1978
28 décembre 1978, à l’Association des Médecins Catholiques d’Italie
Éminents et chers fils de l’Association des médecins catholiques d’Italie, en vous souhaitant cordialement la bienvenue dans cette maison qui est devenue la mienne, je voudrais vous dire avant tout la joie que me cause cette rencontre où je peux faire la connaissance de tant de personnes éminentes par leurs mérites scientifiques, admirables par leur sens élevé du devoir, exemplaires par la profession courageuse de leur foi chrétienne. Je vous suis sincèrement reconnaissant de l’amabilité et de l’affection dont votre visite est le signe manifeste. Je suis heureux de saluer votre zélé aumônier, Mgr Fiorenzo Angelini ; votre illustre président, le professeur Pietro de Franciscis, et les trois vice-présidents qui l’assistent efficacement, votre infatigable secrétaire général, le professeur Domenico di Virgilio, les membres du Conseil national, les délégués régionaux et les présidents des sections diocésaines, les membres de l’Association ici présents, ainsi que le groupe d’infirmiers catholiques, dont la présence veut témoigner de l’étroite collaboration qu’ils veulent avoir avec vous, les médecins, au service des malades.
Je profite volontiers de cette occasion pour manifester publiquement la grande estime que j’ai envers une profession comme la vôtre qui a toujours été considérée par tous plus comme une mission que comme un travail ordinaire. La dignité et la responsabilité d’une telle mission ne seront jamais assez comprises et soulignées. Assister, soigner, réconforter, guérir la souffrance humaine, c’est là une mission qui, par sa noblesse, son utilité et son idéal, est proche de la vocation du prêtre. C’est en effet dans le médecin et le prêtre que se manifeste de la façon la plus immédiate et la plus évidente le commandement suprême d’aimer son prochain, souvent même d’une façon qui va véritablement jusqu’à l’héroïsme. Il ne faut donc pas s’étonner de lire dans l’Écriture : « Honore le médecin pour ses services, car lui aussi le Seigneur l’a créé. C’est du Très-Haut en effet que vient la guérison. » (Si 38,1-2.)
Votre Association est née pour permettre à votre profession de mieux réaliser ses hautes finalités et pour l’enrichir de l’apport spécifique des valeurs chrétiennes. Pour mesurer l’importance de la contribution qu’elle veut apporter à votre activité de médecins chrétiens, qu’il suffise de rappeler l’article 2 de vos statuts qui fixent comme objectifs à votre Association : qualifier la formation morale, scientifique et professionnelle de ses membres ; promouvoir les études médico-morales à la lumière des principes de la morale chrétienne ; entretenir chez le médecin l’esprit d’authentique service humain et chrétien des malades ; agir pour assurer un exercice plus digne de la profession et protéger les justes intérêts de la classe médicale ; former les membres à la juste coresponsabilité ecclésiale et à la généreuse disponibilité pour toute activité caritative liée à l’exercice de la profession.
Ces objectifs ne sont pas restés sur le papier. Je prends acte volontiers de ce que l’Association a fait en ces années pour sensibiliser et orienter la classe médicale italienne, par ses publications variées et de qualité, par le périodique Orizzonte Medico, si apprécié, et par les sessions d’études (les actes de celles qui, récemment, ont eu pour thème « L’homme du saint Suaire » m’ont été aimablement offerts en hommage) qui ont vu depuis onze ans d’éminents spécialistes des différentes sciences traiter des questions anthropologiques d’un intérêt fondamental en vue d’apporter une réponse satisfaisante pour l’homme et pour le chrétien. Je ne peux qu’exprimer mon estime et mes félicitations. La formation qui se poursuit par ces moyens mérite d’être sincèrement approuvée et les efforts faits dans ce sens doivent être chaleureusement encouragés.
Il en est ainsi particulièrement aujourd’hui où de puissants courants d’opinion, efficacement soutenus par les grands moyens de communication de masses, essaient par tous les moyens d’influencer la conscience des médecins pour les amener à se prêter à des pratiques contraires à la morale non seulement chrétienne, mais même simplement naturelle, en contradiction manifeste avec la déontologie professionnelle exprimée dans le si célèbre serment du médecin païen de l’Antiquité.
Dans son message pour la Journée de la paix du 1er janvier dernier, mon grand prédécesseur Paul VI, de vénérée mémoire, s’adressait spécialement aux médecins, « sages et généreux protecteurs de la vie humaine », en leur disant sa confiance que « le ministère du médecin » serait aux côtés du « ministère religieux dans l’affirmation et la défense de la vie humaine, dans ces circonstances singulières où la vie elle-même peut être compromise par une décision positive et injuste de la volonté humaine ». Je suis certain que cet appel vibrant et prophétique a trouvé encore un très large écho, un très large consensus, non seulement chez les médecins catholiques mais aussi chez ceux qui, bien que n’étant pas soutenus par la foi, ont profondément conscience des exigences supérieures de leur profession.
Comme ministre de ce Dieu présenté, dans la Sainte Écriture, comme « celui qui aime la vie » (Sg 11, 26), je veux exprimer moi aussi ma sincère admiration pour tous les membres du Corps de la santé qui, conformément à ce que leur dicte leur conscience droite, savent résister quotidiennement aux appâts, aux pressions, aux menaces et parfois même aux violences physiques pour ne pas se souiller par des comportements qui, d’une manière ou d’une autre, portent atteinte à ce bien sacré qu’est la vie humaine. Leur témoignage courageux et cohérent constitue une contribution très importante à la construction d’une société qui, pour être à la mesure de l’homme, ne peut pas ne pas reposer sur le respect et la protection de ce présupposé primordial de tout autre droit de l’homme qu’est le droit de vivre.
Le Pape unit volontiers sa voix à celle de tous les médecins ayant une conscience droite et il fait siennes leurs requêtes fondamentales : avant tout, voir reconnue la nature la plus intime de leur noble profession qui veut qu’ils soient des serviteurs de la vie et jamais des instruments de mort ; ensuite le respect plein et entier, dans la législation et les faits, de la liberté de conscience, entendue comme un droit fondamental de la personne à ne pas être contrainte d’agir contre sa conscience ni empêchée de se comporter en conformité avec elle ; enfin, outre une indispensable et ferme protection juridique de la vie humaine à tous ses stades, également l’existence de structures opératives adéquates favorisant l’accueil joyeux de la vie naissante, sa promotion efficace pendant son développement et sa maturité, sa protection attentive et délicate quand commence son déclin et jusqu’à son extinction naturelle.
