Accès à un avortement sans risque et légal en Europe
Doc. 11537
17 mars 2008
Rapport
Commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes
Rapporteuse: Mme Gisela WURM, Autriche, Groupe socialiste
Résumé
L'avortement est légal dans la grande majorité des Etats membres du Conseil de l'Europe. La commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes considère qu'interdire l'avortement n'aboutit pas à réduire le nombre d'avortements. Cela mène surtout à des avortements clandestins, plus traumatisants et plus dangereux. Dans le même temps, la commission constate que, dans les Etats membres où l'avortement est légal, de nombreuses conditions sont imposées et restreignent l'accès effectif à un avortement sans risque.
L'Assemblée parlementaire devrait par conséquent inviter les Etats membres du Conseil de l'Europe à:
- dépénaliser l'avortement si ce n'est déjà fait;
- garantir l'exercice effectif du droit des femmes à l'avortement et lever les restrictions qui entravent, en fait ou en droit, l'accès à un avortement sans risque;
- adopter, en matière de santé sexuelle et reproductive, des stratégies appropriées qui incluent l'accès des femmes et des hommes à une contraception de coût raisonnable et adaptée ainsi que l'éducation obligatoire des jeunes à la sexualité et aux relations entre partenaires.
A. Projet de résolution
1. L'Assemblée parlementaire réaffirme que l'avortement ne peut en aucun cas être considéré comme un moyen de planification familiale. L'avortement, autant que possible, doit être évité. Tous les moyens compatibles avec les droits des femmes doivent être mis en oeuvre pour réduire le nombre de grossesses non désirées et d'avortements.
2. Bien que l'avortement soit légal dans la grande majorité des Etats membres du Conseil de l'Europe, l'Assemblée est préoccupée par le fait que, dans beaucoup de ces pays, de nombreuses conditions sont imposées et restreignent de ce fait l'accès effectif à un avortement sans risque. Ces restrictions produisent des effets discriminatoires, puisque les femmes qui sont bien informées et qui ont des moyens financiers appropriés peuvent souvent avoir plus facilement recours à l'avortement légal et sans risque.
3. L'Assemblée note également que, dans les Etats membres où l'avortement est légal, les conditions ne sont pas toujours réunies pour garantir à la femme l'accès effectif à ce droit: le manque de structures de soins de proximité, le manque de médecins qui acceptent de pratiquer l'avortement, les consultations médicales obligatoires répétées, les délais de réflexion et les délais d'attente pour obtenir un avortement sont autant de conditions qui peuvent rendre l'accès à l'avortement plus difficile, voire impossible dans les faits.
4. L'Assemblée considère que l'avortement ne doit pas être interdit. Interdire l'avortement n'aboutit pas à réduire le nombre d'avortements: cela mène surtout à des avortements clandestins, plus traumatisants et plus dangereux. La légalité de l'avortement n'a pas d'effet sur le besoin de la femme de recourir à l'avortement, mais seulement sur son accès à un avortement sans risque.
5. Dans le même temps, l'Assemblée est convaincue que des stratégies appropriées en matière de santé sexuelle et reproductive, y compris l'éducation obligatoire des jeunes à la sexualité et aux relations entre partenaires, contribueraient à avoir moins souvent recours à l'avortement.
6. L'Assemblée affirme le droit de tout être humain, y compris des femmes, au respect de son intégrité physique et à la libre disposition de son corps. Dans ce contexte, le choix ultime d'avoir recours ou non à un avortement devrait revenir à la femme, qui devrait disposer des moyens d'exercer ce droit de manière effective.
