chefs d’Etat présents à Gniezno à l’occasion du millénaire du martyre de Saint Adalbert
Excellences,
Votre présence, alors que nous célébrons solennellement à Gniezno le millénaire du martyre de saint Adalbert, revêt un caractère hautement significatif. En cette circonstance exceptionnelle, je vous salue avec déférence et je vous remercie d'être venus honorer avec l'Église la figure de ce grand saint, auprès de son tombeau.
Voici dix ans, le vénéré Cardinal Tomasek présentait saint Adalbert comme « le symbole de l'unité spirituelle de l'Europe ». De fait, sa mémoire demeure particulièrement vivante en Europe centrale. Cela montre que maints peuples de ce continent ont conscience d'être les héritiers des évangélisateurs qui enracinèrent vigoureusement dans leurs terres la foi chrétienne et qui firent pénétrer dans leur culture la conception de l'homme caractéristique du christianisme.
Né en Bohême en un temps encore proche de celui où Cyrille et Méthode avaient commencé l'évangélisation des Slaves, Adalbert sut, à l'image de ces illustres devanciers, allier les traditions spirituelles de l'Orient et de l'Occident. Formé à Magdebourg, prêtre puis évêque à Prague, il connut aussi la Rome des Papes et Pavie; il fut pèlerin en France, il vint à Mayence et devint l'ami de l'Empereur Othon III, avant d'entreprendre sa dernière mission au bord de la Baltique. Spirituel et missionnaire, en peu d'années d'activité il laissa son empreinte dans plusieurs pays, jusqu'à devenir l'un des patrons de la nation polonaise, heureuse de conserver ses reliques comme un de ses plus précieux trésors.
L'influence durable d'Adalbert tient largement à l'harmonie qu'il réalisa entre les différentes cultures qu'il assimila, à son indépendance d'homme d'Église, comme à son infatigable défense de la dignité de l'homme, de la qualité de la vie sociale et du service des pauvres, ou encore à la profondeur spirituelle de son expérience monastique. À tous ces titres, il reste un inspirateur hors pair pour ceux qui, aujourd'hui, travaillent à la construction d'une Europe renouvelée, dans la fidélité à ses racines culturelles et religieuses.
Adalbert vécut en des temps tourmentés; il connut de cruels malheurs dans sa famille et il fut entravé dans son ministère; il en vint à subir le martyre car il ne pouvait renoncer à annoncer le message du salut. Au cours du présent siècle, tout aussi tourmenté, les peuples du centre de l'Europe ont traversé de terribles épreuves. À présent, des voies nouvelles se sont ouvertes. Puissent les Européens s'engager résolument dans une collaboration constructive, afin de consolider la paix entre eux et autour d'eux! Puissent-ils ne laisser aucune nation, même de moindre puissance, en dehors des ensembles qui sont en train de se constituer!
Aujourd'hui, les responsables politiques ont encore d'immenses tâches devant eux. L'affermissement des institutions démocratiques, le développement de l'économie, les coopérations internationales, n'atteignent leur véritable fin que si elles assurent assez de prospérité pour que l'homme puisse épanouir toutes les dimensions de sa personnalité. C'est la grandeur de la fonction des responsables politiques que d'agir en respectant toujours la dignité de tout être humain, de créer les conditions d'une généreuse solidarité qui n'abandonne aucun concitoyen au bord de la route, de permettre à chacun d'accéder à la culture, de reconnaître et de mettre en ½uvre les plus hautes valeurs humaines et spirituelles, de professer et de partager ses convictions religieuses. Avançant sur ces voies, le continent européen renforcera sa cohésion, il se montrera fidèle à ceux qui ont jeté les bases de sa culture et il répondra à sa vocation séculaire dans le monde.
Excellences, devant l'ampleur et les difficultés de vos devoirs, que le message de saint Adalbert soit pour vous une source d'inspiration féconde! En vous remerciant à nouveau d'être venus ici en ce jour, je vous offre mes v½ux fervents pour l'accomplissement de vos nobles tâches, pour vos personnes et pour l'ensemble des peuples que vous représentez. Je demande à Dieu de vous accorder les bienfaits de sa Bénédiction.
1er octobre 1999 – Lettre Aposolique pour la proclamation de Sainte Brigitte de Suède, Sainte Catherine de Sienne et Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, Co-Patronnes de l’Europe. En Perpétuelle mémoire.
1. L'espoir de construire un monde plus juste et plus digne de l'homme, aiguisé par l'attente du troisième millénaire désormais à nos portes, ne peut faire abstraction de la conscience que les efforts humains seraient vains s'ils n'étaient accompagnés par la grâce divine: « Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain » (Ps 127 [126], 1). C'est une vérité dont doivent tenir compte également ceux qui, aujourd'hui, se posent la question de donner à l'Europe de nouvelles bases qui aident le vieux continent à puiser dans les richesses de son histoire, écartant les tristes aspects de l'héritage du passé pour répondre, avec une originalité enracinée dans les meilleures traditions, aux besoins du monde qui change.
Il n'y a pas de doute que, dans l'histoire complexe de l'Europe, le christianisme représente un élément central et caractéristique, renforcé par le solide fondement de l'héritage classique et des contributions multiples apportées par divers mouvements ethniques et culturels qui se sont succédé au cours des siècles. La foi chrétienne a façonné la culture du continent et a été mêlée de façon inextricable à son histoire, au point que celle-ci serait incompréhensible sans référence aux événements qui ont caractérisé d'abord la grande période de l'évangélisation, puis les longs siècles au cours desquels le christianisme, malgré la douloureuse division entre l'Orient et l'Occident, s'est affirmé comme la religion des Européens eux-mêmes. Dans la période moderne et contemporaine aussi, lorsque l'unité religieuse s'est progressivement fractionnée tant à cause de nouvelles divisions intervenues entre les chrétiens qu'en raison des processus qui ont amené la culture à se détacher des perspectives de la foi, le rôle de cette dernière a gardé un relief non négligeable.
La route vers l'avenir ne peut pas ne pas tenir compte de ce fait; les chrétiens sont appelés à en prendre une conscience renouvelée afin d'en montrer les potentialités permanentes. Ils ont le devoir d'apporter à la construction de l'Europe une contribution spécifique, qui aura d'autant plus de valeur et d'efficacité qu'ils sauront se renouveler à la lumière de l'Évangile. Il se feront alors les continuateurs de cette longue histoire de sainteté qui a traversé les diverses régions de l'Europe au cours de ces deux millénaires, où les saints officiellement reconnus ne sont que les sommets proposés comme modèles pour tous. Il y a en effet d'innombrables chrétiens qui, par leur vie droite et honnête, animée par l'amour de Dieu et du prochain, ont atteint, dans les vocations consacrées et laïques les plus diverses, une sainteté véritable et largement diffusée, même si elle était cachée.
2. L'Église ne doute pas que ce trésor de sainteté soit précisément le secret de son passé et l'espérance de son avenir. C'est en lui que s'exprime le mieux le don de la Rédemption, grâce auquel l'homme est racheté du péché et reçoit la possibilité de la vie nouvelle dans le Christ. C'est en lui que le peuple de Dieu en marche dans l'histoire trouve un soutien incomparable, se sentant profondément uni à l'Église glorieuse, qui au ciel chante les louanges de l'Agneau (cf. Ap 7, 9-10) tandis qu'elle intercède pour la communauté encore en pèlerinage sur la terre. C'est pourquoi, depuis les temps les plus anciens, les saints ont été considérés par le peuple de Dieu comme des protecteurs et, par suite d'une habitude particulière, à laquelle l'influence de l'Esprit Saint n'est certainement pas étrangère, tantôt à la demande des fidèles acceptée par les Pasteurs, tantôt sur l'initiative des Pasteurs eux-mêmes, les Églises particulières, les régions et même les continents ont été confiés au patronage spécial de certains saints.
Dans cette perspective, alors qu'est célébrée la deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques, dans l'imminence du grand Jubilé de l'An 2000, il m'a semblé que les chrétiens européens, tout en vivant avec tous leurs compatriotes un passage d'une époque à l'autre qui est à la fois riche d'espoir et non dénué de préoccupations, peuvent tirer un profit spirituel de la contemplation et de l'invocation de certains saints qui sont de quelque manière particulièrement représentatifs de leur histoire. Aussi, après une consultation opportune, complétant ce que j'ai fait le 31 décembre 1980 quand j'ai déclaré co-patrons de l'Europe, aux côtés de saint Benoît, deux saints du premier millénaire, les frères Cyrille et Méthode, pionniers de l'évangélisation de l'Orient, j'ai pensé compléter le cortège des patrons célestes par trois figures également emblématiques de moments cruciaux du deuxième millénaire qui touche à sa fin: sainte Brigitte de Suède, sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix. Trois grandes saintes, trois femmes qui, à des époques différentes — deux au c½ur du Moyen Âge et une en notre siècle — se sont signalées par l'amour actif de l'Église du Christ et le témoignage rendu à sa Croix.
3. Naturellement, le panorama de la sainteté est si varié et si riche que le choix de nouveaux patrons célestes aurait pu s'orienter aussi vers d'autres figures très dignes dont chaque époque et chaque région peuvent se glorifier. Je crois toutefois particulièrement significatif le choix de cette sainteté au visage féminin, dans le cadre de la tendance providentielle qui s'est affermie dans l'Église et dans la société de notre temps, reconnaissant toujours plus clairement la dignité de la femme et ses dons propres.
En réalité, l'Église n'a pas manqué, depuis ses origines, de reconnaître le rôle et la mission de la femme, bien qu'elle ait été conditionnée parfois par une culture qui ne prêtait pas toujours à la femme l'attention qui lui était due. Mais la communauté chrétienne a progressé peu à peu dans ce sens, et précisément le rôle joué par la sainteté s'est révélé décisif sur ce plan. Une incitation constante a été offerte par l'image de Marie, « femme idéale », Mère du Christ et de l'Église. Mais également le courage des martyres, qui ont affronté les tourments les plus cruels avec une surprenante force d'âme, le témoignage des femmes engagées de manière exemplaire et radicale dans la vie ascétique, le dévouement quotidien de nombreuses épouses et mères dans l'« Église au foyer » qu'est la famille, les charismes de tant de mystiques qui ont contribué à l'approfondissement théologique lui-même, tout cela a fourni à l'Église des indications précieuses pour comprendre pleinement le dessein de Dieu sur la femme. D'ailleurs, ce dessein a déjà dans certaines pages de l'Écriture, en particulier dans l'attitude du Christ dont témoigne l'Évangile, son expression sans équivoque. C'est dans cette ligne que prend place le choix de déclarer sainte Brigitte de Suède, sainte Catherine de Sienne et sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix co-patronnes de l'Europe.
Le motif qui m'a fait me tourner spécifiquement vers elles repose dans leurs vies elles-mêmes. Leur sainteté s'est en effet exprimée dans des circonstances historiques et dans un contexte « géographique » qui les rendent particulièrement significatives pour le continent européen. Sainte Brigitte renvoie à l'extrême nord de l'Europe, où le continent se regroupe dans une quasi-unité avec le reste du monde et d'où elle partit pour aborder à Rome. Catherine de Sienne est aussi connue pour le rôle qu'elle joua en un temps où le Successeur de Pierre résidait à Avignon, et elle acheva une ½uvre spirituelle déjà commencée par Brigitte en se faisant la promotrice de son retour à son siège propre près du tombeau du Prince des Apôtres. Enfin Thérèse-Bénédicte de la Croix, récemment canonisée, non seulement passa sa vie dans divers pays d'Europe, mais par toute sa vie d'intellectuelle, de mystique, de martyre, jeta comme un pont entre ses racines juives et l'adhésion au Christ, s'adonnant avec un intuition sûre au dialogue avec la pensée philosophique contemporaine et, en fin de compte, faisant résonner par son martyre les raisons de Dieu et de l'homme face à la honte épouvantable de la « shoah ». Elle est devenue ainsi l'expression d'un pèlerinage humain, culturel et religieux qui incarne le noyau insondable de la tragédie et des espoirs du continent européen.
4. La première de ces trois grandes figures, Brigitte, est née 1303, d'une famille aristocratique, à Finsta, dans la région suédoise d'Uppland. Elle est connue surtout comme mystique et fondatrice de l'Ordre du Très Saint Sauveur. Toutefois, il ne faut pas oublier que la première partie de sa vie fut celle d'une laïque qui eut le bonheur d'être mariée avec un pieux chrétien dont elle eut huit enfants. En la désignant comme co-patronne de l'Europe, j'entends faire en sorte que la sentent proche d'eux non seulement ceux qui ont reçu la vocation à une vie de consécration spéciale, mais aussi ceux qui sont appelés aux occupations ordinaires de la vie laïque dans le monde et surtout à la haute et exigeante vocation de former une famille chrétienne. Sans se laisser fourvoyer par les conditions de bien-être de son milieu, elle vécut avec son époux Ulf une expérience de couple dans laquelle l'amour conjugal alla de pair avec une prière intense, avec l'étude de l'Écriture Sainte, avec la mortification, avec la charité. Ils fondèrent ensemble un petit hôpital, où ils soignaient fréquemment les malades. Brigitte avait l'habitude de servir personnellement les pauvres. En même temps, elle fut appréciée pour ses qualités pédagogiques, qu'elle eut l'occasion de mettre en ½uvre durant la période où l'on demanda ses services à la cour de Stockholm. C'est dans cette expérience que mûriront les conseils qu'elle donnera en diverses occasions à des princes ou à des souverains pour un bon accomplissement de leurs tâches. Mais les premiers qui en bénéficièrent furent assurément ses enfants, et ce n'est pas par hasard que l'une de ses filles, Catherine, est vénérée comme sainte.
Cette période de sa vie familiale n'était qu'une première étape. Le pèlerinage qu'elle fit avec son mari Ulf à Saint-Jacques de Compostelle en 1341 mit symboliquement fin à cette étape, préparant Brigitte à la nouvelle vie qu'elle inaugura quelques années plus tard lorsque, après la mort de son époux, elle entendit la voix du Christ qui lui confiait une nouvelle mission, la guidant pas à pas par une série de grâces mystiques extraordinaires.
5. Ayant quitté la Suède en 1349, Brigitte s'établit à Rome, siège du Successeur de Pierre. Son transfert en Italie constitua une étape décisive pour l'élargissement non seulement géographique et culturel, mais surtout spirituel, de l'esprit et du c½ur de Brigitte. Beaucoup de lieux d'Italie la virent encore en pèlerinage, désireuse de vénérer les reliques des saints. Elle visita ainsi Milan, Pavie, Assise, Ortona, Bari, Benevento, Pozzuoli, Naples, Salerne, Amalfi, le Sanctuaire de saint Michel Archange sur le Mont Gargano. Le dernier pèlerinage, effectué entre 1371 et 1372, l'amena à traverser la Méditerranée en direction de la Terre Sainte, lui permettant d'embrasser spirituellement, en plus de beaucoup de lieux sacrés de l'Europe catholique, les sources mêmes du christianisme dans les lieux sanctifiés par la vie et par la mort du Rédempteur.
En réalité, plus encore que par ce pieux pèlerinage, c'est par le sens profond du mystère du Christ et de l'Église que Brigitte participa à la construction de la communauté ecclésiale, à une période notablement critique de son histoire. Son union intime au Christ s'accompagna en effet de charismes particuliers de révélation qui firent d'elle un point de référence pour beaucoup de personnes de l'Église de son époque. On sent en Brigitte la force de la prophétie. Son ton semble parfois un écho de celui des anciens grands prophètes. Elle parle avec sûreté à des princes et à des papes, révélant les desseins de Dieu sur les événements de l'histoire. Elle n'épargne pas les avertissements sévères même en matière de réforme morale du peuple chrétien et du clergé lui-même (cf. Revelationes, IV, 49; cf. aussi IV, 5). Certains aspects de son extraordinaire production mystique suscitèrent en son temps des interrogations bien compréhensibles, à l'égard desquelles s'opéra le discernement de l'Église; celle-ci renvoya à l'unique révélation publique, qui a sa plénitude dans le Christ et son expression normative dans l'Écriture Sainte. Même les expériences des grands saints, en effet, ne sont pas exemptes des limites qui accompagnent toujours la réception par l'homme de la voix de Dieu.
Toutefois, il n'est pas douteux qu'en reconnaissant la sainteté de Brigitte, l'Église, sans pour autant se prononcer sur les diverses révélations, a accueilli l'authenticité globale de son expérience intérieure. Brigitte se présente comme un témoin significatif de la place que peut tenir dans l'Église le charisme vécu en pleine docilité à l'Esprit de Dieu et en totale conformité aux exigences de la communion ecclésiale. En particulier, les terres scandinaves, patrie de Brigitte, s'étant détachées de la pleine communion avec le siège de Rome au cours de tristes événements du XVIe siècle, la figure de la sainte suédoise reste un précieux « lien » ½cuménique, renforcé encore par l'engagement de son Ordre dans ce sens.
6. L'autre grande figure de femme, sainte Catherine de Sienne, est à peine postérieure. Son rôle dans les développements de l'histoire de l'Église et même dans l'approfondissement doctrinal du message révélé a été reconnu d'une manière significative, jusqu'à l'attribution du titre de Docteur de l'Église.
Née à Sienne en 1347, elle fut favorisée dès sa plus tendre enfance de grâces extraordinaires qui lui permirent d'accomplir, sur la voie spirituelle tracée par saint Dominique, un parcours rapide de perfection entre prière, austérité et ½uvres de charité. Elle avait vingt ans quand le Christ lui manifesta sa prédilection à travers le symbole mystique de l'anneau nuptial. C'était le couronnement d'une intimité mûrie dans le secret et dans la contemplation, grâce à la constante permanence, bien que ce soit hors des murs d'un monastère, dans la demeure spirituelle qu'elle aimait appeler la « cellule intérieure ». Le silence de cette cellule, qui la rendait très docile aux divines inspirations, put bien vite s'allier à une activité apostolique qui a quelque chose d'extraordinaire. Beaucoup de personnes, même des clercs, se regroupèrent autour d'elle comme disciples, lui reconnaissant le don d'une maternité spirituelle. Ses lettres se répandirent à travers l'Italie et l'Europe elle-même. En effet, la jeune siennoise entra avec un regard sûr et des paroles de feu dans le vif des problèmes ecclésiaux et sociaux de son époque.
Catherine s'engagea inlassablement pour la résolution des multiples conflits qui déchiraient la société de son temps. Son action pacificatrice atteignit des souverains européens comme Charles V de France, Charles de Durazzo, Élisabeth de Hongrie, Louis le Grand de Hongrie et de Pologne, Jeanne de Naples. Son intervention pour la réconciliation de Florence avec le Pape fut significative. Désignant « le Christ crucifié et la douce Marie » aux adversaires, elle montrait que, pour une société qui s'inspirait des valeurs chrétiennes, il ne pouvait jamais y avoir de motif de querelle tellement grave que l'on puisse préférer le recours à la raison des armes plutôt qu'aux armes de la raison.
7. Mais Catherine savait bien que l'on ne pouvait aboutir efficacement à cette conclusion si les esprits n'avaient pas été formés auparavant par la vigueur même de l'Évangile. D'où l'urgence de la réforme des m½urs, qu'elle proposait à tous sans exception. Aux rois, elle rappelait qu'ils ne pouvaient gouverner comme si le royaume était leur « propriété »: bien conscients qu'ils auraient à rendre compte à Dieu de la gestion du pouvoir, ils devaient plutôt assumer la tâche d'y maintenir « la sainte et véritable justice », se faisant « pères des pauvres » (cf. Lettre n. 235 au Roi de France). L'exercice de la souveraineté ne pouvait en effet être séparé de celui de la charité, qui est l'âme à la fois de la vie personnelle et de la responsabilité politique (cf. Lettre n. 357 au Roi de Hongrie).
C'est avec la même force que Catherine s'adressait aux ecclésiastiques de tout rang, pour leur demander la cohérence la plus stricte dans leur vie et dans leur ministère pastoral. Le ton libre, vigoureux, tranchant, avec lequel elle admoneste prêtres, évêques et cardinaux est impressionnant. Il fallait — disait-elle — déraciner dans le jardin de l'Église les plantes pourries et les remplacer par des « plantes nouvelles » fraîches et odorantes. Forte de son intimité avec le Christ, la sainte siennoise ne craignait pas d'indiquer avec franchise au Souverain Pontife lui-même, qu'elle aimait tendrement comme le « doux Christ sur la terre », la volonté de Dieu qui lui imposait d'en finir avec les hésitations dictées par la prudence terrestre et par les intérêts mondains, pour rentrer d'Avignon à Rome, près du tombeau de Pierre.
Avec la même passion, Catherine s'employa à remédier aux divisions qui surgirent lors de l'élection du Pape qui suivit la mort de Grégoire XI: dans cette affaire aussi, elle fit appel une fois de plus, avec une ardeur passionnée, aux raisons indiscutables de la communion. C'était là l'idéal suprême qui avait inspiré toute sa vie, dépensée sans réserve au service de l'Église. C'est elle-même qui en témoignera devant ses fils spirituels sur son lit de mort: « Tenez pour certain, mes très chers, que j'ai donné ma vie pour la sainte Église » (Bienheureux Raymond de Capoue, Vie de sainte Catherine de Sienne, Livre III, chap. IV).
8. Avec Edith Stein — sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix —, nous sommes dans un tout autre monde historique et culturel. Elle nous entraîne en effet au c½ur de notre siècle tourmenté, indiquant les espérances qui l'ont éclairé, mais aussi les contradictions et les échecs qui l'ont marqué. Elle ne vient pas, comme Brigitte et Catherine, d'une famille chrétienne. En elle, tout exprime le tourment de la recherche et l'effort du « pèlerinage » existentiel. Même après être parvenue à la vérité dans la paix de la vie contemplative, elle dût vivre jusqu'au bout le mystère de la Croix.
Elle était née en 1891 dans une famille juive de Breslau, alors territoire allemand. L'intérêt qu'elle développa pour la philosophie, abandonnant la pratique religieuse à laquelle sa mère l'avait pourtant initiée, aurait fait prédire, plus qu'un chemin de sainteté, une vie menée à l'enseigne du pur « rationalisme ». Mais la grâce l'attendait précisément dans les méandres de la pensée philosophique: engagée sur la voie du courant phénoménologique, elle sut saisir l'exigence d'une réalité objective qui, loin de trouver sa solution dans le sujet, devance et mesure sa connaissance, réalité qui doit donc être examinée dans un effort rigoureux d'objectivité. Il convient de se mettre à son écoute pour la saisir surtout dans l'être humain, en vertu de la capacité d'« empathie » — mot qui lui est cher — qui consent dans une certaine mesure à faire sien le vécu d'autrui (cf. E. Stein, Le problème de l'empathie).
C'est dans cette tension d'écoute qu'elle rencontra, d'une part, le témoignage de l'expérience spirituelle chrétienne offert par sainte Thérèse d'Avila et par d'autres grands mystiques, dont elle devint disciple et émule, d'autre part, l'ancienne tradition chrétienne structurée dans le thomisme. Sur cette voie, elle parvint d'abord au baptême, puis choisit la vie contemplative dans l'ordre du Carmel. Tout se déroule dans le cadre d'un itinéraire existentiel plutôt mouvementé, scandé, non seulement par la recherche intérieure, mais aussi par des engagements d'étude et d'enseignement, qu'elle conduit avec un admirable don d'elle-même. Son militantisme en faveur de la promotion sociale de la femme fut particulièrement appréciable pour son temps, et les pages dans lesquelles elle explora la richesse de la féminité et la mission de la femme du point de vue humain et religieux sont vraiment pénétrantes (cf. E. Stein, La femme. Sa mission selon la nature et la grâce).
9. Sa rencontre avec le christianisme ne la conduit pas à renier ses racines juives, mais les lui fait plutôt redécouvrir en plénitude. Cependant, cela ne lui épargne pas l'incompréhension de la part de ses proches. Le désaccord de sa mère, surtout, lui procura une douleur indicible. En réalité, tout son chemin de perfection chrétienne se déroule sous le signe non seulement de la solidarité humaine avec son peuple d'origine, mais aussi d'un vrai partage spirituel avec la vocation des fils d'Abraham, marqués par le mystère de l'appel et des « dons irrévocables » de Dieu (cf. Rm 11, 29).
En particulier, elle fit sienne la souffrance du peuple juif, à mesure que celle-ci s'exacerbait au cours de la féroce persécution nazie, qui demeure, à côté d'autres graves expressions du totalitarisme, l'une des taches les plus sombres et les plus honteuses de l'Europe de notre siècle. Elle ressentit alors, dans l'extermination systématique des juifs, que la Croix du Christ était mise sur le dos de son peuple, et elle vécut comme une participation personnelle à la Croix sa déportation et son exécution dans le tristement célèbre camp d'AuschwitzBirkenau. Son cri se mêla à celui de toutes les victimes de cette épouvantable tragédie, s'unissant en même temps au cri du Christ, qui assure à la souffrance humaine une fécondité mystérieuse et durable. Son image de sainteté reste pour toujours liée au drame de sa mort violente, aux côtés de tous ceux qui la subirent avec elle. Et elle reste comme une annonce de l'Évangile de la Croix à laquelle elle voulut s'identifier par son nom de religieuse.
Nous nous tournons aujourd'hui vers Thérèse-Bénédicte de la Croix, reconnaissant dans son témoignage de victime innocente, d'une part, l'imitation de l'Agneau immolé et la protestation élevée contre toutes les violations des droits fondamentaux de la personne; d'autre part, le gage de la rencontre renouvelée entre juifs et chrétiens qui, dans la ligne voulue par le Concile Vatican II, connaît un temps prometteur d'ouverture réciproque. Déclarer aujourd'hui Edith Stein copatronne de l'Europe signifie déployer sur l'horizon du vieux continent un étendard de respect, de tolérance, d'accueil, qui invite hommes et femmes à se comprendre et à s'accepter au-delà des diversités de race, de culture et de religion, afin de former une société vraiment fraternelle.
10. Puisse donc l'Europe croître! Puisse-t-elle croître comme Europe de l'esprit, dans la ligne du meilleur de son histoire, qui trouve précisément dans la sainteté son expression la plus haute. L'unité du continent, qui mûrit progressivement dans les consciences et se définit aussi toujours plus nettement sous l'angle politique, incarne assurément une perspective de grande espérance. Les Européens sont appelés à laisser définitivement de côté les rivalités historiques qui ont souvent fait de leur continent le théâtre de guerres dévastatrices. En même temps, ils doivent s'engager à créer les conditions d'une plus grande cohésion et d'une plus grande collaboration entre les peuples. Ils sont face au grand défi de la construction d'une culture et d'une éthique de l'unité, sans lesquelles n'importe quelle politique de l'unité est destinée tôt ou tard à s'effondrer.
Pour édifier la nouvelle Europe sur des bases solides, il ne suffit certes pas de lancer un appel aux seuls intérêts économiques qui, s'ils rassemblent parfois, d'autres fois divisent, mais il est nécessaire de s'appuyer plutôt sur les valeurs authentiques, qui ont leur fondement dans la loi morale universelle, inscrite dans le c½ur de tout homme. Une Europe qui remplacerait les valeurs de tolérance et de respect universel par l'indifférentisme éthique et le scepticisme en matière de valeurs inaliénables, s'ouvrirait aux aventures les plus risquées et verrait tôt ou tard réapparaître sous de nouvelles formes les spectres les plus effroyables de son histoire.
Pour conjurer cette menace, le rôle du christianisme, qui désigne inlassablement l'horizon idéal, s'avère encore une fois vital. À la lumière des nombreux points de rencontre avec les autres religions que le Concile Vatican II a reconnus (cf. décret Nostra ætate), on doit souligner avec force que l'ouverture au Transcendant est une dimension vitale de l'existence. Il est donc essentiel que tous les chrétiens présents dans les différents pays du continent s'engagent à un témoignage renouvelé. Il leur appartient de nourrir l'espérance de la plénitude du salut par l'annonce qui leur est propre, celle de l'Évangile, à savoir la « bonne nouvelle » que Dieu s'est fait proche de nous et que, en son Fils Jésus Christ, il nous a offert la rédemption et la plénitude de la vie divine. Par la force de l'Esprit Saint qui nous a été donné, nous pouvons lever les yeux vers Dieu et l'invoquer avec le doux nom d'« Abba », Père (cf. Rm 8, 15; Ga 4, 6).
11. C'est justement cette annonce d'espérance que j'ai voulu confirmer, en proposant à une dévotion renouvelée, dans une perspective « européenne », ces trois figures de femmes qui, à des époques diverses, ont apporté une contribution très significative à la croissance non seulement de l'Église, mais de la société elle-même.