Le service de la vie doit mobiliser avec un généreux enthousiasme surtout les médecins catholiques qui trouvent dans leur foi en Dieu créateur, dont l’homme est l’image, et dans le mystère du Verbe éternel descendu du ciel dans la fragile chair d’un petit enfant sans défense, une nouvelle et plus haute raison de se consacrer activement au soin plein d’amour et à la protection désintéressée de chacun de leurs frères, surtout les petits, les pauvres, ceux qui sont sans défense et menacés. C’est pour moi un réconfort de savoir que ces convictions sont profondément enracinées en vous, qu’elles inspirent et orientent quotidiennement votre activité professionnelle et qu’elles savent vous suggérer, lorsque cela est nécessaire, des prises de position claires et sans équivoques, également en public.
Comment ne pas mentionner, à ce propos, le témoignage exemplaire que vous avez donné par votre prompte et unanime adhésion aux indications de l’Épiscopat dans la récente et douloureuse question de la législation sur l’avortement ? Par ce témoignage — et je le souligne avec fierté en ma qualité d’évêque de Rome — cette ville s’est particulièrement distinguée, en donnant également aux médecins non catholiques un exemple et un encouragement providentiels et efficaces.
Parce qu’il est dicté par des motivations authentiques, confirmé par une générosité désintéressée, ouvert à tous les engagements et à toutes les initiatives au service de la personne humaine, ce geste responsable parviendra plus efficacement à ses objectifs : affirmer le droit du personnel médical et paramédical à la liberté de conscience garantie par une clause spéciale de la loi et à être cohérent avec lui-même ; défendre le droit à la vie et dénoncer devant la société une situation légale qui va contre la justice.
Je sais que la fidélité aux principes chrétiens peut signifier pour vous la nécessité de vous exposer aux risques d’incompréhension, de malentendus et aussi de pénibles discriminations. Dans la bien triste hypothèse d’une semblable éventualité, vous serez soutenus par ce programme dont s’est constamment inspiré votre grand collègue, le bienheureux Giuseppe Moscati : « Aime la vérité — écrivait-il dans une note personnelle, le 17 octobre 1922 —; montre-toi tel que tu es, sans dissimulation, sans crainte, sans précautions. Et si la vérité te vaut la persécution, accepte-la- si elle te vaut des souffrances, supporte-les. Et si pour la vérité tu devais te sacrifier toi-même, sacrifier ta vie, sois fort dans le sacrifice. » (Cf. Le rapport sur ses vertus, Rome, 1972). N’est-il pas d’ailleurs normal que se réalise dans la vie du chrétien la prédiction du Christ : « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi » (Jn 15, 20) ?
Il devra alors se rappeler que le divin Maître a réservé une béatitude spéciale pour ceux qui sont insultés et persécutés à cause de lui (cf. Mt 5, 11-12).
En vous confirmant mon estime et en vous encourageant de tout c½ur à persévérer dans votre témoignage courageux et votre service exemplaire de la vie humaine, j’implore sur vos bonnes résolutions l’aide de la très sainte Vierge, que vous aimez invoquer comme « salut des malades et Mère de la science », j’implore la protection de saint Luc, « notre ami le médecin » (Col 4, 14), que vous honorez comme votre patron. Je pense avec une affection paternelle aux membres de votre Association à travers toute l’Italie, à vos familles, et aussi à tous ces malades qui sont l’objet de vos soins quotidiens. Sur vous et sur eux, je lève les mains pour donner de tout c½ur une bénédiction apostolique spéciale, en gage de tous les réconforts attendus de Dieu.
1986
24 octobre 1986 – Discours de Jean Paul II lors d’une conférence internationale sur les médicaments
1. C’EST AVEC JOIE que je vous salue, vous tous, participants à cette Conférence internationale qui témoigne une fois de plus de l’importance que l’Eglise accorde au service des malades, de ceux qui souffrent, et à tous ceux qui ½uvrent dans le vaste domaine – délicat et complexe – de la santé et de l’hygiène. C’est un champ d’apostolat qui fait partie intégrante de la mission de l’Eglise.
Cette Conférence est bien représentative de l’activité de la Commission pontificale pour la pastorale des services de la santé, et remercier son président, le Cardinal Eduardo Pironio, son Pro-Président, Monseigneur Fiorenzo Angelini, et leurs collaborateurs. Dans un monde où la conception même des services sociaux-sanitaires évolue considérablement, et où l’on s’aperçoit qu’ils ont des implications toujours plus complexes, il était devenu indispensable de coordonner et de promouvoir la présence de l’Eglise. Cette Conférence en est la preuve, comme aussi les autres initiatives qui ont été prises ou sont en cours de réalisation, parmi lesquelles je veux mentionner le vaste recensement de toutes les structures sanitaires de l’Eglise ; nous prenons ainsi mieux conscience de l’extension et des ramifications capillaires de cette présence et de ce service en faveur de la personne humaine soumise à l’épreuve particulière de la maladie psychophysique.
2. Le choix du thème central de cette Conférence me semble lui aussi très approprié. Les médicaments sont en effet le moyen par lequel le médecin peut non seulement soigner mais aussi prévenir certaines maladies. Un grand nombre de celles-ci qui, dans le passé, décimaient les populations, ont aujourd’hui en grande partie disparu. D’autres peuvent être soignées beaucoup plus efficacement. Les enfants sont plus rarement marqués par les terribles déformations de la poliomyélite et du rachitisme. La chirurgie, grâce à un apport pharmacologique toujours mieux adapté, a pu connaître des progrès extraordinaires. La durée moyenne de la vie est notablement accrue. Tout cela, nous le devons surtout aux sérums, aux vaccins et à tant d’autres médicaments, aujourd’hui à notre disposition. Du moins cela vaut-il pour les pays développés.
