Rentrée parlementaire (France), homélie de la messe de 11 octobre 2005, Mgr André Vingt-Trois

Publié le 0000-00-00


Paris, mercredi 11 octobre 2005

Mesdames et Messieurs les Parlementaires, chers amis,

Notre société connaît certainement les conditions de vie les plus favorables et les plus sécurisées que puisse imaginer la mémoire humaine, aussi bien à l'échelle de l'histoire de nos vies personnelles, qu'à celle de la mémoire collective. Et, en même temps, il semble que se répande un sentiment de crainte, voire d'anxiété, face à l'avenir. Alors que nous connaissons la paix et une prospérité économique réelle, nous voyons les événements, économiques ou naturels, déclencher des phénomènes d'affolement à la limite de la panique.

Certes, nous savons que notre prospérité n'est pas également répartie. Nous savons aussi que les précarités sociales ne sont pas seulement des effets économiques ou financiers et qu'elles se développent sur le terrain des fragilités éducatives et familiales. Nous savons aussi que l'effet de choc dont se nourrit la communication médiatisée amplifie et dramatise volontiers l'information.

Notre capacité d'analyser et de relativiser ces phénomènes n'empêche pas les réactions collectives et médiatisées, principalement commandées par des ressorts affectifs. La surenchère et le lobbying en sont des expressions habituelles. A celles et à ceux qui ont la lourde charge de légiférer ou d'exercer le pouvoir exécutif, il incombe, - et ce n'est pas facile, vous le savez mieux que moi !- de ne pas céder au mouvement des émotions, ni de les valider en y apportant une réponse, tout aussi affective et éphémère, hors de proportion avec la réalité.

Le risque de s'engager dans l'instant par une réponse immédiate à toute situation et de correspondre sans recul aux attentes et aux désirs supposés de la société n'est pas illusoire. Pas plus que le risque d'une riposte disproportionnée qui prend généralement la forme d'une loi nouvelle, chargée d'exprimer la prise au sérieux de toute situation.

A ces lois de circonstance, on demande souvent d'engager la société dans la protection ou la justification de catégories particulières de citoyens ou de conduites contestables. Qui ne voit que, à travers ces lois aux applications incertaines, et parfois impossibles, s'émousse peu à peu la force de la loi elle-même qui doit viser un bien général et tendre à une certaine universalité ?

En cédant à un processus de légitimation de moeurs partielles ou de besoins particuliers, le législateur épuise sa mission de formuler les moyens nécessaires à la vie sociale. Il se dépouille lui-même de sa fonction au service du bien de la société tout entière et de sa responsabilité à l'égard de l'avenir de cette société.

Pour vous qui êtes chrétiens, je sais que les préoccupations que je viens d'évoquer sont celles qui vous habitent quotidiennement. Je sais aussi les pressions auxquelles vous pouvez être exposés. La véritable laïcité ne suppose pas le renoncement à ses références majeures. La mission du parlementaire chrétien n'est pas de faire passer un message confessionnel, mais de s'appuyer sur ses forces spirituelles pour promouvoir une vision plus humaine de la vie.

Pour l'avenir de la dignité humaine dans notre société, je dois vous faire part de quelques questions auxquelles nous serons nécessairement confrontés dans un proche avenir.

LA FAMILLE. Depuis quelques années, la multiplication des modèles de référence transpose le débat vers un sorte de tolérance indistincte. Le respect dû à chaque personne est confondu avec la reconnaissance légale de tous les choix particuliers comme modèles sociaux. Comme vous, je suis convaincu qu'une société qui renonce à définir clairement les modalités de la succession des générations et de l'éducation des enfants porte atteinte à la cohésion du tissu social.

L'ACCUEIL DES ETRANGERS. Des images récentes et fortes ont frappé notre sensibilité. Elles nous invitent à veiller avec toujours plus d'attention au respect dû aux personnes, même quand on leur applique légitimement la rigueur des lois. Elles doivent surtout nous aider à affronter une question plus grave. Nous ne pouvons pas nous contenter de bons sentiments. Dans nos pays industrialisés, qui osera dire que l'accueil de l'étranger et l'aide au développement passent par un effort de solidarité qui inclut la remise en cause de nos modes de vie ?

