Prédication de l'Avent
5.12.2008
Vatican
Père Raniero Cantalamessa
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« Ce qui etait pour moi un gain,
je l'ai considéré comme une perte a cause du Christ »
La conversion de Paul,
modèle de véritable conversion évangélique
L'Année saint Paul est une grande grâce pour l'Eglise. Mais elle présente aussi un danger : celui de s'arrêter à Paul, à sa personnalité, à sa doctrine, sans faire le pas suivant, de lui au Christ. Le Saint-Père a mis en garde contre ce risque dans son homélie d'ouverture de l'Année saint Paul ; et lors de l'audience générale du 2 juillet dernier, il insistait : « c'est le but de l'Année paulienne : apprendre de saint Paul, apprendre la foi, apprendre le Christ ».
Cela s'est produit si souvent dans le passé, jusqu'à en arriver à cette thèse absurde : ce serait Paul, pas le Christ le vrai fondateur du christianisme. Jésus Christ aurait été pour Paul ce que Socrate était pour Platon : un prétexte, un nom, sous lequel glisser sa propre pensée.
L'Apôtre, comme avant lui Jean-Baptiste, est un index pointé vers quelqu'un de « plus grand que lui », dont il ne se sent même pas digne d'être l'apôtre. Cette thèse est donc la déformation la plus totale, l'offense la plus grave que l'on puisse faire à l'apôtre Paul. S'il revenait à la vie, il réagirait avec cette même véhémence avec laquelle il avait réagi face à une pareille confusion des Corinthiens : « Serait-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Ou bien serait-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? » (1 Co 1,13).
Un autre obstacle à éviter, pour nous qui sommes croyants, consiste à nous arrêter à la doctrine de Paul sur le Christ, sans nous laisser gagner par son amour et par son zèle ardent pour Lui. Paul refuse de n'être pour nous qu'un soleil d'hiver, qui éclaire mais ne réchauffe pas. L'intention évidente de ses épîtres n'est pas de conduire les lecteurs seulement à la connaissance, mais aussi à l'amour et à la passion pour le Christ.
C'est à cela que voudraient contribuer les trois méditations d'Avent de cette année, à partir de celle d'aujourd'hui dans laquelle nous réfléchirons sur la conversion de Paul, l'évènement qui, après la mort et la résurrection du Christ, a eu la plus grande influence sur l'avenir du christianisme.
1. La conversion de Paul vue de l'intérieur
La meilleure explication de saint Paul est celle qu'il donne lui-même quand il parle du baptême chrétien comme avoir été « baptisés dans la mort du Christ », « ensevelis avec lui » pour ressusciter avec lui et « vivre, nous aussi, dans une vie nouvelle (Rm 6, 3-4). Paul a revécu en lui le mystère pascal du Christ, autour duquel tournera par la suite toute sa pensée. On observe des analogies, extérieures même, impressionnantes. Jésus est resté trois jours dans le tombeau ; pendant trois jours Saul a vécu comme un mort : il resta sans voir, sans manger sans pouvoir se tenir debout, sans reprendre des forces ; puis il fut baptisé et, sur-le-champ, il retrouva la vue, reprit de la nourriture, recouvra ses forces, et il revint à la vie (Ac 9, 18).
Aussitôt après son baptême, Jésus se retira dans le désert. Paul lui aussi, après avoir été baptisé par Ananie, se retira dans le désert d'Arabie, autour de Damas. Les exégètes calculent qu'entre l'évènement vécu sur le chemin de Damas et le début de son activité publique dans l'Eglise, il y a un silence d'une dizaine d'années dans la vie de Paul. Les juifs cherchaient à le faire périr, les chrétiens ne lui faisaient pas encore confiance et avaient peur de lui. Sa conversion fait penser à celle du cardinal Newman que ses frères anglicans d'antan considéraient comme un traître et que les catholiques regardaient avec méfiance à cause de ses idées novatrices et audacieuses.