Par la communion des saints qui unit mystérieusement l'Église terrestre à celle du ciel, elles nous prennent en charge dans leur intercession permanente devant le trône de Dieu. En même temps, en les invoquant de manière plus intense et en nous référant plus assidûment et plus attentivement à leurs paroles et à leurs exemples, nous ne pouvons pas ne pas réveiller en nous une conscience plus aiguë de notre vocation commune à la sainteté, qui nous pousse à prendre la résolution d'un engagement plus généreux.
Ainsi donc, après mûre considération, en vertu de mon pouvoir apostolique, je constitue et je déclare co-patronnes célestes de toute l'Europe auprès de Dieu sainte Brigitte de Suède, sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, leur accordant tous les honneurs et privilèges liturgiques qui appartiennent selon le droit aux patrons principaux des lieux.
Gloire à la sainte Trinité, qui resplendit de façon singulière dans leur vie et dans la vie de tous le saints! Paix aux homme de bonne volonté, en Europe et dans le monde entier!
Rome, près de Saint-Pierre, le 1er octobre 1999, en la vingt et unième année de mon Pontificat.
JEAN-PAUL II
14 décembre 2000 – Message à l’occasion du 1200ème anniversaire du couronnement de l’Empereur Charlemagne
A mon Vénéré Frère dans l'épiscopat le Cardinal Antonio María Javierre Ortas
C'est avec plaisir que j'ai appris que le 16 décembre prochain, vous présiderez une séance académique consacrée au 1200ème anniversaire du couronnement impérial de Charlemagne, par le Pape Léon III à Noël de l'an 800. En voulant participer, tout au moins spirituellement, à la célébration de cet anniversaire historique, je vous envoie mon Message, à travers lequel j'entends vous faire parvenir, ainsi qu'à l'éminente assemblée, mon salut et mes voeux.
La commémoration de cet événement historique nous invite à tourner le regard non seulement vers le passé, mais également vers l'avenir. En effet, celle-ci coïncide avec la phase décisive de la rédaction de la "Charte des droits fondamentaux" de l'Union européenne. Cette heureuse coïncidence invite à réfléchir sur la valeur que possède également aujourd'hui la réforme culturelle et religieuse promue par Charlemagne: son importance, en effet, est bien plus grande que l'oeuvre qu'il accomplit pour unifier matériellement les diverses réalités politiques européennes de l'époque.
Il s'agit de la synthèse grandiose entre la culture de l'antiquité classique, en majorité romaine, et les cultures des peuples germaniques et celtes, une synthèse effectuée sur la base de l'Evangile de Jésus-Christ, et qui caractérise l'immense contribution offerte par Charlemagne à la formation du continent. En effet, l'Europe, qui ne constituait pas une unité définie du point de vue géographique, ne devint un continent qu'à travers l'acceptation de la foi chrétienne qui, au cours des siècles, réussit à diffuser ses valeurs dans presque toutes les autres parties de la terre, pour le bien de l'humanité. Dans le même temps, on ne peut pas oublier que les idéologies qui ont été la cause de fleuves de larmes et de sang au cours du XX siècle, sont nées d'une Europe qui avait voulu oublier ses fondements chrétiens.
L'engagement pris par l'Union européenne de formuler une "Charte des droits fondamentaux", constitue une tentative de synthétiser à nouveau, au début du nouveau millénaire, les valeurs fondamentales auxquelles doit s'inspirer la coexistence entre les peuples européens. L'Eglise a suivi avec une vive attention l'élaboration de ce document. A ce propos, je ne peux pas cacher ma déception que dans le texte de la Charte n'ait été insérée aucune référence à Dieu, en qui se trouve par ailleurs la source suprême de la dignité de la personne humaine et de ses droits fondamentaux. On ne peut pas ignorer que ce fut la négation de Dieu et de ses commandements qui créa, au siècle passé, la tyrannie des idoles, exprimée à travers la glorification d'une race, d'une classe, de l'Etat, de la nation, du parti, au lieu du Dieu vivant et véritable. C'est précisément à la lumière des événements tragiques du vingtième siècle que l'on comprend comment les droits de Dieu et de l'homme s'affirment ou disparaissent ensemble.
Malgré beaucoup de nobles efforts, le texte élaboré pour la "Charte européenne" n'a pas satisfait aux attentes légitimes d'un grand nombre de personnes. On pouvait, en particulier, défendre de façon plus courageuse les droits de la personne et de la famille. La préoccupation pour de tels droits, qui ne sont pas toujours compris et respectés de façon appropriée, est en effet plus que justifiée. Dans de nombreux Etats européens, ceux-ci sont menacés, par exemple par une politique favorable à l'avortement, presque partout légalisé, par l'attitude toujours plus permissive à l'égard de l'euthanasie et, dernièrement, par certains projets de loi en matière de technologie génétique qui ne respectent pas suffisamment la qualité humaine de l'embryon. Il ne suffit pas de prôner à travers de grands mots la dignité de la personne, si celle-ci est ensuite gravement violée par les normes mêmes de l'ordre juridique.
La grande figure historique de l'empereur Charlemagne réévoque les racines chrétiennes de l'Europe, en ramenant ceux qui l'étudient à une époque qui, malgré les limites humaines toujours présentes, fut caractérisée par une importante floraison culturelle dans presque tous les domaines de l'expérience. A la recherche de son identité, l'Europe ne peut pas manquer d'accomplir un effort énergique pour récupérer le patrimoine culturel laissé par Charlemagne et conservé au cours de plus d'un millénaire.
L'éducation dans l'esprit de l'humanisme chrétien garantit cette formation intellectuelle et morale qui forme et aide la jeunesse à affronter les problèmes sérieux soulevés par le développement scientifique et technique. Dans ce sens, l'étude des langues classiques dans les écoles peut également être une aide précieuse pour introduire les nouvelles générations à la connaissance d'un patrimoine culturel d'une richesse inestimable.
J'exprime donc ma satisfaction à ceux qui ont préparé cette session académique, avec une pensée particulière pour le Président du Comité pontifical pour les Sciences historiques, Mgr Walter Brandmüller. L'initiative historique constitue une contribution précieuse à la redécouverte des valeurs dans lesquelles l'"âme" la plus véritable de l'Europe est reconnaissable. A cette occasion, je voudrais également saluer le choeur des Augsburger Domsingknaben qui, grâce à leur chant, enrichissent dignement ce congrès.
Avec ces sentiments, je vous envoie volontiers, Monsieur le Cardinal, ainsi qu'aux rapporteurs, aux participants et aux pueri cantores, une Bénédiction apostolique spéciale.
Du Vatican, le 14 décembre 2000
25 avril 2002 – Aux participants au Xème Symposium organisé par le Conseil des Conférences Episcopales d’Europe
1. C'est avec une grande joie que je vous accueille à l'occasion de votre Xème Symposium et je souhaite à chacun une cordiale bienvenue. Je salue en particulier le Président du Conseil des Conférences épiscopales d'Europe (CCEE), Mgr Amédée Grab, et je le remercie des sentiments de profonde communion avec le Successeur de Pierre, qu'il a voulu m'exprimer en votre nom à tous.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le rappeler en d'autres occasions, la fonc-tion ecclésiale des Conférences épiscopales d'Europe constitue un fruit providentiel du Concile Vatican II, et représente un don spécial de communion pour notre temps. Au cours des dernières décennies, ces rencontres ont offert la possibilité d'intensifier les relations de charité évangélique entre les diverses Communautés catholiques en Europe, en faisant d'elles d'authentiques maisons et écoles de communion.
En vous rencontrant, je me rappelle des divers symposiums auxquels Dieu m'a donné de participer en tant qu'Archevêque de Cracovie. Je me rappelle en particulier de celui de 1975, lorsque j'eus l'honneur d'être l'un des rapporteurs.
A chacune des rencontres, l'opportunité a été donnée d'affronter les aspects et les projets de la nouvelle évangélisation, une grande entreprise apostolique qui interpelle tout le peuple chrétien.
2. Le thème choisi pour ce Xème symposium est d'une importance particulière: Les jeunes d'Europe face au changement. Laboratoire de la Foi.
Chaque pasteur sait que sa première responsabilité est d'aider les fidèles à rencontrer le Christ. Une rencontre qui, au cours des deux millénaires qui viennent de s'écouler, a transformé la vie de personnes et de générations entières en Europe. Comment ne pas ressentir profondément la responsabilité de sauvegarder ces racines chrétiennes?
En réalité, ce sont précisément les jeunes qui demandent que l'Evangile soit aujourd'hui semé d'une façon nouvelle dans leur coeur. Ce sont eux qui nous répètent, parfois de façon exigeante, leur attente de la "bonne nouvelle". Très chers frères, nous ressentons en effet l'urgence de présenter Jésus aux nouvelles générations comme l'unique Rédempteur de l'homme; ce Jésus qui, étant Dieu, a voulu entrer par amour dans les blessures de l'histoire jusqu'à vivre l'expérience de l'abandon de la croix.
Face au vide de valeurs et aux profondes interrogations existentielles qui interpellent la société d'aujourd'hui, nous devons proclamer et témoigner que le Christ a assumé les questions, les attentes et même les drames de l'humanité de tout temps. A travers sa résurrection, Il a pleinement rendu possible la réalisation du désir de vie et d'éternité qui habite le coeur de chaque homme, et en particulier des jeunes.
L'Europe a un besoin pressant de rencontrer ce Dieu, qui aime les hommes et est présent dans chaque épreuve et difficulté humaine. Pour que cela se produise, il est nécessaire que les croyants soient prêts à témoigner de la foi à travers leur vie. C'est ainsi que se développeront des communautés ecclésiales mûres, préparées et disposées à utiliser chaque moyen disponible pour la nouvelle évangélisation.
3. Très chers jeunes, je vous salue avec affection. Je trouve plus que jamais significatif que vous, espérance de l'Eglise et de l'Europe, soyez présents à ce Symposium. Il vous concerne tout particulièrement car, dans le contexte social actuel, c'est vers vous que l'Eglise se tourne avec une attention particulière. Elle attend de vous le don d'une existence pleinement fidèle au Christ et à son message de salut.
En ce temps liturgique qui resplendit de la lumière du Ressuscité, je souhaite qu'Il vous donne sa paix. Puisse-t-il être un Maître pour chacun de vous, comme il l'a été pour les disciples d'Emmaüs. Et vous, très chers amis, suivez-le avec confiance, enthousiasme et persévérance. Ne permettez pas qu'il soit tenu à l'écart. L'Evangile est indispensable pour renouveler la culture; il est indispensable pour construire un avenir de paix véritable en Europe et dans le monde. Très chers jeunes, c'est à vous qu'il revient d'offrir cette contribution. N'hésitez donc pas à répondre "oui" à Dieu qui vous appelle.
4. Je salue ensuite les délégués des autres Eglises et communautés ecclésiales présents. On ressent toujours plus clairement le fait que la réconciliation entre les chrétiens est déterminante pour la crédibilité de l'annonce de l'Evangile et pour la construction de l'Europe. La Charta oecumenica pour l'Europe, signée à Strasbourg en avril 2001, marque de ce point de vue un pas important pour le développement de la collaboration entre les Eglises et les communautés chrétiennes. Je prie Dieu afin que l'on avance sur ce chemin avec une confiance et une détermination croissante.
J'adresse également mes meilleurs voeux aux responsables des organisations épiscopales de l'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique, qui interviennent au cours des travaux. Très chers amis, grâce à votre présence, la perspective ecclésiale s'élargit et l'Europe prend plus profondément conscience de sa propre responsabilité envers d'autres terres et populations, afin d'édifier la solidarité universelle désirée. Je souhaite à chacun de contribuer au plein succès du Symposium.
5. Très chers frères et soeurs, au cours de ces journées et à chaque instant de votre existence, que le Seigneur, avec la puissance de l'Esprit Saint, vous comble de ses dons d'amour, de joie et de paix. Que vous accompagne Marie, la Mère de l'Eglise, et que vous protège l'évangéliste saint Marc, dont nous célébrons la fête précisément aujourd'hui.
Alors que j'assure chacun de mon souvenir dans la prière, je vous bénis de tout coeur, ainsi que les communautés ecclésiales auxquelles vous appartenez.
28 juin 2003 – Exhortation Apostolique l’Eglise en Europe.
EXHORTATION APOSTOLIQUE
POST-SYNODALE
ECCLESIA IN EUROPA
DE SA SAINTETÉ
LE PAPE JEAN-PAUL II
AUX ÉVÊQUES
AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES
AUX PERSONNES CONSACRÉES
ET À TOUS LES FIDÈLES LAÏCS
SUR JÉSUS CHRIST,
VIVANT DANS L'ÉGLISE,
SOURCE D'ESPÉRANCE
POUR L'EUROPE
INTRODUCTION
Annonce joyeuse pour l'Europe
1. L'Église en Europe a accompagné en esprit de participation ses évêques réunis en Synode pour la deuxième fois, tandis qu'ils se livraient à une méditation sur Jésus Christ, vivant dans l'Église, source d'espérance pour l'Europe.
C'est un thème que je veux moi aussi, reprenant avec mes frères évêques les paroles de la Première Lettre de saint Pierre, proclamer à tous les chrétiens d'Europe au début du troisième millénaire. « N'ayez aucune crainte [...], ne vous laissez pas troubler. C'est le Seigneur, le Christ, que vous devez reconnaître dans vos c½urs comme le seul Saint. Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte de l'espérance qui est en vous » (3, 14-15).1
Cette annonce a retenti continuellement tout au long du grand Jubilé de l'An 2000, auquel le Synode, qui s'est tenu juste avant, a été étroitement lié, étant en quelque sorte une porte qui s'ouvrait sur lui.2 Le Jubilé a été « un chant unique, ininterrompu, de louange à la Trinité », un vrai « chemin de réconciliation » et un « signe d'espérance authentique pour ceux qui regardent le Christ et son Église ».3 Nous laissant en héritage la joie de la rencontre vivifiante avec le Christ, qui est « le même, hier, aujourd'hui et pour l'éternité » (He 13, 8), il nous a proposé de nouveau le Seigneur Jésus comme fondement unique et indéfectible de la véritable espérance.
Un deuxième Synode pour l'Europe
2. L'approfondissement du thème de l'espérance constituait dès le début le but principal de la Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques. Dernier des séries de Synodes de caractère continental tenus en préparation du grand Jubilé de l'An 2000,4 il avait pour buts d'analyser la situation de l'Église en Europe et de donner des orientations pour promouvoir une nouvelle annonce de l'Évangile, comme je l'ai souligné dans la convocation que j'ai rendue publique le 23 juin 1996, au terme de l'Eucharistie célébrée au stade olympique de Berlin.5
L'Assemblée synodale ne pouvait omettre de reprendre, de vérifier et de développer ce qui était ressorti lors du précédent Synode consacré à l'Europe, qui s'était réuni en 1991, au lendemain de la chute des murs, sur le thème « Pour que nous soyons témoins du Christ qui nous a libérés ». Dans cette première Assemblée spéciale étaient apparues l'urgence et la nécessité de la « nouvelle évangélisation », dans la certitude que « l'Europe ne doit pas purement et simplement en appeler aujourd'hui à son héritage chrétien antérieur: il lui faut trouver la capacité de décider à nouveau de son avenir dans la rencontre avec la personne et le message de Jésus Christ ».6
Neuf ans après, la conviction que « l'Église a le devoir pressant d'apporter à nouveau aux Européens l'annonce libératrice de l'Évangile » 7 s'est présentée encore une fois avec sa force stimulante. Le thème choisi pour la nouvelle Assemblée synodale proposait encore, sous l'angle de l'espérance, le même défi. Il s'agissait donc de proclamer cette annonce d'espérance à une Europe qui semblait l'avoir perdue.8
L'expérience du Synode
3. L'Assemblée synodale, qui a eu lieu du 1er au 23 octobre 1999, s'est avérée une précieuse occasion de rencontre, d'écoute et de confrontation: on y a approfondi la connaissance réciproque entre évêques des diverses parties de l'Europe et avec le Successeur de Pierre, et tous ensemble nous avons pu nous édifier mutuellement, grâce surtout au témoignage de ceux qui, sous les anciens régimes totalitaires, ont supporté pour la foi de dures et longues persécutions.9 Une fois encore, nous avons vécu des moments de communion dans la foi et dans la charité, animés par le désir de réaliser un fraternel « échange de dons », enrichis réciproquement par la diversité des expériences de chacun.10
Il en est ressorti la volonté d'accueillir l'appel que l'Esprit adresse aux Églises en Europe pour les mobiliser face aux nouveaux défis.11 Le regard rempli d'amour, les participants de la rencontre synodale n'ont pas craint d'observer la réalité actuelle du continent, notant ses lumières et ses ombres. Il en ressort une claire conscience que la situation est marquée par de graves incertitudes dans les domaines culturel, anthropologique, éthique et spirituel. Une volonté croissante s'est affirmée tout aussi clairement, celle de pénétrer dans cette situation et de l'interpréter pour voir les tâches qui attendent l'Église; il en est résulté « des orientations utiles afin de rendre toujours plus visible le visage du Christ par une annonce plus incisive, corroborée par un témoignage cohérent ».12
4. Le fait de vivre l'expérience synodale avec un discernement évangélique a fait mûrir progressivement la conscience de l'unité qui, sans nier les différences provenant des vicissitudes historiques, lie les diverses parties de l'Europe. C'est une unité qui, s'enracinant dans une commune inspiration chrétienne, sait harmoniser les traditions culturelles et qui requiert, sur le plan social comme sur le plan ecclésial, une progression constante dans la connaissance réciproque ouverte à un plus grand partage des valeurs de chacun.
Peu à peu, au cours du Synode, est devenue évidente une forte propension à l'espérance. Tout en faisant leurs les analyses de la complexité caractéristique du continent, les Pères synodaux ont compris que la plus grande urgence peut-être qui l'envahit, à l'Est comme à l'Ouest, est un besoin accru d'espérance, capable de donner un sens à la vie et à l'histoire, et d'aider à marcher ensemble. Toutes les réflexions du Synode ont cherché à répondre à ce besoin à partir du mystère du Christ et du mystère trinitaire. Le Synode a voulu proposer à nouveau la figure de Jésus vivant dans son Église, révélateur du Dieu Amour qui est communion des trois Personnes divines.
L'icône de l'Apocalypse
5. Par la présente Exhortation post-synodale, je suis heureux de pouvoir partager avec l'Église qui est en Europe les fruits de cette Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques. Je désire ainsi répondre au souhait exprimé au terme des assises synodales, quand les Pasteurs m'ont transmis les textes de leurs réflexions, et m'ont prié de donner à l'Église en marche en Europe un document sur le thème même du Synode.13
« Celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux Églises! » (Ap 2, 7). En annonçant à l'Europe l'Évangile de l'espérance, je prendrai pour guide le Livre de l'Apocalypse, « révélation prophétique » qui révèle à la communauté des croyants le sens caché et profond de ce qui arrivera (cf. Ap 1, 1). L'Apocalypse nous place devant une parole adressée aux communautés chrétiennes, afin qu'elles sachent interpréter et vivre leur insertion dans l'histoire, avec ses interrogations et ses tribulations, à la lumière de la victoire définitive de l'Agneau immolé et ressuscité. En même temps, nous nous trouvons face à une parole qui engage à vivre en abandonnant la tentation permanente de bâtir la cité des hommes sans tenir compte de Dieu ou même contre lui. En effet, si cela se vérifiait, ce serait la convivialité humaine elle-même qui essuierait, à plus ou moins brève échéance, une défaite irrémédiable.
L'Apocalypse contient un encouragement adressé aux croyants: au-delà de toute apparence, et même si l'on n'en voit pas encore les effets, la victoire du Christ est déjà advenue et elle est définitive. Il s'ensuit une tendance à se placer face aux vicissitudes humaines dans une attitude de confiance fondamentale, qui découle de la foi dans le Ressuscité, présent et agissant dans l'histoire.
CHAPITRE I
JÉSUS CHRIST EST NOTRE ESPÉRANCE
« Sois sans crainte. Je suis le Premier et le Dernier,
je suis le Vivant » (Ap 1, 17-18)
Le Ressuscité est toujours avec nous
6. En un temps de persécutions, de tribulations et d'égarement pour l'Église à l'époque de l'auteur de l'Apocalypse (cf. Ap 1, 9), la parole qui retentit dans la vision est une parole d'espérance : « Sois sans crainte. Je suis le Premier et le Dernier, je suis le Vivant: j'étais mort, mais me voici vivant pour les siècles des siècles, et je détiens les clés de la mort et du séjour des morts » (Ap 1, 17- 18). Nous sommes ainsi placés face à l'Évangile, à la « bonne nouvelle », qui est Jésus Christ lui- même. Il est le Premier et le Dernier : en Lui, toute l'histoire trouve son commencement, sa signification, sa direction, son accomplissement; en Lui et avec Lui, dans sa mort et sa résurrection, tout a déjà été dit. Il est le Vivant : il était mort, mais maintenant il vit pour toujours. Il est l'Agneau qui se tient debout face au trône de Dieu (cf. Ap 5, 6) : il est immolé, car il a versé son sang pour nous sur le bois de la Croix ; il est debout, car il est revenu à la vie pour toujours et il nous a montré la toute-puissance infinie de l'amour du Père. Il tient fermement dans ses mains les sept étoiles (cf. Ap 1, 16), c'est-à-dire l'Église de Dieu persécutée, en lutte contre le mal et contre le péché, mais qui a également le droit d'être joyeuse et victorieuse parce qu'elle est entre les mains de Celui qui a déjà vaincu le mal. Il marche au milieu des sept chandeliers d'or (cf. Ap 2, 1) : il est présent et agissant dans son Église en prière. Il est aussi « celui qui vient » (Ap 1, 4) à travers la mission et l'action de l'Église tout au long de l'histoire humaine; il vient comme le moissonneur eschatologique, à la fin des temps, pour porter toute chose à son accomplissement (cf. Ap 14, 15-16 ; 22, 20).
I. Défis et signes d'espérance
pour l'Église en Europe
L'obscurcissement de l'espérance
7. Cette parole est aussi adressée aujourd'hui aux Églises en Europe, souvent tentées par l'obscurcissement de l'espérance. En effet, le temps que nous vivons, avec les défis qui lui sont propres, apparaît comme une époque d'égarement. Beaucoup d'hommes et de femmes semblent désorientés, incertains, sans espérance, et de nombreux chrétiens partagent ces états d'âme. Nombreux sont les signes préoccupants qui, au début du troisième millénaire, troublent l'horizon du continent européen, lequel, « tout en étant riche d'immenses signes de foi et de témoignage, et dans le cadre d'une vie commune certainement plus libre et plus unie, ressent toute l'usure que l'histoire ancienne et récente a provoquée dans les fibres les plus profondes de ses populations, entraînant souvent la déception ».14
Parmi les nombreux aspects, amplement rappelés aussi à l'occasion du Synode,15 je voudrais mentionner la perte de la mémoire et de l'héritage chrétiens, accompagnée d'une sorte d'agnosticisme pratique et d'indifférentisme religieux, qui fait que beaucoup d'Européens donnent l'impression de vivre sans terreau spirituel et comme des héritiers qui ont dilapidé le patrimoine qui leur a été légué par l'histoire. On n'est donc plus tellement étonné par les tentatives de donner à l'Europe un visage qui exclut son héritage religieux, en particulier son âme profondément chrétienne, fondant les droits des peuples qui la composent sans les greffer sur le tronc irrigué par la sève vitale du christianisme.
Certes, les prestigieux symboles de la présence chrétienne ne manquent pas dans le continent européen, mais avec l'expansion lente et progressive de la sécularisation, ils risquent de devenir un pur vestige du passé. Beaucoup n'arrivent plus à intégrer le message évangélique dans l'expérience quotidienne ; il est de plus en plus difficile de vivre la foi en Jésus dans un contexte social et culturel où le projet chrétien de vie est continuellement mis au défi et menacé ; dans de nombreux milieux de vie, il est plus facile de se dire athée que croyant ; on a l'impression que la non-croyance va de soi tandis que la croyance a besoin d'une légitimation sociale qui n'est ni évidente ni escomptée.
8. Cette perte de la mémoire chrétienne s'accompagne d'une sorte de peur d'affronter l'avenir. L'image du lendemain qui est cultivée s'avère souvent pâle et incertaine. Face à l'avenir, on ressent plus de peur que de désir. On en trouve des signes préoccupants, entre autres, dans le vide intérieur qui tenaille de nombreuses personnes et dans la perte du sens de la vie. Parmi les expressions et les conséquences de cette angoisse existentielle, il faut compter en particulier la dramatique diminution de la natalité, la baisse des vocations au sacerdoce et à la vie consacrée, la difficulté, sinon le refus, de faire des choix définitifs de vie, même dans le mariage.
On assiste à une fragmentation diffuse de l'existence ; ce qui prévaut, c'est une sensation de solitude; les divisions et les oppositions se multiplient. Parmi les autres symptômes de cet état de fait, la situation actuelle de l'Europe connaît le grave phénomène des crises de la famille et de la disparition du concept même de famille, la persistance ou la réactivation de conflits ethniques, la résurgence de certaines attitudes racistes, les tensions interreligieuses elles-mêmes, l'attitude égocentrique qui enferme les personnes et les groupes sur eux-mêmes, la croissance d'une indifférence éthique générale et de la crispation excessive sur ses propres intérêts et privilèges. Pour beaucoup de personnes, au lieu d'orienter vers une plus grande unité du genre humain, la mondialisation en cours risque de suivre une logique qui marginalise les plus faibles et qui accroît le nombre des pauvres sur la terre.
Parallèlement à l'expansion de l'individualisme, on note un affaiblissement croissant de la solidarité entre les personnes : alors que les institutions d'assistance accomplissent un travail louable, on observe une disparition du sens de la solidarité, de sorte que, même si elles ne manquent pas du nécessaire matériel, beaucoup de personnes se sentent plus seules, livrées à elles-mêmes, sans réseau de soutien affectif.
9. À la racine de la perte de l'espérance se trouve la tentative de faire prévaloir une anthropologie sans Dieu et sans le Christ. Cette manière de penser a conduit à considérer l'homme comme « le centre absolu de la réalité, lui faisant occuper faussement la place de Dieu. On oublie alors que ce n'est pas l'homme qui fait Dieu, mais Dieu qui fait l'homme. L'oubli de Dieu a conduit à l'abandon de l'homme », et c'est pourquoi, « dans ce contexte, il n'est pas surprenant que se soient largement développés le nihilisme en philosophie, le relativisme en gnoséologie et en morale, et le pragmatisme, voire un hédonisme cynique, dans la manière d'aborder la vie quotidienne ».16 La culture européenne donne l'impression d'une « apostasie silencieuse » de la part de l'homme comblé qui vit comme si Dieu n'existait pas.
Dans une telle perspective prennent corps les tentatives, renouvelées tout récemment encore, de présenter la culture européenne en faisant abstraction de l'apport du christianisme qui a marqué son développement historique et sa diffusion universelle. Nous sommes là devant l'apparition d'une nouvelle culture, pour une large part influencée par les médias, dont les caractéristiques et le contenu sont souvent contraires à l'Évangile et à la dignité de la personne humaine. De cette culture fait partie aussi un agnosticisme religieux toujours plus répandu, lié à un relativisme moral et juridique plus profond, qui prend racine dans la perte de la vérité de l'homme comme fondement des droits inaliénables de chacun. Les signes de la disparition de l'espérance se manifestent parfois à travers des formes préoccupantes de ce que l'on peut appeler une « culture de mort ».17
L'inéluctable nostalgie de l'espérance
10. Mais, comme l'ont souligné les Pères synodaux, « l'homme ne peut pas vivre sans espérance: sa vie serait vouée à l'insignifiance et deviendrait insupportable ».18 Bien souvent, celui qui a besoin d'espérance croit pouvoir trouver un apaisement dans des réalités éphémères et fragiles. Et ainsi, l'espérance, emprisonnée dans un milieu purement humain fermé à la transcendance, est identifiée, par exemple, au paradis promis par la science et par la technique, ou à des formes diverses de messianisme, au bonheur de nature hédoniste procuré par le consumérisme ou au bonheur imaginaire et artificiel produit par des stupéfiants, à certaines formes de millénarisme, à l'attrait des philosophies orientales, à la recherche de formes de spiritualité ésotériques, aux divers courants du New Age.19
Mais tout cela se révèle profondément illusoire et incapable de satisfaire la soif de bonheur que le c½ur de l'homme continue à ressentir en lui-même. Ainsi subsistent et s'intensifient les signes préoccupants de la disparition de l'espérance, qui parfois se manifestent même à travers des formes d'agressivité et de violence.20
Signes d'espérance
11. Aucun être humain ne peut vivre sans perspectives d'avenir, et moins encore l'Église, qui vit dans l'attente du Royaume qui vient et qui est déjà présent dans ce monde. Il serait injuste de ne pas voir les signes de l'influence de l'Évangile du Christ dans la vie des sociétés. Les Pères synodaux les ont recherchés et soulignés.