7. L'Assemblée parlementaire invite les Etats membres du Conseil de l'Europe à:
7.1. dépénaliser l'avortement si ce n'est déjà fait;
7.2. garantir l'exercice effectif du droit des femmes à l'avortement;
7.3. respecter l'autonomie du choix de la femme et offrir les conditions d'un choix libre et éclairé;
7.4. lever les restrictions qui entravent, en fait ou en droit, l'accès à un avortement sans risque, et notamment prendre les mesures nécessaires pour créer les conditions sanitaires, médicales et psychologiques appropriées et assurer une prise en charge financière adéquate;
7.5. adopter, en matière de santé sexuelle et reproductive, des stratégies appropriées fondées sur des données solides et fiables, pour garantir la poursuite des améliorations et de l'expansion de la prestation de services de contraception grâce à une augmentation des investissements à partir des budgets nationaux visant à améliorer les régimes de santé, les fournitures pour la santé reproductive et la diffusion d'informations;
7.6. assurer l'accès des femmes et des hommes à une contraception de coût raisonnable, adaptée et choisie par eux;
7.7. instituer une éducation obligatoire des jeunes à la sexualité et aux relations entre partenaires (entre autres, à l'école), afin d'éviter le plus grand nombre possible de grossesses non désirées (donc d'avortements).
7.8. promouvoir une attitude plus favorable à la famille par des campagnes d'information publiques.
B. Exposé des motifs par Mme Gisela Wurm, rapporteuse
Sommaire
I. Introduction
II. Position de l'Assemblée sur l'avortement
III. La situation en Europe
IV. Le débat moral
V. Éviter l'avortement
VI. Conclusions
I. Introduction
1. En janvier 2006, notre collègue Mme Carina Hägg (Suède, SOC), Présidente de la Sous-commission sur la violence à l'égard des femmes, a déposé une proposition de résolution sur «l'avortement et ses conséquences pour les femmes et les jeunes filles en Europe» (Document de l'Assemblée n° 10802). J'ai été nommé rapporteuse le 9 mars 2006; la Commission des questions sociales, de la santé et de la famille a été saisie pour rédiger un avis.
2. En février 2007, la Commission a décidé que le rapport devait avoir pour nouveau titre «Accès à un avortement sans risque et légal en Europe», et elle a tenu à ce sujet une audition dont le procès-verbal, déclassifié depuis, est disponible auprès du Secrétariat (AS/Ega (2007) PV 3 addendum). Ont pris part à cette audition un large éventail d'experts représentant différents points de vue sur l'avortement; ils étaient délégués par la Fédération internationale des plannings familiaux (IPPF), le Forum parlementaire intereuropéen sur la population et le développement (FPIPD), la Fédération internationale des professionnels de l'avortement et de la contraception (IEPFPD), «Aktion Lebensrecht für Alle» (Allemagne), l'Association suédoise pour l'éducation à la sexualité (RFSU) et «Abortion Rights» (Royaume-Uni); était présent également un ancien juge à la Cour européenne des Droits de l'Homme.
3. Dans cet exposé des motifs, je commencerai par résumer la position actuelle de l'Assemblée sur l'avortement et par donner un aperçu de la situation actuelle en Europe, avant d'aborder l'argumentation morale et d'exposer les conclusions et les projets de résolutions concernant l'accès à un avortement sans risque. Je suggère à la Commission d'adopter un rapport sur cette question à sa réunion de Paris du 11 mars 2008 en vue de le transmettre à l'Assemblée au cours de la partie de session d'avril 2008 pour débat. La Commission a par ailleurs été invitée à discuter les propositions contenues dans ce rapport lors de ses réunions du 7 septembre 2007 et du 22 janvier 2008.
II. Position de l'Assemblée sur l'avortement
4. À ma connaissance, l'Assemblée n'a jamais adopté de résolution ou de recommandation sur l'avortement proprement dit. En 1993, la social-démocrate finlandaise Tarja Halonen (aujourd'hui Présidente de son pays) a présenté un rapport sur «l'égalité entre les femmes et les hommes: le droit au libre choix de la maternité» au nom de la Commission des questions sociales, de la santé et de la famille, mais l'Assemblée a rejeté son projet de recommandation par un vote à appel nominal . Cela ne signifie cependant pas que l'Assemblée n'ait pas de position sur l'avortement, car elle a adopté plusieurs résolutions et recommandations touchant cette question:
• Résolution 1399 (2004) et Recommandation 1675 (2004) relatives à la «stratégie européenne pour la promotion de la santé et des droits sexuels et reproductifs»;
• Résolution 1394 (2004) relative à «la responsabilité des hommes, et particulièrement des jeunes hommes, en matière de santé génésique»;
• Résolution 1347 (2003) relative aux «incidences de la "politique de Mexico" sur le libre choix d'une contraception en Europe»;
• Recommandation 675 (1972) «Contrôle des naissances et planning familial dans les Etats membres du Conseil de l'Europe»
5. La position de l'Assemblée sur l'avortement, telle qu'elle a été jusqu'ici, peut se résumer dans les termes suivants: «L'avortement ne doit en aucun cas être promu en tant que méthode de planification familiale. Mais lorsque l'avortement n'est pas illégal, il doit être sûr et accessible» . Lorsque la grossesse est le résultat d'un viol, la femme doit être libre de se faire avorter .