3. Cependant, s’il est vrai que les médicaments ont apporté d’immenses bienfaits à l’humanité, ils ont par ailleurs soulevé de graves problèmes, en partie non résolus, au sujet de leur élaboration, de leur diffusion, de leur usage et de leur accessibilité pour tous les malades quels que soient le milieu social ou le pays auquel ils appartiennent. La mise au point et la fabrication des médicaments est toujours plus complexe et plus coûteuse, et cela a des conséquences économiques et sociales évidentes. Les médicaments peuvent stimuler, ou au contraire réprimer, les fonctions de divers organes ou tissus, ou encore l’activité mentale. Ces caractéristiques les rendent utiles pour accroître la résistance à certaines maladies ou pour freiner le développement de certaines autres. Il est vrai que l’on peut s’interroger parfois sur l’opportunité, pour l’équilibre de l’organisme humain, d’une surconsommation de ces produits artificiels, en certains pays et selon la tendance de certains praticiens. Mais surtout des médicaments peuvent aussi être employés dans un but non plus thérapeutique mais pour altérer les lois de la nature au détriment de la dignité de la personne humaine. Il est donc clair que l’élaboration, la distribution et l’usage des médicaments doivent être soumis à un code de morale particulièrement rigoureux. Le respecter est le seul moyen d’éviter que les exigences liées à la production et au coût des médicaments, en soi légitimes et importantes pour leur diffusion, ne les détournent de leur sens et de leur fin.
4. Vous vous penchez aussi, au cours de ce Congrès, sur le problème de l’expérimentation des médicaments. Dans l’état actuel des connaissances scientifiques, il n’est pas possible de prévoir avec une précision suffisante les propriétés et les caractéristiques des nouveaux médicaments. Avant donc d’être utilisés en thérapie, ils doivent être testés sur des animaux de laboratoire. M’adressant aux participants à la Semaine d’Etudes sur l’expérimentation biologique, qui s’est déroulée en 1982 auprès de l’Académie pontificale des Sciences, j’avais déjà souligné que cette expérimentation est délicate et qu’elle doit s’effectuer dans le respect de l’animal, sans lui infliger d’inutiles souffrances. Dans un deuxième stade, avant de pouvoir être utilisés normalement, il faut encore que les médicaments soient testés sur l’homme, sur le malade et quelquefois aussi sur la personne en bonne santé. L’expérimentation clinique est désormais soumise à des lois et des normes sévères qui la réglementent et veulent offrir toutes les garanties possibles. Un jour viendra où, grâce au progrès des connaissances scientifiques, les risques et les inconnues en matière d’expérimentation des médicaments, seront notablement réduits, on peut du moins l’espérer. Mais, de toute façon, une grande prudence s’avère nécessaire pour ne jamais faire de l’homme un objet d’expérimentation, pour éviter à tout prix de mettre en danger sa vie, son équilibre, sa santé, ou aggraver son mal.
5. Il est urgent, en même temps, de promouvoir une réelle collaboration internationale, non seulement sur le plan normatif, mais aussi dans le but de réduire et d’éliminer les différences qui existent d’un pays à l’autre.
Parmi les problèmes restés, aujourd’hui encore, sans solution, je voudrais mentionner ceux qui concernent la situation de certains pays en voie de développement. Alors que l’accès à l’assistance sanitaire est reconnu comme un droit fondamental de l’homme, de larges portions de l’humanité sont encore privées des soins médicaux même les plus élémentaires. C’est un problème d’une telle envergure que les efforts individuels – tout aussi précieux et irremplaçables qu’ils soient – apparaissent comme insuffisants. A l’heure actuelle, il faut absolument chercher à travailler ensemble, à coordonner, au niveau international, la politique d’intervention et donc les initiatives concrètes. Nous savons combien l’Organisation Mondiale de la Santé s’y emploie et beaucoup d’autres associations et initiatives qui manifestent une solidarité sans frontières.
Les pays développés ont le devoir de mettre à la disposition de ceux qui le sont moins, leur expérience, leur technologie et une part de leurs richesses économiques. Mais cela ne peut se faire que dans le respect de la dignité humaine des autres, sans jamais vouloir s’imposer. La protection de la santé est étroitement liée aux différents aspects de la vie : qu’il s’agisse des aspects sociaux ou économiques, de ceux qui ont trait à l’environnement ou à la culture. Elle requiert par là même une approche prudente et responsable, dans une collaboration ouverte et réciproque. Car il arrive fréquemment que les traditions locales offrent des points d’appui précieux qu’il est bon de prendre en compte et de mettre en valeur. Les chrétiens comprennent qu’il y a là un terrain capital d’entraide fraternelle, de service humble et respectueux.
6. Dans ce contexte, nous ne pouvons oublier qu’il existe encore des médicaments qui, pour des raisons presque uniquement commerciales, ne sont pas sérieusement pris en charge et ne bénéficient pas des recherches et progrès scientifiques. Or ils sont nécessaires non seulement pour le traitement de certaines maladies rares, mais aussi pour celles qui, surtout dans les zones tropicales et pauvres, frappent des millions de personnes. A cet égard, il faut en premier lieu discerner les objectifs et leur ordre de priorité, puis voir comment les barrières économiques et politiques qui entravent la recherche, l’élaboration et la production de tels médicaments pourraient être surmontées.
7. A tous ceux qui ½uvrent dans les services de la santé et qui doivent affronter ces problèmes difficiles et complexes, je voudrais redire ici l’encouragement de l’Eglise. La doctrine chrétienne apporte en effet en ces domaines – c’est notre conviction – une contribution très importante. Elle offre des principes sûrs pour orienter vers des solutions qui garantissent la dignité de la personne, soutiennent son progrès moral et social, développent la solidarité et, en ce sens, elle apporte une lumière et une espérance à ceux qui éprouvent des doutes, des questions angoissantes ou le découragement au regard de la pénible situation des malades et des infirmes.
D’une part, l’Eglise partage avec les malades leur désir de guérison, de soulagement et leur espérance d’une plénitude de Vie. Elle respecte aussi le mystère de leur souffrance et les invite, surtout s’ils ont la foi, à situer leur épreuve dans le plan de Dieu, dans le plan de la Rédemption, en union avec le Christ Sauveur, qui offre une occasion d’élévation spirituelle et d’offrande dans l’amour, pour le salut du monde. C’est un mystère dont peuvent bénéficier aussi ceux qui les soignent. J’ai souvent l’occasion d’en parler aux malades.