L'Apôtre a passé par un long noviciat ; sa conversion n'a pas duré que quelques minutes. Et c'est dans cette kénose, dans ce temps de dépouillement de soi et de silence qu'il a accumulé cette énergie explosive, cette lumière qui se déversera un jour sur le monde.
De la conversion de Paul, nous avons deux descriptions différentes : l'une qui relate l'évènement de l'extérieur en quelque sorte, d'un point de vue historique : une autre qui considère l'évènement de l'intérieur, d'un point de vue psychologique et autobiographique. Le premier type est celui que nous trouvons dans les trois différents récits que l'on peut lire dans les Actes des Apôtres. On peut y rattacher certaines allusions à l'évènement, de Paul lui-même, quand il explique comment de persécuteur qu'il était, il devint apôtre du Christ. (Ga 1, 13-24).
Au second type appartient le chapitre 3 de l'Epître aux Philippiens. L'Apôtre décrit ce que la rencontre avec le Christ a signifié pour lui, subjectivement, dépeint celui qu'il était avant et celui qu'il est devenu après ; autrement dit, en quoi a consisté, sur le plan existentiel et religieux, le changement intervenu dans sa vie. Concentrons-nous sur ce texte que nous pourrions définir, par analogie avec l'oeuvre augustinienne, « les Confessions de saint Paul ».
Dans tout changement, il y a un terminus a quo et un terminus ad quem, un point de départ et un point d'arrivée. L'Apôtre décrit surtout le point de départ, celui qu'il était avant :
« Si quelque autre croit avoir des raisons de se confier dans la chair, j'en ai bien davantage : circoncis dès le huitième jour, de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d'Hébreux ; quant à la Loi, un pharisien ; quant au zèle, un persécuteur de l'Eglise ; quant à la justice que peut donner la Loi, un homme irréprochable » (Ph 3, 4-6).
On peut facilement faire une lecture erronée de cette description : ces titres n'étaient pas négatifs, il s'agissait au contraire des plus hauts titres de sainteté d'alors. Avec eux, on aurait pu ouvrir sur-le-champ le procès de canonisation de Paul, s'il avait vécu à notre époque. Comme si l'on disait de quelqu'un aujourd'hui : baptisé dès le huitième jour, appartenant à la structure par excellence du salut, l'Eglise catholique ; membre de l'ordre religieux le plus austère de l'Eglise (c'était le cas des pharisiens !), observant scrupuleusement la Règle... ».
En revanche, il y a dans le texte un point à la ligne qui divise en deux la page et la vie de Paul. On repart d'un « mais » adversatif qui crée un contraste total :
« Mais tous ces avantages dont j'étais pourvu, je les ai considérés comme désavantageux à cause de la supériorité de la connaissance du Christ mon Seigneur. A cause de lui, j'ai accepté de tout perdre, je considère tout comme déchets, afin de gagner le Christ » (Ph 3, 7-8).
Le nom de Jésus revient trois fois dans ce court texte. La rencontre de Paul avec Jésus a divisé sa vie en deux, a créé un avant et un après. Une rencontre très personnelle (c'est l'unique texte où l'apôtre utilise le singulier « mon », et pas « notre » Seigneur) et une rencontre existentielle, plutôt qu'intellectuelle. Personne ne saura jamais exactement ce qui s'est passé dans ce bref dialogue : « Saul, Saul ! » « Qui es-tu, Seigneur ? Je suis Jésus ! ». Une « révélation », comme il la définit (Ga 1, 15-16). Ce fut comme une fusion incandescente, un éclair de lumière qui, aujourd'hui encore, après deux mille ans, illumine le monde.