Il faut inscrire parmi ces signes le retour à la liberté pour l'Église dans l'Est européen, avec les nouvelles possibilités ainsi ouvertes pour l'action pastorale ; le fait pour l'Église de se concentrer sur sa mission spirituelle et sur son engagement à vivre le primat de l'évangélisation, même dans ses rapports avec la réalité sociale et politique ; la prise de conscience accrue de la mission propre de tous les baptisés, dans la diversité et la complémentarité des dons et des tâches; la présence plus marquée de la femme dans les structures et dans les milieux de la communauté chrétienne.
Une communauté de peuples
12. En considérant l'Europe en tant que communauté de citoyens, on ne manque pas de signes qui ouvrent à l'espérance ; malgré les contradictions de l'histoire, nous pouvons, avec un regard de foi, voir en eux la présence de l'Esprit de Dieu qui renouvelle la face de la terre. Les Pères synodaux les ont décrits ainsi à la fin de leurs travaux : « Nous constatons avec joie l'ouverture croissante des peuples les uns aux autres, la réconciliation entre nations longtemps hostiles et ennemies, l'élargissement progressif du processus d'unification aux pays de l'Est européen. Reconnaissances, collaborations et échanges de tous ordres sont en développement, de sorte que se crée peu à peu une culture européenne, on peut même dire une conscience européenne, dont nous espérons qu'elle pourra faire croître, spécialement auprès des jeunes, le sentiment de la fraternité et la volonté du partage. Nous enregistrons comme positif le fait que tout ce processus se développe selon des méthodes démocratiques, sur un mode pacifique et dans un esprit de liberté qui respecte et valorise les légitimes diversités, suscitant et soutenant le processus d'unification de l'Europe. Nous saluons avec satisfaction ce qui a été fait pour préciser les conditions et les modalités du respect des droits humains. Dans le contexte, enfin, de la légitime et nécessaire unité économique et politique en Europe, tandis que nous enregistrons les signes de l'espérance qu'offre la considération accordée au droit et à la qualité de la vie, nous souhaitons vivement que, dans une fidélité créatrice à la tradition humaniste et chrétienne de notre continent, soit garanti le primat des valeurs éthiques et spirituelles ».21
Les martyrs et les témoins de la foi
13. Mais je voudrais attirer l'attention en particulier sur certains signes qui se sont manifestés dans la vie proprement ecclésiale. Tout d'abord, avec les Pères synodaux, je veux proposer de nouveau à tous, afin qu'il ne soit jamais oublié, le grand signe d'espérance constitué par les nombreux témoins de la foi chrétienne qui ont vécu au siècle dernier, à l'Est comme à l'Ouest. Ils ont su faire leur l'Évangile dans des situations d'hostilité et de persécution, souvent jusqu'à l'épreuve finale de l'effusion du sang.
Ces témoins, en particulier ceux qui ont affronté l'épreuve du martyre, sont un signe éloquent et grandiose, qu'il nous est demandé de contempler et d'imiter. Ils attestent à nos yeux la vitalité de l'Église ; ils nous apparaissent comme une lumière pour l'Église et pour l'humanité, car ils ont fait resplendir dans les ténèbres la lumière du Christ ; appartenant à diverses confessions chrétiennes, ils resplendissent de ce fait comme un signe d'espérance pour le cheminement ½cuménique, dans la certitude que leur sang « est aussi une sève d'unité pour l'Église ».22
Plus radicalement encore, ils nous disent que le martyre est l'incarnation suprême de l'Évangile de l'espérance: « En effet, les martyrs annoncent cet Évangile et en témoignent par leur vie jusqu'à l'effusion du sang, car ils sont certains de ne pas pouvoir vivre sans le Christ et ils sont prêts à mourir pour lui, dans la conviction que Jésus est le Seigneur et le Sauveur des hommes et qu'en lui seulement l'homme peut donc trouver la véritable plénitude de la vie. De cette façon, selon l'avertissement de l'Apôtre Pierre, ils se montrent prêts à rendre compte de l'espérance qui est en eux (cf. 1 P 3, 15). En outre, les martyrs célèbrent l' “Évangile de l'espérance”, car l'offrande de leur vie est la manifestation la plus grande et la plus radicale de ce sacrifice vivant, saint et accepté par Dieu, qui constitue le véritable culte spirituel (cf. Rm 12, 1), origine, âme et sommet de toute célébration chrétienne. Enfin, ils servent l' “Évangile de l'espérance” parce que, par leur martyre, ils expriment au plus haut degré l'amour et le service de l'homme, en ce qu'ils démontrent que l'obéissance à la loi évangélique engendre une vie morale et une convivialité qui honorent et promeuvent la dignité et la liberté de chaque personne ».23
La sainteté de beaucoup
14. La conversion opérée par l'Évangile a donné comme fruit la sainteté de beaucoup d'hommes et de femmes de notre temps. Non seulement de ceux qui ont été proclamés officiellement comme tels par l'Église, mais aussi de ceux qui, avec simplicité et dans la vie quotidienne, ont donné le témoignage de leur fidélité au Christ. Comment ne pas penser aux innombrables fils et filles de l'Église qui, tout au long de l'histoire du continent européen, ont vécu une généreuse et authentique sainteté dans le secret de la vie familiale, professionnelle et sociale ? « Tous ensemble, tels des “pierres vivantes” adhérant au Christ, la “pierre angulaire”, ils ont construit l'Europe comme édifice spirituel et moral, en laissant à la postérité l'héritage le plus précieux. Le Seigneur Jésus l'avait promis : “Celui qui croit en moi accomplira les mêmes ½uvres que moi. Il en accomplira même de plus grandes, puisque je pars vers le Père” (Jn 14, 12). Les saints sont la preuve vivante de l'accomplissement de cette promesse et ils encouragent à croire que cela est possible, même dans les heures les plus difficiles de l'histoire ».24
La paroisse et les mouvements ecclésiaux
15. L'Évangile continue à porter ses fruits dans les communautés paroissiales, parmi les personnes consacrées, dans les associations de laïcs, dans les groupes de prière et d'apostolat, dans diverses communautés de jeunes, comme aussi à travers la présence et la diffusion de réalités et de mouvements ecclésiaux nouveaux. En chacun d'eux, en effet, le même Esprit sait susciter un don de soi renouvelé à l'Évangile, une généreuse disponibilité pour le service, une vie chrétienne marquée par la radicalité évangélique et par l'élan missionnaire.
Aujourd'hui encore en Europe, dans les pays anciennement communistes comme en Occident, la paroisse, tout en ayant besoin d'un renouvellement constant,25 garde encore et continue d'exercer une mission indispensable et de grande actualité dans le domaine pastoral et ecclésial. Elle reste en mesure d'offrir aux fidèles le milieu adapté pour un exercice réel de la vie chrétienne et d'être le lieu d'une authentique humanisation et socialisation, que ce soit dans un contexte de dispersion et d'anonymat propre aux grandes villes modernes, ou dans les zones rurales peu peuplées.26
16. En même temps, tandis que j'exprime ma grande estime pour la présence et l'action des diverses associations et organisations d'apostolat, en particulier de l'Action catholique, avec les Pères synodaux je voudrais souligner la contribution propre que peuvent offrir, en communion avec les autres réalités ecclésiales et jamais de manière isolée, les nouveaux mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés ecclésiales. En effet, « ils aident les chrétiens à vivre plus radicalement selon l'Évangile ; ils sont le berceau de diverses vocations et ils engendrent de nouvelles formes de consécration ; ils promeuvent surtout la vocation des laïcs et l'amènent à s'exprimer dans les divers milieux de vie ; ils favorisent la sainteté du peuple ; ils peuvent être une annonce et une exhortation pour ceux qui n'ont pas d'autre occasion de rencontrer l'Église ; bien souvent, ils soutiennent le cheminement ½cuménique et ouvrent les voies au dialogue interreligieux ; ils sont un antidote contre la diffusion des sectes ; ils apportent une aide importante à la diffusion de la vivacité et de la joie dans l'Église ».27
Le cheminement ½cuménique
17. Nous remercions le Seigneur pour le grand et stimulant signe d'espérance constitué par les progrès qu'a su réaliser le cheminement ½cuménique à l'enseigne de la vérité, de la charité et de la réconciliation. Il s'agit là de l'un des grands dons de l'Esprit Saint pour un continent comme l'Europe, qui a donné naissance aux graves divisions entre les chrétiens du deuxième millénaire et qui souffre encore beaucoup de leurs conséquences.
Je me souviens avec émotion de certains moments de grande intensité vécus durant les travaux synodaux et de la conviction unanime, exprimée également par les Délégués fraternels, que ce cheminement – malgré les problèmes qui subsistent encore et ceux, nouveaux, qui naissent peu à peu – ne peut être interrompu, mais qu'il doit se poursuivre avec une ardeur renouvelée, avec une détermination plus profonde et avec l'humble disposition de tous au pardon réciproque. Je fais volontiers miennes certaines expressions des Pères synodaux, car « le progrès dans le dialogue ½cuménique, qui a son fondement le plus profond dans le Verbe même de Dieu, représente un signe de grande espérance pour l'Église d'aujourd'hui: la croissance de l'unité entre les chrétiens est en effet un enrichissement mutuel pour tous ».28 Il faut « considérer avec joie les progrès obtenus jusqu'à maintenant dans le dialogue, tant avec les frères des Églises orthodoxes qu'avec ceux des Communautés ecclésiales provenant de la Réforme, reconnaissant en eux un signe de l'action de l'Esprit, pour laquelle nous devons louer et remercier le Seigneur ».29
II. Revenir au Christ,
source de toute espérance
Confesser notre foi
18. De l'Assemblée synodale a jailli, lumineuse et puissante, la certitude que l'Église doit offrir à l'Europe le bien le plus précieux, que personne d'autre ne peut lui donner: la foi en Jésus Christ, source de l'espérance qui ne déçoit pas.30 Ce don est à l'origine de l'unité spirituelle et culturelle des peuples européens et, aujourd'hui encore comme à l'avenir, il peut constituer une contribution essentielle à leur développement et à leur intégration. Oui, en ce début du troisième millénaire, après vingt siècles, l'Église se présente toujours avec la même annonce, qui constitue son unique trésor : Jésus Christ est le Seigneur ; en Lui et en nul autre est le salut (cf. Ac 4, 12). La source de l'espérance, pour l'Europe et pour le monde entier, c'est le Christ, et l'Église est « le chemin par lequel passe et se répand la vague de grâce surgie du C½ur transpercé du Rédempteur ».31
À partir de cette confession de foi jaillit de nos c½urs et de nos lèvres « une joyeuse [...] confession d'espérance : Toi, Seigneur ressuscité et vivant, [...] tu es l'unique et vraie espérance de l'homme et de l'histoire; tu es “parmi nous l'espérance de la gloire” (Col 1, 27), déjà en cette vie et aussi par-delà la mort. En toi et avec toi, nous pouvons accéder à la vérité, notre existence a un sens, la communion est possible, la diversité peut devenir richesse, la puissance du Règne est à l'½uvre dans l'histoire et aide à l'édification de la cité des hommes, la charité donne une valeur durable aux efforts de l'humanité, la souffrance peut devenir salvifique, la vie vaincra la mort, la création participera à la gloire des fils de Dieu ».32
Jésus Christ, notre espérance
19. Jésus Christ est notre espérance parce que Lui, le Verbe éternel qui est éternellement dans le sein du Père (cf. Jn 1, 18), nous a aimés au point d'assumer notre nature humaine, excepté le péché, partageant notre vie pour nous sauver. La confession de cette vérité est au c½ur même de notre foi. La perte de la vérité sur Jésus Christ ou son incompréhension empêchent de pénétrer dans le mystère même de l'amour de Dieu et de la communion trinitaire.33
Jésus Christ est notre espérance parce qu'Il révèle le mystère de la Trinité. Tel est le centre de la foi chrétienne qui peut encore offrir, comme elle l'a fait jusqu'à présent, une importante contribution à la mise en place de structures qui, en s'inspirant des grandes valeurs évangéliques ou en se mesurant à leur aune, promeuvent la vie, l'histoire et la culture des différents peuples du continent.
Nombreuses sont les racines qui, par leur sève, ont conduit à reconnaître la valeur de la personne et de sa dignité inaliénable, le caractère sacré de la vie humaine et le rôle central de la famille, l'importance de l'enseignement et de la liberté de pensée, d'expression et de religion, tout comme elles ont conduit à la protection juridique des individus et des groupes, à la promotion de la solidarité et du bien commun, à la reconnaissance de la dignité du travail. Ces racines ont favorisé la sujétion du pouvoir politique à la loi et au respect du droit des personnes et des peuples. Il convient de rappeler ici l'esprit de la Grèce antique et de Rome, l'apport des peuples celtes, germaniques, slaves, finno-ougriens, ainsi que de la culture juive et du monde de l'islam. Mais il faut reconnaître que, historiquement parlant, ces inspirations ont trouvé dans la tradition judéo-chrétienne une force capable de les harmoniser, de les consolider et de les promouvoir. C'est un fait que l'on ne peut ignorer; au contraire, dans le processus de construction de la « maison commune européenne », il faut reconnaître que cet édifice doit s'appuyer aussi sur les valeurs qui ont trouvé dans la tradition chrétienne leur pleine manifestation. En prendre acte tourne à l'avantage de tous.
L'Église « n'a pas qualité pour exprimer une préférence en faveur de l'une ou l'autre solution institutionnelle ou constitutionnelle » de l'Europe, et elle veut donc respecter de manière cohérente la légitime autonomie de l'ordre civil.34 Mais elle a le devoir de raviver dans le c½ur des chrétiens d'Europe la foi en la Trinité, en sachant bien qu'une telle foi est un signe avant-coureur d'une authentique espérance pour le continent. Bien des grands paradigmes de référence mentionnés ci-dessus, qui sont à la base de la civilisation européenne, ont leurs racines les plus profondes dans la foi trinitaire. Cette dernière porte en elle une extraordinaire puissance spirituelle, culturelle et éthique, capable, entre autres, d'éclairer aussi certaines grandes questions qui se posent aujourd'hui en Europe, telles que la désagrégation sociale et la perte d'une référence qui donne un sens à la vie et à l'histoire. Il apparaît donc nécessaire de renouveler la réflexion théologique, spirituelle et pastorale du mystère trinitaire.35
20. Les Églises particulières en Europe ne sont pas de simples entités ou organisations privées. En réalité, elles déploient leur action dans une dimension institutionnelle spécifique qui mérite d'être mise en valeur sur le plan juridique, dans le plein respect du bon ordonnancement civil. Réfléchissant sur elles-mêmes, les communautés chrétiennes doivent se découvrir à nouveau comme un don par lequel Dieu enrichit les peuples qui vivent sur le continent. Telle est l'annonce joyeuse qu'elles sont appelées à transmettre à toute personne. En approfondissant la dimension missionnaire qui leur est propre, elles doivent attester constamment que Jésus Christ « est l'unique médiateur, porteur de salut pour l'humanité tout entière: en lui seulement l'humanité, l'histoire et le cosmos trouvent leur signification définitivement positive et se réalisent en totalité ; il recèle en lui-même, dans son événement et dans sa personne, les raisons ultimes du salut; il n'est pas seulement un médiateur de salut, il est aussi la source même de ce salut ».36
Dans le contexte actuel du pluralisme éthique et religieux qui caractérise de plus en plus l'Europe, il est donc nécessaire de confesser et de proposer à nouveau la vérité sur le Christ, unique Médiateur entre Dieu et les hommes, et unique Rédempteur du monde. C'est pourquoi – comme je l'ai fait à la fin de l'Assemblée synodale – avec toute l'Église j'invite mes frères et s½urs dans la foi à savoir constamment s'ouvrir en toute confiance au Christ et à se laisser renouveler par lui, annonçant à toute personne de bonne volonté, avec la force de la paix et de l'amour, que celui qui rencontre le Seigneur connaît la Vérité, découvre la Vie, trouve la Voie qui y conduit (cf. Jn 14, 6 ; Ps 16 [15], 11). Par le style de vie des chrétiens et par leur témoignage en parole, les habitants de l'Europe pourront découvrir que le Christ est l'avenir de l'homme. Dans la foi de l'Église, « il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés » (Ac 4, 12).37
21. Pour les croyants, Jésus Christ est l'espérance de toute personne parce qu'il donne la vie éternelle. Il est « le Verbe de vie » (1 Jn 1, 1), venu dans le monde pour que les hommes « aient la vie et l'aient en surabondance » (Jn 10, 10). Il nous montre ainsi que le sens véritable de l'existence de l'homme ne reste pas enfermé sur l'horizon humain, mais qu'il s'ouvre sur l'éternité. Chaque Église particulière en Europe a la mission de prendre en compte la soif de vérité de toute personne et le besoin de valeurs authentiques susceptibles d'animer les peuples du continent. Avec une énergie renouvelée, il lui revient de présenter la nouveauté qui la fait vivre. Il s'agit de mettre en ½uvre une action culturelle et missionnaire organique qui, par des activités et des argumentations convaincantes, montre que la nouvelle Europe a besoin de retrouver ses racines profondes. Dans ce contexte, ceux qui s'inspirent des valeurs évangéliques ont une fonction essentielle à exercer, qui fait partie du fondement solide sur lequel doit être édifiée une convivialité plus humaine et plus pacifique, parce qu'elle respecte tous et chacun.
Il est nécessaire que les Églises particulières en Europe sachent redonner à l'espérance sa dimension eschatologique originale.38 La véritable espérance chrétienne est en effet théologale et eschatologique, fondée sur le Ressuscité qui viendra de nouveau comme Rédempteur et Juge, et qui nous appelle à la résurrection et au bonheur éternel.
Jésus Christ vivant dans l'Église
22. En retournant au Christ, les peuples européens pourront retrouver l'espérance qui seule offre une plénitude de sens à la vie. Aujourd'hui encore, ils peuvent le rencontrer car Jésus est présent, il vit et il agit au c½ur de son Église : il est dans l'Église et l'Église est en lui (cf. Jn 15, 1ss ; Ga 3, 28 ; Ep 4, 15-16 ; Ac 9, 5). En elle, par le don de l'Esprit Saint, il poursuit constamment son ½uvre de salut.39
Avec les yeux de la foi, nous devenons capables de voir la présence mystérieuse de Jésus dans les divers signes qu'il nous a laissés. Avant tout, il est présent dans la sainte Écriture, qui, en toutes ses parties, parle de Lui (cf. Lc 24, 27. 44- 47). Cependant, de manière vraiment unique, il est présent sous les espèces eucharistiques. Cette « présence, on la nomme “réelle”, non à titre exclusif, comme si les autres présences n'étaient pas “réelles”, mais par excellence parce qu'elle est substantielle et que par elle le Christ, Homme-Dieu, se rend présent tout entier ».40 En effet, dans l'Eucharistie « sont contenus vraiment, réellement et substantiellement, le Corps et le Sang conjointement avec l'âme et la divinité de notre Seigneur Jésus Christ, et, par conséquent, le Christ tout entier ».41 « L'Eucharistie est vraiment “mysterium fidei”, mystère qui dépasse notre intelligence et qui ne peut être accueilli que dans la foi ».42 Réelle aussi est la présence de Jésus dans les autres actions liturgiques que l'Église célèbre en son nom. Au nombre de celles-ci, il faut compter les sacrements, actions du Christ qu'il accomplit par l'intermédiaire des hommes.43
Jésus est aussi présent dans le monde par d'autres modes tout à fait réels, et spécialement dans ses disciples qui, fidèles au double commandement de la charité, adorent Dieu en esprit et en vérité (cf. Jn 4, 24) et témoignent par leur vie de l'amour fraternel qui les fait reconnaître comme disciples du Seigneur (cf. Mt 25, 31-46 ; Jn 13, 35 ; 15, 1-17).44
CHAPITRE II
L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE
CONFIÉ À L'ÉGLISE
DU NOUVEAU MILLÉNAIRE
« Réveille-toi, ranime ce qui te reste
de vie défaillante ! » (Ap 3, 2)
I. Le Seigneur appelle à la conversion
Jésus s'adresse aujourd'hui à nos Églises
23. « Ainsi parle celui qui tient les sept étoiles en sa droite et qui marche au milieu des sept candélabres d'or [...], le Premier et le Dernier, celui qui fut mort et qui a repris vie [...], le Fils de Dieu » (Ap 2, 1. 8. 18). C'est Jésus lui-même qui parle à son Église. Son message s'adresse à toutes les Églises particulières et concerne leur vie interne, parfois marquée par la présence de conceptions et de mentalités incompatibles avec la tradition évangélique, souvent en butte à diverses formes de persécutions et, de façon plus périlleuse encore, menacée par des symptômes préoccupants de sécularisation, de perte de la foi des origines, de compromis avec la logique du monde. Il est fréquent que les communautés aient perdu l'amour d'antan (cf. Ap 2, 4).
On constate que nos communautés ecclésiales sont affrontées à des faiblesses, à des lassitudes et à des contradictions. Elles ont besoin, elles aussi, d'écouter à nouveau la voix de l'Époux qui les invite à la conversion, qui les pousse à se lancer avec audace sur des chemins nouveaux et qui les appelle à s'engager dans la grande ½uvre de la « nouvelle évangélisation ». L'Église doit constamment se soumettre au jugement de la parole du Christ et vivre son existence humaine dans un état de purification pour être toujours plus et toujours mieux l'Épouse sans tache ni ride, revêtue de lin d'une blancheur éclatante (cf. Ep 5, 27 ; Ap 19, 7-8).
C'est ainsi que Jésus Christ appelle nos Églises en Europe à la conversion et elles deviennent alors, avec leur Seigneur et par la force de sa présence, porteuses d'espérance pour l'humanité.
L'action de l'Évangile tout au long de l'histoire
24. L'Europe a été largement et profondément pénétrée par le christianisme. « Il n'y a pas de doute que, dans l'histoire complexe de l'Europe, le christianisme représente un élément central et caractéristique, renforcé par le solide fondement de l'héritage classique et des contributions multiples apportées par divers mouvements ethniques et culturels qui se sont succédée au cours des siècles. La foi chrétienne a façonné la culture du continent et a été mêlée de façon inextricable à son histoire, au point que celle-ci serait incompréhensible sans référence aux événements qui ont caractérisé d'abord la grande période de l'évangélisation, puis les longs siècles au cours desquels le christianisme, malgré la douloureuse division entre l'Orient et l'Occident, s'est affirmé comme la religion des Européens eux-mêmes. Dans la période moderne et contemporaine aussi, lorsque l'unité religieuse s'est progressivement fractionnée tant à cause de nouvelles divisions intervenues entre les chrétiens qu'en raison des processus qui ont amené la culture à se détacher des perspectives de la foi, le rôle de cette dernière a gardé un relief non négligeable ».45
25. L'intérêt que l'Église porte à l'Europe provient de sa nature même et de sa mission. Tout au long des siècles en effet, l'Église a eu des liens très étroits avec notre continent, si bien que le visage spirituel de l'Europe s'est trouvé modelé par les efforts de grands missionnaires, par le témoignage de saints et de martyrs, et par l'action assidue de moines, de religieux et de pasteurs. À partir de la conception biblique de l'homme, l'Europe a forgé sa culture humaniste dans ce qu'elle a de meilleur; elle y a puisé son inspiration pour ses créations intellectuelles et artistiques; elle a élaboré des normes de droit et, par-dessus tout, elle a promu la dignité de la personne, source de droits inaliénables.46 Ainsi l'Église, dépositaire de l'Évangile, a contribué à répandre et à affermir les valeurs qui ont donné un caractère universel à la culture européenne.
Se souvenant de tout cela, l'Église d'aujourd'hui se rend compte, avec une responsabilité renouvelée, qu'il est urgent de ne pas perdre ce précieux patrimoine et d'aider l'Europe à se construire elle-même en redonnant vie aux racines chrétiennes de ses origines.47
Pour façonner un véritable visage d'Église
26. Que l'ensemble de l'Église en Europe entende comme lui étant adressés le commandement et l'invitation du Seigneur : reviens à moi, convertis-toi, « Réveille-toi, ranime ce qui te reste de vie défaillante ! » (Ap 3, 2). C'est une exigence qui se fait jour aussi lorsqu'on observe notre temps : « La grave situation d'indifférence religieuse de tant d'Européens, le grand nombre de ceux qui, sur notre continent aussi, ne connaissent pas encore Jésus Christ et son Église, et qui ne sont pas encore baptisés, le sécularisme qui gagne une large frange de chrétiens qui pensent, décident et vivent de manière habituelle comme si “le Christ n'existait pas”, tout cela, loin d'éteindre notre espérance, la rend plus humble et plus capable de se fier à Dieu seul. De sa miséricorde, nous recevons la grâce et l'engagement de la conversion ».48
27. Même si parfois, comme dans l'épisode évangélique de la tempête apaisée (cf. Mc 4, 35-41 ; Lc 8, 22-25), on a l'impression que le Christ dort et abandonne sa barque à la fureur des vagues, il est demandé à l'Église en Europe de cultiver la certitude que le Seigneur, par le don de son Esprit, est toujours présent et agit toujours en elle et dans l'histoire de l'humanité. Il prolonge sa mission dans le temps, faisant de l'Église un fleuve de vie nouvelle qui se répand dans la vie de l'humanité comme un signe d'espérance pour tous.
Dans un contexte où l'on est facilement tenté par l'activisme, même sur le plan pastoral, il est demandé aux chrétiens en Europe de continuer à être un vrai reflet du Ressuscité, en vivant dans une communion intime avec lui. On a besoin de communautés qui, contemplant et imitant la Vierge Marie, figure et modèle de l'Église par sa foi et sa sainteté,49 gardent le sens de la vie liturgique et de la vie intérieure. Avant tout et surtout, elles devront louer le Seigneur, le prier, l'adorer et écouter sa Parole. Ce n'est qu'ainsi qu'elles pourront assimiler son mystère, vivant totalement pour Lui, comme membres de son Épouse fidèle.
28. Face aux influences permanentes qui poussent à la division et à l'opposition, les diverses Églises particulières en Europe, fortes de leur lien avec le Successeur de Pierre, doivent s'engager à être véritablement lieu et instrument de communion pour tout le peuple de Dieu, dans la foi et dans l'amour.50 C'est pourquoi elles cultiveront un climat de charité fraternelle, vécue avec une radicalité évangélique, au nom de Jésus et de son amour; elles développeront une ambiance de rapports amicaux, de communication, de coresponsabilité, de participation, de conscience missionnaire, d'attention et de service; elles seront animées par des attitudes d'estime, d'accueil et de correction mutuelle (cf. Rm 12, 10 ; 15, 7-14), ainsi que de service et de soutien réciproque (cf. Ga 5, 13 ; 6, 2), de pardon mutuel (cf. Col 3, 13) et d'édification les uns des autres (1 Th 5, 11) ; elles s'emploieront à poursuivre une pastorale qui, mettant en valeur toutes les légitimes diversités, favorise en même temps une collaboration cordiale entre tous les fidèles et leurs différentes associations; elles relanceront pour cela les organismes de participation, qui sont de précieux instruments de communion en vue d'une action missionnaire concertée, suscitant la présence d'agents pastoraux préparés de manière appropriée et dûment qualifiés. Ainsi, ces Églises, animées par la communion qui est manifestation de l'amour de Dieu, fondement et raison de l'espérance qui ne déçoit pas (cf. Rm 5, 5), seront à la fois un reflet plus resplendissant de la Trinité et un signe qui interpelle et invite à croire (cf. Jn 17, 21).
29. Pour que la communion dans l'Église puisse être vécue plus pleinement, il convient de mettre en valeur la variété des charismes et des vocations, qui convergent toujours plus vers l'unité et qui peuvent l'enrichir (cf. 1 Co 12). Dans cette perspective, il est également nécessaire, d'une part, que les nouveaux mouvements et les nouvelles communautés d'Église, « renonçant à toute tentation de revendiquer des droits d'aînesse et à toute incompréhension des uns à l'égard des autres », progressent sur le chemin d'une plus authentique communion entre eux et avec toutes les autres réalités ecclésiales, et qu'ils « vivent avec amour dans la pleine obéissance aux Évêques » ; d'autre part, il est nécessaire aussi que les Évêques, « en leur manifestant l'amour paternel qui est le propre des pasteurs »,51 sachent reconnaître, mettre en valeur et coordonner leurs charismes et leur présence, pour l'édification de l'unique Église.
En effet, par une collaboration croissante entre les différentes réalités ecclésiales sous la conduite aimante des pasteurs, l'Église entière pourra présenter à tous un visage plus beau et plus crédible, reflet plus limpide de celui du Seigneur, et elle pourra ainsi contribuer à redonner espérance et consolation à ceux qui la cherchent comme à ceux qui, bien qu'ils ne la cherchent pas, en ont besoin.