6. La position de l'Assemblée est conforme aussi bien à celle d'autres organisations internationales (par exemple celle du Comité des droits de l'homme des Nations Unies sur le droit d'accès aux services d'avortement lorsque la grossesse est le résultat de violences sexuelles), qu'aux déclarations internationales adoptées lors de conférences internationales, tels le programme d'action du Caire adopté en 1994 ou l'engagement d'Ottawa de 2002 (l'un et l'autre traitant des droits sexuels et reproductifs). La Cour européenne des Droits de l'Homme a également rendu, ces dernières années, plusieurs arrêts de référence en la matière (dernièrement dans les affaires Tysiac contre Pologne (2007) et Vo contre France (2004)).
7. Ainsi, les engagements internationaux du Programme d'action de la Conférence internationale sur la Population et le développement, au Caire, de la Plate-forme d'action de Beijing et de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) ont clairement affirmé le consensus mondial sur le fait que les droits reproductifs font partie des droits de l'homme. Il faut assurer aux femmes un accès aux services de santé reproductive, leur garantir le libre choix en matière de méthodes de planning familial et leur permettre d'éviter les grossesses non désirées. Le Programme d'action de la Conférence du Caire déclare: «Dans les cas où il n'est pas interdit par la loi, l'avortement devrait être pratiqué dans de bonnes conditions de sécurité».
III. La situation en Europe
8. En Europe, la situation varie beaucoup en ce qui concerne l'avortement. L'avortement est légal dans la grande majorité des Etats membres du Conseil de l'Europe. Dans tous ceux-ci, à l'exception d'Andorre et de Malte, la loi autorise l'avortement pour sauver la vie des femmes. L'avortement est, en théorie, accessible sur demande dans tous les Etats membres du Conseil de l'Europe sauf Andorre, Malte, l'Irlande et la Pologne. Certains Etats membres du Conseil de l'Europe jouissent d'un haut niveau de santé sexuelle et reproductive, tandis qu'on enregistre dans d'autres quelques-uns des taux d'avortement les plus élevés du monde. Dans certains Etats membres, l'avortement est légal, sans risque, gratuit et accessible, alors que dans d'autres, les femmes sont obligées de recourir à des avortements illégaux et risqués si elles veulent interrompre une grossesse. Dans certains pays où l'avortement est légal (sous certaines conditions), il est inaccessible de facto pour des raisons telles que le prix élevé des avortements, des prestataires inamicaux envers les femmes, le surpeuplement des installations, une hygiène déplorable, un mauvais accès à l'information, le manque de formation adéquate en matière d'avortement et les normes sanitaires inadaptées.
9. Selon des informations fournies par la Fédération Internationale du Planning Familial (IPPF), le taux d'avortement décline de manière générale en Europe, et en particulier dans les pays d'Europe centrale et orientale. Au sein de l'Union européenne, les chiffres restent stables. Toutefois, on note une augmentation du taux d'avortement parmi les jeunes femmes. Il faut cependant garder à l'esprit que les systèmes de collecte de données sont très divers en Europe et que les statistiques ne sont pas toutes fiables, d'où la difficulté d'apprécier la situation avec certitude .