2. Une conversion de l'esprit
Nous tenterons d'analyser le contenu de l'évènement. Il s'agit avant tout d'une conversion de l'esprit, d'un retournement de la pensée, littéralement d'une metanoïa. Jusqu'alors, Paul avait cru qu'il pourrait se sauver par lui-même et être un juste devant Dieu moyennant l'observance scrupuleuse de la loi et des traditions parentales. Il comprend à présent que le salut s'obtient tout autrement. J'ai accepté d'être trouvé en lui, dit-il, « n'ayant plus ma justice à moi, celle qui vient de la Loi, mais la justice par la foi au Christ, celle qui vient de Dieu et s'appuie sur la foi » (Ph 3, 8-9). Jésus lui a fait expérimenter personnellement ce qu'il allait proclamer un jour à toute l'Eglise : la justification par la grâce, moyennant la foi (Ga 2, 15-16 ; Rm 3, 21 ss.).
En lisant le chapitre trois de l'Epître aux Philippiens, il me vient à l'esprit une image : un homme marche la nuit dans une épaisse forêt à la faible lueur d'une chandelle, attentif à ne pas la laisser s'éteindre ; il marche, marche, et voici que l'aube paraît, le soleil se lève, la faible lueur de la chandelle devient de plus en plus pâle, jusqu'à ce qu'elle ne lui serve plus et il la jette. La petite mèche fumante, c'était sa propre justice. Un jour, dans la vie de Paul, s'est levé le soleil de justice, le Christ Seigneur, et à partir de ce moment-là, il n'a plus voulu d'autre lumière que la sienne.
Il ne s'agit pas d'un point parmi d'autres, mais du coeur du message chrétien ; il le définira comme « son évangile » ; il ira même jusqu'à déclarer que si quelqu'un ose annoncer un évangile différent, serait-ce un ange ou lui-même, qu'il soit anathème (Ga 1, 8-9). Pourquoi une telle insistance ? Parce que c'est en ceci que consiste la nouveauté chrétienne, ce qui la distingue de toutes les autres religions ou philosophies religieuses. Chaque proposition de religion commence par dire aux hommes ce qu'ils doivent faire pour être sauvés ou atteindre l'« Illumination ». Le christianisme ne commence pas par dire aux hommes ce qu'ils doivent faire, mais ce que Dieu a fait pour eux dans le Christ Jésus. Le christianisme est la religion de la grâce.
Il y a une place - et comment - pour les devoirs et l'observance des commandements, mais plus tard, comme réponse à la grâce, non pas comme sa cause ou le prix à payer. Nous ne sommes pas sauvés par les bonnes oeuvres, mais nous ne sommes pas sauvés non plus sans les bonnes oeuvres. Il s'agit d'une révolution dont, après deux mille ans, nous avons encore du mal à prendre conscience. Les polémiques théologiques sur la justification par la foi, depuis la Réforme jusqu'à nos jours, ont constitué un obstacle plus qu'elles ne l'ont favorisée ; elles ont, en effet, contribué à maintenir le problème au niveau théorique, de thèses d'école qui s'opposent, plutôt que d'aider les croyants à en faire l'expérience dans leur vie.
3. « Convertissez-vous et croyez à l'évangile »
Mais nous devons nous poser une question cruciale : qui a inventé ce message ? Si c'est l'Apôtre Paul, alors ceux qui disent que c'est lui et non Jésus le fondateur du christianisme, auraient raison. Mais ce n'est pas lui qui l'a inventé ; il ne fait qu'exprimer en termes élaborés et universels un message que Jésus exprimait avec son langage typique, fait d'images et de paraboles.
Jésus commença sa prédication en disant : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : repentez-vous et croyez à l'Evangile » (Mc 1, 15). Par ces paroles il enseignait déjà la justification par la foi. Avant lui, se convertir signifiait toujours « revenir en arrière » (comme l'indique le terme hébreu shub) ; il signifiait retourner à l'alliance violée, à travers une observance renouvelée de la loi ; « Revenez à moi (...) Revenez donc de vos voies mauvaises et de vos actions mauvaises », disait Dieu à travers les prophètes (Zc 1, 3-4 ; Jr 8, 4-5).