Afin de pouvoir répondre à l'appel de l'Évangile à la conversion, « il nous faut faire tous ensemble un humble et courageux examen de conscience pour reconnaître nos peurs et nos erreurs, pour confesser avec sincérité nos lenteurs, nos omissions, nos infidélités et nos fautes ».52 Loin de favoriser des attitudes défaitistes de découragement, la reconnaissance évangélique de ses propres fautes ne pourra que susciter dans la communauté l'expérience que vit le baptisé: la joie d'une profonde libération et la grâce d'un nouveau départ, ce qui permet de poursuivre avec une vigueur renouvelée le chemin de l'évangélisation.
Pour progresser vers l'unité des chrétiens
30. Enfin, c'est aussi dans le domaine ½cuménique que l'Évangile de l'espérance est une force et un appel à la conversion. Dans la certitude que l'unité des chrétiens répond à la volonté du Seigneur « pour qu'ils soient un » (cf. Jn 17, 11) et qu'elle se présente aujourd'hui comme une nécessité pour une plus grande crédibilité de l'évangélisation et comme une contribution à l'unité de l'Europe, il faut que toutes les Églises et Communautés ecclésiales « soient aidées et encouragées à interpréter le cheminement ½cuménique comme un mouvement où l'on “va ensemble” vers le Christ » 53 et vers l'unité visible voulue par lui, de telle sorte que l'unité dans la diversité resplendisse dans l'Église comme don de l'Esprit Saint, artisan de communion.
Pour que cela se réalise, il convient que tous fournissent un effort patient et constant, animé d'une authentique espérance et en même temps d'un sobre réalisme, et visant à « la mise en valeur de ce qui déjà nous unit, à l'estime sincère et réciproque, à l'élimination des préjugés, à la connaissance et à l'amour mutuels ».54 Dans ce sens, le fait de s'engager pour l'unité, si l'on veut que cet engagement repose sur des bases solides, ne peut pas ne pas comporter la recherche passionnée de la vérité, par un dialogue et une confrontation qui, tout en reconnaissant les résultats déjà obtenus, sachent les utiliser comme une incitation à aller de l'avant pour surmonter les divergences qui divisent encore les chrétiens.
31. Il est indispensable de poursuivre le dialogue avec détermination, sans capituler devant les difficultés et les épreuves. Ce dialogue doit être mené « sous divers aspects (doctrinal, spirituel et pratique), en suivant la logique de l'échange des dons, que l'Esprit suscite dans chaque Église, et en éduquant les communautés et les fidèles, surtout les jeunes, à vivre des moments de rencontres et à faire de l'½cuménisme bien compris une dimension ordinaire de la vie et de l'action ecclésiales ».55
Ce dialogue est une des préoccupations majeures de l'Église, surtout en Europe, elle qui, au cours du précédent millénaire, a vu naître trop de divisions entre les chrétiens et qui progresse aujourd'hui vers une plus grande unité. Nous ne pouvons pas nous arrêter en chemin ni retourner en arrière ! Nous devons poursuivre notre marche et vivre dans la confiance, car, avec la grâce de Dieu, l'estime réciproque, la recherche de la vérité, la collaboration dans la charité et surtout l'½cuménisme de la sainteté ne pourront pas ne pas porter leurs fruits.
32. Malgré les inévitables difficultés, j'invite tout le monde à reconnaître et à apprécier, avec amour et dans un esprit fraternel, la contribution que les Églises catholiques orientales, par leur présence même, par la richesse de leur tradition, par le témoignage de leur « unité dans la diversité », par l'inculturation qu'elles ont réalisée dans l'annonce de l'Évangile et par la diversité de leurs rites, peuvent apporter à une édification plus réelle de l'unité.56 En même temps, je veux une fois encore assurer les pasteurs, ainsi que nos frères et s½urs des Églises orthodoxes, que la nouvelle évangélisation ne peut en aucune manière être confondue avec le prosélytisme, restant sauf le devoir de respecter la vérité, la liberté et la dignité de toute personne.
II. L'Église entière envoyée en mission
33. Servir l'Évangile de l'espérance par une charité qui évangélise est un devoir et une responsabilité pour tous. Quel que soit en effet le charisme ou le ministère de chacun, la charité est la voie royale indiquée à tous et que tous peuvent parcourir : c'est la voie que la communauté ecclésiale tout entière est appelée à suivre sur les pas de son Maître.
L'engagement des ministres ordonnés
34. Les prêtres, en vertu de leur ministère, sont appelés de manière spéciale à célébrer, à enseigner et à servir l'Évangile de l'espérance. En raison du sacrement de l'Ordre qui les configure au Christ, Chef et Pasteur, les évêques et les prêtres doivent conformer toute leur vie et toute leur action à Jésus; par la prédication de la Parole, par la célébration des sacrements et en guidant la marche de la communauté chrétienne, ils rendent présent le mystère du Christ et, à travers l'exercice même de leur ministère, ils « sont appelés à prolonger la présence du Christ, unique et souverain Pasteur, en retrouvant son style de vie et en se rendant en quelque sorte transparents à lui au milieu du troupeau qui leur est confié ».57
Insérés dans le monde sans être du monde (cf. Jn 17, 15-16), ils sont appelés, dans la situa- tion culturelle et spirituelle présente du continent européen, à être signes de contradiction et d'espérance pour une société qui est malade de vivre à un niveau horizontal et qui a besoin de s'ouvrir au Transcendant.
35. De ce point de vue, le célibat sacerdotal prend un relief particulier comme signe d'une espérance fondée totalement sur le Seigneur. Le célibat n'est pas une simple discipline ecclésiastique imposée par l'autorité; au contraire, il est avant tout une grâce, un don inestimable de Dieu pour l'Église, valeur prophétique pour le monde actuel, don de soi dans le Christ pour son Église, source de vie spirituelle intense et de fécondité pastorale, témoignage du Royaume eschatologique, signe de l'amour de Dieu envers ce monde en même temps que signe de l'amour sans partage du prêtre envers Dieu et envers son peuple.58 Vécu comme réponse au don de Dieu et dépassement des tentations d'une société hédoniste, non seulement le célibat favorise l'épanouissement humain de celui qui y est appelé, mais il se révèle un facteur de croissance pour les autres aussi.
Estimé dans toute l'Église comme un bien pour le sacerdoce,59 exigé comme une obligation par l'Église latine,60 tenu en grand respect par les Églises orientales,61 le célibat, dans le contexte de la culture actuelle, apparaît comme un signe éloquent qui doit être conservé comme un bien précieux pour l'Église. Une révision de la discipline actuelle en ce domaine ne permettrait pas de résoudre la crise des vocations au presbytérat à laquelle on assiste en de nombreuses régions d'Europe.62 Le service de l'Évangile de l'espérance requiert aussi que, dans l'Église, on s'efforce de présenter le célibat dans toute sa richesse biblique, théologique et spirituelle.
36. Nous ne pouvons ignorer que l'exercice du ministère sacré est confronté de nos jours à bien des difficultés liées tant à l'ambiance culturelle qu'à la diminution du nombre de prêtres, avec l'accroissement des charges pastorales et la fatigue qui en découlent. En conséquence, les prêtres qui se consacrent avec un dévouement et une fidélité admirables au ministère qui leur est confié sont encore plus dignes d'estime, de gratitude et d'affection.63
Avec confiance et gratitude, je veux moi aussi leur exprimer mes encouragements, en reprenant les propos des Pères du Synode : « Ne perdez pas c½ur et ne vous laissez pas accabler par la fatigue ; en pleine communion avec nous, évêques, en fraternité joyeuse avec les autres prêtres, en cordiale responsabilité avec les consacrés et tous les fidèles laïcs, continuez votre ½uvre précieuse et irremplaçable »64 !
Outre les prêtres, je désire évoquer aussi les diacres, qui participent au sacrement de l'Ordre, bien qu'à un degré différent. Envoyés pour servir la communion ecclésiale, ils exercent, sous la direction de l'Évêque et avec son presbyterium, la « diaconie » de la liturgie, de la parole et de la charité.65 De cette manière qui leur est propre, ils sont au service de l'Évangile de l'espérance.
Le témoignage des personnes consacrées
37. Le témoignage des personnes consacrées est particulièrement éloquent. À ce propos, il faut avant tout reconnaître le rôle fondamental qu'ont eu le monachisme et la vie consacrée dans l'évangélisation de l'Europe et dans l'édification de son identité chrétienne.66 Un tel rôle ne doit pas disparaître de nos jours, au moment où une « nouvelle évangélisation » du continent se fait urgente et où l'établissement de structures et de liens plus complexes le met en face d'un tournant délicat. L'Europe a toujours besoin de la sainteté, de l'esprit prophétique, de l'activité d'évangélisation et de service des personnes consacrées. Il convient aussi de souligner la contribution spécifique que les Instituts séculiers et les Sociétés de Vie apostolique peuvent apporter grâce à leur aspiration à transformer le monde, de l'intérieur, par la puissance des béatitudes.
38. L'apport spécifique que les personnes con- sacrées peuvent fournir à l'Évangile de l'espérance trouve son point de départ dans quelques aspects qui caractérisent de nos jours le visage culturel et social de l'Europe.67 Ainsi, la demande de nouvelles formes de spiritualité, qui se fait sentir aujourd'hui dans la société, doit trouver une réponse dans la reconnaissance du primat absolu de Dieu, vécu par les personnes consacrées dans le don total d'elles-mêmes, dans la conversion permanente d'une existence offerte comme un vrai culte spirituel. Dans un monde marqué par le laïcisme et soumis au vertige de la consommation, la vie consacrée, don de l'Esprit à l'Église et pour l'Église, devient toujours plus signe d'espérance dans la mesure où elle témoigne de la dimension transcendante de l'existence. D'autre part, dans la situation pluriculturelle et multireligieuse actuelle, le témoignage de fraternité évangélique qui caractérise la vie consacrée est exigé, faisant de cette dernière une incitation à la purification et à l'intégration de valeurs différentes grâce au dépassement des antagonismes. La présence de nouvelles formes de pauvreté et de marginalisation doit susciter la créativité qui fut celle de tant de fondateurs d'Instituts religieux pour venir en aide à ceux qui sont dans le besoin. Enfin, la tendance à un certain repliement sur soi demande que l'on trouve un antidote dans la disponibilité des personnes consacrées, afin que soit poursuivie l'½uvre de l'évangélisation sur d'autres continents, malgré la diminution du nombre de membres que l'on constate dans certains Instituts.
Le souci des vocations
39. L'engagement des ministres ordonnés et des personnes consacrées étant déterminant, on ne peut passer sous silence le manque inquiétant de séminaristes et de candidats à la vie religieuse, surtout en Europe occidentale. Une telle situation exige l'engagement de tous en faveur d'une pastorale appropriée des vocations. C'est seulement « quand on présente aux jeunes la personne du Christ dans toute sa plénitude que naît en eux une espérance qui les pousse à tout laisser pour le suivre, en réponse à son appel, et pour être ses témoins auprès de leurs contemporains ».68 Le souci des vocations est donc une question vitale pour l'avenir de la foi chrétienne en Europe et, par suite, pour le progrès spirituel des peuples qui y vivent ; c'est un passage obligé pour l'Église, si elle veut annoncer, célébrer et servir l'Évangile de l'espérance.69
40. Pour mettre en ½uvre l'indispensable pastorale des vocations, il convient de présenter aux fidèles la foi de l'Église concernant la nature et la dignité du sacerdoce ministériel; d'encourager les familles à vivre comme de véritables « Églises domestiques », afin que les diverses vocations puissent y être discernées, accueillies et accompagnées ; de réaliser une action pastorale qui aide les fidèles, surtout les jeunes, à faire le choix d'une vie fondée sur le Christ et totalement consacrée à l'Église.70
Sachant que l'Esprit Saint est à l'½uvre aujourd'hui encore et que les signes de sa présence ne manquent pas, il s'agit avant tout d'insérer la pastorale des vocations dans tous les secteurs de la pastorale ordinaire. Pour ce faire, il est nécessaire de « raviver, surtout chez les jeunes, une profonde nostalgie de Dieu, créant ainsi le contexte capable de faire surgir de généreuses réponses de vocations » ; « il est urgent qu'un grand mouvement de prière traverse les communautés ecclésiales du continent européen », car « le changement des conditions historiques et culturelles exige que la pastorale des vocations soit perçue comme un des objectifs premiers de toute la communauté chrétienne ».71 Il est indispensable aussi que les prêtres eux-mêmes vivent et agissent en parfaite harmonie avec leur identité sacramentelle véritable. En effet, si l'image qu'ils donnent d'eux-mêmes est opaque ou terne, comment pourraient-ils pousser les jeunes à les imiter ?
La mission des laïcs
41. La participation des fidèles laïcs à la vie de l'Église est unique: le rôle qui leur revient dans l'annonce et le service de l'Évangile de l'espérance est en effet irremplaçable, car, « par eux, l'Église du Christ est présente dans les secteurs les plus variés du monde, comme signe et source d'espérance et d'amour ».72 Participant pleinement à la mission de l'Église dans le monde, ils sont appelés à montrer que la foi chrétienne est la seule réponse exhaustive aux interrogations que la vie pose à tout homme et à toute société, et ils peuvent implanter dans le monde les valeurs du Royaume de Dieu, promesse et gage d'une espérance qui ne déçoit pas.
L'Europe d'hier et d'aujourd'hui connaît une présence significative et l'exemple lumineux de telles figures de laïcs. Comme l'ont souligné les Pères du Synode, il faut évoquer entre autres, avec gratitude, le souvenir d'hommes et de femmes qui ont témoigné et qui témoignent du Christ et de son Évangile, par leur service de la vie publique et les responsabilités que celle-ci comporte. Il est d'une importance capitale « de susciter et de soutenir des vocations spécifiques au service du bien commun: des personnes qui, à l'exemple et avec le style de ceux qui ont été appelés “les pères de l'Europe”, sachent être les artisans de la société européenne de l'avenir, en l'asseyant sur les bases solides de l'esprit ».73
Il faut apprécier tout autant l'½uvre accomplie par des laïcs chrétiens, hommes et femmes, souvent dans une vie ordinaire et cachée, à travers d'humbles services qui leur permettent d'annoncer la miséricorde de Dieu à ceux qui sont plongés dans la pauvreté ; nous devons leur être reconnaissants pour l'audacieux témoignage de charité et de pardon qu'ils donnent, évangélisant par ces valeurs les vastes horizons de la politique, de la vie sociale, de l'économie, de la culture, de l'écologie, de la vie internationale, de la famille, de l'éducation, de la vie professionnelle, du travail et de la souffrance.74 À cette fin, il est utile d'avoir des itinéraires pédagogiques qui rendent les fidèles laïcs capables d'un engagement de foi au sein des réalités temporelles. De tels parcours, fondés sur un sérieux apprentissage de la vie ecclésiale, en particulier sur l'étude de la doctrine sociale, doivent être en mesure de leur apporter non seulement la doctrine et le dynamisme, mais aussi les éléments spirituels adaptés qui soutiennent leur engagement vécu comme un authentique chemin de sainteté.
Le rôle de la femme
42. L'Église est bien consciente de l'apport spécifique de la femme dans le service de l'Évangile de l'espérance. L'histoire de la communauté chrétienne montre que les femmes ont toujours eu une place importante dans le témoignage évangélique. Il faut se souvenir de tout ce qu'elles ont fait, souvent dans le silence et de manière cachée, dans l'accueil et la transmission du don de Dieu, aussi bien par la maternité physique ou spirituelle, les activités éducatives, la catéchèse, l'accomplissement de grandes ½uvres de charité, que par la vie de prière et de contemplation, les expériences mystiques et la rédaction d'écrits remplis de sagesse évangélique.75
À la lumière des très riches témoignages du passé, l'Église manifeste sa confiance dans ce que les femmes peuvent faire aujourd'hui pour la croissance de l'espérance à tous les niveaux. Il y a des aspects de la société européenne contemporaine qui constituent un défi pour la capacité qu'ont les femmes d'accueillir, de partager et d'engendrer dans l'amour, avec ténacité et générosité. Que l'on pense, par exemple, à la mentalité scientifique et technique largement répandue, qui relègue dans l'ombre la dimension affective et le rôle des sentiments, à l'absence du sens de la gratuité, à la crainte diffuse de donner la vie à des êtres nouveaux, à la difficulté de se placer dans une relation de réciprocité avec l'autre et d'accueillir celui qui est différent de soi. C'est dans ce contexte que l'Église attend des femmes l'apport vivifiant d'une nouvelle vague d'espérance.
43. Mais pour que cela puisse se vérifier, il est nécessaire que, avant tout dans l'Église, soit promue la dignité de la femme, car l'homme et la femme ont la même dignité, ayant été créés tous deux à l'image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 27), et comblés chacun de dons propres et particuliers.
Comme cela a été souligné durant le Synode, il est souhaitable que, pour favoriser la pleine participation des femmes à la vie et à la mission de l'Église, leurs talents soient davantage mis en valeur, y compris par l'attribution de fonctions ecclésiales qui reviennent de droit aux laïcs. Il faut aussi mettre convenablement en valeur la mission de la femme comme épouse et mère, et son dévouement dans la vie familiale.76
L'Église ne manque pas d'élever la voix pour dénoncer les injustices et les violences perpétrées contre les femmes, en quelque lieu ou circonstance qu'elles se produisent. Elle demande que soient véritablement appliquées les lois qui protègent les femmes et que soient prises des mesures efficaces contre l'usage humiliant d'images féminines dans la publicité commerciale et contre le fléau de la prostitution; elle souhaite que le service rendu par les mères dans le cadre de la vie familiale, au même titre que le service rendu par les pères, soit considéré comme une contribution au bien commun, y compris à travers des formes de reconnaissance économique.
CHAPITRE III
ANNONCER
L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE
« Va prendre le petit livre ouvert [...] et mange-le »
(Ap 10, 8. 9)
I. Proclamer le mystère du Christ
La révélation donne un sens à l'histoire
44. La vision de l'Apocalypse nous parle d'« un Livre en forme de rouleau, écrit à l'intérieur et à l'extérieur, scellé de sept sceaux », tenu « dans la main droite de Celui qui siège sur le Trône céleste » (Ap 5, 1). Ce texte contient le plan créateur et sauveur de Dieu, son projet détaillé sur toute la réalité, sur les personnes, sur les choses, sur les événements. Aucun être créé, terrestre ou céleste, n'est en mesure d'« ouvrir le livre et d'en regarder le texte » (Ap 5, 3), ni d'en comprendre le contenu. Dans la confusion de l'histoire humaine, nul ne sait indiquer la direction et le sens ultime des choses.
Seul Jésus Christ entre en possession du Livre scellé (cf. Ap 5, 6-7) ; Lui seul est « digne de recevoir le Livre scellé et de l'ouvrir » (Ap 5, 9). En effet, seul Jésus est en mesure de révéler et de réaliser le projet de Dieu qu'il contient. Laissé à lui-même, l'homme n'est pas en mesure de donner, par ses propres efforts, un sens à l'histoire et aux événements: la vie demeure sans espérance. Seul le Fils de Dieu est en mesure de dissiper les ténèbres et de montrer la route.
Le Livre ouvert est remis à Jean et, à travers lui, à l'Église entière. Jean est invité à prendre le livre et à le manger : « Va prendre le petit livre ouvert dans la main de l'ange qui se tient debout sur la mer et sur la terre [...]. Prends et mange-le » (Ap 10, 8-9). Ce n'est qu'après l'avoir assimilé en profondeur, qu'il pourra le communiquer comme il convient aux autres, à qui il est envoyé avec l'ordre de « parler sur un grand nombre de peuples, de nations, de langues et de rois » (Ap 10, 11).
Nécessité et urgence de l'annonce
45. L'Évangile de l'espérance, remis à l'Église et assimilé par elle, demande que, chaque jour, on l'annonce et on en témoigne. Telle est la vocation propre de l'Église en tout temps et en tout lieu. Telle est aussi la mission de l'Église aujourd'hui en Europe. « Évangéliser est, en effet, la grâce et la vocation propre de l'Église, son identité la plus profonde. Elle existe pour évangéliser, c'est-à-dire pour prêcher et enseigner, être le canal du don de la grâce, réconcilier les pécheurs avec Dieu, perpétuer le sacrifice du Christ dans la sainte messe, qui est le mémorial de sa mort et de sa résurrection glorieuse ».77
Église en Europe, la « nouvelle évangélisation » est le devoir qui t'attend! Sache retrouver l'enthousiasme de l'annonce. Entends la prière qui t'est adressée aujourd'hui, en ce début du troisième millénaire, et qui avait déjà résonné à l'aube du premier millénaire, alors qu'apparaissait à Paul la vision d'un Macédonien qui le suppliait : « Traverse la mer pour venir en Macédoine à notre secours ! » (Ac 16, 9). Que la prière soit inexprimée ou même refoulée, c'est l'appel le plus profond et le plus vrai qui jaillit du c½ur des Européens d'aujourd'hui, assoiffés d'une espérance qui ne déçoit pas. Cette espérance t'a été donnée en partage pour que tu la redonnes toi-même avec joie à toute époque et sous toutes les latitudes. Que l'annonce de Jésus, qui est l'Évangile de l'espérance, soit donc ta fierté et ta raison d'être ! Avance avec une ardeur renouvelée, gardant le même esprit missionnaire qui, tout au long de ces vingt siècles, en commençant par la prédication des Apôtres Pierre et Paul, a animé tant de saints et de saintes, authentiques évangélisateurs du continent européen.
Première annonce et annonce renouvelée
46. Dans différentes parties de l'Europe, une première annonce de l'Évangile est nécessaire: le nombre des personnes non baptisées grandit, soit en raison de la présence notable de personnes immigrées appartenant à d'autres religions, soit encore parce que les enfants de familles de tradition chrétienne n'ont pas reçu le Baptême ou à cause de la domination communiste ou d'une indifférence religieuse diffuse.78 En réalité, l'Europe se situe désormais parmi les lieux traditionnellement chrétiens dans lesquels, hormis une nouvelle évangélisation, s'impose dans certains cas une première évangélisation.
L'Église ne peut se soustraire au devoir d'un diagnostic courageux qui ouvre la voie à des thérapies appropriées. Même dans le « vieux » continent, il y a des aires sociales et culturelles étendues où est rendue nécessaire une véritable mission ad gentes.79
47. Partout se fait sentir le besoin d'une annonce renouvelée, même pour ceux qui sont déjà baptisés. Beaucoup d'Européens d'aujourd'hui pensent savoir ce qu'est le christianisme mais ils ne le connaissent pas réellement. Souvent même, les notions et les éléments les plus fondamentaux de la foi ne sont plus connus. De nombreux baptisés vivent comme si le Christ n'existait pas: on répète les gestes et les signes de la foi, spécialement à travers les pratiques du culte, mais, à ces signes, ne correspondent ni un véritable accueil du contenu de la foi, ni une adhésion à la personne de Jésus. Aux grandes certitudes de la foi s'est substitué chez beaucoup un sentiment religieux vague et qui n'engage guère ; des formes variées d'agnosticisme et d'athéisme pratique se diffusent, contribuant à aggraver l'écart entre la foi et la vie ; certains se sont laissés influencer par un esprit d'humanisme immanentiste qui a affaibli leur foi, les poussant souvent, malheureusement, jusqu'à l'abandonner complètement; on assiste à une sorte d'interprétation sécularisante de la foi chrétienne qui la ronge et à laquelle s'ajoute une profonde crise de la conscience et de la pratique morale chrétienne.80 Les grandes valeurs qui ont amplement inspiré la culture européenne ont été séparées de l'Évangile, perdant ainsi leur âme la plus profonde et laissant le champ libre à de nombreuses déviations.
« Le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » (Lc 18, 8). La trouvera-t-il sur cette terre de notre Europe de vieille tradition chrétienne ? C'est une question ouverte qui indique avec lucidité la profondeur et le caractère dramatique de l'un des défis les plus graves que nos Églises sont appelées à affronter. On peut dire – comme le Synode l'a souligné – qu'un tel défi consiste souvent non pas tant à baptiser les nouveaux convertis qu'à conduire les baptisés à se convertir au Christ et à son Évangile : 81 dans nos communautés, il faut se préoccuper sérieusement d'apporter l'Évangile de l'espérance à ceux qui sont loin de la foi ou qui se sont éloignés de la pratique chrétienne.
Fidélité à l'unique message
48. Pour pouvoir annoncer l'Évangile de l'espérance, une solide fidélité à l'Évangile lui-même est nécessaire. La prédication de l'Église doit donc, sous toutes ses formes, être toujours plus centrée sur la personne de Jésus et elle doit toujours plus orienter vers lui. Il faut veiller à ce qu'Il soit présenté dans son intégralité : non seulement comme modèle éthique, mais avant tout comme le Fils de Dieu, l'unique et nécessaire Sauveur de tous, qui vit et qui agit dans son Église. Pour que l'espérance soit vraie et indestructible, « la prédication intègre, claire et renouvelée de Jésus Christ ressuscité, de la Résurrection et de la Vie éternelle » 82 devra constituer une priorité dans l'action pastorale des prochaines années.
Si l'Évangile à annoncer est le même en tout temps, les manières de réaliser cette annonce sont diverses. Chacun est donc invité à « proclamer » Jésus et la foi en lui en toute circonstance ; à « attirer » les autres à la foi, en adoptant des modes de vie personnelle, familiale, professionnelle et communautaire qui reflètent l'Évangile ; à « rayonner » autour de soi la joie, l'amour et l'espérance, en sorte que beaucoup voient nos bonnes ½uvres et en glorifient le Père qui est aux cieux (cf. Mt 5, 16), jusqu'à en être « imprégnés » et conquis ; à devenir le « levain » qui transforme et qui anime de l'intérieur toute expression culturelle.83
Par le témoignage de la vie
49. L'Europe réclame des évangélisateurs crédibles, dans la vie desquels resplendisse la beauté de l'Évangile,84 en communion avec la croix et la résurrection du Christ. Ces évangélisateurs seront formés comme il convient.85 Aujourd'hui, il est plus que jamais nécessaire que tout chrétien ait une conscience missionnaire, à commencer par les évêques, les prêtres, les diacres, les consacrés, les catéchistes et les professeurs de religion : « Tout baptisé, en tant que témoin du Christ, doit acquérir une formation appropriée à sa situation, non seulement pour éviter que sa foi ne s'épuise par manque de vigilance dans un milieu hostile comme l'est le milieu sécularisé, mais aussi pour soutenir son témoignage évangélisateur et lui donner un nouvel élan ».86
« L'homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres ou, s'il écoute les maîtres, c'est parce qu'ils sont des témoins ».87 La présence et les signes de la sainteté sont donc décisifs : la sainteté est un présupposé essentiel à une authentique évangélisation, capable de redonner l'espérance. Il faut des témoignages forts de vie nouvelle dans le Christ, sur le plan personnel et communautaire. Il ne suffit pas en effet que la vérité et la grâce soient offertes à travers la proclamation de la Parole et la célébration des Sacrements ; il faut qu'elles soient accueillies et vécues en toute circonstance concrète, dans la façon d'être des chrétiens et des communautés ecclésiales. C'est là un des défis les plus importants qui attendent l'Église en Europe au début du nouveau millénaire.
Former à une foi adulte
50. « L'actuelle situation culturelle et religieuse de l'Europe exige la présence de catholiques adultes dans la foi et de communautés chrétiennes missionnaires qui témoignent de la charité de Dieu devant tous les hommes ».88 L'annonce de l'Évangile de l'espérance implique donc d'avoir à promouvoir le passage d'une foi qui s'appuie sur des habitudes sociales, pourtant appréciables, à une foi plus personnelle et adulte, éclairée et convaincue.
Les chrétiens sont donc appelés à avoir une foi qui leur permette de se confronter de manière critique à la culture actuelle, résistant à ses séductions; d'influer avec efficacité sur les milieux culturels, économiques, sociaux et politiques ; de manifester que la communion entre les membres de l'Église catholique et avec les autres chrétiens est plus forte que tout lien ethnique ; de transmettre avec joie la foi aux nouvelles générations ; d'édifier une culture chrétienne capable d'évangéliser la culture toujours plus vaste dans laquelle nous vivons.89
51. En plus de veiller à ce que le ministère de la Parole, la célébration de la liturgie et l'exercice de la charité soient orientés vers l'édification et le soutien d'une foi mûre et personnelle, il faut que les communautés chrétiennes s'activent pour proposer une catéchèse adaptée aux différents itinéraires spirituels des fidèles, selon la diversité de leur âge et de leurs conditions de vie, prévoyant également des formes appropriées d'accompagnement spirituel et de redécouverte de leur Baptême.90 Dans ce programme, la référence fondamentale sera évidemment le Catéchisme de l'Église catholique.