D’autre part, ce monde immense de la maladie est en même temps un défi offert à vos capacités de médecins, de pharmaciens, d’hommes de science, pour que vous sachiez trouver une solution scientifique et humaine au problème de la santé, sous tous les angles sous lesquels il se pose. En visitant récemment les malades et ceux qui leur prodiguent les soins dans l’église primatiale Saint-Jean, à Lyon (5 octobre 1986), j’ai encouragé en ce sens la recherche scientifique et j’ai félicité tous ceux qui sont les coopérateurs de Dieu pour la défense de la vie de leurs frères et s½urs, comme le bon Samaritain de l’Evangile. Oui, non seulement l’Eglise a constamment stimulé, dans l’esprit de l’enseignement de Jésus, la création d’½uvres de miséricorde pour les malades, mais elle tient à favoriser le progrès technique, l’amplification des connaissances, leur sage emploi ou service de l’homme. Loin de se fermer aux légitimes attentes du monde contemporain, le christianisme les met en valeur, et contribue à leur donner une réponse.
Que cette certitude vous accompagne toujours et renforce votre engagement, quel que soit le niveau de votre activité dans les services de la santé ! C’est Dieu qui nous a donné l’intelligence et le c½ur pour mieux découvrir et mettre en ½uvre ce qui soutient et développe la vie de l’organisme humain, expression de la personne : qu’il vous affermisse dans votre recherche, dans votre service professionnel, et qu’il comble de ses Bénédictions vos personnes, vos familles et ceux qui vous sont chers !
1989
17 octobre 1989 – Aux participants du VIIème symposium des Evêques d’Europe
…
Servir le peuple de Dieu est l’aiguillon qui stimule notre engagement quotidien, conduisant chacun de nous à s’interroger sur les moyens et les modes les plus adaptés pour atteindre ce but. Au cours de ce Symposium, vénérés Frères, vous vous êtes également posés cette même et toujours centrale question, y faisant face sous un angle particulier, de première actualité dans l’Europe d’aujourd’hui. Vous avez choisi de réfléchir sur « Les attitudes contemporaines devant la naissance et la mort », y voyant à bon droit « un défi pour l’évangélisation ».
Votre choix a été courageux de décider d’examiner, à la lumière du message évangélique, les situations cruciales et parfois profondément dramatiques qui perturbent l’homme du monde contemporain.
2. Le thème du Symposium, tel qu’il est formulé, pose un problème essentiel à l’évangélisation et à la pastorale de l’Église. Celle-ci se trouve en effet aujourd’hui, plus qu’en tout autre temps, devant un défi véritable et spécifique, posé par la naissance et par la mort.
Si la naissance et la mort de l’homme ont toujours constitué, en un certain sens, un défi pour l’Église, en raison de l’inconnu et des risques qu’elles comportent, elles le sont devenues davantage encore aujourd’hui. Autrefois, l’homme regardait la mort et la vie avec un sentiment d’étonnement mystérieux, de crainte révérencielle, de respect qui, au fond, naissait du sentiment du sacré inscrit en l’homme. Aujourd’hui le défi de toujours se présente d’une manière beaucoup plus vive et radicale en raison du contexte culturel créé par le progrès scientifique et technologique de notre siècle. La civilisation unilatérale – technocentrique — dans laquelle nous vivons pousse l’homme à avoir une vision réductrice de la naissance et de la mort, dans laquelle la dimension transcendante de la personne apparaît obscurcie, quand elle n’est pas tout simplement ignorée et niée.
Au cours de vos travaux, vénérés Frères, vous avez analysé attentivement les comportements par lesquels l’Europe d’aujourd’hui vit les événements de la naissance et de la mort, et vous avez relevé de profondes différences par rapport au passé. La « médicalisation » croissante des phases initiale et terminale de la vie, leur déplacement de la maison vers les institutions hospitalières, la remise de leur gestion aux décisions des experts ont conduit beaucoup d’Européens à perdre la dimension de mystère qui entoure depuis toujours ces moments et à n’en plus percevoir que la dimension scientifiquement contrôlable. « L’expérience de la vie, avez-vous dit, n’est plus ontologique, mais technologique. » Si ce diagnostic s’avère exact, il faut alors dire que de nombreuses personnes évoluent aujourd’hui à l’intérieur d’un horizon cognitif privé de cette lueur de transcendance qui ouvre le chemin de la foi.
À cet aspect préoccupant d’une technicisation croissante des moments fondamentaux de la vie humaine, s’ajoute le poids qu’a acquis devant l’opinion publique la législation en vigueur en différents pays — et qui tente de pénétrer d’autres pays non encore atteints — à l’égard de la pratique de l’avortement : si bien qu’en différentes couches de la population, déjà attirées par les faux mirages de l’hédonisme d’une société de consommation permissive, se consolide l’opinion que, désormais, est licite ce qui est rendu possible et est autorisé par la loi.
3. Il est évident que tout ceci constitue un grave problème pour l’action pastorale de l’Église, dont la tâche est d’annoncer la présence d’amour de Dieu dans la vie de l’homme, présence qui non seulement crée la vie à son commencement, mais aussi la recrée tout au long de son cours par la grâce rédemptrice, pour l’accueillir, à son terme, dans l’embrassement béatifiant de la communion trinitaire. Par conséquent, s’impose, aussi et surtout de ce point de vue, l’urgente nécessité d’une ½uvre de profonde réévangélisation de notre Europe, qui semble parfois avoir perdu contact avec ses origines chrétiennes.
À la vérité, dans le contexte socioculturel d’aujourd’hui, des indices précis d’une nouvelle réflexion sur la façon dont la naissance et la mort sont parquées et considérées ne manquent pas : dans des cercles de plus en plus larges de l’opinion publique, on remarque une perplexité face à la technicisation croissante à laquelle est soumise l’éclosion de la vie et on enregistre des réactions face à l’envahissement de la médecine à sa phase ultime, qui finit par soustraire au mourant sa propre mort.
L’homme, en effet, quoi qu’il fasse, ne réussira jamais à se détacher « fondamentalement », de la réalité antique de sa nature d’être créé, il ne pourra donc pas annuler le fait de la rédemption opérée par le Christ ni de l’appel qui en découle à participer avec Lui à la plénitude de la vie après la mort. Cependant, il peut chercher à vivre et à se comporter comme s’il n’avait pas été créé et racheté (ou, simplement, comme si Dieu n’existait pas). Voilà précisément la situation à laquelle doit se mesurer l’Église dans le cadre de la civilisation occidentale ; et le contexte humain dans lequel elle doit affronter sa tâche de l’annonce évangélique.