Se convertir a donc essentiellement une signification ascétique, morale et pénitentielle et on se convertit en changeant de vie. La conversion est vue comme une condition pour le salut : convertissez-vous et vous serez sauvés ; convertissez-vous et le salut viendra à vous. C'est aussi la signification principale que le mot conversion a dans la bouche de Jean Baptiste (cf. Lc 3, 4-6). Mais dans la bouche de Jésus, cette signification morale passe au second plan (au moins au début de sa prédication), par rapport à une signification nouvelle, jusqu'alors inconnue. On voit ici également le changement énorme qu'il y a eu entre la prédication de Jean Baptiste et celle de Jésus.
Se convertir ne signifie plus revenir en arrière, à l'ancienne alliance et à l'observance de la loi, mais faire un saut en avant, entrer dans la nouvelle alliance, saisir ce Royaume qui est apparu, y entrer grâce à la foi. « Convertissez-vous et croyez » ne signifie pas deux choses différentes et successives, mais une même action : convertissez-vous, c'est-à-dire croyez ; convertissez-vous en croyant ! « Prima conversio fit per fidem », dira saint Thomas d'Aquin. La première conversion consiste à croire (1).
Dieu a pris, lui, l'initiative du salut : il a fait venir son Royaume ; l'homme doit juste accueillir, dans la foi, l'offre de Dieu et en vivre, ensuite, les exigences. C'est comme un roi qui ouvre la porte de son palais dans lequel est préparé un grand banquet. Debout sur le seuil de la porte, il invite tous les passants à entrer en disant : « Venez, tout est prêt ! ». C'est l'appel qui retentit dans toutes les paraboles du Royaume : l'heure tant attendue a sonné, prenez la décision qui sauve, ne perdez pas l'occasion !
L'Apôtre dit la même chose, avec la doctrine de la justification par la foi. La seule différence est due à ce qui s'est produit, entre temps, entre la prédication de Jésus et celle de Paul : le Christ a été rejeté et mis à mort pour les péchés des hommes. La foi « dans l'Evangile » (« croyez à l'Evangile »), se présente maintenant comme la foi « en Jésus Christ », « en son sang » (Rm 3, 25).
Ce que l'Apôtre exprime par l'adverbe « gratuitement » (dorean) ou « par grâce », Jésus le disait à travers l'image de recevoir le royaume comme un enfant, c'est-à-dire comme un don, sans faire valoir des mérites, en comptant uniquement sur l'amour de Dieu, comme les enfants comptent sur l'amour de leurs parents.
Les exégètes discutent depuis longtemps en se demandant s'il faut continuer à parler de la conversion de saint Paul ; certains préfèrent parler d' « appel » que de conversion. Certains voudraient même que l'on abolisse la fête de la conversion de saint Paul, étant donné que le mot conversion indique un détachement et un reniement de quelque chose, alors qu'un juif qui se convertit, contrairement au païen, ne doit rien renier, il ne doit pas passer des idoles au culte du vrai Dieu (2).
J'ai l'impression que nous nous trouvons devant un faux problème. Tout d'abord, il n'y a pas d'opposition entre conversion et appel : l'appel suppose la conversion, il ne la remplace pas, de même que la grâce ne remplace pas la liberté. Mais surtout, nous avons vu que la conversion évangélique n'est pas le fait de renier quelque chose, de retourner en arrière, mais d'accueillir quelque chose de nouveau, de faire un saut en avant. A qui s'adressait Jésus lorsqu'il disait : « Convertissez-vous et croyez à l'évangile » ? Ne parlait-il pas aux juifs ? C'est à cette même conversion que l'Apôtre fait allusion quand il dit : « C'est quand on se convertit au Seigneur que le voile est enlevé » (2 Co 3, 16).
La conversion de Paul nous apparaît, dans cette lumière, comme le modèle même de la vraie conversion chrétienne qui consiste avant tout à accepter le Christ, à « se retourner » vers lui à travers la foi. Celle-ci signifie « trouver » quelque chose, avant de « laisser » quelque chose. Jésus ne dit pas : un homme vendit tout ce qu'il possédait et se mit à la recherche du trésor caché ; il dit : un homme trouva un trésor, et pour cela, vendit tout ce qu'il avait.