En particulier, reconnaissant qu'il s'agit là d'une indiscutable priorité dans l'action pastorale, il faut cultiver et, si nécessaire, relancer le ministère de la catéchèse en tant qu'éducation et croissance de la foi chez toute personne, de sorte que la semence, déposée par l'Esprit Saint et transmise par le Baptême, pousse et parvienne à maturité. En référence constante à la Parole de Dieu, conservée dans la Sainte Écriture, proclamée dans la liturgie et interprétée par la Tradition de l'Église, une catéchèse organique et systématique constitue, sans nul doute, un instrument essentiel et primordial pour former une foi adulte chez les chrétiens.91
52. Dans la même ligne, il faut également souligner le rôle important de la théologie. Il existe en effet un lien intrinsèque et inséparable entre l'évangélisation et la réflexion théologique, car cette dernière, en tant que science ayant un statut et une méthodologie propres, vit de la foi de l'Église et est au service de sa mission.92 Elle naît de la foi et elle est appelée à l'interpréter, en gardant son lien imprescriptible avec la communauté chrétienne dans toutes ses composantes ; au service de la croissance spirituelle de tous les fidèles,93 elle introduit ces derniers à la compréhension approfondie du message du Christ.
En exerçant sa mission d'annoncer l'Évangile de l'espérance, l'Église qui est en Europe apprécie avec gratitude la vocation des théologiens, elle reconnaît la valeur de leur travail et elle en assure la promotion.94 Avec estime et affection, je les invite à persévérer dans le service qu'ils accomplissent, en unissant toujours recherche scientifique et prière, en entretenant un dialogue attentif avec la culture contemporaine, en adhérant fidèlement au Magistère et en collaborant avec lui en esprit de communion, dans la vérité et dans la charité, en s'imprégnant du sensus fidei du peuple de Dieu et en contribuant à le nourrir.
II. Témoigner dans l'unité
et dans le dialogue
La communion entre les Églises particulières
53. L'annonce de l'Évangile de l'espérance aura une force d'autant plus efficace qu'elle sera liée au témoignage d'une unité et d'une communion profondes au sein de l'Église. Les Églises particulières ne peuvent pas affronter seules le défi qui les attend. Il faut une authentique collaboration entre toutes les Églises particulières du continent, qui soit l'expression de leur communion profonde ; collaboration d'ailleurs requise par la nouvelle réalité européenne.95 Dans ce cadre prend place l'apport des organismes ecclésiaux européens, à commencer par le Conseil des Conférences épiscopales d'Europe. C'est un instrument efficace pour rechercher ensemble des voies appropriées pour évangéliser l'Europe.96 Par l'« échange des dons » entre les différentes Églises particulières, sont mises en commun les expériences et les réflexions de l'Europe de l'Ouest et de l'Est, du Nord et du Sud, et sont partagées des orientations pastorales communes; ainsi se manifeste de manière toujours plus significative le sentiment collégial qui unit les évêques du continent, pour annoncer ensemble, avec audace et fidélité, le nom de Jésus Christ, seule source d'espérance pour tous en Europe.
Avec tous les chrétiens
54. Dans le même temps, apparaît comme un impératif imprescriptible le devoir d'une collaboration ½cuménique fraternelle et convaincue.
Le sort de l'évangélisation est étroitement lié au témoignage d'unité que sauront donner tous les disciples du Christ : « Tous les chrétiens sont appelés à accomplir cette mission selon leur vocation. La tâche de l'évangélisation implique d'avancer l'un vers l'autre et d'avancer ensemble, en partant de l'intérieur; évangélisation et unité, évangélisation et ½cuménisme sont étroitement liés entre eux ».97 C'est pourquoi je fais miennes de nouveau les paroles écrites par Paul VI au Patriarche ½cuménique Athenagoras Ier : « Puisse l'Esprit Saint nous guider dans la voie de la réconciliation, afin que l'union de nos Églises devienne un signe toujours plus lumineux d'espérance et de réconfort au sein de l'humanité entière ».98
En dialogue avec les autres religions
55. Comme pour tout l'engagement de la « nouvelle évangélisation », il faut également, en ce qui concerne l'annonce de l'Évangile de l'espérance, que soit instauré un dialogue interreligieux profond et intelligent, en particulier avec le judaïsme et avec l'islam. « Entendu comme méthode et comme moyen en vue d'une connaissance et d'un enrichissement réciproques, il ne s'oppose pas à la mission ad gentes, au contraire il lui est spécialement lié et il en est une expression ».99 Dans ce dialogue, il n'est pas question de se laisser prendre par une « mentalité marquée par l'indifférentisme, malheureusement très répandue parmi les chrétiens, souvent fondée sur des conceptions théologiques inexactes et imprégnées d'un relativisme religieux qui porte à considérer que “toutes les religions se valent” ».100
56. Il s'agit plutôt de prendre une plus vive conscience du rapport qui lie l'Église au peuple juif et du rôle singulier d'Israël dans l'histoire du salut. Comme il était déjà apparu lors de la première Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques et comme l'a rappelé également le dernier Synode, il faut reconnaître les racines communes qui existent entre le christianisme et le peuple juif, appelé par Dieu à une alliance qui reste irrévocable (cf. Rm 11, 29),101 puisqu'elle est parvenue à sa plénitude définitive dans le Christ.
Il est donc nécessaire de favoriser le dialogue avec le judaïsme, sachant qu'il est d'une importance fondamentale pour la conscience chrétienne de soi et pour le dépassement des divisions entre les Églises, et aussi d'½uvrer pour que fleurisse un nouveau printemps dans les relations mutuelles. Cela implique que chaque communauté ecclésiale ait à pratiquer, chaque fois que les circonstances le permettront, le dialogue et la collaboration avec les croyants de la religion juive. Un tel exercice suppose, entre autres, que « l'on se souvienne de la part que les fils de l'Église ont pu avoir dans la naissance et dans la diffusion d'une telle attitude antisémite au cours de l'histoire, et que l'on en demande pardon à Dieu, favorisant de toutes les manières possibles les rencontres de réconciliation et d'amitié avec les fils d'Israël ».102 On devra par ailleurs, dans ce contexte, se souvenir aussi des nombreux chrétiens qui, parfois au prix de leur vie, ont aidé et sauvé leurs « frères aînés », surtout dans des périodes de persécution.
57. Il s'agit également de se laisser inciter à une meilleure connaissance des autres religions, pour pouvoir instaurer un dialogue fraternel avec les personnes de l'Europe d'aujourd'hui qui y adhèrent. En particulier, il est important d'avoir un juste rapport avec l'islam. Comme cela s'est révélé plusieurs fois ces dernières années à la conscience des évêques européens, ce rapport « doit être conduit avec prudence, il faut en connaître clairement les possibilités et les limites, et garder confiance dans le dessein de salut de Dieu, qui concerne tous ses fils ».103 Il faut être conscient, entre autres, de la divergence notable entre la culture européenne, qui a de profondes racines chrétiennes, et la pensée musulmane.104
À cet égard, il est nécessaire de préparer convenablement les chrétiens qui vivent au contact quotidien des musulmans à connaître l'islam de manière objective et à savoir s'y confronter ; une telle préparation doit concerner en particulier les séminaristes, les prêtres et tous les agents pastoraux. On comprend par ailleurs que l'Église, alors qu'elle demande aux Institutions européennes d'avoir à promouvoir la liberté religieuse en Europe, se fasse également un devoir de rappeler que la réciprocité dans la garantie de la liberté religieuse doit être observée aussi dans les pays de tradition religieuse différente, où les chrétiens sont en minorité.105
Dans ce domaine, on comprend « l'étonnement et le sentiment de frustration des chrétiens qui accueillent, par exemple en Europe, des croyants d'autres religions en leur donnant la possibilité d'exercer leur culte et qui se voient interdire tout exercice du culte chrétien dans les pays où ces croyants majoritaires » 106 ont fait de leur religion la seule qui soit autorisée et encouragée. La personne humaine a droit à la liberté religieuse et, en tout point du monde, tous « doivent être exempts de toute contrainte de la part soit d'individus, soit de groupes sociaux, et de quelque pouvoir humain que ce soit ».107
III. Évangéliser la vie sociale
Évangélisation de la culture et inculturation de l'Évangile
58. L'annonce de Jésus Christ doit rejoindre aussi la culture européenne contemporaine. L'évangélisation de la culture doit montrer qu'aujourd'hui encore, dans cette Europe, il est possible de vivre en plénitude l'Évangile comme chemin qui donne sens à l'existence. Dans cette perspective, la pastorale doit assumer la tâche de façonner une mentalité chrétienne dans la vie ordinaire : en famille, à l'école, dans les communications sociales, dans le monde de la culture, du travail et de l'économie, dans la politique, dans les loisirs, dans le temps de la santé et celui de la maladie. Il faut se confronter de manière critique et sereine à l'actuelle situation culturelle de l'Europe, évaluant les tendances qui se manifestent, les faits et les situations d'importance de notre temps à la lumière du caractère central du Christ et de l'anthropologie chrétienne.
Aujourd'hui encore, en se souvenant de la fécondité culturelle du christianisme tout au long de l'histoire de l'Europe, il faut présenter l'approche évangélique, théorique et pratique, de la réalité et de l'homme. Considérant, en outre, la grande importance des sciences et des réalisations technologiques dans la culture et dans la société de l'Europe, l'Église est appelée, à travers ses moyens d'approfondissement théorique et d'initiative pratique, à offrir des propositions en regard des connaissances scientifiques et de leurs applications, montrant les insuffisances et le caractère inadéquat d'une conception inspirée du scientisme qui ne reconnaît comme valeur objective que le savoir expérimental, et indiquant les critères éthiques que l'homme possède parce qu'ils sont inscrits dans sa nature.108
59. Sur le chemin de l'évangélisation de la culture prend place l'important service accompli par les écoles catholiques. Il faudra travailler à faire reconnaître une effective liberté d'éducation et la parité juridique entre les écoles publiques et les écoles privées. Ces dernières sont parfois l'unique moyen de proposer la tradition chrétienne à ceux qui en sont loin. J'exhorte les fidèles engagés dans le monde de l'éducation à persévérer dans leur mission, en portant la lumière du Christ Sauveur dans leurs propres activités éducatives, scientifiques et académiques.109 En particulier, il faut donner toute son importance à la contribution des chrétiens engagés dans la recherche et dans l'enseignement au sein des universités : par le « service de la pensée », ils transmettent aux jeunes générations les valeurs d'un patrimoine culturel enrichi par deux millénaires d'expérience humaniste et chrétienne. Convaincu de l'importance des institutions académiques, je demande aussi que soit promue dans les différentes Églises particulières une pastorale universitaire adaptée, favorisant ainsi ce qui correspond aux nécessités culturelles actuelles.110
60. On ne peut oublier l'apport positif de la mise en valeur des biens culturels de l'Église. Ils peuvent en effet représenter un facteur particulier pour susciter à nouveau un humanisme d'inspiration chrétienne. Grâce à une conservation appropriée et à une utilisation intelligente des biens culturels, ceux-ci, en tant que témoignage vivant de la foi professée au long des siècles, peuvent constituer un instrument valable pour la nouvelle évangélisation et pour la catéchèse, et inviter à redécouvrir le sens du mystère.
En même temps, il faut promouvoir de nouvelles expressions artistiques de la foi, au moyen d'un dialogue constant avec les spécialistes de l'art.111 L'Église a en effet besoin de l'art, de la littérature, de la musique, de la peinture, de la sculpture et de l'architecture, parce qu'elle doit « rendre perceptible et même, autant que possible, fascinant le monde de l'esprit, de l'invisible, de Dieu » 112 et que la beauté artistique, comme reflet de l'Esprit de Dieu, est une marque du mystère, une invitation à rechercher le visage de Dieu, qui s'est rendu visible en Jésus de Nazareth.
L'éducation des jeunes à la foi
61. Par ailleurs, j'encourage l'Église en Europe à porter une attention croissante à l'éducation des jeunes à la foi. Fixant notre regard vers l'avenir, nous ne pouvons pas ne pas tourner nos pensées vers eux : nous devons nous faire proches de l'esprit, du c½ur, du caractère des jeunes, pour leur offrir une solide formation humaine et chrétienne.
Chaque fois que se rassemblent de nombreux jeunes, il n'est pas difficile de distinguer chez eux la présence d'attitudes diversifiées. On constate leur désir de vivre ensemble pour sortir de l'isolement, leur soif plus ou moins consciente d'absolu ; on découvre chez eux une foi cachée qui demande à être purifiée et qui veut suivre le Seigneur; on perçoit la décision de poursuivre le chemin déjà entrepris et l'exigence de partager la foi.
62. À cette fin, il convient de renouveler la pastorale des jeunes, organisée par tranches d'âge et attentive aux diverses conditions des enfants, des adolescents et des jeunes. Il sera en outre nécessaire de lui conférer une plus grande structure organique et une plus grande cohérence, avec une écoute patiente des demandes des jeunes, pour les rendre acteurs de l'évangélisation et de la construction de la société.
Dans cet esprit, il est important de promouvoir des occasions de rencontres entre jeunes, de manière à favoriser un climat d'écoute mutuelle et de prière. Il ne faut pas avoir peur d'être exigeant avec eux en ce qui concerne leur croissance spirituelle. On leur montrera la route de la sainteté, les invitant à faire des choix fermes à la suite du Christ, ce à quoi ils seront encouragés par une vie sacramentelle intense. Ils pourront ainsi résister aux séductions d'une culture qui souvent ne leur propose que des valeurs éphémères ou même contraires à l'Évangile, et devenir eux-mêmes capables de faire preuve d'une mentalité chrétienne dans tous les domaines de leur existence, y compris les divertissements et les loisirs.113
J'ai encore vivement présent devant les yeux les joyeux visages de tant de jeunes, véritable espérance de l'Église et du monde, signe éloquent de l'Esprit qui ne se lasse pas de susciter des énergies nouvelles. Je les ai rencontrés aussi bien au cours de mes voyages dans les différents pays que lors des inoubliables Journées mondiales de la Jeunesse.114
L'attention aux médias
63. Étant donné l'importance des moyens de communication sociale, l'Église en Europe ne peut pas ne pas réserver une attention particulière au monde multiforme des médias. Cela implique entre autres la formation appropriée des chrétiens qui ½uvrent dans les médias et des usagers des médias, en vue d'une bonne maîtrise des nouveaux langages. Un soin spécial sera apporté au choix de personnes préparées pour la communication du message à travers les médias. Il sera très utile aussi de procéder à un échange d'informations et de stratégies entre les Églises sur les divers aspects et les initiatives concernant une telle communication. Il ne faudra pas non plus négliger la création de moyens locaux de communication sociale, y compris au niveau paroissial.
En même temps, il s'agit d'assurer une présence dans les processus de la communication sociale, pour la rendre plus respectueuse de la vérité de l'information et de la dignité de la personne humaine. À ce propos, j'invite les catholiques à participer à l'élaboration d'un code de déontologie pour ceux qui travaillent dans les milieux de la communication sociale, en se laissant éclairer par les critères que les organismes compétents du Saint-Siège 115 ont récemment indiqués et que les Évêques réunis en Synode avaient énumérés ainsi : « Respect de la dignité de la personne humaine, de ses droits, y compris le droit à la vie privée ; service de la vérité, de la justice et des valeurs humaines, culturelles et spirituelles ; estime des différentes cultures pour éviter qu'elles ne se fondent dans la masse ; protection des minorités et des plus faibles ; recherche du bien commun, au-delà des intérêts particuliers et de la prédominance des critères purement économiques ».116
La mission ad gentes
64. Une annonce de Jésus Christ et de son Évangile qui se limiterait au seul contexte européen serait le signe d'un manque préoccupant d'espérance. L'½uvre d'évangélisation est animée par une véritable espérance chrétienne quand elle s'ouvre aux horizons universels, qui incitent à offrir gratuitement à tous ce qu'on a soi-même reçu en don. La mission ad gentes devient ainsi expression d'une Église modelée par l'Évangile de l'espérance, qui continuellement se renouvelle et se rajeunit. Telle a été au long des siècles la conscience de l'Église en Europe: d'innombrables générations de missionnaires, hommes et femmes, allant à la rencontre d'autres peuples et d'autres civilisations, ont annoncé l'Évangile de Jésus Christ aux populations du monde entier.
La même ardeur missionnaire doit animer l'Église dans l'Europe d'aujourd'hui. La diminution du nombre de prêtres et de personnes consacrées dans certains pays ne doit empêcher aucune Église particulière de faire siennes les exigences de l'Église universelle. Chacune saura favoriser la préparation à la mission ad gentes, de manière à répondre généreusement à l'appel qui provient encore de beaucoup de nations et de peuples désireux de connaître l'Évangile. Les Églises d'autres continents, particulièrement de l'Asie et de l'Afrique, se tournent encore vers les Églises d'Europe et attendent qu'elles continuent à répondre à leur vocation missionnaire. Les chrétiens en Europe ne peuvent être infidèles à leur histoire.117
L'Évangile : un livre pour l'Europe
d'aujourd'hui et de toujours
65. En franchissant la Porte sainte, au début du grand Jubilé de l'An 2000, j'ai présenté à l'Église et au monde le livre de l'Évangile. Ce geste, accompli par chaque évêque dans les diverses cathédrales du monde, indique l'engagement qui attend aujourd'hui et toujours l'Église dans notre continent.
Église en Europe, entre dans le nouveau millénaire avec le Livre de l'Évangile ! Que soit entendue par chaque fidèle l'exhortation conciliaire « à acquérir, par une fréquente lecture des divines Écritures, “la science éminente de Jésus Christ” (Ph 3, 8). “L'ignorance des Écritures est, en effet, l'ignorance du Christ” ».118 Que la sainte Bible continue d'être un trésor pour l'Église et pour tout chrétien: nous trouverons dans l'étude attentive de la Parole la nourriture et la force pour accomplir chaque jour notre mission.
Prenons ce Livre dans nos mains ! Recevons-le de la part du Seigneur qui nous l'offre continuellement à travers son Église (cf. Ap 10, 8). Mangeons-le (cf. Ap 10, 9), pour qu'il devienne la vie de notre vie. Goûtons-le à fond : il nous réservera des difficultés, mais il nous donnera aussi la joie car il est doux comme le miel (cf. Ap 10, 9-10). Nous serons comblés d'espérance et capables de communiquer cette espérance à tout homme et à toute femme que nous rencontrons sur notre route.
CHAPITRE IV
CÉLÉBRER
L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE
« À Celui qui siège sur le trône, et à l'Agneau,
bénédiction, honneur, gloire et domination,
dans les siècles des siècles ! » (Ap 5, 13)
Une communauté priante
66. L'Évangile de l'espérance, annonce de la vérité qui libère (cf Jn, 8, 32), doit être célébré. Devant l'Agneau de l'Apocalypse commence une liturgie solennelle de louange et d'adoration : « À Celui qui siège sur le trône, et à l'Agneau, bénédiction, honneur, gloire et domination, dans les siècles des siècles ! » (Ap 5, 13). La même vision, qui révèle Dieu et le sens de l'histoire, se produit « le jour du Seigneur » (Ap 1, 10), le jour de la résurrection revécu par l'assemblée dominicale.
L'Église qui accueille cette révélation est une communauté qui prie. En priant, elle écoute son Seigneur et ce que l'Esprit lui dit : elle adore, elle loue, elle rend grâce, et enfin elle invoque la venue du Seigneur, « Viens, Seigneur Jésus ! » (cf. Ap 22, 16-20), affirmant ainsi qu'elle attend le salut de Lui seul.
À toi aussi, Église de Dieu qui vis en Europe, il est demandé d'être une communauté qui prie, célébrant ton Seigneur par les Sacrements, par la liturgie et par toute ta vie. Dans la prière, tu redécouvriras la présence vivifiante du Seigneur. Ainsi, enracinant en lui chacune de tes actions, tu pourras proposer de nouveau aux Européens la rencontre avec lui-même, véritable espérance qui seule peut satisfaire pleinement le désir ardent de Dieu, lui qui est caché sous les diverses formes de recherche religieuse qui se font jour dans l'Europe contemporaine.
I. Redécouvrir la liturgie
Le sens religieux dans l'Europe d'aujourd'hui
67. Malgré les vastes zones de déchristianisation dans le continent européen, un certain nombre de signes permettent d'esquisser le visage d'une Église qui, en croyant, annonce, célèbre et sert son Seigneur. En effet, il ne manque pas d'exemples de chrétiens authentiques qui vivent des moments de silence contemplatif, qui participent fidèlement aux propositions spirituelles qui leurs sont faites, qui vivent l'Évangile dans leur existence quotidienne et qui en témoignent dans les divers milieux où ils sont engagés. On peut aussi discerner des manifestations d'une « sainteté populaire », qui attestent que même dans l'Europe actuelle il n'est pas impossible de vivre l'Évangile, aussi bien à un niveau personnel que dans une authentique expérience communautaire.
68. Parallèlement à de nombreux exemples de foi authentique, il existe aussi en Europe une religiosité vague et parfois déviante. Ses indices revêtent souvent un caractère général et superficiel, quand ils ne sont pas carrément en contradiction les uns avec les autres chez les personnes mêmes dont ils proviennent. Ce sont des phénomènes manifestes de fuite dans le spiritualisme, de syncrétisme religieux et ésotérique, de recherche à tout prix de « l'extraordinaire », qui peuvent conduire à des choix déviants, telle la participation à des sectes dangereuses ou à des expériences pseudo-religieuses.
Le désir diffus d'une nourriture spirituelle doit être accueilli avec compréhension et purifié. À l'homme qui, même confusément, prend conscience qu'il ne peut vivre seulement de pain, il est nécessaire que l'Église puisse témoigner de manière convaincante de la réponse que Jésus fit au tentateur: « Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4,4).
Une Église qui célèbre
69. Dans le contexte de la société actuelle, souvent fermée à la transcendance, étouffée par des comportements consuméristes, propice aux formes anciennes et nouvelles d'idolâtrie, et en même temps assoiffée de quelque chose qui aille au-delà de l'immédiat, la mission qui attend l'Église en Europe est tout à la fois exigeante et exaltante. Elle consiste à redécouvrir le sens du « mystère » ; à renouveler les célébrations liturgiques afin qu'elles soient des signes toujours plus éloquents de la présence du Christ Seigneur; à assurer de nouveaux espaces au silence, à la prière et à la contemplation ; à revenir aux Sacrements, surtout l'Eucharistie et la Pénitence, car ils sont source de liberté et de nouvelle espérance.
C'est pourquoi, à toi, Église qui vis en Europe, j'adresse un appel pressant : Sois une Église qui prie, qui loue Dieu, qui en reconnaît la primauté absolue et qui l'exalte avec une foi joyeuse. Redécouvre le sens du mystère : vis-le avec une humble gratitude ; témoignes-en avec une joie convaincue et contagieuse. Célèbre le Salut du Christ : accueille-le comme un don qui fait de toi son sacrement; fais de ta vie le vrai culte spirituel qui plaît à Dieu (cf. Rm 12, 1).
Le sens du mystère
70. Certains symptômes révèlent un affaiblissement du sens du mystère dans les célébrations liturgiques elles-mêmes, qui devraient au con- traire y introduire. Il est donc urgent que dans l'Église soit ravivé le sens authentique de la liturgie. Celle-ci, comme l'ont rappelé les Pères synodaux,119 est un instrument de sanctification; elle est une célébration de la foi de l'Église ; elle est un moyen de transmission de la foi. Avec l'Écriture sainte et les enseignements des Pères de l'Église, elle est source vivante d'une authentique et solide spiritualité. Comme le souligne bien aussi la tradition des vénérables Églises d'Orient, par la liturgie, les fidèles entrent en communion avec la Sainte Trinité, faisant l'expérience de leur participation à la nature divine, en tant que don de la grâce. La liturgie devient ainsi anticipation de la béatitude finale et participation à la gloire céleste.
71. Dans les célébrations, il faut redonner à Jésus la place centrale, afin de nous laisser éclairer et guider par lui. Nous pouvons trouver là l'une des réponses les plus claires que nos communautés sont appelées à donner à une religiosité vague et inconsistante. La liturgie de l'Église n'a pas pour but d'apaiser les désirs et les peurs de l'homme, mais d'écouter et d'accueillir Jésus le Vivant, qui honore et loue son Père, afin que nous puissions le louer et l'honorer avec lui. Les célébrations ecclésiales proclament que notre espérance nous vient de Dieu, par Jésus notre Seigneur.
Il s'agit de vivre la liturgie comme ½uvre de la Trinité. C'est le Père qui agit pour nous dans les mystères célébrés ; c'est lui qui nous parle, qui nous pardonne, qui nous écoute et qui nous donne son Esprit; c'est vers lui que nous nous tournons, lui que nous écoutons, que nous louons et que nous invoquons. C'est Jésus qui agit pour notre sanctification, nous rendant participants de son mystère. C'est l'Esprit Saint qui opère avec sa grâce et fait de nous le Corps du Christ, l'Église.
La liturgie doit être vécue comme annonce et anticipation de la gloire future, terme ultime de notre espérance. Comme l'enseigne en effet le Concile :
« Dans la liturgie terrestre nous participons, en y goûtant par avance, à cette liturgie céleste qui est célébrée dans la sainte cité de Jérusalem vers laquelle nous tendons dans notre pèlerinage [...], jusqu'à ce que [le Christ], qui est notre vie, se manifeste et que nous soyons manifestés nous-mêmes avec lui dans la gloire ».120
Formation liturgique
72. Si, après le Concile ½cuménique Vatican II, une partie du chemin a été accomplie pour vivre le sens authentique de la liturgie, il reste encore beaucoup à faire. Il faut un renouveau régulier et une formation constante de tous, ministres ordonnés, personnes consacrées et laïcs.
Le véritable renouveau, loin de provenir d'actes arbitraires, consiste à développer toujours mieux la conscience du sens du mystère, de façon à faire des liturgies des moments de communion avec le grand et saint mystère de la Trinité. En célébrant les actions sacrées comme relation à Dieu et accueil de ses dons, expressions d'une authentique vie spirituelle, l'Église en Europe pourra vraiment nourrir son espérance et l'offrir à ceux qui l'ont perdue.
73. À cette fin, un grand effort de formation est nécessaire. Destinée à favoriser la compréhension du sens véritable des célébrations de l'Église, elle requiert, en plus d'une formation appropriée sur les rites, une spiritualité authentique et une éducation qui permette de la vivre en plénitude.121 On doit donc promouvoir plus intensément une véritable « mystagogie liturgique », avec la participation active de tous les fidèles, chacun selon ses attributions, aux actions sacrées, en particulier à l'Eucharistie.
II. Célébrer les Sacrements
74. Une place toute particulière doit être réservée à la célébration des Sacrements, en tant qu'actions du Christ et de l'Église ordonnées au culte à rendre à Dieu, à la sanctification des hommes et à l'édification de la communauté ecclésiale. Conscients qu'en eux c'est le Christ lui-même qui agit par l'action du Saint-Esprit, nous devons célébrer les sacrements avec le plus grand soin, en en créant les conditions favorables. Les Églises particulières du continent auront à c½ur d'intensifier leur pastorale sacramentelle pour en faire reconnaître la profonde vérité. Les Pères synodaux ont mis en lumière cette exigence pour répondre à deux dangers : d'une part, certains milieux ecclésiaux semblent avoir perdu le sens authentique du sacrement et risqueraient donc de banaliser les mystères célébrés ; d'autre part, de nombreux baptisés, attachés aux usages et aux traditions, continuent à recourir aux sacrements aux moments significatifs de leur existence, sans pour autant vivre conformément aux indications de l'Église.122
L'Eucharistie
75. L'Eucharistie, don suprême du Christ à l'Église, rend mystérieusement présent le sacrifice du Christ pour notre salut : « La très sainte Eucharistie contient en effet l'ensemble des biens spirituels de l'Église, à savoir le Christ lui-même, notre Pâque ».123 C'est en elle, « source et sommet de toute la vie chrétienne »,124 que l'Église puise au long de son pèlerinage, y trouvant la source de toute espérance. En effet, l'Eucharistie « donne une impulsion à notre marche dans l'histoire, faisant naître un germe de vive espérance dans le dévouement quotidien de chacun à ses propres tâches ».125
Nous sommes tous invités à confesser la foi dans l'Eucharistie, « gage de la gloire future », dans la certitude que la communion avec le Christ, que nous vivons actuellement comme pèlerins dans notre existence mortelle, anticipe la rencontre suprême le jour où « nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est » (1 Jn 3, 2). L'Eucharistie est un « avant-goût de l'éternité dans le temps » ; elle est présence divine et communion à cette présence ; mémorial de la Pâque du Christ, elle est par nature dispensatrice de la grâce dans l'histoire humaine. Elle ouvre à l'avenir de Dieu ; étant communion avec le Christ, en son corps et son sang, elle est participation à la vie éternelle de Dieu.126
La Réconciliation
76. Avec l'Eucharistie, le sacrement de la Réconciliation doit aussi jouer un rôle fondamental pour retrouver l'espérance : « L'expérience personnelle du pardon de Dieu pour chacun de nous est en effet le fondement essentiel de toute espérance pour notre avenir ».127 L'une des racines de la résignation qui assaille tant de personnes aujourd'hui doit être cherchée dans l'incapacité de se reconnaître pécheur et de se laisser pardonner, incapacité souvent due à la solitude de ceux qui, vivant comme si Dieu n'existait pas, n'ont personne à qui demander pardon. En revanche, celui qui se reconnaît pécheur et qui se confie à la miséricorde du Père céleste fait l'expérience de la joie d'une vraie libération et il peut avancer dans l'existence sans se replier sur sa propre misère.128 Il reçoit ainsi la grâce d'un nouveau départ et il retrouve des raisons d'espérer.