La question de la naissance et de la mort a, ici, une importance- clef. Et c’est justement pour cela que le « défi » lancé à l’évangélisation qu’elles contiennent doit être retenu comme décisif. La façon de considérer, aujourd’hui, les réalités de la naissance et de la mort se projette, en effet, sur l’ensemble de la vie de l’homme, sur sa conception même de l’être et de l’agir en relation à une norme morale sûre et objective.
4. En conséquence, pour affronter un tel « défi », l’évangélisation ne pourra que se mettre dans la perspective globale de l’événement humain. Certes, la naissance et la mort gardent toujours leur dimension concrète et qui ne se répète jamais, mais elles prennent place dans tout l’ensemble de l’existence de l’homme, et c’est dans ce contexte plus vaste qu’elles doivent être comprises et évaluées.
L’Église a à sa disposition l’unique mesure valide pour interpréter ces moments décisifs de la vie humaine et affronter l’évangélisation d’une façon globale. Et cette mesure est le Christ, le Verbe de Dieu incarné : dans le Christ né, mort et ressuscité, l’Église peut lire le sens véritable, le sens plénier de la naissance et de la mort de tout être humain.
Pascal remarquait déjà : « Non seulement nous connaissons Dieu à travers Jésus-Christ, mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par Jésus-Christ, et ce n’est que par lui que nous connaissons la vie et la mort. En dehors de Jésus-Christ, nous ne savons pas ce que sont la vie et la mort, Dieu, nous-mêmes. » (Pensées, n. 548.) C’est une intuition que le Concile Vatican II a exprimée dans des paroles à juste titre fameuses : « En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné… Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. » (Gaudium et spes, 22.)
Enseignée par le Christ, l’Église a le devoir de porter l’homme d’aujourd’hui à redécouvrir la pleine vérité sur lui-même, pour qu’il retrouve le comportement juste devant la naissance et la mort, les deux événements entre lesquels s’inscrit sa vie sur la terre. De la correcte interprétation de ces événements dépend, en effet, l’orientation que l’homme imprimera à sa vie concrète et, en définitive, la réussite ou l’échec de celle-ci.
5. L’Église doit, tout d’abord, redire à l’homme d’aujourd’hui la pleine vérité sur son être de créature, venue à l’existence comme le fruit d’un don d’amour. De la part de Dieu, avant tout : l’entrée d’un nouvel être humain dans le monde n’advient pas, en effet, sans que Dieu ne s’implique directement, par la création de l’âme spirituelle : et c’est uniquement l’amour qui le pousse à mettre dans le monde un nouveau sujet personnel, auquel, de fait, il veut offrir la possibilité de partager sa propre vie. On parvient à la même conclusion en regardant les choses d’un point de vue humain : l’éclosion d’une nouvelle vie dépend, en effet, de l’union sexuelle de l’homme et de la femme, et cette vie trouve sa pleine vérité dans le don interpersonnel que les conjoints font réciproquement d’eux-mêmes. Le nouvel être se présente à la porte de la vie grâce à un acte de donation interpersonnelle, dont il constitue le couronnement : couronnement possible, mais qui n’est pas un dû. L’écho psychologique de cela se trouve dans le sentiment d’attente des parents, qui est de pouvoir espérer, mais non pas de prétendre à un enfant. Celui-ci, s’il est le fruit de leur don réciproque d’amour devient, à son tour, un don pour tous les deux: un don qui jaillit du don !
À regarder de plus près, cela, et cela seulement, représente le contexte adéquat à la dignité de la personne, qui ne peut jamais être réduite à un objet dont on dispose. Seule la logique de l’amour qui se donne, et non pas celle de la technique qui fabrique un produit, convient à la personne, car, seule, elle en respecte la dignité éminente. La logique de la production, en effet, établit une différence de qualité essentielle entre celui qui préside au processus de production et ce qui résulte de ce processus : si le « résultat » est, de fait, une personne, et non pas une chose, il faut en déduire que la personne elle-même n’est pas, dans une telle optique, reconnue dans sa dignité personnelle spécifique et irréductible.
Cette vérité, l’Église doit la rappeler avec une sollicitude maternelle à l’homme d’aujourd’hui. En effet, les surprenants progrès scientifiques de la génétique et de la biogénétique sont, pour l’homme, une tentation avec leur perspective de résultats extraordinaires dûs à la perfection de la technique, mais viciés à la racine par le fait qu’ils prennent place dans la logique de la fabrication d’un produit et non de la procréation d’une personne.
C’est cela que l’Église doit rappeler à l’homme contemporain avec d’autant plus d’énergie qu’elle sait que Dieu appelle le nouvel être non seulement à naître à la dignité d’homme, mais aussi à renaître à celle de fils, dans le Fils unique. La perspective de l’adoption divine, qui est réservée à tout être humain dans l’actuelle économie du salut, souligne d’une façon particulièrement éloquente la très haute dignité de la personne, et interdit toute espèce d’instrumentalisation qui la réduirait au rang de simple objet, contrevenant à la destinée transcendante qui est la sienne.
6. En ce qui concerne la mort, l’Église a elle aussi une parole, capable de jeter une lumière sur ce passage obscur qui suscite tant d’appréhension en l’homme : et cela, parce qu’elle a la Parole, le Verbe de Dieu incarné, qui a assumé lui-même non seulement la vie, mais aussi la mort de l’homme. Le Christ est allé par-delà ce passage, et il se trouve déjà, avec son corps de ressuscité, sur l’autre rive, la rive d’éternité. Regardant vers Lui, l’Église peut proclamer avec une joyeuse certitude : « Le Fils de Dieu, dans la nature humaine qu’il s’est unie, a racheté l’homme en triomphant de la mort par sa mort et sa résurrection, et il l’a transformé en une créature nouvelle. » (Lumen gentium, 7.)
Jusqu’à la fin des siècles, la mort du Christ, en même temps que sa résurrection, sera désormais au centre de l’annonce missionnaire, transmise de bouche en bouche à partir de la première génération chrétienne : « Je vous ai transmis — ce sont des paroles de Paul — ce que j’ai moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité… » (1 Co 15, 3-4.) La mort de Jésus a été une mort librement assumée, et un acte de suprême oblation de soi-même au Père, pour la rédemption du monde (cf. Jn 15, 13 ; 1 Jn 3, 16).