10. Il existe une variété de législations en Europe: l'avortement peut être sollicité jusqu'à la 12ème semaine dans la majorité des cas; jusqu'à 18 semaines en Suède; jusqu'à 22 semaines dans la plupart des pays du Caucase pour des raisons sociales ou médicales; jusqu'à 24 semaines aux Pays-Bas et au Royaume-Uni lorsqu'existent des raisons sociales, médicales ou économiques qui engendreraient du stress; uniquement sous certaines conditions à Chypre, au Luxembourg, en Pologne, au Portugal (où la situation est toutefois en train de changer, un référendum y ayant eu lieu récemment) ainsi qu'en Espagne; uniquement si la vie de la mère est en danger (en Irlande et en Irlande du Nord), et sous aucun prétexte à Malte .
11. Une période de réflexion n'est imposée qu'en Europe de l'Ouest. Elle n'existe pas dans les pays issus de l'Union soviétique. Une consultation de conseil, qui revêt différentes formes, est obligatoire dans la plupart des pays d'Europe de l'Ouest, mais pas en Europe de l'Est. Lorsque l'avortement concerne une mineure, le consentement parental est requis dans la plupart des pays. En Belgique, ce n'est toutefois pas le cas. En France, il est recommandé que les jeunes filles soient accompagnées d'une personne adulte. Le coût d'un avortement varie d'un pays à l'autre et dépend de l'âge et de la situation sociale de la femme. L'avortement est souvent gratuit dans les pays d'Europe de l'Est. La Bulgarie et le Kazakhstan proposent une aide financière de l'Etat pour les femmes pauvres et les jeunes filles. En Autriche, en Espagne et au Portugal, le coût est de l'ordre de 300 à 800 €. En Arménie et en Géorgie, il se situe entre 15 et 85 € .
12. L'accès à l'avortement diffère beaucoup selon que l'on vit en région urbaine ou rurale. Dans la plupart des pays, l'avortement n'est accessible qu'en milieu hospitalier, et certains hôpitaux ont créé en leur sein un service spécialisé. Des gynécologues obstétriciens (ou des médecins qualifiés) pratiquant l'avortement ne sont pas disponibles dans tous les hôpitaux. D'après plusieurs études réalisées en Fédération de Russie, le nombre d'avortements non déclarés est nettement plus élevé que les chiffres officiels, et celles qui recourent aux avortements risqués sont les adolescentes, les femmes jeunes et non mariées et celles des zones rurales . Dans certains pays, la Pologne par exemple, des médecins refusent de pratiquer l'avortement en invoquant des raisons morales personnelles. Dans de nombreux pays, la qualité des soins prodigués à une femme souhaitant avorter laisse beaucoup à désirer.
IV. Le débat moral
13. Nous connaissons tous fort bien, je crois, le débat moral qui a divisé des sociétés entières (et, le plus notoirement, les Etats-Unis d'Amérique depuis le célèbre arrêt rendu par la Cour suprême dans l'affaire «Roe contre Wade») en deux camps s'appelant eux-mêmes «pro-vie» et «pro-choix». Au risque de redire des évidences, je voudrais néanmoins résumer brièvement les arguments de l'un et l'autre camps:
14. Le camp «pro-vie» considère que la vie commence à la conception, non à la naissance, et que l'embryon - étant un être humain - doit jouir des droits de l'homme, y compris évidemment le droit à la vie. L'avortement est donc assimilé à un «meurtre» ou à la «suppression d'une vie humaine» . La plupart des religions se placent dans le camp «pro-vie», selon le rapport de Mme Zapfl-Helbling intitulé «Femmes et religion en Europe» (d'où j'ai extrait les informations suivantes). L'Église catholique romaine voit dans l'avortement un «mal moral» et une violation du cinquième Commandement («Tu ne tueras point»), car la vie humaine doit être respectée et protégée de manière absolue depuis le moment de la conception . L'Église orthodoxe condamne l'avortement comme étant un acte meurtrier dans tous les cas . Dans l'islam, l'avortement est hors la loi, sauf si la santé ou le bien-être de la mère est en jeu (auquel cas il n'est permis que pendant les 120 premiers jours de la grossesse) . Dans le judaïsme, l'avortement - en cas de circonstances particulières - est permis jusqu'au quarantième jour, car le foetus n'est pas considéré comme une personne autonome . Les églises luthériennes et protestantes majoritaires montrent en général plus de tolérance vis-à-vis de l'avortement, bien que celles marquées par le charismatisme et le fondamentalisme adoptent à cet égard une position plus stricte que les autres.