C'est pourquoi il est nécessaire que dans l'Église en Europe le sacrement de la Réconciliation soit ravivé. Il faut cependant redire que la forme du sacrement est la confession personnelle des péchés, suivie de l'absolution individuelle. Cette rencontre entre le pénitent et le prêtre doit être favorisée, quelles que soient les formes prévues du rite du Sacrement. Face à la perte largement répandue du sens du péché et à l'affirmation d'une mentalité marquée par le relativisme et le subjectivisme dans le domaine moral, il est nécessaire que, dans toute communauté ecclésiale, on pourvoie à une sérieuse formation des consciences.129 Les Pères du Synode ont insisté pour que l'on reconnaisse clairement la vérité du péché personnel et la nécessité du pardon personnel de Dieu à travers le ministère du prêtre.
Les absolutions collectives ne sont pas une modalité laissée à la libre appréciation dans l'administration du sacrement de la Réconciliation.130
77. Je m'adresse aux prêtres, les exhortant à être généreusement disponibles pour écouter les confessions et à être eux-mêmes des exemples en s'approchant avec régularité du sacrement de la Pénitence. Je les invite à mettre soigneusement à jour leurs connaissances dans le domaine de la théologie morale, de manière à pouvoir affronter avec compétence les problèmes apparus récemment dans le domaine de la morale personnelle et sociale. Puissent-ils porter aussi une particulière attention aux conditions concrètes de vie dans lesquelles se trouvent les fidèles et savoir les conduire patiemment à reconnaître les exigences de la loi morale chrétienne, les aidant à vivre le sacrement comme une joyeuse rencontre avec la miséricorde du Père céleste ! 131
Prière et vie
78. En plus de la célébration eucharistique, il convient de promouvoir aussi les autres formes de prières communautaires,132 aidant à redécouvrir le lien qui existe entre ces dernières et la prière liturgique. En particulier, tout en maintenant vivante la tradition de l'Église latine, on doit développer les diverses expressions du culte eucharistique en dehors de la Messe : adoration personnelle, exposition et procession, qui sont à comprendre comme des expressions de la foi en la permanence de la présence réelle du Seigneur dans le Sacrement de l'autel.133 À propos de la célébration personnelle ou communautaire de la Liturgie des Heures, dont le Concile a aussi rappelé la grande valeur pour les fidèles laïcs,134 on s'attachera à faire voir le lien qui la relie au mystère eucharistique. Les familles seront encouragées à réserver un temps pour la prière en commun, de façon à interpréter à la lumière de l'Évangile toute leur vie conjugale et familiale. Ainsi, à partir de là et dans l'écoute de la Parole de Dieu, se développera cette liturgie domestique qui accompagnera tous les moments de la vie familiale.135
Toute forme de prière communautaire présuppose la prière individuelle. Entre la personne et Dieu naît ce colloque en vérité qui s'exprime dans la louange, dans l'action de grâce, dans la supplication adressée au Père, par Jésus Christ et dans l'Esprit Saint. Jamais ne sera délaissée la prière personnelle, qui est comme la respiration du chrétien. À tous aussi, on apprendra à redécouvrir le lien entre cette dernière et la prière liturgique.
79. On réservera aussi une attention particulière à la piété populaire.136 Largement présente en diverses régions d'Europe grâce aux confréries, aux pèlerinages et aux processions auprès de nombreux sanctuaires, elle enrichit le cours de l'année liturgique, inspirant coutumes et usages familiaux et sociaux. Toutes ces formes doivent être considérées avec attention, moyennant une pastorale de promotion et de renouveau, qui les aide à développer ce qui est expression authentique de la sagesse du peuple de Dieu. Tel est assurément le saint Rosaire. En cette année qui lui est consacrée, il m'est cher d'en recommander de nouveau la récitation, car, « s'il est redécouvert dans sa pleine signification, le Rosaire conduit au c½ur même de la vie chrétienne et offre une occasion spirituelle et pédagogique ordinaire mais féconde pour la contemplation personnelle, la formation du peuple de Dieu et la nouvelle évangélisation ».137
En matière de piété populaire, il faut veiller constamment aux aspects ambigus de certaines manifestations, les préservant des dérives séculières, du consumérisme irréfléchi ou encore des risques de superstition, afin de les maintenir dans le cadre de formes assurées et authentiques. On fera ½uvre d'éducation, expliquant que la piété populaire doit toujours être vécue en harmonie avec la liturgie de l'Église et en relation avec les Sacrements.
80. Il ne faut pas oublier que le « culte spirituel capable de plaire à Dieu » (cf. Rm 12, 1) se réalise avant tout dans l'existence quotidienne, vécue dans la charité à travers le don de soi libre et généreux, même dans les moments d'apparente impuissance. Ainsi, la vie est animée par une espérance indéfectible parce qu'elle s'appuie uniquement sur la certitude de la puissance de Dieu et de la victoire du Christ : c'est une vie remplie des consolations de Dieu, par lesquelles nous sommes appelés à consoler à notre tour ceux que nous rencontrons sur notre route (cf. 2 Co 1, 4).
Le jour du Seigneur
81. Le jour du Seigneur est le moment par excellence et hautement évocateur en ce qui concerne la célébration de l'Évangile de l'espérance.
Dans le contexte actuel, les circonstances rendent précaire pour les chrétiens la possibilité de vivre pleinement le dimanche comme jour de la rencontre avec le Seigneur. Il n'est pas rare qu'il se réduise à n'être qu'une « fin de semaine », un simple temps d'évasion. C'est pourquoi il faut une action pastorale organique au niveau éducatif, spirituel et social, qui aide à en vivre le sens véritable.
82. Je renouvelle donc l'appel à redécouvrir le sens profond du jour du Seigneur : 138 qu'il soit sanctifié par la participation à l'Eucharistie et par un repos rempli de joie chrétienne et de fraternité. Qu'il soit célébré comme le centre de tout le culte, comme l'annonce incessante de la vie sans fin, qui ranime l'espérance et redonne courage sur le chemin. Ne craignons pas alors de le défendre contre toute attaque et de tout mettre en ½uvre pour que, dans l'organisation du travail, il soit sauvegardé, de manière à être un jour pour l'homme, au bénéfice de la société entière. En effet, si le dimanche était privé de sa signification originelle et s'il devenait impossible en ce jour de réserver un temps convenable à la prière, au repos, à la communion et à la joie, il pourrait arriver « que l'homme reste enfermé dans un horizon si réduit qu'il ne peut plus voir le ciel ; alors, même revêtu d'un habit de fête, il devient profondément incapable de faire la fête ».139 Et sans la dimension de la fête, l'espérance ne trouverait pas de maison où habiter.
CHAPITRE V
SERVIR
L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE
« Je connais ta conduite, ton amour, ta foi,
ton sens du service, ta persévérance » (Ap 2, 19)
Le chemin de l'amour
83. La Parole que l'Esprit adresse aux Églises contient un jugement sur leur vie. Elle concerne les actes et les comportements : « Je connais ta conduite » est l'introduction qui, tel un refrain et avec peu de variantes, apparaît dans les lettres écrites aux sept Églises. Quand les ½uvres s'avèrent positives, elles sont le fruit du labeur, de la persévérance, de l'acceptation des épreuves, des tribulations, de la pauvreté, de la fidélité dans la persécution, de la charité, de la foi, du service. En ce sens, elles peuvent être lues comme la description d'une Église qui non seulement annonce et célèbre le salut venant du Seigneur, mais qui en « vit » réellement.
Pour servir l'Évangile de l'espérance, l'Église qui est en Europe est elle aussi appelée à suivre la route de l'amour. C'est une route qui passe par la charité évangélisatrice, l'engagement multiforme dans le service, la détermination dans une générosité sans trêve ni frontière.
I. Le service de la charité
Dans la communion et dans la solidarité
84. Pour toute personne, l'amour reçu et donné constitue l'expérience originaire dans laquelle naît l'espérance. « L'homme ne peut vivre sans amour. Il demeure pour lui-même un être incompréhensible, sa vie est privée de sens s'il ne reçoit pas la révélation de l'amour, s'il ne rencontre pas l'amour, s'il n'en fait pas l'expérience et s'il ne le fait pas sien, s'il n'y participe pas fortement ».140
Le défi pour l'Église dans l'Europe d'aujourd'hui consiste donc à aider l'homme contemporain à faire l'expérience de l'amour de Dieu le Père et du Christ dans l'Esprit Saint, à travers le témoignage de l'amour, qui en lui-même possède une force évangélisatrice intrinsèque.
En définitive,« l'Évangile », joyeuse annonce faite à tout homme, consiste en ceci: Dieu nous a aimés le premier (cf. Jn 4, 10.19) ; Jésus nous a aimés jusqu'au bout (cf. Jn 13, 1). Grâce au don de l'Esprit, l'amour de Dieu est offert aux croyants, les rendant participants de sa capacité d'aimer: il saisit le c½ur de tout disciple et de l'Église entière (cf. 2 Co 5, 14). Précisément parce qu'il est donné par Dieu, l'amour devient commandement pour l'homme (cf. Jn 13, 34).
Vivre dans l'amour devient ainsi une joyeuse nouvelle pour tout homme, rendant visible l'amour de Dieu qui n'abandonne personne. En fin de compte, cela signifie donner à l'homme égaré de véritables raisons pour continuer à espérer.
85. C'est la vocation de l'Église, comme « signe tangible, bien que toujours inadéquat, de l'amour vécu, de faire que les hommes et les femmes rencontrent l'amour de Dieu et du Christ qui vient à leur recherche ».141 « Signe et instrument de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain »,142 l'Église en témoigne lorsque les personnes, les familles et les communautés vivent intensément l'Évangile de la charité. En d'autres termes, nos communautés ecclésiales sont appelées à être de véritables lieux privilégiés d'entraînement à la communion.
De par sa nature même, le témoignage de la charité est appelé à s'étendre au-delà des limites de la communauté ecclésiale, pour atteindre toute personne, de sorte que l'amour pour tous les hommes devienne incitation à une authentique solidarité pour l'ensemble de la vie sociale. Quand l'Église sert la charité, elle fait en même temps croître la « culture de la solidarité », contribuant ainsi à redonner vie aux valeurs universelles de la convivialité humaine.
Dans cette perspective, il convient de redécouvrir le sens authentique du bénévolat chrétien. Naissant de la foi et étant continuellement nourri par elle, il doit conjuguer les compétences professionnelles et l'amour authentique, poussant ceux qui s'y livrent à « élever leurs sentiments de simple philanthropie à la hauteur de la charité du Christ ; à reconquérir chaque jour, dans le labeur et la fatigue, la conscience de la dignité de tout homme ; à aller à la découverte des besoins des personnes en ouvrant, s'il le faut, de nouvelles voies là où le besoin se fait le plus urgent, et là où l'attention et le soutien sont les plus déficients ».143
II. Servir l'homme dans la société
Redonner espérance aux pauvres
86. À toute l'Église il est demandé de redonner espérance aux pauvres. Les accueillir et les servir signifie pour elle accueillir et servir le Christ (cf. Mt 25, 40). L'amour préférentiel pour les pauvres est une dimension nécessaire de l'être chrétien et du service de l'Évangile. Aimer les personnes et leur témoigner qu'elles sont particulièrement aimées de Dieu veut dire reconnaître qu'elles ont une valeur en elles-mêmes, quelles que soient les conditions économiques, culturelles et sociales dans lesquelles elles vivent, les aidant à développer leurs potentialités.
87. Il faut par ailleurs se laisser interpeller par le phénomène du chômage, qui, dans beaucoup de pays d'Europe, constitue un grave fléau social. À cela s'ajoutent aussi les problèmes liés à l'accroissement des flux migratoires. Il est demandé à l'Église de rappeler que le travail est un bien que toute la société doit prendre en charge.
Présentant à nouveau les critères éthiques qui doivent guider le marché et l'économie, dans un respect scrupuleux de la place centrale que l'homme y occupe, l'Église ne peut négliger la recherche du dialogue avec les personnes engagées dans le domaine politique et syndical, et dans le monde de l'entreprise.144 Le dialogue doit tendre à l'édification d'une Europe entendue comme communauté de peuples et de personnes, communauté solidaire dans l'espérance, non soumise exclusivement aux lois du marché, mais fermement préoccupée de sauvegarder la dignité de l'homme même dans ses rapports économiques et sociaux.
88. Qu'une attention particulière soit aussi portée à la pastorale des malades. Considérant que la maladie est une situation qui suscite des questions essentielles sur le sens de la vie, « dans une société de la prospérité et de l'efficacité, dans une culture caractérisée par l'idolâtrie du corps, par le refus de la souffrance et de la douleur, et par le mythe de la jeunesse éternelle »,145 l'attention envers les malades doit être considérée comme une priorité. À cette fin, il faut promouvoir, d'une part, une présence pastorale appropriée dans les différents lieux de la souffrance, par exemple à travers l'engagement d'aumôniers d'hôpitaux, de membres d'associations de bénévolat, d'institutions sanitaires liées à l'Église, et, d'autre part, un soutien aux familles des malades. De plus, il est nécessaire d'être proche du personnel médical et paramédical, avec des moyens pastoraux adaptés, pour le soutenir dans son exigeante vocation au service des malades. En effet, dans leur activité professionnelle, les personnes qui travaillent dans le monde de la santé rendent chaque jour un noble service à la vie. Il leur est demandé d'offrir aussi aux patients le soutien spirituel particulier qui suppose la chaleur d'un contact humain authentique.
89. Enfin, on ne saurait oublier qu'il est parfois fait un usage indu des biens de la terre. Manquant en effet à la mission de cultiver et de garder la terre avec sagesse et amour (cf Gn 2, 15), l'homme a, dans de nombreuses régions, dévasté plaines et forêts, pollué les eaux, rendu l'air irrespirable, bouleversé les systèmes hydrogéologiques et atmosphériques, et provoqué la désertification de vastes zones.
Même dans ce cas, servir l'Évangile de l'espérance veut dire s'engager de manière nouvelle pour un usage correct des biens de la terre,146 développant l'attention qui, en plus de sauvegarder des habitats naturels, défend la qualité de vie des personnes, afin de préparer pour les générations futures un monde plus conforme au projet du Créateur.
La vérité sur le mariage et la famille
90. L'Église en Europe, dans toutes ses composantes, doit proposer à nouveau, avec fidélité, la vérité sur le mariage et la famille.147 C'est une nécessité qu'elle ressent intensément en elle-même, car elle sait qu'elle est qualifiée pour accomplir cette tâche, en vertu de la mission évangélisatrice que lui a confiée son Époux et Seigneur, et que cette tâche s'impose aujourd'hui de nouveau avec une insistance inégalée. De nombreux facteurs culturels, sociaux et politiques contribuent en effet à provoquer une crise, toujours plus évidente, de la famille. Ils compromettent, dans certaines mesures, la vérité et la dignité de la personne humaine, et ils remettent en cause, en la dénaturant, l'idée même de famille. La valeur de l'indissolubilité du mariage est de plus en plus méconnue ; on revendique des formes de reconnaissance légale des unions de fait, les mettant sur le même plan que les mariages légitimes ; on observe même des tentatives visant à faire accepter des modèles de couples où la différence sexuelle ne serait plus essentielle.
Dans ce contexte, il est demandé à l'Église d'annoncer avec une vigueur renouvelée ce que dit l'Évangile sur le mariage et la famille, pour en saisir la signification et la valeur dans le dessein salvifique de Dieu. Il est en particulier nécessaire de réaffirmer que ces institutions sont des réalités qui proviennent de la volonté de Dieu. Il faut redécouvrir la vérité de la famille, en tant que communauté intime de vie et d'amour,148 ouverte à la génération de nouvelles vies ; et aussi sa dignité « d'Église domestique » et sa participation à la mission de l'Église et à la vie de la société.
91. Selon les Pères du Synode, il faut reconnaître que de nombreuses familles, dans le quotidien d'une existence vécue dans l'amour, sont des témoins visibles de la présence de Jésus qui les accompagne et qui les soutient par le don de son Esprit. Pour affermir leur marche, on devra approfondir la théologie et la spiritualité du mariage et de la famille ; proclamer avec fermeté et intégrité, et montrer au moyen d'exemples efficaces la vérité et la beauté de la famille fondée sur le mariage entendu comme union stable et féconde d'un homme et d'une femme ; promouvoir dans toute communauté ecclésiale une pastorale familiale organique et adaptée. En même temps, il sera nécessaire d'offrir, avec une sollicitude maternelle de la part de l'Église, une aide à ceux qui se trouvent dans des situations difficiles, par exemple les mères célibataires, les personnes séparées, les divorcés, les enfants abandonnés. Dans tous les cas, il conviendra d'encourager, d'accompagner et de soutenir une juste participation des familles, seules ou associées, dans l'Église et dans la société, et de veiller à ce que les États et l'Union européenne elle-même mettent en place des politiques familiales authentiques et adaptées.149
92. Une attention particulière doit être réservée à l'éducation des jeunes et des fiancés à l'amour, grâce à des parcours spécifiques de préparation à la célébration du sacrement de Mariage, qui les aident à arriver jusqu'à ce jour en vivant dans la chasteté. Dans son ½uvre éducative, l'Église se montrera prévenante, accompagnant également les jeunes époux après la célébration de leur mariage.
93. Enfin, l'Église est aussi appelée à rencontrer, avec une bonté maternelle, tous ceux qui sont dans des situations matrimoniales qui peuvent facilement faire perdre l'espérance. En particulier, « face aux nombreuses familles disloquées, l'Église se sent appelée, non pas à exprimer un jugement sévère et distant, mais plutôt à introduire dans les plaies de tant de drames humains la lumière de la Parole de Dieu, accompagnée du témoignage de sa miséricorde. Tel est l'esprit avec lequel la pastorale familiale cherche à prendre en charge également les situations des croyants qui sont divorcés et se sont remariés civilement. Ils ne sont pas exclus de la communauté : ils sont même invités à participer à sa vie, en accomplissant un chemin de croissance dans la ligne des exigences évangéliques. Sans leur taire la vérité du désordre moral objectif dans lequel ils se trouvent et des conséquences qui en découlent quant à la pratique sacramentelle, l'Église entend leur montrer toute sa proximité maternelle ».150
94. S'il est nécessaire, pour servir l'Évangile de l'espérance, d'apporter une attention particulière et prioritaire à la famille, il est tout aussi vrai que les familles elles-mêmes ont une tâche irremplaçable à accomplir à l'égard de ce même Évangile de l'espérance. C'est pourquoi, en toute confiance et affection, je renouvelle mon invitation à toutes les familles chrétiennes qui vivent en Europe: « Familles, devenez ce que vous êtes ! » Vous êtes une représentation vivante de l'amour de Dieu: Vous avez la « mission de garder, de révéler et de communiquer l'amour, reflet vivant et participation réelle de l'amour de Dieu pour l'humanité et de l'amour du Christ Seigneur pour l'Église son Épouse ».151
Vous êtes le « sanctuaire de la vie [...] : le lieu où la vie, don de Dieu, peut être convenablement accueillie et protégée contre les nombreuses attaques auxquelles elle est exposée, le lieu où elle peut se développer suivant les exigences d'une croissance humaine authentique ».152
Vous êtes le fondement de la société, en tant que lieu premier de l'« humanisation » de la personne et du « vivre ensemble »,153 modèle pour l'instauration de rapports sociaux vécus dans l'amour et la solidarité.
Soyez vous-mêmes des témoins crédibles de l'Évangile de l'espérance ! Car vous êtes « Gaudium et spes ».154
Servir l'Évangile de la vie
95. Le vieillissement et la diminution de la population auxquels on assiste dans divers pays d'Europe ne peuvent pas ne pas être des motifs de préoccupation; en effet, la chute des naissances est le symptôme d'un rapport perturbé avec l'avenir ; c'est une manifestation évidente d'un manque d'espérance, c'est le signe de la « culture de mort » qui traverse la société contemporaine.155
Avec la chute de la natalité, il faut rappeler d'autres signes qui concourent à provoquer l'éclipse de la valeur de la vie et à déchaîner une sorte de conjuration contre elle. Parmi eux, il faut tout d'abord mentionner avec tristesse la diffusion de l'avortement, même en utilisant des préparations chimiques et pharmaceutiques qui le rendent possible sans devoir recourir à un médecin, et en le soustrayant ainsi à toute forme de responsabilité sociale ; cela est favorisé par la présence, dans les législations de nombreux États du continent, de lois permettant un geste qui demeure un « crime abominable » 156 et qui constitue toujours un grave désordre moral. On ne peut pas oublier non plus les attentats perpétrés à travers les interventions « sur les embryons humains qui, bien que poursuivant des buts en soi légitimes, en comportent inévitablement le meurtre », ou bien l'utilisation détournée des techniques de diagnostic prénatal, qui sont mises non pas au service de thérapies précoces, parfois envisageables, mais « d'une mentalité eugénique qui accepte l'avortement sélectif ».157
Il faut aussi mentionner la tendance, que l'on observe dans certaines parties de l'Europe, à penser qu'il pourrait être permis de mettre fin sciemment à ses jours ou à ceux d'autrui: d'où une diffusion de l'euthanasie, cachée ou effectuée au grand jour, en faveur de laquelle les demandes et les tristes exemples de légalisation ne manquent pas.
96. Face à cet état de fait, il est nécessaire de « servir l'Évangile de la vie » également grâce « à une mobilisation générale des consciences et à un effort commun d'ordre éthique, pour mettre en ½uvre une grande stratégie pour le service de la vie. Nous devons construire tous ensemble une nouvelle culture de la vie ».158 C'est là un grand défi qu'il faut affronter avec responsabilité, dans la certitude que « l'avenir de la civilisation européenne dépend en grande partie d'une défense et d'une promotion résolues des valeurs de la vie, centre de son patrimoine culturel » ; 159 il s'agit en effet de rendre à l'Europe sa véritable dignité, qui est d'être le lieu où toute personne est reconnue dans son incomparable dignité.
Je fais volontiers miennes ces paroles des Pères du synode: « Le synode des évêques européens incite les communautés chrétiennes à se faire les évangélisatrices de la vie. Il encourage les couples chrétiens et les familles chrétiennes à se soutenir mutuellement pour demeurer fidèles à leur mission de collaborer avec Dieu dans la génération et l'éducation de nouvelles créatures ; il apprécie toute généreuse tentative de réagir à l'égoïsme en matière de transmission de la vie, égoïsme nourri par de faux modèles de sécurité et de bonheur ; il demande aux États et à l'Union européenne de mettre en ½uvre des politiques clairvoyantes qui promeuvent les conditions concrètes de logement, de travail et d'aide sociale, en vue d'aider à la constitution de la famille et à répondre à la vocation à la maternité et à la paternité, et qui en plus assurent à l'Europe d'aujourd'hui la ressource la plus précieuse : les Européens de demain ».160
Bâtir une cité digne de l'homme
97. La charité active nous engage à hâter la venue du Règne de Dieu. C'est pourquoi elle apporte son concours à la promotion des valeurs authentiques qui sont à la base d'une civilisation digne de l'homme. Comme le rappelle en effet le Concile Vatican II, « dans leur marche vers la cité céleste, les chrétiens doivent rechercher et goûter les choses d'en haut; mais, par là, la gravité du devoir de travailler en collaboration avec tous les hommes à l'édification d'un monde plus humain, loin d'être diminuée, est plutôt accrue ».161 L'attente des cieux nouveaux et de la terre nouvelle, loin d'éloigner de l'histoire, intensifie la sollicitude pour le monde présent où, jusqu'à aujourd'hui, croît la nouveauté qui est germe et figure du monde à venir.
Animés par ces certitudes de foi, engageons-nous à construire une cité digne de l'homme! Même s'il n'est pas possible de réaliser dans l'histoire un ordre social parfait, nous savons pourtant que tout effort sincère pour construire un monde meilleur est accompagné de la bénédiction de Dieu et que toute semence de justice et d'amour plantée dans le temps présent donnera son fruit dans l'éternité.
98. Dans la construction d'une cité digne de l'homme, un rôle d'inspiration doit être reconnu à la doctrine sociale de l'Église. À travers elle, en effet, l'Église pose au continent européen la question de la valeur morale de sa civilisation. Cette doctrine tire son origine de la rencontre entre, d'une part, le message biblique et la raison, et, d'autre part, les problèmes et les situations concernant la vie de l'homme et de la société. Par l'ensemble des principes qu'elle propose, cette doctrine contribue à poser des bases solides pour une vie sociale à la mesure de l'homme, dans la justice, la vérité, la liberté et la solidarité. Tournée vers la défense et la promotion de la dignité de la personne, fondement non seulement de la vie économique et politique, mais aussi de la justice sociale et de la paix, elle apparaît capable d'assurer des bases solides aux piliers sur lesquels se bâtit l'avenir du continent européen.162 La doctrine sociale de l'Église comporte aussi les points de repères qui permettent de défendre la structure morale de la liberté, de manière à sauvegarder la culture et la société européennes aussi bien de l'utopie totalitaire de la « justice sans liberté » que de celle d'une « liberté sans vérité » qui s'accompagne d'une fausse conception de la « tolérance », toutes deux porteuses d'erreurs et d'horreurs pour l'humanité, comme en témoigne malheureusement l'histoire récente de l'Europe elle-même.163
99. La doctrine sociale de l'Église, en raison de son lien intrinsèque avec la dignité de la personne, est faite pour être comprise aussi par ceux qui n'appartiennent pas à la communauté des croyants. Il est donc urgent d'en répandre la connaissance et l'étude, dans le but de surmonter l'ignorance que même les chrétiens ont à son endroit. C'est ce qu'exige l'Europe nouvelle en voie de construction, elle qui a besoin de personnes éduquées selon ces valeurs et disposées à travailler à la réalisation du bien commun. À cette fin s'avère nécessaire la présence de laïcs chrétiens qui, dans les diverses responsabilités de la vie civique, économique, culturelle, dans le monde de la santé, de l'éducation et de la politique, agissent de manière à pouvoir y diffuser les valeurs du Royaume.164
Pour une culture de l'accueil
100. Parmi les défis qui se posent aujourd'hui pour le service de l'Évangile de l'espérance apparaît celui du phénomène croissant de l'immigration, qui interroge l'Église sur sa capacité d'accueillir chaque personne, quel que soit le peuple ou la nation auquel elle appartient. Il incite également toute la société européenne et ses institutions à rechercher un ordre juste et des modes de convivialité respectueux de tous, comme aussi de la législation, en vue d'une éventuelle intégration.
Devant l'état de pauvreté, de sous-développement ou même d'insuffisance de liberté qui, malheureusement, caractérise encore divers pays et qui pousse de nombreuses personnes à abandonner leur terre, se fait sentir le besoin d'un engagement courageux de tous pour la réalisation d'un ordre économique international plus juste, qui soit en mesure de promouvoir l'authentique développement de tous les peuples et de tous les pays.
101. Face au phénomène migratoire, l'Europe est mise au défi de trouver des formes nouvelles et intelligentes d'accueil et d'hospitalité. C'est la vision « universaliste » du bien commun qui l'exige: il faut dilater son regard jusqu'à embrasser les exigences de toute la famille humaine. Le phénomène même de la mondialisation demande ouverture et partage s'il veut être non pas une source d'exclusion et de marginalisation, mais au contraire de participation solidaire de tous à la production et à l'échange des biens.
Chacun doit s'employer à la croissance d'une solide culture de l'accueil qui, tenant compte de l'égale dignité de toute personne et du devoir de solidarité à l'égard des plus faibles, demande que soient reconnus les droits fondamentaux de tout migrant. Il est de la responsabilité des autorités publiques d'exercer un contrôle sur les flux migratoires en fonction des exigences du bien commun. L'accueil doit toujours se réaliser dans le respect des lois et donc se conjuguer, si nécessaire, avec une ferme répression des abus.
102. Il faut également s'employer à découvrir les formes possibles d'une véritable intégration des immigrés légitimement accueillis dans le tissu social et culturel des diverses nations européennes. Cela exige que l'on ne cède pas à l'indifférence à l'égard des valeurs humaines universelles et que l'on soit attentif à sauvegarder le patrimoine culturel propre à chaque nation. Une convivialité pacifique et un échange des richesses intérieures réciproques rendront possible l'édification d'une Europe qui sache être la maison commune, où chacun puisse être accueilli, où nul ne fasse l'objet de discrimination, où tous soient traités et vivent de façon responsable comme membres d'une seule grande famille.