Dans la lumière du mystère pascal, le chrétien est désormais en mesure d’interpréter et de vivre sa mort dans une perspective d’espérance : la mort du Christ a retourné la signification aussi de sa mort. Celle-ci, tout en étant lé fruit du péché, peut être accueillie par lui dans une attitude d’amoureuse — et en tant que telle, libre — adhésion à la volonté du Père, et donc comme une preuve suprême d’obéissance, en conformité avec l’obéissance même du Christ: un acte capable d’expier, en union à sa mort à lui, les multiples formes de rébellion survenues au cours de la vie.
Le chrétien qui accueille ainsi sa propre mort, reconnaissant sa condition de créature comme, aussi, ses responsabilités de pécheur, se remet avec confiance dans les mains miséricordieuses du Père (« In manus tuas, Domine… »), atteint le sommet de son identité humaine et chrétienne, et réalise l’achèvement définitif de sa destinée.
7. Vénérés Frères ! L’Église, appelée à témoigner du Christ en Europe au seuil du troisième millénaire, doit trouver les façons concrètes de porter cette bonne nouvelle à tous ceux qui, sur le vieux continent, montrent qu’ils l’ont égarée. Les enseignements de saint Paul sur le baptême, et sur le mystère de mort et de vie qui s’accomplit en lui, offrent des points éclairants pour une action évangélisatrice, sur l’urgence de laquelle il n’est pas besoin d’insister.
Il faut revenir à l’explication de cette doctrine, la faire comprendre et vivre, surtout aux nouvelles générations, et en tirer les conséquences pour la vie chrétienne de tous les jours, comme aux premiers siècles l’ont fait les Pères de l’Église dans des catéchèses toujours riches et toujours actuelles.
En même temps, il sera important de faire comprendre à tous que, si l’Église défend la vie humaine depuis son premier moment jusqu’à son terme naturel, elle ne le fait pas seulement pour obéir aux exigences de la foi chrétienne, mais parce qu’elle se sait l’interprète d’une obligation qui trouve écho dans la conscience morale de l’humanité tout entière. C’est pour cela que la société civile, qui est responsable du bien commun, a le devoir de garantir, au moyen de la loi, le droit à la vie pour tous et le respect de toute vie humaine jusqu’à son dernier instant.
Une aide efficace en ce domaine pourra venir des « Mouvements pour la vie » qui se multiplient providentiellement dans toutes les parties d’Europe et du monde. Leur contribution, déjà très méritoire, pourra être encore mise en valeur par nous, Pasteurs, si ces Mouvements savent diriger leur activité d’animation et d’illustration non seulement en faveur du moment initial mais aussi du moment final de la vie. Cela permettra de trouver en eux un précieux allié pour répondre d’une façon toujours plus décisive à ce « défi » que la naissance et la mort posent aujourd’hui à l’évangélisation.
Vous le voyez bien, vénérés Frères, l’engagement qui se présente à nous en cette fin de millénaire est ardu, mais aussi exaltant. L’Église a le devoir historique d’aider l’homme contemporain à retrouver le sens de la vie et de la mort, qui semble très souvent lui échapper aujourd’hui. Encore une fois, l’effort d’évangélisation en vue du salut éternel se révèle déterminant pour l’authentique promotion de l’homme sur la terre. Le christianisme qui, un temps, a offert à l’Europe en formation les valeurs idéales sur lesquelles bâtir sa propre unité, a aujourd’hui la responsabilité de re-vitaliser de l’intérieur une civilisation qui montre des symptômes d’une préoccupante décrépitude.
À nous, Évêques, avant tout autres, il revient de nous faire les animateurs et les guides de cette reprise spirituelle : en annonçant le Christ, Seigneur de la vie, nous combattons pour l’homme, pour la défense de sa dignité, pour la sauvegarde de ses droits. Notre bataille n’est pas seulement pour la foi, mais pour la civilisation.
Fortifiés par cette conscience, vénérés Frères, poursuivons avec un élan renouvelé dans notre engagement apostolique. Le Seigneur ne manquera pas d’être à nos côtés, avec son aide, lui vers qui j’élève ma prière constante pour vous et pour vos Églises, et au nom duquel je vous donne, en signe de sincère communion, mon affectueuse bénédiction.
1993
Message pour la Journée Mondiale du Malade 11 février 1993
Un appel à venir en aide à ceux qui souffrent
Chers Frères et S½urs,
1. La communauté chrétienne a toujours manifesté une attention particulière aux malades et au monde de la souffrance dans ses nombreuses manifestations. En fidélité à cette longue tradition, l'Eglise universelle se prépare à célébrer, dans un esprit de service renouvelé, la première Journée mondiale du Malade, occasion toute particulière pour susciter en nous une attitude d'écoute, de réflexion et d'engagement effectif, face au mystère profond de la douleur et de la maladie. Cette Journée, qui se célébrera chaque année, à partir de février prochain, en la fête de Notre-Dame de Lourdes, se propose d'être pour tous les croyants "un temps fort de prière, de partage, d'offrande de la souffrance pour le bien de l'Eglise, et une invitation à tous, à reconnaître dans le visage du frère souffrant le Visage du Christ qui par sa souffrance, sa mort et sa résurrection a opéré le salut de l'humanité" (Lettre institutionnelle de la Journée mondiale du Malade, 13 mai 1992, n. 3).
Cette Journée, par ailleurs, entend faire appel à tout homme de bonne volonté. Les demandes fondamentales posées par la réalité de la souffrance, en effet, et l'appel à procurer, sur le plan physique et spirituel, un soulagement à celui qui souffre, ne concernent pas exclusivement les croyants, mais interpellent l'humanité tout entière, concernée par les limites de la condition mortelle.
2. Nous nous préparons, malheureusement, à célébrer cette première Journée en des circonstances vraiment dramatiques pour certains: les événements de ces derniers mois, tandis qu'ils soulignent l'urgence de la prière pour implorer le secours d'En Haut, nous rappellent l'exigence de mettre en place de nouvelles et urgentes initiatives afin de venir en aide à ceux qui souffrent et qui ne peuvent attendre.