15. Le camp «pro-vie» perçoit le corps de la mère comme n'étant «que le simple endroit où se déroulent la croissance et l'alimentation de l'enfant à naître» , et c'est la raison pour laquelle la femme n'a pas le droit de décider de la vie de l'enfant à naître. Le rôle du père est également mis en lumière par les militants «pro-vie»: comme l'enfant a deux parents, et non pas un seul, pourquoi un seul des deux aurait-il le droit de décider de son sort?
16. Le camp «pro-vie» insiste sur les effets négatifs éventuels qu'un avortement peut produire sur une femme, tant physiquement que psychologiquement («symptômes comparables aux "désordres et stress post-traumatiques", caractérisés par des cauchemars, un sentiment de culpabilité et de devoir "réparer quelque chose"» ). L'avortement n'est pas assimilé à une affaire privée, compte tenu notamment des tendances démographiques actuelles. On insiste sur l'existence de solutions de substitution à l'avortement (adoption, placement en famille d'accueil) .
17. Le camp «pro-choix» soutient que «le droit à un avortement sûr peut être rattaché aux droits fondamentaux de la personne humaine» . Son argument repose sur le droit des femmes à la vie et à la santé, car dans les pays où l'avortement fait l'objet de restrictions légales, les femmes ont tendance à recourir à des avortements clandestins opérés dans des conditions médicalement risquées, mettant ainsi leur vie et leur santé en danger. La légalité de l'avortement n'a pas d'impact sur les besoins en avortement des femmes, mais uniquement sur leur accès à un avortement sans risque.
18. Les militants «pro-choix» considèrent que les lois interdisant l'avortement exposent les femmes, et non les hommes, à des risques sanitaires accrus et ont donc un effet discriminatoire. Ces lois sont perçues comme discriminatoires également dans la mesure où elles «[dénigrent et diminuent] la capacité des femmes à prendre leurs propres décisions concernant leur vie et leur corps» .
19. En outre, Mme Quesney (Directrice d'«Abortion Rights», Royaume-Uni) considère que les femmes ont droit à l'autodétermination reproductive et souligne que «la poursuite d'une grossesse non désirée peut entraîner des conséquences dramatiques pour le bien-être physique et émotionnel de la femme et de toute sa famille» . Mme Quesney estime, par conséquent, qu'il n'appartient pas au gouvernement de prendre une décision à la place de la femme. Pour une femme vivant dans un environnement où le planning familial et l'éducation ne sont pas disponibles, l'accès à des services d'avortement sûr peut constituer l'unique moyen d'exercer un contrôle sur la taille de sa famille. En outre, les militants «pro-choix» rappellent qu'aucun moyen de contraception n'est fiable à 100 %.
20. Le camp «pro-choix» signale aussi qu'«interdire l'avortement ne peut que conduire à des avortements clandestins - qui constituent l'un des plus grands dangers pour les droits des femmes, leur santé, leur égalité et leur autonomie», selon les termes de Mme Quesney . Ce lien est attesté par les données relatives aux restrictions imposées en matière d'avortement dans la Roumanie de Ceauşescu.
21. Enfin, il convient de signaler la position d'Amnesty International qui, pour la première fois, lors de son 28e Congrès international à Mexico le 17 août 2007, a abordé certains aspects de la question de l'avortement, suite à une large consultation de ses membres et dans le contexte de sa campagne «halte à la violence contre les femmes»:
La politique d'Amnesty International sur les droits sexuels et reproductifs ne consiste pas à promouvoir l'avortement en tant que droit universel; l'organisation n'approuve ni ne réprouve l'avortement. Elle considère comme un droit humain le droit des femmes à ne subir ni terreur, ni menace ni contrainte quand elles font face aux diverses conséquences d'un viol ou d'autres violations graves des droits humains. Amnesty International réaffirme la ligne de conduite qu'elle a adoptée en avril cette année. Cette politique consiste à soutenir la dépénalisation de l'avortement, à veiller à ce que les femmes bénéficient de soins médicaux lorsque cette intervention occasionne des complications et à défendre la possibilité pour les femmes d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse, en respectant un délai maximum raisonnable, lorsque leur santé ou leur vie sont en danger.