103. Pour sa part, l'Église est appelée à « continuer son action pour créer et améliorer sans cesse ses services d'accueil et ses attentions pastorales à l'égard des immigrés et des réfugiés »,165 pour faire en sorte que soient respectées leur dignité et leur liberté, et que soit favorisée leur intégration.
On veillera en particulier à assurer une assistance pastorale à l'intégration des immigrés catholiques, en respectant leur culture et l'originalité de leurs traditions religieuses. À cette fin, il est bon de favoriser les contacts entres les Églises d'origine des immigrés et celles qui les accueillent, en vue d'étudier des formes d'aide qui peuvent également prévoir la présence, parmi les immigrés, de prêtres, de personnes consacrées et d'agents pastoraux, convenablement formés, provenant de leur pays.
Le service de l'Évangile exige en outre que l'Église, défendant la cause des opprimés et des exclus, demande aux autorités politiques des divers États et aux responsables des Institutions européennes de reconnaître la condition de réfugié à ceux qui fuient leur pays d'origine en raison de menaces pour leur vie, et aussi de faciliter leur retour dans leur pays, ainsi que de créer les conditions pour que soit respectée la dignité de tous les immigrés et que soient défendus leurs droits fondamentaux.166
III. Optons pour la charité
104. L'appel à vivre une charité active, adressé par les Pères synodaux à tous les chrétiens du continent européen,167 représente la synthèse heureuse d'un service authentique rendu à l'Évangile de l'espérance. Aujourd'hui, je te propose à mon tour cet appel, Église du Christ qui vis en Europe. Que les joies et les espérances, que les tristesses et les angoisses des Européens d'aujourd'hui, surtout des pauvres et de ceux qui souffrent, soient aussi tes joies et tes espérances, tes tristesses et tes angoisses, et que rien de ce qui est authentiquement humain ne manque de trouver un écho dans ton c½ur ! Regarde l'Europe et son cheminement, avec la sympathie de celui qui apprécie tout élément positif, mais qui, en même temps, ne ferme pas les yeux sur ce qui n'est pas en harmonie avec l'Évangile et qui le dénonce avec force!
105. Église en Europe, accueille chaque jour avec une fraîcheur renouvelée le don de la charité que le Seigneur t'offre et dont il te rend capable! Apprends de lui le contenu et la mesure de l'amour ! Et sois l'Église des Béatitudes, continuellement conformée au Christ (cf. Mt 5, 1-12).
Libre de toute entrave et de toute dépendance, sois pauvre et amie des plus pauvres, accueillante envers toute personne et attentive à toute forme de pauvreté, qu'elle soit ancienne ou nouvelle !
Continuellement purifiée par la bonté du Père, reconnais dans l'attitude de Jésus, qui a toujours défendu la vérité tout en se montrant miséricordieux envers les pécheurs, la norme suprême de ton action.
En Jésus, à la naissance duquel la paix fut annoncée (cf. Lc 2, 14), en lui qui dans sa mort a abattu toute inimitié (cf. Ep 2, 14) et qui a donné la paix véritable (cf. Jn 14, 27), sois un artisan de paix, invitant tes fils à laisser purifier leur c½ur de toute hostilité, égoïsme ou esprit partisan, favorisant en toute circonstance le dialogue et le respect réciproques !
En Jésus, justice de Dieu, ne te lasse jamais de dénoncer toute forme d'injustice! En vivant dans le monde avec les valeurs du Règne qui vient, tu seras l'Église de la charité, tu apporteras ton indispensable contribution à l'édification en Europe d'une civilisation toujours plus digne de l'homme.
CHAPITRE VI
L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE
POUR UNE EUROPE NOUVELLE
« J'ai vu descendre du ciel, d'auprès de Dieu,
la cité sainte, la Jérusalem nouvelle » (Ap 21, 2)
La nouveauté de Dieu dans l'histoire
106. L'Évangile de l'espérance qui résonne dans l'Apocalypse ouvre le c½ur à la contemplation de la nouveauté opérée par Dieu : « Alors j'ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et il n'y avait plus de mer » (Ap 21, 1). C'est Dieu lui-même qui proclame cette nouveauté avec des mots expliquant la vision qui vient d'être décrite : « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21, 5).
La nouveauté de Dieu – pleinement compréhensible sur l'arrière-plan des choses du passé, faites de larmes, de deuil, d'affliction et de mort (cf. Ap 21, 4) – consiste à sortir de la condition du péché et de ses conséquences, dans laquelle se trouve l'humanité ; c'est le ciel nouveau et la nouvelle terre, la Jérusalem nouvelle, par opposition à un ciel et à une terre anciens, à un antique ordre des choses et à une Jérusalem vétuste, tourmentée par ses rivalités.
Il n'est pas indifférent pour la construction de la cité de l'homme d'utiliser l'image de la Jérusalem nouvelle qui descend « du ciel, d'auprès de Dieu, toute prête, comme une fiancée parée pour son époux » (Ap 21, 2) et qui se réfère directement au mystère de l'Église. C'est une image qui parle d'une réalité eschatologique : elle va au-delà de tout ce que l'homme peut faire; elle est un don de Dieu qui s'accomplira dans les derniers temps. Mais elle n'est pas une utopie: elle est une réalité déjà présente. C'est ce qu'indique le verbe au présent utilisé par Dieu – « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21, 5) – avec la précision qui suit : « Tout est réalisé désormais » (Ap 21, 6). Car Dieu est déjà en train d'agir pour renouveler le monde ; la Pâque de Jésus est déjà la nouveauté de Dieu. Elle fait naître l'Église, elle en anime l'existence, elle renouvelle et transforme l'histoire.
107. Cette nouveauté commence à prendre forme avant tout dans la communauté chrétienne, qui est déjà aujourd'hui « la demeure de Dieu avec les hommes » (cf. Ap 21, 3), au sein de laquelle Dieu est déjà à l'½uvre, renouvelant la vie de ceux qui se soumettent au souffle de l'Esprit. L'Église est pour le monde signe et instrument du Royaume qui se réalise avant tout dans les c½urs. Un reflet de cette même nouveauté se manifeste aussi dans toute forme de convivialité humaine animée par l'Évangile. Il s'agit d'une nouveauté qui interroge la société à tout moment de l'histoire et en tout point de la terre, particulièrement la société européenne qui, depuis de nombreux siècles, écoute l'Évangile du Règne inauguré par Jésus.
I. La vocation spirituelle de l'Europe
L'Europe promotrice des valeurs universelles
108. L'histoire du continent européen est marquée par l'influence vivifiante de l'Évangile. « Si nous tournons notre regard vers les siècles passés, nous ne pouvons pas manquer de rendre grâce au Seigneur pour le fait que le christianisme a été pour notre continent un facteur primordial d'unité entre les peuples et les cultures et de promotion intégrale de l'homme et de ses droits ».168
On ne peut certes pas douter que la foi chrétienne fait partie, de façon radicale et déterminante, des fondements de la culture européenne. Le christianisme a en effet donné sa forme à l'Europe, y faisant pénétrer certaines valeurs fondamentales. La modernité européenne elle- même, qui a donné au monde l'idéal démocratique et les droits humains, puise ses valeurs dans son héritage chrétien. Plus qu'un espace géographique, cet héritage peut être qualifié de « concept majoritairement culturel et historique, caractérisant une réalité née comme continent grâce, entre autres, à la force unificatrice du christianisme ; celui-ci a su fondre entre eux des peuples différents et des cultures diverses, et il est intimement lié à la culture européenne tout entière ».169
Cependant, au moment même où l'Europe d'aujourd'hui renforce et élargit son union économique et politique, elle semble aussi souffrir d'une profonde crise de valeurs. Bien qu'elle dispose de moyens accrus, elle donne l'impression de manquer d'élan pour nourrir un projet commun et pour redonner à ses citoyens des raisons d'espérer.
Le nouveau visage de l'Europe
109. Dans le processus de transformation qu'elle vit actuellement, l'Europe est appelée avant tout à retrouver sa véritable identité. En effet, bien qu'elle soit parvenue à constituer une réalité fortement diversifiée, elle doit édifier un nouveau modèle d'unité dans la diversité, une communauté de nations réconciliées, ouverte aux autres continents et engagée dans le processus actuel de mondialisation.
Pour donner un nouvel élan à son histoire, elle doit « reconnaître et retrouver, dans une fidélité créatrice, les valeurs fondamentales à l'acquisition desquelles le christianisme a apporté une contribution déterminante, et qui peuvent se résumer dans l'affirmation de la dignité transcendante de la personne, de la valeur de la raison, de la liberté, de la démocratie, de l'état de droit et de la distinction entre politique et religion ».170
110. L'Union européenne continue à s'élargir. Tous les peuples qui partagent le même héritage fondamental ont pour vocation d'en faire partie à plus ou moins longue échéance. Il faut souhaiter que, en plus d'assurer une mise en ½uvre plus affermie des principes de subsidiarité et de solidarité, une telle expansion se réalise dans le respect de tous, valorisant les particularités historiques et culturelles, les identités nationales et la richesse des apports que pourront fournir les nouveaux membres.171 Dans le processus d'intégration du continent, il est capital de prendre en compte le fait que l'Union n'aurait pas de consistance si elle était réduite à ses seules composantes géographiques et économiques, mais qu'elle doit avant tout consister en une harmonisation des valeurs appelées à s'exprimer dans le droit et dans la vie.
Promouvoir la solidarité et la paix dans le monde
111. Dire « Europe » doit vouloir dire « ouverture ». Malgré les expériences et les signes contraires qui d'ailleurs n'ont pas manqué, c'est son histoire même qui l'exige : « L'Europe n'est pas vraiment un territoire clos ou isolé; elle s'est construite en allant, au-delà des mers, à la rencontre d'autres peuples, d'autres cultures, d'autres civilisations ».172 C'est pourquoi l'Europe doit être un continent ouvert et accueillant qui continue à pratiquer, dans l'actuelle mondialisation, des formes de coopération non seulement économique, mais également sociale et culturelle.
Il y a une exigence à laquelle le continent doit répondre de manière positive pour que son visage soit véritablement nouveau: « L'Europe ne saurait se replier sur elle-même. Elle ne peut ni ne doit se désintéresser du reste du monde ; elle doit au contraire garder pleine conscience que d'autres pays, d'autres continents, attendent d'elle des initiatives audacieuses, pour offrir aux peuples les plus pauvres les moyens de leur développement et de leur organisation sociale, et pour édifier un monde plus juste et plus fraternel ».173 Pour réaliser une telle mission de manière appropriée, il sera nécessaire « de repenser la coopération internationale en termes de nouvelle culture de solidarité. Considérée comme ferment de paix, la coopération ne peut pas se réduire à l'aide et à l'assistance, surtout quand on envisage en retour de tirer profit des ressources mises à disposition. Au contraire, elle doit exprimer un engagement concret et tangible de solidarité qui vise à faire des pauvres les acteurs de leur développement et qui permette au plus grand nombre possible de personnes d'exercer, dans les circonstances économiques et politiques concrètes dans lesquelles elles vivent, la créativité propre à la personne humaine, d'où dépend aussi la richesse des nations ».174
112. De plus, l'Europe doit prendre une part active dans la promotion et dans la mise en pratique d'une mondialisation « dans la » solidarité. Comme condition de cette dernière, il faut ajouter une sorte de mondialisation « de la » solidarité et des valeurs connexes d'équité, de justice et de liberté, dans la ferme conviction que le marché requiert d'être « dûment contrôlé par les forces sociales et par l'État, de manière à garantir la satisfaction des besoins fondamentaux de toute la société ».175
L'Europe qui nous est léguée par l'histoire a vu, surtout au siècle dernier, s'affirmer des idéologies totalitaires et des nationalismes exacerbés qui, faisant perdre l'espérance aux hommes et aux peuples du continent, ont nourri des conflits au sein des Nations et entre les Nations elles-mêmes, jusqu'à l'effroyable tragédie des deux guerres mondiales.176 Les luttes ethniques plus récentes, qui ont à nouveau ensanglanté le continent européen, ont montré elles aussi à tous que la paix est fragile, qu'elle a besoin d'un engagement actif de tous et qu'elle ne peut être garantie qu'en ouvrant de nouvelles perspectives d'échange, de pardon et de réconciliation entre les personnes, entre les peuples et entre les Nations.
Face à cet état de fait, l'Europe, avec tous ses habitants, doit s'employer inlassablement à construire la paix à l'intérieur de ses frontières et dans le monde entier. À ce propos, il convient de rappeler « d'une part que les différences nationales doivent être maintenues et cultivées comme le fondement de la solidarité européenne; et, d'autre part, que l'identité nationale elle-même ne se réalise que dans l'ouverture aux autres peuples et à travers la solidarité envers eux ».177
II. La construction européenne
Le rôle des Institutions européennes
113. Si l'on veut dessiner le nouveau visage du continent, c'est, sous de nombreux aspects déterminants, par leur rôle que les Institutions internationales qui sont principalement liées au territoire européen, et qui y agissent, ont contribué à marquer le cours historique des événements sans s'engager dans des opérations à caractère militaire. À ce sujet, je voudrais mentionner avant tout l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, qui travaille au maintien de la paix et à la stabilité, y compris par la protection et la promotion des droits humains et des libertés fondamentales, comme aussi à la coopération économique et environnementale.
Il y a aussi le Conseil de l'Europe, dont font partie les États qui ont signé la Convention européenne pour la sauvegarde des droits humains fondamentaux de 1950 et la Charte sociale de 1961. La Cour européenne des droits de l'homme lui est rattachée. Ces deux institutions visent, à travers la coopération politique, sociale, juridique et culturelle, comme aussi à travers la promotion des droits humains et de la démocratie, à la réalisation de l'Europe de la liberté et de la solidarité. Enfin, l'Union européenne, avec son Parlement, avec le Conseil des Ministres et avec la Commission, propose un modèle d'intégration qui se perfectionne progressivement, dans la perspective d'adopter un jour une charte fondamentale commune. Cet organisme a pour but de réaliser une plus grande unité politique, économique et monétaire entre les États membres, aussi bien les membres actuels que ceux qui en feront partie à l'avenir. Dans leur diversité et à partir de l'identité propre à chacune d'elles, les Institutions mentionnées ci-dessus ont pour but de promouvoir l'unité du continent, et plus profondément sont au service de l'homme.178
114. Aux Institutions européennes elles-mêmes et aux divers États d'Europe, je demande avec les Pères synodaux179 de reconnaître qu'un bon ordonnancement de la société doit s'enraciner dans d'authentiques valeurs éthiques et civiques, partagées le plus possible par les citoyens, en notant que de telles valeurs constituent avant tout le patrimoine des divers corps sociaux. Il est important que les Institutions et les États reconnaissent que, parmi ces corps sociaux, il y a aussi les Églises et Communautés ecclésiales, ainsi que les autres organisations religieuses. À plus forte raison, quand elles existent déjà avant la fondation des nations européennes, elles ne sont pas réductibles à de simples entités privées, mais elles agissent avec un poids institutionnel spécifique, qui mérite d'être sérieusement pris en considération. Dans le déroulement de leurs activités, les différentes Institutions étatiques ou européennes doivent agir en sachant que leurs systèmes juridiques ne seront pleinement respectueux de la démocratie que s'ils prévoient des formes de « saine collaboration » 180 avec les Églises et les Organisations religieuses.
À la lumière de ce qui vient d'être souligné, je voudrais m'adresser encore une fois aux rédacteurs du futur traité constitutionnel de l'Europe, pour que, dans ce dernier, figure une référence au patrimoine religieux et spécialement chrétien de l'Europe. Dans le plein respect de la laïcité des Institutions, je souhaite par-dessus tout que soient reconnus trois aspects complémentaires: le droit des Églises et des communautés religieuses de s'organiser librement, en conformité avec leurs propres statuts et leurs propres convictions; le respect de l'identité spécifique des Confessions religieuses et le fait de prévoir un dialogue structuré entre l'Union européenne et ces mêmes Confessions ; le respect du statut juridique dont les Églises et les institutions religieuses jouissent déjà en vertu des législations des États membres de l'Union.181
115. Les Institutions européennes ont pour but déclaré la défense des droits de la personne humaine. Par cet engagement, elles contribuent à construire l'Europe des valeurs et du droit. Les Pères synodaux ont fait appel aux responsables européens, leur disant : « Élevez la voix quand sont violés les droits humains des individus, des minorités et des peuples, à commencer par le droit à la liberté religieuse ; réservez la plus grande attention à tout ce qui regarde la vie humaine de sa conception jusqu'à sa mort naturelle, et la famille fondée sur le mariage : telles sont les bases sur lesquelles repose la maison commune européenne; [...] affrontez, en toute justice et équité, et avec un grand sens de la solidarité, le phénomène croissant des migrations, faisant en sorte qu'elles soient une nouvelle ressource pour l'avenir européen ; faites tous vos efforts pour qu'aux jeunes soit garanti un avenir vraiment humain, par le travail, la culture, l'éducation aux valeurs morales et spirituelles ».182
L'Église pour la nouvelle Europe
116. L'Europe a besoin d'une dimension religieuse. Pour être « nouvelle », à la manière de ce qui est dit de la « cité nouvelle » de l'Apocalypse (cf. 21, 2), elle doit se laisser rejoindre par l'action de Dieu. L'espérance de construire un monde plus juste et plus digne de l'homme ne peut en effet faire abstraction de la prise de conscience que les efforts humains ne conduiraient à rien s'ils n'étaient pas accompagnés par le soutien divin, car, « si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain » (Ps 127 [126], 1). Pour que l'Europe puisse être édifiée sur des bases solides, il est nécessaire de s'appuyer sur les valeurs authentiques, qui ont leur fondement dans la loi morale universelle, inscrite dans le c½ur de tout homme. « Non seulement les chrétiens peuvent s'unir à tous les hommes de bonne volonté pour travailler à la construction de ce grand projet, mais plus encore ils sont invités à en être en quelque sorte l'âme, en montrant le véritable sens de l'organisation de la cité terrestre ».183
Une et universelle, tout en étant présente dans la multiplicité des Églises particulières, l'Église catholique peut offrir une contribution unique à l'édification d'une Europe ouverte au monde. De l'Église en effet se dégage un modèle d'unité essentielle dans la diversité des expressions culturelles, la conscience d'appartenir à une communauté universelle qui s'enracine dans les communautés locales mais ne s'épuise pas en elles, le sens de ce qui unit au-delà de ce qui distingue.184
117. Dans ses relations avec les pouvoirs publics, l'Église ne demande pas un retour à des formes d'État confessionnel. Mais en même temps, elle déplore tout type de laïcisme idéologique ou de séparation hostile entre les institutions civiles et les confessions religieuses.
Pour sa part, dans la logique d'une saine collaboration entre communauté ecclésiale et société politique, l'Église catholique est convaincue de pouvoir apporter une contribution spécifique à la perspective de l'unification, offrant aux institutions européennes, en continuité avec sa tradition et en harmonie avec les directives de sa doctrine sociale, la présence de communautés de croyants qui cherchent à réaliser l'humanisation de la société à partir de l'Évangile vécu sous le signe de l'espérance. Dans cette optique, il est nécessaire que des chrétiens, convenablement formés et compétents, soient présents dans les diverses instances et Institutions européennes, pour concourir, dans le respect des justes dynamismes démocratiques et à travers une confrontation des propositions, à définir une convivialité européenne toujours plus respectueuse de tout homme et de toute femme, et donc conforme au bien commun.
118. L'Europe qui est en train de se construire comme « union » pousse aussi les chrétiens vers l'unité pour qu'ils soient de vrais témoins d'espérance. Dans ce cadre, il faut poursuivre et développer cet échange de dons, qui a revêtu ces dernières années des expressions significatives. Réalisé entre communautés ayant des histoires et des traditions diverses, il incite à nouer des liens plus durables entre les Églises des divers pays et il conduit à leur enrichissement mutuel, à travers rencontres, confrontations et aides réciproques. Il faut en particulier mettre en valeur la contribution de la tradition culturelle et spirituelle offerte par les Églises catholiques orientales.185
Un rôle important pour la croissance de cette unité peut être joué par les organismes continentaux de communion ecclésiale, qui attendent d'être ultérieurement encouragés.186 Parmi ceux-ci, il convient d'attribuer un rôle particulier au Conseil des Conférences épiscopales d'Europe dont la mission est, au niveau de tout le continent, d'« assurer la promotion d'une communion toujours plus intense entre les diocèses et les Conférences épiscopales nationales, l'accroissement de la collaboration ½cuménique entre les chrétiens, l'élimination des obstacles qui menacent l'avenir de la paix et le progrès des peuples, le renforcement de la collégialité affective et effective et de la “communio” hiérarchique ».187 De même, il faut reconnaître le service de la Commission des Épiscopats de la Communauté européenne qui, suivant le processus de consolidation et d'élargissement de l'Union européenne, favorise l'information mutuelle et coordonne les initiatives pastorales des Églises d'Europe concernées.
119. Le renforcement de l'Union au sein du continent européen incite les chrétiens à coopérer au processus d'intégration et de réconciliation à travers un dialogue théologique, spirituel, éthique et social.188 En effet, « dans l'Europe en marche vers l'unité politique, pouvons-nous admettre que ce soit précisément l'Église du Christ qui soit un facteur de désunion et de discorde ? Ne serait-ce pas là un des plus grands scandales de notre temps ? ».189
À partir de l'Évangile, un nouvel élan pour l'Europe
120. L'Europe a besoin d'un saut qualitatif dans la prise de conscience de son héritage spirituel. Un tel élan ne peut lui venir que d'une écoute renouvelée de l'Évangile du Christ. Il appartient à tous les chrétiens de s'employer à satisfaire cette faim et cette soif de vie.
C'est pourquoi « l'Église éprouve le devoir de renouveler avec vigueur le message d'espérance qui lui a été confié par Dieu » et elle répète à l'Europe : « “Le Seigneur ton Dieu est en toi, c'est lui, le héros qui apporte le salut” (So 3, 17). Son invitation à l'espérance ne se fonde pas sur une idéologie utopiste. [...] C'est, au contraire, le message éternel du salut proclamé par le Christ (cf. Mc 1, 15). Avec l'autorité qui lui vient de son Seigneur, l'Église répète à l'Europe d'aujourd'hui :
Europe du troisième millénaire, “que tes mains ne défaillent pas ! ” (So 3, 16) ; ne cède pas au découragement, ne te résigne pas à des modes de penser et de vivre qui n'ont pas d'avenir, car ils ne sont pas fondés sur la ferme certitude de la Parole de Dieu ! ».190
Reprenant cette invitation à l'espérance, je te le répète encore aujourd'hui, Europe qui es au début du troisième millénaire : « Retrouve-toi toi- même. Sois toi-même. Découvre tes origines. Avive tes racines ».191 Au cours des siècles, tu as reçu le trésor de la foi chrétienne. Il fonde ta vie sociale sur les principes tirés de l'Évangile et on en voit les traces dans l'art, la littérature, la pensée et la culture de tes nations. Mais cet héritage n'appartient pas seulement au passé ; c'est un projet pour l'avenir, à transmettre aux générations futures, car il est la matrice de la vie des personnes et des peuples qui ont forgé ensemble le continent européen.
121. Ne crains pas ! L'Évangile n'est pas contre toi, il est en ta faveur. Cela est confirmé par la constatation que l'inspiration chrétienne peut transformer l'ensemble des composantes politiques, culturelles et économiques en une convivialité où tous les Européens se sentent chez eux et forment une famille de nations dont d'autres régions du monde peuvent s'inspirer de manière fructueuse.
Aie confiance ! Dans l'Évangile, qui est Jésus, tu trouveras l'espérance forte et durable à laquelle tu aspires. C'est une espérance fondée sur la victoire du Christ sur le péché et sur la mort. Cette victoire, il a voulu qu'elle soit tienne, pour ton salut et pour ta joie.
Sois-en sûre ! L'Évangile de l'espérance ne déçoit pas. Dans les vicissitudes de ton histoire d'hier et d'aujourd'hui, c'est une lumière qui éclaire et oriente ton chemin ; c'est une force qui te soutient dans l'épreuve ; c'est une prophétie d'un monde nouveau; c'est le signe d'un nouveau départ ; c'est une invitation à tous, croyants ou non, à tracer des chemins toujours nouveaux qui ouvrent sur l'« Europe de l'Esprit », pour en faire une véritable « maison commune » où l'on trouve la joie de vivre.
CONCLUSION
Consécration à Marie
« Un signe grandiose apparut dans le ciel :
une Femme, ayant le soleil pour manteau »
(Ap 12, 1)
La femme, le dragon et l'enfant
122. L'histoire de l'Église s'accompagne de « signes » qui sont sous les yeux de tous, mais qui demandent à être interprétés. Parmi eux, l'Apocalypse présente le « signe grandiose » apparu dans le ciel, qui parle d'une lutte entre la femme et le dragon.
La femme ayant le soleil pour manteau, qui est en train d'accoucher dans la souffrance (cf. Ap 12, 1-2), peut désigner l'Israël des prophètes qui enfante le Messie, « celui qui sera le berger de toutes les nations, les menant avec un sceptre de fer » (Ap 12, 5 ; cf. Ps 2, 9). Mais elle représente aussi l'Église, peuple de la nouvelle Alliance, en proie à la persécution, mais protégée par Dieu. Le dragon est « le serpent des origines, celui qu'on nomme Démon ou Satan, celui qui égarait le monde entier » (Ap 12, 9). Le combat est inégal : le dragon semble avoir l'avantage, tant est grande son outrecuidance face à la femme sans défense et souffrante. En réalité, le vainqueur, c'est le fils que la femme vient de mettre au monde. Dans ce combat, une chose est certaine : le grand dragon a déjà été vaincu, « il fut jeté sur la terre, et ses anges avec lui » (Ap 12, 9). Ceux qui l'ont vaincu, ce sont le Christ, Dieu fait homme, par sa mort et sa résurrection, et les martyrs, « par le sang de l'Agneau et le témoignage de leur parole » (Ap 12, 11). Et même si le dragon persiste dans son opposition, il n'y a rien à craindre, car sa défaite est déjà consommée.
123. Telle est la certitude qui anime l'Église au long de son chemin, tandis qu'elle relit son histoire de toujours à partir de la femme et du dragon. La femme qui met au monde un enfant mâle nous rappelle aussi la Vierge Marie, surtout au moment où, transpercée par la souffrance au pied de la Croix, elle engendre de nouveau le Fils, comme vainqueur du prince de ce monde. Elle est confiée à Jean qui, à son tour, lui est confié (cf. Jn 19, 26-27), et elle devient ainsi la Mère de l'Église. Grâce au lien qui unit Marie à l'Église, et l'Église à Marie, le mystère de la femme prend une clarté nouvelle : « En effet, Marie, présente dans l'Église comme Mère du Rédempteur, participe maternellement au “dur combat contre les puissances des ténèbres” qui se déroule à travers toute l'histoire des hommes. Et par cette identification ecclésiale avec la “femme enveloppée de soleil” (Ap 12, 1), on peut dire que “l'Église, en la personne de la bienheureuse Vierge, atteint déjà la perfection qui la fait sans tache ni ride” ».192
124. L'Église entière regarde donc Marie. Grâce aux multiples sanctuaires mariaux disséminés dans toutes les nations du continent, la dévotion à Marie est très vivante et fort répandue parmi les peuples européens.
Église en Europe, continue à contempler Marie, et reconnais qu'elle apporte « sa présence et son assistance maternelles dans les problèmes multiples et complexes qui accompagnent aujourd'hui la vie des personnes, des familles et des nations » et qu'elle vient au secours « du peuple chrétien dans la lutte incessante entre le bien et le mal, afin qu'il “ne tombe pas” ou, s'il est tombé, qu'il “se relève” ».193
Prière à Marie, Mère de l'espérance
125. Dans cette contemplation, animée par un amour authentique, Marie nous apparaît comme la figure de l'Église qui, nourrie par l'espérance, reconnaît l'action salvifique et miséricordieuse de Dieu, à la lumière duquel elle lit son propre chemin et toute l'histoire. Elle nous aide à interpréter, aujourd'hui encore, nos itinéraires en référence à son Fils Jésus. Créature nouvelle modelée par l'Esprit Saint, Marie fait croître en nous la vertu de l'espérance.
À Elle, Mère de l'espérance et de la consolation, nous adressons avec confiance notre prière: nous lui confions l'avenir de l'Église en Europe et l'avenir de toutes les femmes et tous les hommes de ce continent :
Marie, Mère de l'espérance,
marche avec nous !