Nous avons tous sous les yeux ces images bien tristes d'individus et de peuples entiers qui, déchirés par la guerre et les conflits, succombent sous le poids de calamités qui pourraient être évitées. Comment détacher le regard de ces visages implorants de tant d'êtres humains, et surtout d'enfants, réduits à l'état de spectres en raison des adversités de tout genre où ils sont impliqués, contre leur gré, à cause de l'égoïsme et de la violence? Et comment oublier tous ceux qui dans les lieux d'hospitalisation et de soins - hôpitaux, cliniques, léproseries, centres pour handicapés, foyers de personnes âgées, ou dans leurs propres foyers - connaissent le calvaire de tourments souvent ignorés, soulagés de manière peu adaptée parfois, et même dont l'état va s'aggravant par carence d'aide adéquate?
3. La maladie, perçue au long d'une expérience quotidienne comme une frustration de la force vitale naturelle, devient pour les croyants un appel à "lire" cette situation nouvelle et douloureuse dans une optique qui est propre à la foi. En dehors de cette optique, du reste, comment découvrir au temps de l'épreuve l'apport constructif de la douleur? Comment donner un sens et un prix à l'angoisse, à l'inquiétude, aux maux physiques et psychiques qui accompagnent notre condition mortelle? Quelle justification donner au déclin de la vieillesse, et à l'instant décisif de la mort, qui, en dépit de tout progrès scientifique et technologique, persistent inexorablement?
Ce n'est que dans le Christ, Verbe incarné, Rédempteur de l'homme et vainqueur de la mort, qu'il est possible de trouver la réponse satisfaisante à des questions aussi fondamentales.
A la lumière de la mort et de la résurrection du Christ, la maladie n'apparaît plus comme un événement purement négatif, elle est envisagée comme une "visite de Dieu", comme une occasion "de libération de l'amour, en vue de donner le jour à des ½uvres d'amour en faveur du prochain, pour transformer la civilisation humaine en civilisation de l'amour" (Lettre apostolique Salvifici doloris, 30).
L'histoire de l'Eglise et de la spiritualité chrétienne nous en donne un témoignage éclatant. Au long des siècles, que de pages splendides écrites, témoignent d'un héroïsme fait de souffrances acceptées et offertes en union avec le Christ! Et que de pages, non moins admirables, tout imprégnées d'humble service des pauvres et des malades, dont la chair souffrante révèle la présence du Christ pauvre et crucifié.
4. La célébration de la Journée mondiale du Malade - dans sa préparation, son déroulement et ses objectifs - n'entend pas se contenter simplement d'une manifestation extérieure centrée sur de louables initiatives, mais elle prétend rejoindre les êtres en profondeur afin de leur faire prendre conscience de l'importance de la contribution apportée par le service humain et chrétien du souffrant pour une meilleure intelligence entre les hommes et par là même, pour l'édification de la paix véritable.
Cette célébration suppose au préalable que les pouvoirs publics accordent une attention particulière aux malades, ainsi que les Organisations internationales et toutes les personnes de bonne volonté. Ceci concerne surtout les pays en voie de développement - de l'Amérique latine à l'Afrique et à l'Asie - en proie à de graves carences sanitaires. Par la célébration de la Journée mondiale du Malade, l'Eglise veut promouvoir un engagement renouvelé envers ces populations, en vue d'éliminer l'injustice qui sévit à notre époque, et ceci par l'attribution de ressources humaines, spirituelles et matérielles plus considérables susceptibles de répondre à leurs besoins.
C'est pourquoi j'adresse un appel très particulier aux autorités civiles, aux hommes de science et à tous ceux qui ½uvrent auprès des malades. Qu'ils se gardent d'exercer leur service d'une manière purement bureaucratique ou quelconque! Qu'il soit bien clair, à leurs yeux, que la gestion des deniers publics impose le devoir grave d'en éviter le gaspillage et l'usage inconsidéré, afin que que les ressources disponibles, administrées en toute sagesse et équité assurent la prévention des maladies et l'assistance en cas de maladie à ceux qui en ont réellement besoin.
L'attente très vive, à notre époque, d'une humanisation de la médecine et de l'assistance de santé, exige une réponse plus catégorique. Or, pour une assistance sanitaire plus humaine et plus adaptée, il est fondamental de s'en référer à une vision transcendante de l'homme, qui sache mettre en lumière chez le malade, image de Dieu et fils de Dieu, le prix de la vie et son caractère sacré. La maladie et la douleur concernant tous les humains, l'amour envers les souffrants devient alors signe et mesure du degré de civilisation et de progrès d'un peuple.
5. A vous tous, chers malades, de toutes les parties du monde, protagonistes de cette Journée mondiale, que cette occasion soit pour nous une annonce de la présence vivante et réconfortante du Seigneur. Vos souffrances, accueillies dans la foi et confortées par cette même foi inébranlable, unies à celles du Christ représentent une valeur incommensurable pour la vie de l'Eglise et pour le bien de l'humanité.
Quant à vous tous, personnels de santé, appelés à donner un témoignage méritoire et exemplaire de justice et d'amour, que cette Journée soit une invitation pressante à poursuivre votre délicat service dans une ouverture généreuse aux valeurs profondes de la personne, dans le respect de la dignité humaine et dans la défense de la vie depuis son premier instant jusqu'à son terme naturel!
Aux pasteurs du peuple chrétien, à toutes les différentes composantes de la communauté ecclésiale, aux bénévoles et en particulier à ceux qui sont engagés dans la pastorale de la santé, que cette première Journée mondiale du Malade soit un stimulant et un encouragement à poursuivre avec un engagement renouvelé la voie du service envers l'homme éprouvé et souffrant!
6. En la fête de Notre-Dame de Lourdes, dont le sanctuaire au pied des Pyrénées semble un temple de la souffrance humaine, avec la Vierge Marie - comme Elle, sur le Calvaire où se dressait la croix de son Fils - nous nous tenons près des croix faites de la douleur et de la solitude de tant de frères et de s½urs que nous voulons réconforter, dont nous voulons partager la souffrance pour la présenter au Seigneur de la Vie, en communion spirituelle avec l'Eglise tout entière.
Que Marie, "Santé des Infirmes" et "Mère des vivants", soit notre soutien et notre espérance, et que par la célébration de la Journée du Malade, elle fasse grandir notre sensibilité et notre dévouement envers ceux qui sont dans l'épreuve, ainsi que l'attente fidèle du jour lumineux de notre salut, quand toute larme sera essuyée de nos yeux à jamais (cf. Is 25, 8). Dès ce jour qu'il nous soit permis de jouir des prémisses de cette joie surabondante, même au sein des tribulations (cf. 2 Co 7, 4), joie promise par le Christ et que personne ne pourra nous enlever (cf. Jn 16, 22).