22. Dans ce contexte, Amnesty International a souligné que, «d'une manière qui ne se rencontre pas dans d'autres situations, les professionnels de la santé refusent souvent de soigner les femmes qui souffrent de complications liées à l'avortement. On ne voit pas ailleurs de traitements médicaux refusés parce que la personne qui a besoin de soins passe pour avoir commis une infraction. Des gens qui ont pris une surdose d'une drogue considérée comme illégale reçoivent des soins (...), mais les femmes, parfois, n'obtiennent aucun traitement, ce qui montre le caractère exceptionnel de la question de l'avortement». Cette position me semble particulièrement intéressante, parce qu'elle place le débat sur le terrain de la protection des femmes contre toute forme de violence, et non sur le plan moral.
V. Eviter l'avortement
23. Quel que soit notre avis sur l'avortement, nous pouvons tous convenir que dans un monde idéal, l'avortement n'existerait pas, non parce qu'il serait interdit, mais parce qu'il serait inutile dans la mesure où l'on pourrait le plus souvent l'éviter. Nous devons donc chercher à éviter autant d'avortements que possible.
24. Le meilleur moyen d'éviter l'avortement est d'éviter les grossesses non désirées en donnant aux jeunes adultes (y compris à l'école) une éducation sexuelle ainsi que des moyens de contraception accessibles et d'un coût raisonnable. Comme Mme Lindhal, de l'Association suédoise pour l'éducation à la sexualité, l'a expliqué lors de l'audition, des études de l'OMS ont révélé que l'éducation sexuelle avait pour effet de retarder les premières relations sexuelles en suscitant un emploi accru des contraceptifs, rendant ainsi les relations sexuelles plus sûres. Un rapport de l'OMS intitulé «Prévenir le VIH/sida chez les jeunes» a montré que l'éducation sur le VIH avait tendance à retarder l'activité sexuelle et que l'éducation sexuelle n'accroissait pas l'activité en question. Ces résultats pourraient être transposés dans le domaine des grossesses non désirées .
25. De même, la disponibilité de moyens contraceptifs d'un coût raisonnable a beaucoup fait pour abaisser le taux d'avortement au fil des années, notamment en Europe centrale et orientale (dans certains pays, en ex-Union soviétique par exemple, l'avortement a tenu lieu de contraception pendant des dizaines d'années). L'abstinence sexuelle n'est généralement pas une solution: aux Etats-Unis, des programmes en sa faveur ont abouti à une très nette augmentation des maladies sexuellement transmissibles, des grossesses non désirées et des avortements devenus inévitables. De même, un accès plus facile aux moyens de contraception d'urgence à un prix abordable et la levée des restrictions sur leur vente sans ordonnance contribueront grandement à éviter le recours à l'avortement.
26. La mise à disposition de moyens contraceptifs ne suffit toutefois pas pour éviter les avortements. Une étude récente en France - où le taux de contraception est le plus élevé au monde - a rappelé que près de deux grossesses non prévues sur trois surviennent chez des femmes qui déclarent utiliser un moyen contraceptif au moment de la survenue de la grossesse . Il est de ce fait important de s'assurer que les femmes ont accès à un moyen de contraception adapté, et choisi par elles, pour éviter des grossesses non désirées.
27. Interdire les avortements ne permet pas non plus d'éviter les grossesses non désirées. On ne peut que rarement persuader les femmes en «conflit personnel de grossesse» de mener leur grossesse à terme si elles ne le veulent pas, et la plupart chercheront à avorter même si c'est illégal dans leur pays. Certaines iront à l'étranger (au Royaume-Uni, par exemple, si elles sont irlandaises) , mais d'autres qui ne pourront se payer cet «avortement touristique», recourront à un avortement clandestin et dangereux ou iront jusqu'à essayer de mettre fin elles-mêmes à leur grossesse, prenant ainsi des risques considérables pour leur santé, voire leur vie .