Apprends-nous à proclamer le Dieu vivant;
Aide-nous à témoigner de Jésus,
l'unique Sauveur;
rends-nous serviables envers notre prochain,
accueillants envers ceux
qui sont dans le besoin, artisans de justice,
bâtisseurs passionnés d'un monde plus juste ;
intercède pour nous
qui ½uvrons dans l'histoire,
avec la certitude
que le dessein du Père s'accomplira.
Aurore d'un monde nouveau,
montre-toi la Mère de l'espérance
et veille sur nous !
Veille sur l'Église en Europe :
qu'elle soit transparente à l'Évangile ;
qu'elle soit un authentique lieu
de communion ;
qu'elle vive sa mission
d'annoncer, de célébrer et de servir
l'Évangile de l'espérance
pour la paix et la joie de tous.
Reine de la paix,
protège l'humanité du troisième millénaire !
Veille sur tous les chrétiens :
qu'ils avancent dans la confiance
sur le chemin de l'unité,
comme un ferment pour la concorde
sur le continent.
Veille sur les jeunes,
espérance de l'avenir,
qu'ils répondent généreusement
à l'appel de Jésus ;
veille sur les responsables des nations:
qu'ils s'emploient à édifier
une maison commune,
dans laquelle soient respectés la dignité
et les droits de chacun.
Marie, donne-nous Jésus !
Fais que nous le suivions
et que nous l'aimions !
C'est lui l'espérance de l'Église,
de l'Europe et de l'humanité.
C'est lui qui vit avec nous, au milieu de nous,
dans son Église.
Avec toi, nous disons
« Viens, Seigneur Jésus ! » (Ap 22, 20) :
Que l'espérance de la gloire
déposée par Lui en nos c½urs
porte des fruits de justice et de paix !
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 28 juin 2003, vigile de la solennité des saints Apôtres Pierre et Paul, en la vingt-cinquième année de mon pontificat.
JEAN-PAUL II
1 Cf. Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 1 : L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 5 ; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 957-958.
2 Cf. Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Instrumentum laboris, nn. 90-91 : L'Oss. Rom., 6 août 1999 - Suppl., pp. 17-18 ; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 802-803.
3 Jean-Paul II, Bulle Incarnationis mysterium (29 novembre 1998), nn. 3-4 : AAS 91 (1999), pp. 132. 133 ; La Documentation catholique 95 (1998), pp. 1052. 1053.
4 Cf. Jean-Paul II, Lettre apost. Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994), n. 38 : AAS 87 (1995), p. 30 ; La Documentation catholique 91 (1994), pp. 1027-1028.
5 Cf. Angélus, n. 2 : Insegnamenti XIX/1 (1996), pp. 1599- 1600 ; La Documentation catholique 93 (1996), p. 673.
6 Synode des Évêques - Première Assemblée spéciale pour l'Europe, Déclaration finale (13 décembre 1991), n. 2 : Enchiridion Vaticanum 13, n. 619 ; La Documentation catholique 89 (1992), p. 124.
7 Ibid. n. 3: Ench. Vat., l.c., n. 621 ; La Documentation catholique, l.c., p. 125.
8 Cf. Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Instrumentum laboris, n. 3: L'Oss. Rom., 6 août 1999 - Suppl., p. 3; La Documentation catholique 96 (1999), p. 751.
9 Cf. Jean-Paul II, Homélie durant la concélébration de conclusion de la Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques (23 octobre 1999), n. 1 : AAS 92 (2000), p. 177 ; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 959-960.
10 Cf. Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 2 : L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 5 ; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 955-956.
11 Cf. Jean-Paul II, Homélie durant la concélébration de conclusion de la Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques (23 octobre 1999), n. 4 : AAS 92 (2000), p. 179 ; L'Oss. Rom., éd. hebd. en langue française, 26 octobre 1999, p. 5.
12 Ibid.
13 Cf. Proposition 1.
14 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Instrumentum laboris, n. 2 : L'Oss. Rom., 6 août 1999 - Suppl. pp. 2-3 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 763.
15 Cf. ibid., nn. 12-13. 16-19 : L'Oss. Rom., l.c., pp. 4-6; La Documentation catholique, l.c., pp. 768-769 ; Idem, Rapport avant la discussion, I : L'Oss. Rom., 3 octobre 1999, pp. 6-7 ; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 935-938 ; Idem, Rapport après la discussion, II, A : L'Oss. Rom., 11-12 octobre 1999, p. 10.
16 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Rapport avant la discussion, I, 1. 2 : L'Oss. Rom., 3 octobre 1999, p. 6 ; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 935. 936.
17 Cf. Proposition 5a.
18 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 1 : L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 5 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 955.
19 Cf. Proposition 5a ; Conseil pontifical pour la Culture et Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, Jésus le porteur d'eau vive. Une réflexion chrétienne sur le « New Age », Cité du Vatican, 2003 ; La Documentation catholique 100 (2003), pp. 272-310.
20 Cf. Proposition 5a.
21 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 6 : L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 5 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 958.
22 Jean-Paul II, Angélus (25 août 1996), n. 2 : Insegnamenti XIX/2 (1996), p. 237 ; cf. Proposition 9.
23 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Instrumentum laboris, n. 88 : L'Oss. Rom., 6 août 1999 - Suppl., p. 17 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 801.
24 Jean-Paul II, Homélie durant la concélébration de conclusion de la Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques (23 octobre 1999), n. 4 : AAS 92 (2000), p. 179 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 960.
25 Cf. Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. 26 : AAS 81 (1989), p. 439 ; La Documentation catholique 86 (1989), pp. 166-167.
26 Cf. Proposition 21.
27 Ibid.
28 Proposition 9.
29 Ibid.
30 Cf. Proposition 4, 1.
31 Jean-Paul II, Homélie durant la concélébration de conclusion de la Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques (23 octobre 1999), n. 2 : AAS 92 (2000), p. 178 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 960.
32 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 2 : L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 5 ; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 955-956.
33 Cf. Proposition 4, 2.
34 Jean-Paul II, Encycl. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 47 : AAS 83 (1991), p. 852 ; La Documentation catholique 88 (1991), p. 542.
35 Cf. Proposition 4, 1.
36 Cf. Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Instrumentum laboris, n. 30 : L'Oss. Rom., 6 août 1999 - Suppl., p. 8 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 777.
37 Cf. Homélie durant la concélébration de conclusion de la Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques (23 octobre 1999), n. 3 : AAS 92 (2000), p. 178 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 960 ; Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration Dominus Iesus (6 août 2000), n. 13 : AAS 92 (2000), p. 754 ; La Documentation catholique 97 (2000), p. 817.
38 Cf. Proposition 5.
39 Cf. Jean-Paul II, Encycl. Dominum et vivificantem (18 mai 1986), n. 7 : AAS 78 (1986), p. 816 ; La Documentation catholique 83 (1986), p. 585 ; Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration Dominus Iesus (6 août 2000), n. 16 : AAS 92 (2000), pp. 756-757; La Documentation catholique 97 (2000), p. 818.
40 Paul VI, Encycl. Mysterium fidei (3 septembre 1965) : AAS 57 (1965), pp. 762-763 ; La Documentation catholique 62 (1965), col. 1643. Cf. S. Congrégation des Rites, Instr. Eucharisticum mysterium (25 mai 1967), n. 9: AAS 59 (1967), p. 547 ; La Documentation catholique 64 (1967), col. 1098-1099 ; Catéchisme de l'Église catholique, n. 1374.
41 Concile ½cum. de Trente, Décr. De ss. Eucharistia, can. 1 : DS 1651 ; La Foi catholique, n. 745; cf. chap. 3 : DS 1641 ; La Foi catholique, n. 738.
42 Jean-Paul II, Encycl. Ecclesia de Eucharistia (17 avril 2003), n. 15 : L'Oss. Rom., 18 avril 2003, p. 2 ; La Documentation catholique 100 (2003), p. 373.
43 Cf. S. Augustin, Sur l'Évangile de Jean, Traité VI, chap. I, n. 7 : PL 35, 1428 ; S. Jean Chrysostome, Sur la trahison de Judas, 1, 6 : PG 49, 380C.
44 Cf. Conc. ½cum. Vat. II, Const. sur la sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, n. 7 ; Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, n. 50 ; Paul VI, Encycl. Mysterium fidei, nn. 35-38 (3 septembre 1965) : AAS 57 (1965), pp. 762-763 ; La Documentation catholique 62 (1965), col. 1641-1643 ; S. Congrégation des Rites, Instr. Eucharisticum mysterium (25 mai 1967), n. 9 : AAS 59 (1967), p. 547 ; La Documentation catholique 64 (1967), col. 1098-1099 ; Catéchisme de l'Église catholique, nn. 1373-1374.
45 Jean-Paul II, Motu proprio Spes ædificandi (1er octobre 1999), n. 1 : AAS 92 (2000), p. 220 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 917.
46 Cf Jean-Paul II, Discours au siège du Parlement polonais, à Varsovie (11 juin 1999), n. 6 : Insegnamenti, XXII/1, p. 1276 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 673.
47 Cf. Jean-Paul II, Discours à la cérémonie de congé à l'aéroport de Cracovie (10 juin 1997), n. 4 : Insegnamenti, XX/1, pp. 1496-1497 ; L'Oss. Rom. éd. hebd. en langue française, 15 juillet 1997, p. 6.
48 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 4 : L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 5 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 957.
49 Cf. Proposition 15, 1 ; Catéchisme de l'Église catholique, n. 773 ; Jean-Paul II, Lettre apost. Mulieris dignitatem (15 août 1988), n. 27 : AAS 80 (1988), p. 1718 ; La Documentation catholique 85 (1988), pp. 1084-1085.
50 Cf. Proposition 15, 1.
51 Cf. Proposition 21.
52 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 4 : L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 5 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 957.
53 Proposition 9.
54 Ibid.
55 Ibid.
56 Cf. Proposition 22.
57 Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Pastores dabo vobis (25 mars 1992), n. 15 : AAS 84 (1992), pp. 679- 680 ; La Documentation catholique 89 (1992), p. 459.
58 Cf. ibid., n. 29: AAS, l.c., pp. 703-705 ; La Documentation catholique, l.c., pp. 467-468 ; Proposition 18.
59 Cf. Code des Canons des Églises orientales, can. 373.
60 Cf. Code de Droit canonique, can. 277, 1.
61 Cf. Paul VI, Encycl. Sacerdotalis cælibatus (24 juin 1967), n. 40 : AAS 59 (1967), p. 673 ; La Documentation catholique 64 (1967), col. 1262.
62 Cf. Proposition 18.
63 Cf. ibid.
64 Cf Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 4 : L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 5 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 957.
65 Cf. Conc. ½cum. Vat. II, Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, n. 29.
66 Cf. Proposition 19.
67 Cf. ibid.
68 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Rapport avant la discussion, III : L'Oss. Rom., 3 octobre 1999, p. 9 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 947.
69 Cf. Proposition 17.
70 Cf. ibid.
71 Jean-Paul II, Discours aux participants au Congrès sur les vocations en Europe (9 mai 1997), nn. 1-3 : Insegnamenti XX/1, pp. 917-918 ; La Documentation catholique 94 (1997), pp. 605-606.
72 Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. 7 : AAS 81 (1989), p. 404 ; La Documentation catholique 86 (1989), p. 156.
73 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Instrumentum laboris, n. 82 : L'Oss. Rom., 6 août 1999, p. 16 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 799.
74 Cf. Proposition 29.
75 Cf. Proposition 30.
76 Cf. ibid.
77 Paul VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. 14 : AAS 68 (1976), p. 13 ; La Documentation catholique 73 (1976), p. 3.
78 Cf. Proposition 3b.
79 Cf. Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. 37 : AAS 83 (1991), pp. 282-286 ; La Documentation catholique 88 (1991), pp. 166-167.
80 Cf. Synode des Évêques - Deuxième assemblée spéciale pour l'Europe, Rapport avant la discussion, I, 2 : L'Oss. Rom., 3 octobre 1999, p. 7 ; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 936-938.
81 Cf. Proposition 3a.
82 Synode des Évêques - Deuxième assemblée spéciale pour l'Europe, Rapport avant la discussion, III, 1 : L'Oss. Rom., 3 octobre 1999, p. 8 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 944.
83 Cf. Synode des Évêques - Deuxième assemblée spéciale pour l'Europe, Instrumentum laboris, n. 53 : L'Oss. Rom., 6 août 1999 - Suppl., p. 12 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 788.
84 Cf. Proposition 4,1.
85 Cf. Proposition 26,1.
86 Synode des Évêques - Deuxième assemblée spéciale pour l'Europe, Rapport avant la discussion, III,1 : L'Oss. Rom., 3 octobre 1999, p. 9 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 944.
87 Paul VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. 41 : AAS 68 (1976), p. 31 ; La Documentation catholique 73 (1976), p. 8.
88 Proposition 8, 1.
89 Cf. Proposition 8, 2.
90 Cf. Propositions 8, 1a-b ; 6.
91 Cf. Jean-Paul II, Exhort. apost. Catechesi tradendæ (16 octobre 1979), n. 21 : AAS 71 (1979), pp. 1294-1295 ; La Documentation catholique 76 (1979), p. 906.
92 Cf. Proposition 24.
93 Cf. Proposition 8, 1c.
94 Cf. Proposition 24.
95 Cf. Proposition 22.
96 Cf. Jean-Paul II, Discours aux Présidents des Conférences épiscopales européennes (16 avril 1993), n. 1 : AAS 86 (1994), p. 227 ; La Documentation catholique 90 (1993), p. 501.
97 Jean-Paul II, Discours pendant la célébration ½cuménique de la Parole à la cathédrale de Paderborn (22 juin 1996), n. 5 : Insegnamenti XIX/I, p. 1571 ; La Documentation catholique 93 (1996), p. 662.
98 Paul VI, Lettre du 13 janvier 1970 : Tomos agapis, Rome-Istanbul (1971), pp. 610-611 ; cf. Jean-Paul II, Encycl. Ut unum sint (25 mai 1995), n. 99 : AAS 87 (1995), p. 980 ; La Documentation catholique 92 (1995), p. 158.
99 Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. 55 : AAS 83 (1991), p. 302 ; La Documentation catholique 88 (1991), p 173.
100 Ibid., n. 36 : AAS, l.c., p. 281 ; La Documentation catholique, l.c., p. 166.
101 Cf. Synode des Évêques - Première Assemblée spéciale pour l'Europe, Déclaration finale (13 décembre 1991), n. 8 : Ench. Vat., 13, nn. 653-655 ; La Documentation catholique 89 (1992), p. 129 ; Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Instrumentum laboris, n. 62 : L'Oss. Rom., 6 août 1999 - Suppl., p. 13; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 791-792 ; Proposition 10.
102 Proposition 10 ; cf. Commission pour les Rapports religieux avec le Judaïsme, Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah (16 mars 1998) : Ench. Vat. 17, nn. 520-550 ; La Documentation catholique 95 (1998), pp. 336-340.
103 Synode des Évêques - Première Assemblée spéciale pour l'Europe, Déclaration finale (13 décembre 1991), n. 9 : Ench. Vat., 13, n. 656 ; La Documentation catholique 89 (1992), p. 129.
104 Cf. Proposition 11.
105 Cf. ibid.
106 Jean-Paul II, Discours au Corps diplomatique (12 janvier 1985), n. 3 : AAS 77 (1985), p. 650 ; La Documentation catholique 83 (1985), p. 219.
107 Conc. ½cum. Vat. II, Déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis humanæ, n. 2.
108 Cf. Proposition 23.
109 Cf. Propositions 25 ; 26, 2.
110 Cf. Proposition 26, 3.
111 Cf. Proposition 27.
112 Jean-Paul II, Lettre aux artistes (4 avril 1999), n. 12 : AAS 91(1999), p. 1168 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 12.
113 Cf. Proposition 7b-c.
114 Cf. Jean-Paul II, Discours durant la veillée de prière à Tor Vergata lors des XV es Journées mondiales de la Jeunesse (19 août 2000), n. 6 : Insegnamenti XXIII/2, p. 212 ; La Documentation catholique 97 (2000), pp. 776-778.
115 Cf. Conseil pontifical pour les Communications sociales, Éthique dans les communications sociales, Cité du Vatican, 4 juin 2000 : La Documentation catholique 97 (2000), pp. 623-633.
116 Proposition 13.
117 Cf. Proposition 12.
118 Conc. ½cum. Vat. II, Const. dogm. Dei Verbum, n. 25.
119 Cf. Proposition 14.
120 Const. Sacrosanctum Concilium, n. 8.
121 Cf. Proposition 14 ; Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Rapport avant la discussion, III, 2 : L'Oss. Rom., 3 octobre 1999, p. 9 ; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 945-946.
122 Cf. Proposition 15, 2a.
123 Conc. ½cum. Vat. II, Décr. sur le ministère et la vie des prêtres Presbyterorum Ordinis, n. 5.
124 Conc. ½cum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 11.
125 Jean-Paul II, Encycl. Ecclesia de Eucharistia (17 avril 2003), n. 20 : L'Oss. Rom., 18 avril 2003, p. 3 ; La Documentation catholique 100 (2003), p. 374.
126 Cf. Jean-Paul II, Discours à l'audience générale (23 octobre 2002), n. 2 : Insegnamenti XXIII/2 (2000), p. 697.
127 Cf. Proposition 16.
128 Cf. Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Rapport avant la discussion, III, 2 : L'Oss. Rom., 3 octobre 1999, p. 9 ; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 945-946.
129 Cf. Proposition 16.
130 Cf. Jean-Paul II, Motu proprio Misericordia Dei (7 avril 2002), n. 4 : AAS 94 (2002), pp. 456-457 ; La Documentation catholique 99 (2002), pp. 453-454.
131 Cf. Proposition 16 ; Jean-Paul II, Lettre aux prêtres pour le Jeudi saint 2002 (17 mars 2002), n. 4 : AAS 94 (2002), pp. 435-436 ; La Documentation catholique 99 (2002), p. 304.
132 Cf. Proposition 14c.
133 Cf. ibid.
134 Cf. Const. Sacrosanctum Concilium, n. 100.
135 Cf. Proposition 14c; 20.
136 Cf. Proposition 20.
137Jean-Paul II, Lettre apost. Rosarium Virginis Mariæ (16 octobre 2002), n. 3 : AAS 95 (2003), p. 7 ; La Documentation catholique 99 (2002), p. 952-953.
138 Cf. Proposition 14.
139 Jean-Paul II, Lettre apost. Dies Domini (31 mai 1998), n. 4 : AAS 90 (1998), p. 716 ; La Documentation catholique 95 (1998), p. 659.
140 Jean-Paul II, Encycl. Redemptor hominis (4 mars 1979), n. 10 : AAS 71 (1979), p. 274 ; La Documentation catholique 76 (1979), p. 306.
141 Cf. Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Instrumentum laboris, n. 72, L'Oss. Rom., 6 août 1999, Suppl., p. 15 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 795.
142 Conc. ½cum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 1.
143 Cf. Jean-Paul II, Encycl. Evangelium vitæ (25 mars 1995), n. 90 : AAS 87 (1995), p. 503 ; La Documentation catholique 92 (1995), p. 396.
144 Cf. Proposition 33.
145 Proposition 35.
146 Cf. Proposition 36.
147 Cf. Proposition 31.
148 Cf. Conc. ½cum. Vat. II, Const. past. sur l'Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 48.
149 Cf. Proposition 31.
150 Jean-Paul II, Discours pour la troisième Rencontre mondiale des Familles à l'occasion de leur jubilé (14 octobre 2000), n. 6 : Insegnamenti XXIII/2, p. 603 ; La Documentation catholique 97 (2000), p. 973.
151 Jean-Paul II, Exhort. apost. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 17 : AAS 74 (1982), pp. 99-100 ; La Documentation catholique 79 (1982), p. 6.
152 Jean-Paul II, Encycl. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 39 : AAS 83 (1991), p. 842 ; La Documentation catholique 88 (1991), p. 538.
153 Cf. Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), n. 40 : AAS 81 (1989), p. 469 ; La Documentation catholique 86 (1989), p. 176.
154 Cf. Jean-Paul II, Discours à la première Rencontre mondiale des Familles (8 octobre 1994), n. 7 : AAS 87 (1995), p. 587 ; La Documentation catholique 91 (1994), p. 969.
155 Cf. Proposition 32.
156 Cf. Conc. ½cum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n. 51.
157 Jean-Paul II, Encycl. Evangelium vitæ (25 mars 1995), n. 63 : AAS 87 (1995), p. 473 ; La Documentation catholique 92 (1995), p. 383.
158 Ibid., n. 95: AAS, l.c., p. 509; La Documentation catholique, l.c., p. 398.
159 Jean-Paul II, Discours au nouvel Ambassadeur de Norvège près le Saint-Siège (25 mars 1995) : Insegnamenti XVIII/1, p. 857.
160 Proposition 32.
161 Const. past. Gaudium et spes, n. 57.
162 Cf. Proposition 28 ; Synode des Évêques - Première Assemblée spéciale pour l'Europe, Déclaration finale (13 décembre 1991), n. 10 : Ench. Vat. 13, nn. 659-669 ; La Documentation catholique, 89 (1992), p. 130.
163 Cf. Proposition 23.
164 Cf. Proposition 28.
165 Proposition 34.
166 Cf. Congrégation pour les Évêques, Instr. Nemo est (22 août 1969), n. 16 : AAS 61 (1969), pp. 621-622 ; La Documentation catholique 67 (1970), p. 62 ; CIC, can. 294 et 518 ; CCEO, can. 280 § 1.
167 Cf. Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 5 : L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 6 ; La Documentation catholique 96 (1999), pp. 957-958.
168 Jean-Paul II, Homélie durant la concélébration de conclusion de la deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques (23 octobre 1999), n. 5 : AAS 92 (2000), p. 179 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 960.
169 Proposition 39.
170 Ibid.
171 Cf. ibid. ; cf. aussi Proposition 28.
172 Jean-Paul II, Lettre au Cardinal Miloslav Vlk, Président du Conseil des Conférences épiscopales d'Europe (16 octobre 2000), n. 7 : Insegnamenti XXIII/2, p. 628 ; La Documentation catholique 97 (2000), p. 960.
173 Ibid.
174 Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2000, n. 17 : AAS 92 (2000), pp. 367-368 ; La Documentation catholique 97 (2000), pp. 5-6.
175 Jean-Paul II, Encycl. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 35 : AAS 83 (1991), p. 837 ; La Documentation catholique 88 (1991), p. 535.
176 Cf. Proposition 39.
177 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Instrumentum laboris, n. 85 : L'Oss. Rom., 6 août 1999 - Suppl., p. 17 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 800 ; cf. Proposition 39.
178 Cf. Jean-Paul II, Allocution à la Présidence du Parlement européen (5 avril 1979) : Insegnamenti, II/I, pp. 796-799 ; La Documentation catholique 76 (1979), pp. 432-433.
179 Cf. Proposition 37.
180 Cf. Conc. ½cum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n. 76.
181 Cf. Jean-Paul II, Discours au Corps diplomatique (13 janvier 2003), n. 5 : L'Oss. Rom., 13-14 janvier 2003, p. 6 : La Documentation catholique 100 (2003), p. 120.
182 Synode des Évêques - Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe, Message final, n. 6 : L'Oss. Rom., 23 octobre 1999, p. 5 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 958.
183 Jean-Paul II, Lettre au Cardinal Miloslav Vlk, Président du Conseil des Conférences épiscopales d'Europe (16 octobre 2000), n. 4 : Insegnamenti XXIII/2, p. 626 ; La Documentation catholique 97 (2000), p. 960.
184 Cf. Synode des Évêques - Première Assemblée spéciale pour l'Europe, Déclaration finale (13 décembre 1991), n. 10 : Ench. Vat. 13, n. 669 ; La Documentation catholique 89 (1992), pp. 130-131.
185 Cf. Proposition 22.
186 Cf. ibid.
187 Jean-Paul II, Discours au Conseil des Conférences épiscopales d'Europe (16 avril 1993), n. 5 : AAS 86 (1994), p. 229 ; La Documentation catholique 90 (1993), p. 502.
188 Cf. Proposition 39d.
189 Jean-Paul II, Homélie durant la célébration ½cuménique à l'occasion de l'Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques (7 décembre 1991), n. 6 : Insegnamenti XIV/2, p. 1330. L'Oss. Rom., éd. hebdom. en langue française, 17 décembre 1991, p. 14.
190 Jean-Paul II, Homélie pour l'ouverture de la deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques (1er octobre 1999), n. 3 : AAS 92 (2000), pp. 174-175 ; La Documentation catholique 96 (1999), p. 932.
191 Discours à différentes Autorités européennes (9 novembre 1982), n. 4 : AAS 75 (1983), p. 330 ; La Documentation catholique 79 (1982), p. 1129.
192 Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris Mater (25 mars 1987), n. 47 : AAS 79 (1987), p. 426 ; La Documentation catholique 84 (1987), p. 404.
193 Ibid., n. 52 : AAS, l.c., p. 432 ; La Documentation catholique, l.c., p. 406 ; cf. Proposition 40
21 juillet 2003 – Angelus
1. Au cours des derniers mois, on a travaillé intensément à la rédaction de la nouvelle Constitution européenne, dont la version définitive sera approuvée lors de la Conférence intergouvernementale à partir du mois d'octobre prochain. L'Église sent elle aussi le devoir d'offrir sa contribution à cette tâche importante, qui concerne toutes les composantes de la société européenne.
Elle rappelle, entre autres, comme je le notais dans l'Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Europa, que "l'Europe a été largement et profondément pénétrée par le christianisme" (n. 24). Celui-ci constitue, dans l'histoire complexe du continent, un élément central et d'une grande valeur, qui s'est consolidé sur le fondement de l'héritage classique et des diverses contributions offertes par les flux ethniques et culturels qui se sont succédé le long des siècles.
2. On peut alors donc affirmer que la foi chrétienne a façonné la culture de l'Europe, formant un tout avec son histoire et que, en dépit de la douloureuse division entre Orient et Occident, le christianisme est devenu "la religion des Européens eux-mêmes" (ibid.) Son influence est demeurée importante également à l'époque moderne et contemporaine, en dépit du phénomène profond et diffus de la sécularisation.
L'Église sait que son intérêt pour l'Europe jaillit de sa mission même. En tant que dépositaire de l'Evangile, elle a promu les valeurs qui ont fait apprécier la culture européenne de façon universelle. Ce patrimoine ne peut être perdu. Au contraire, il faut aider la nouvelle Europe à "se construire elle-même en redonnant vie aux racines chrétiennes de ses origines" (cf. n. 25).
3. Que Marie, Mère de l'espérance, veille sur l'Église qui est en Europe afin qu'elle devienne toujours plus "transparente à l'Évangile", qu'elle soit un lieu où croissent la communion et l'unité, afin que le visage du Christ resplendisse dans tout son éclat pour la paix et la joie de tous les habitants du continent européen.
2 mai 2004 – Angelus
1. Ces jours-ci, l'Europe vit une nouvelle étape importante de son histoire: dix nouveaux pays entrent dans l'Union européenne. Dix nations, qui étaient et se sentaient déjà européennes, en raison de leur culture et de leurs traditions, font désormais partie de cette Union d'États.
Si elle veut être durable, l'unité des peuples européens ne peut toutefois pas être uniquement économique et politique. Comme je l'ai rappelé au cours de mon pèlerinage à Compostelle, au mois de novembre 1982, l'âme de l'Europe demeure unie aujourd'hui encore, parce qu'elle fait référence à des valeurs humaines et chrétiennes communes. L'histoire de la formation des Nations européennes va de pair avec l'évangélisation. C'est pourquoi, en dépit des crises spirituelles qui ont marqué la vie du continent jusqu'à nos jours, son identité serait incompréhensible sans le christianisme.
2. C'est précisément pour cela que l'Église a voulu offrir au cours de ces années de nombreuses contributions au renforcement de son unité culturelle et spirituelle, en particulier à travers les Synodes spéciaux pour l'Europe de 1990 et de 1999. La lymphe vitale de l'Évangile peut assurer à l'Europe un développement cohérent avec son identité, dans la liberté et la solidarité, dans la justice et dans la paix. Seule une Europe qui n'ignore pas, mais redécouvre ses racines chrétiennes, pourra être à la hauteur des grands défis du troisième millénaire : la paix, le dialogue entre les cultures et les religions, la sauvegarde de la création.
Tous les croyants dans le Christ de l'Europe de l'Ouest et de l'Est sont appelés à offrir leur contribution à cette entreprise importante, à travers une coopération ½cuménique ouverte et sincère.
3. Tandis que je salue avec affection les nations qui sont accueillies ces jours-ci au sein de l'Union européenne, ma pensée se tourne vers les innombrables sanctuaires qui, au cours des siècles, ont maintenu vive dans chacune d'elles la dévotion à la Vierge Marie. Confions à la Madone, Mère de l'espérance, ainsi qu'aux saints et aux saintes que nous vénérons comme patrons de l'Europe, le présent et l'avenir du continent.