A tous, ma Bénédiction apostolique!
Du Vatican, 21 octobre 1992.
2004
11 février 2004 – Au terme de l’Audience Générale
Aujourd’hui, nous nous rendons spirituellement en pèlerinage à Lourdes, en ce lieu spécial, qui est bien connu pour les multiples guérisons et aussi pour la force spirituelle que reçoivent ceux qui souffrent afin de pouvoir porter la croix quotidienne. Nous nous arrêtons au milieu des hommes souffrants et nous nous rendons compte que le Christ souffre pour tous, plus encore, que le Christ souffre avec nous. Si nous unissons nos souffrances à la sienne, elles deviennent moyen de Salut.
Dans ce contexte je désire rappeler que chaque être humain, même celui qui est marqué par la maladie et la souffrance, est un don pour l’Eglise et pour l’humanité. Personne n’a le droit de supprimer cet être à cause de la souffrance. Celle-ci est un rappel, afin que chaque personne souffrante trouve près d’elle des personnes prêtes à un soutien patient, à une aide bienveillante. La souffrance est toujours un appel à pratiquer l’amour miséricordieux.
2005
1er février 2005 – Message de Jean Paul II aux membres de l’Académie Pontificale des Sciences
Mesdames, Messieurs!
1. J'adresse à tous mon salut cordial, exprimant ma satisfaction pour l'oeuvre de l'Académie pontificale des Sciences, qui poursuit son traditionnel engagement d'étude et de réflexion sur les délicates questions scientifiques qui interpellent la société aujourd'hui.
L'Académie pontificale a voulu consacrer cette Session du Groupe d'étude - comme elle l'avait déjà fait à deux reprises au cours des années quatre-vingts - à un thème d'une complexité et d'une importance particulières : celui des "signes de la mort", dans le contexte de la pratique des transplantations d'organes prélevés sur des personnes décédées.
2. Vous savez que le Magistère de l'Eglise a suivi dès le début, avec constance et conscience, le développement de la pratique chirurgicale de la transplantation d'organes, visant à sauver des vies humaines d'une mort imminente et à permettre aux malades de continuer à vivre pendant plusieurs années encore.
Depuis l'époque de mon vénéré prédécesseur, Pie XII, sous le Pontificat duquel a commencé la pratique chirurgicale de la transplantation d'organes, l'Eglise a sans cesse apporté la contribution de son Magistère dans ce domaine.
D'une part, l'Eglise a encouragé le libre don des organes et, de l'autre, elle a souligné les conditions éthiques de ces dons d'organe, soulignant l'obligation de défendre la vie et la dignité du donateur et du receveur ; elle a également indiqué les devoirs des spécialistes qui accomplissent cette transplantation. Il s'agit de permettre un service complexe à la vie, en conjuguant le progrès technique et la rigueur éthique, en humanisant les rapports interpersonnels et en informant correctement le public.
3. En raison du progrès constant des connaissances scientifiques expérimentales, pour tous ceux qui pratiquent la chirurgie de la transplantation se présente la nécessité de poursuivre sans cesse la recherche sur le plan technique et scientifique, afin d'assurer le meilleur succès de l'intervention et une plus longue espérance de vie du patient. Dans le même temps, un dialogue incessant avec les spécialistes des disciplines anthropologiques et éthiques s'impose, afin de garantir le respect de la vie et de la personne humaine et de fournir aux législateurs les informations nécessaires pour établir des normes rigoureuses dans ce domaine.
Dans cette perspective, vous avez voulu approfondir encore une fois, au cours d'une étude sérieuse et interdisciplinaire, le domaine particulier des "signes de mort", sur la base desquels peut être établie avec certitude morale la mort clinique d'une personne pour procéder au prélèvement d'organes à transplanter.
4. Dans le cadre de l'anthropologie chrétienne, on sait que le moment de la mort de chaque personne consiste dans la perte définitive de son unité constitutive du corps et de l'esprit. En effet, chaque être humain est vivant précisément en tant que "corpore et anima unus" (Gaudium et spes, n. 14), et il l'est tant que subsiste cette unitotalité substantielle. A la lumière de cette vérité anthropologique, il apparaît clairement, comme j'ai déjà eu l'occasion de le rappeler, que "la mort de la personne comprise dans son sens premier, est un événement qu'aucune technique scientifique ni empirique ne peut identifier directement" (Discours du 29 août 2000, n. 4).
Du point de vue clinique, toutefois, l'unique manière correcte - et également la seule possible - d'affronter le problème de la vérification de la mort d'un être humain est celle d'orienter l'attention et la recherche vers la détermination de "signes de mort" adéquats, reconnus à travers leur manifestation physique chez chaque sujet. Il s'agit évidemment d'un thème d'une importance fondamentale, au sujet duquel la position de la science, attentive et rigoureuse, doit donc être écoutée en première instance, selon ce qu'enseignait déjà Pie XII, lorsqu'il affirmait que "c'est au médecin qu'il revient de donner une définition claire et précise de la "mort" et du "moment de la mort" d'un patient qui expire dans un état d'inconscience" (Discours du 24 novembre 1957).
5. A partir des données fournies par la science, les considérations anthropologiques et la réflexion éthique ont le devoir d'intervenir en effectuant une analyse tout aussi rigoureuse, et en prêtant attention au Magistère de l'Eglise. Je désire vous assurer que votre travail est digne d'éloges, et qu'il se révélera assurément utile pour les dicastères compétents du Siège apostolique - en particulier la Congrégation pour la Doctrine de la Foi - qui ne manqueront pas d'évaluer les résultats de votre réflexion en offrant ensuite les éclaircissements nécessaires pour le bien de la communauté, en particulier celui des patients et des spécialistes qui sont appelés à placer leur professionnalisme au service de la vie.
En vous exhortant à persévérer dans cet engagement commun à poursuivre le bien véritable de l'homme, j'invoque du Seigneur d'abondants dons de lumière sur vous et sur votre recherche, en gage desquels je vous donne à tous avec affection ma Bénédiction.
Du Vatican, le 1 février 2005
IOANNES PAULUS II