28. Une législation restrictive peut aussi aboutir au développement de «marchés parallèles». Des ONG en Pologne - où l'avortement n'est autorisé que pour les cas de viols, d'incestes, et de danger pour la vie ou la santé de la mère - ont dénoncé d'une part l'accès limité des femmes à ces interventions , et d'autre part «l'offre de service» publiée dans les journaux. Au final, ces associations estiment à 180 000 le nombre d'avortements clandestins pratiqués chaque année en Pologne.
29. Je voudrais donc plaider en faveur d'une attitude plus ouverte vis-à-vis de l'avortement. Là où, en Europe, l'avortement est légal, sûr et accessible, les taux d'avortement ont tendance à rester faibles (sans doute aussi parce que la plupart des pays qui adoptent cette politique investissent beaucoup également dans l'éducation à la sexualité et la contraception accessible). Les restrictions à l'avortement - telles que les périodes obligatoires d'attente ou de réflexion (dites aussi «de refroidissement»), l'obligation de commencer par consulter ou se faire «conseiller» ainsi que celle d'obtenir le consentement de deux médecins - sont en général contreproductives, elles aussi; en effet, comme M. Fiala (Président de la Fédération internationale des professionnels de l'avortement et de la contraception, Autriche) l'a signalé au cours de l'audition, ces restrictions ne réduisent pas le nombre de grossesses non désirées ou d'avortements et ne conduisent ni à une augmentation du nombre de femmes ayant des enfants, ni à une amélioration des soins: «Elles ne font que retarder l'âge du foetus au moment de l'avortement, avec les conséquences physiques et psychologiques que cela comporte pour la mère. Elles augmentent les risques pour la santé physique et psychologique et augmentent les coûts de l'opération sans avantage évident» . En outre, plus la décision de la femme est rapide, plus l'avortement médicamenteux, qui évite les risques inhérents à toute opération chirurgicale, pourra être proposé aux femmes.
30. Enfin, je considère pour ma part que le choix ultime d'avorter ou non doit revenir à la femme et qu'il faut reconnaître le droit des femmes à disposer de leur corps.
VI. Conclusions
31. L'Assemblée parlementaire devrait réaffirmer que l'avortement ne peut en aucun cas être considéré comme un moyen de planification familiale. L'avortement, autant que possible, doit être évité. Tous les moyens possibles et compatibles avec les droits de la femme doivent être mis en oeuvre pour réduire le nombre de grossesses non désirées et d'avortements.
32. Bien que l'avortement soit légal dans la grande majorité des Etats membres du Conseil de l'Europe, l'Assemblée est préoccupée par le fait que, dans beaucoup de ces pays, de nombreuses conditions sont imposées et restreignent de ce fait l'accès effectif à un avortement sans risque. Ces restrictions produisent des effets discriminatoires, puisque les femmes qui sont bien informées et qui ont des moyens financiers appropriés peuvent souvent avoir plus facilement recours à l'avortement légal et sans risque.
33. L'Assemblée parlementaire pourrait noter également que, même dans les Etats membres où l'avortement est légal, les conditions ne sont pas toujours réunies pour garantir à la femme l'accès effectif à ce droit: le manque de structures de soins de proximité, le manque de médecins qui acceptent de pratiquer l'avortement, les consultations médicales obligatoires répétées, les délais de réflexion et les délais d'attente pour obtenir un avortement sont autant de conditions qui peuvent rendre l'accès à l'avortement plus difficile, voire impossible dans les faits.
34. L'Assemblée devrait considérer que l'avortement ne doit pas être interdit. Interdire l'avortement n'aboutit pas à réduire le nombre d'avortements: cela mène surtout à des avortements clandestins, plus traumatisants et plus dangereux. La légalité de l'avortement n'a pas d'effet sur le besoin de la femme de recourir à l'avortement, mais seulement sur son accès à un avortement sans risque.
35. L'Assemblée est convaincue que des stratégies appropriées en matière de santé sexuelle et reproductive, y compris l'éducation sexuelle obligatoire pour les jeunes, contribueraient à avoir moins souvent recours à l'avortement.
36. L'Assemblée affirme le droit de tout être humain, y compris des femmes, au respect de son intégrité physique et à la libre disposition de son corps. Dans ce contexte, le choix ultime d'avoir recours ou non à un avortement devrait revenir à la femme, qui devrait disposer des moyens d'exercer ce droit de manière effective.