LE RESPECT DE L'IDENTITE HUMAINE. En quelques décennies, nous avons vu la recherche et la technologie médicales affiner leurs capacités d'atteindre les éléments constituants de l'individualité humaine. L'instrumentalisation de l'être humain à tous les stades de son existence, quelles que soient les intentions thérapeutiques qui veulent la justifier, met en question radicalement l'absolu du respect de la personne humaine. La volonté de guérir peut-elle se réaliser à n'importe quel prix ?

Sur ces questions, comme sur d'autres aussi importantes, la conscience humaine est sollicitée en deçà des croyances et des religions particulières. Ce n'est pas faire oeuvre de prosélytisme que de le rappeler. Mais il va de soi que pour nous, chrétiens, ces exigences de la conscience humaine sont fortifiées et alimentées par notre référence aux commandements de Dieu et à l'enseignement du Christ.

La fidélité à ces commandements et à cet enseignement n'est pas une simple bigoterie pour esprits demeurés. Elle est le fondement même de notre engagement dans la vie sociale. Elle dépasse les moyens de la simple conviction personnelle. Elle s'inscrit dans la communion à la vie du Christ lui-même, telle qu'elle nous est offerte par le don de l'Esprit et la vie sacramentelle.

L'Esprit-Saint envoyé par Dieu après la mort et la résurrection de Jésus est, selon l'image de l'évangile de saint Jean, comme un fleuve d'eau vive qui apaise notre soif et qui nous constitue nous-mêmes comme source de vie pour nos semblables. C'est cet Esprit que nous invoquons pour éclairer notre jugement et fortifier notre résolution. AMEN
+ André VINGT-TROIS
Archevêque de Paris

Documents associés

Dans la même catégorie

Guetteurs, Veilleurs
3ème Méditation du Père Raniero Cantalamessa - 20 décembre 2013Académie pontificale pour la vieConférence du Cad Barbarin, sur "L'Evangile du mariage", à l'Institut Jean Paul II de Rome - 28 oct 2014Congrégation pour la doctrine de la foiCongrégation pour la Doctrine de la Foi - la relation entre les dons hiérarchiques et charismatiques pour la vie et la mission de l’Église - 14 juin 2016Congrégation pour la Doctrine de la Foi : note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique - 24.11.2002Conseil pontifical de la familleDignitas Personae - sur certaines questions de bioéthique - Congrégation pour la Doctrine de la Foi - 8.9.2008Discours du Cardinal PArolin, à l'UNESCO - 3 juin 2015Donum Vitae - Sur le respect de la vie humaine naissante - 22 février 1987FormationHistoire de la prière de l'Angelus - Abbé CH-Ph- CHANUTHomélie de la Messe avant l'entrée en Conclave - Basilique St Pierre, 12 mars 2013l’Église et les fidèles divorcés remariés - Mgr Muller en préparation au Synode 2014L’ivresse matérielle fait vaciller, alors que l’ivresse spirituelle rend stable - Padre Cantalamessa -16.12.2016L'Eglise catholique privilégie la mise en terre du corps des défuntsLa famille, dans les textes du Concile Vatican IILe 11 septembre, Jean-Paul II, la Vierge Marie, et un roi polonais - La paix dans le monde, et la famille - Anita BourdinLe Cardinal Sarah : Le « dragon infernal rouge-feu à sept têtes », prototype de cette culture de mort - Paris, le 25 mars 2017Le Diable à Dieu : "Je construis une création alternative à la tienne : les hommes diront : on est mieux ainsi" - Cad CaffaraLe mariage et la famille. Conférence du Cad Caffarra, archevêque de Bologne - 12 mars 2015Méditation du Père Raniero Cantalamessa - 13 décembre 2013Méditation du Père Raniero Cantalamessa - 1er vendredi de l'Avent 2013Méditation du Vendredi Saint 2016 dans la Basilique Saint-Pierre - Padre CantalamessaPadre Cantalamessa - Prédicaation de Carême le 19 février 2016Padre Cantalamessa - Prédication de Carême au Vatican, vendredi 26 février 2016Pour mieux se nourrir de la paternité du Cad Bagnasco - Mars 2013Vie spirituelle