4. Une expérience vécue
Dans le document d'accord entre l'Eglise catholique et la Fédération mondiale des Eglises luthériennes sur la justification par la foi, présenté solennellement dans la Basilique Saint-Pierre par Jean-Paul II et l'archevêque de Uppsala en 1999, il y a une recommandation finale qui me semble d'une importance vitale. Elle dit en substance ceci : le moment est venu de faire de cette grande vérité une expérience vécue par les croyants et plus un objet de disputes théologiques entre experts, comme cela a été le cas dans le passé.
L'Année saint Paul nous offre une occasion propice pour faire cette expérience. Cette Année peut donner un nouvel élan à notre vie spirituelle, un nouveau souffle et une liberté nouvelle. Charles Péguy a raconté, à la troisième personne, l'histoire du plus grand acte de foi de sa vie. Un homme, raconte-t-il (et nous savons que cet homme, c'était lui), avait trois enfants et, un jour maudit, ils tombèrent malades, tous les trois ensemble. Il prit alors une décision particulièrement audacieuse. En y repensant il avait un peu d'admiration pour lui-même et il faut reconnaître que c'était vraiment une démarche audacieux. Comme on soulèverait trois enfants de terre pour les mettre tous les trois ensemble, comme par jeu, dans les bras de leur mère ou de leur nourrice qui protesterait en riant et en s'exclamant que c'est trop et qu'elle n'aura pas la force de les porter, plein d'audace il avait pris - par la prière - ses trois enfants malades et les avait mis dans les bras de Celle qui est chargée de toutes les souffrances du monde : « Tu vois, disait-il, je te les donne, je tourne les talons et je file pour que tu ne me les rendes pas. Je ne les veux plus, tu vois bien ! Tu dois t'en occuper toi » (Métaphore à part, il était allé à pied en pèlerinage de Paris à Chartres pour confier ses trois enfants malades à la Vierge). Après ce jour, tout alla bien, naturellement, car c'était la Sainte Vierge qui s'en occupait. C'est même curieux que tous les chrétiens ne fassent pas de même. C'est tellement simple, mais on ne pense jamais à ce qui est simple (3).
Ce qui nous intéresse dans cette histoire, c'est l'idée de la démarche audacieuse, car c'est d'une chose semblable dont il s'agit. On disait que la clé de tout, c'est la foi. Mais il y a différents types de foi : la foi-assentiment de l'intelligence, la foi-confiance, la foi-stabilité, comme l'appelle Isaïe (7, 9) : de quelle foi s'agit-il quand on parle de la justification « par la foi » ? Il s'agit d'une foi très spéciale : la foi-appropriation !
Ecoutons sur ce point ce que dit saint Bernard : « Moi, dit-il, ce que je ne peux pas obtenir par moi-même, je me l'approprie (je l'usurpe !) avec confiance du côté transpercé du Seigneur, car il est rempli de miséricorde. Mon mérite, par conséquent, est la miséricorde de Dieu. Je ne serai certes pas pauvre en mérites tant que lui sera riche en miséricorde. Si les miséricordes du Seigneur sont abondantes (Ps 119, 156), j'abonderai aussi en mérites. Et qu'en est-il de ma justice ? O Seigneur, je ne me souviendrai que de ta justice. En effet, c'est aussi la mienne, car tu es pour moi justice de la part de Dieu « (4). Il est écrit, en effet que « le Christ Jésus est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification et rédemption » (1 Co 1, 30). Pour nous, pas pour lui-même !
Saint Cyrille de Jérusalem exprimait avec d'autres paroles cette même idée de la foi audacieuse : « O bonté extraordinaire de Dieu envers les hommes ! Les justes de l'Ancien Testament ont plu à Dieu à travers les peines de longues années ; mais ce qu'ils ont réussi à obtenir, à travers un service long et héroïque agréable à Dieu, Jésus te le donne dans le bref espace d'une heure. En effet, si tu crois que Jésus Christ est le Seigneur et que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé et tu seras introduit au paradis par celui même qui y introduisit le bon larron » (5).
Imagine, écrit Cabasilas, en développant une image de saint Jean Chrysostome, qu'un combat épique se soit déroulé dans un stade. Un homme vaillant a affronté un tyran cruel et au prix d'une fatigue et d'une souffrance inouïe, il l'a vaincu. Toi, tu n'as pas combattu, tu n'as connu ni la fatigue ni les blessures. Mais si tu admires cet homme courageux, si tu te réjouis avec lui de sa victoire, si tu lui tresses des couronnes, encourages l'assemblée à le soutenir, si tu t'inclines avec joie devant le vainqueur, lui embrasse la tête et lui serre la main ; en somme, si tu es tellement fou de lui que tu considères sa victoire comme la tienne, je te dis que tu auras certainement part au prix du vainqueur.
Mais ce n'est pas tout : suppose que le vainqueur n'ait absolument pas besoin du prix qu'il a gagné mais souhaite plus que tout que son supporter soit honoré et que le prix pour son combat soit le couronnement de son ami. Dans ce cas, cet homme n'obtiendra-t-il pas la couronne, même s'il n'a connu ni fatigue ni blessures ? Bien sûr que si ! Eh bien, c'est ce qui se passe entre le Christ et nous. Même si nous n'avons pas encore peiné et combattu, même si nous n'avons encore aucun mérite, par la foi nous acclamons le combat du Christ, nous admirons sa victoire, nous honorons son trophée qui est la croix et lui exprimons un amour ardent et ineffable ; nous faisons nôtres ces blessures et cette mort. (6). C'est ainsi que l'on obtient le salut.
La liturgie de Noël nous parlera du « saint échange », du sacrum commercium, entre Dieu et nous, réalisé dans le Christ. La loi de tout échange s'exprime par la formule : ce qui est à moi est à toi et ce qui est à toi est à moi. Il en découle que ce qui est à moi, c'est-à-dire le péché, la faiblesse, passe au Christ ; et ce qui appartient au Christ, c'est-à-dire la sainteté, passe à moi. Puisque nous appartenons au Christ plus qu'à nous-mêmes (cf. 1 Co 6, 19-20), écrit Cabasilas, il en résulte que, inversement, la sainteté du Christ nous appartient plus que notre propre sainteté (7). C'est cela le nouvel élan dans la vie spirituelle. En général on ne le découvre pas au début mais à la fin de son cheminement spirituel, quand on a essayé tous les autres chemins et que l'on a vu qu'ils ne menaient pas bien loin.
Dans l'Eglise catholique nous avons un moyen privilégié pour faire concrètement l'expérience, dans la vie de tous les jours, de cet échange sacré et de la justification par la grâce à travers la foi : les sacrements. Chaque fois que je reçois le sacrement de la réconciliation je fais concrètement l'expérience d'être justifié par grâce, ex opere operato, comme nous le disons en théologie. Je monte au temple et je dis à Dieu : « O Dieu, aie pitié de moi pécheur » et, comme le publicain, je rentre chez moi « justifié » (Lc 18, 14), pardonné, l'âme resplendissante, comme au moment où je suis sorti des fonds baptismaux.
Que saint Paul, en cette année qui lui est dédiée, nous obtienne la grâce de faire comme lui ce « coup d'audace » de la foi.
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NOTES
(1) S. Tommaso d'Aquino, S. Th., I-IIae, q. 113, a.4.
(2) Cf. J.M.Everts, Conversione e chiamata di Paolo, in Dizionario di Paolo e delle sue lettere, San Paolo 1999, pp. 285-298 (riassunto delle posizioni e bibliografia).
(3) Cf. Ch. Péguy, Il portico del mistero della seconda virtù.
(4) In Cant. 61, 4-5; PL 183, 1072.
(5) Catéchèses, 5, 10; PG 33,517.
(6) Cf. N. Cabasilas, Vita in Cristo, I, 5; PG 150,517.
(7) N. Cabasilas, Vita in Cristo IV, 6 (PG 150, 613).