37. Les Etats membres du Conseil de l'Europe devraient être invités à:
37.1. dépénaliser l'avortement si ce n'est déjà fait;
37.2. garantir l'exercice effectif du droit des femmes à l'avortement;
37.3. respecter l'autonomie du choix de la femme et d'offrir les conditions d'un choix libre et éclairé;
37.4. lever les restrictions qui entravent, en fait ou en droit, l'accès à un avortement sans risque, et notamment prendre les mesures nécessaires pour créer les conditions sanitaires, médicales et psychologiques appropriées et assurer une prise en charge financière adéquate;
37.5. adopter, en matière de santé sexuelle et reproductive, des stratégies appropriées fondées sur des données solides et fiables, pour garantir la poursuite des améliorations et de l'expansion de la prestation de services de contraception grâce à une augmentation des investissements à partir des budgets nationaux visant à améliorer les régimes de santé, les fournitures pour la santé reproductive et la diffusion d'informations;
37.6. assurer l'accès à une contraception de coût raisonnable, adaptée à la femme et choisie par elle;
37.7. instituer une éducation obligatoire des jeunes adultes à la sexualité (entre autres, à l'école), afin d'éviter le plus grand nombre possible de grossesses non désirées (donc d'avortements).
Commission chargée du rapport: commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes.
Renvoi en commission: Doc n° 10802, renvoi n 3175 du 27 janvier 2006.
Projet de résolution adopté par 21 voix pour, 3 voix contre et 1 abstention par la commission le 11 mars 2008.
Membres de la commission: M. Steingrímur J. Sigfússon (Président), M. José Mendes Bota (1ère Vice-Président), Mme Ingrīda Circene (2ème Vice-Présidente), Mme Anna Čurdová (3ème Vice-Présidente), M. Frank Aaen, Mme eljka Antunović, M. John Austin, M. Lokman Ayva, Mme Marieluise Beck, Mme Anna Benaki, Mme Oksana Bilozir (suppléante: Mme Olha Herasym'yuk), Mme Olena Bondarenko, M. Pedrag Boš cović, M. Jean-Guy Branger, M. James Clappison, Mme Minodora Cliveti (suppléante: Mme Monalisa Găleteanu), M. Ignacio Cosidó Gutiérrez (M. Adolfo Fernández Aguilar), Mme Diana Çuli, Mr Ivica Dačiċ, M. Marcello Dell'utri, M. José Luiz Del Roio, Mme Lydie Err, Mme Catherine Fautrier, Mme Maria Emelina Fernández Soriano (suppléante: Mme Rosario Velasco García), Mme Sonia Fertuzinhos, Mme Alena Gajdůš ková, Mme Ruth Genner, Mme Claude Greff, M. Attila Gruber, Mme Carina Hägg, M. Ilie Ilaşcu, Mme Fatme Ilyaz, Mme Nataš a Jovanoviċ, Mme Birgen Keleş, Mme Krista Kiuru, Mme Irine Kurdadzé, Mme Angela Leahu, Mr Terry Leyden, Mme Mirjana Malić, Mme Nursuna Memecan, Mme Danguté Mikutiené, Mme Ilinka Mitreva, M. Burkhardt Müller-Sönksen, Mme Christine Muttonen (suppléante: Mme Ana Blatnik), Mme Hermine Naghdalyan, Mme Yuliya Novikova, M. Mark Oaten, M. Kent Olsson, Mme Vera Oskina, M. Jaroslav Paš ka, Mme Maria Agostina Pellegatta, Mme Antigoni Papadopoulos, M. Claudio Podeschi, Mme Majda Potrata, M. Jeffrey Pullicino Orlando, M. Frédéric Reiss, Mme Mailis Reps, Mme Jadwiga Rotnicka, Mme Marlene Rupprecht, Mme Klára Sándor, M. Giannicola Sinisi, Mme Miet Smet, Mme Svetlana Smirnova, Mme Darinka Stantcheva, Mme Tineke Strik, M. Michał Stuligrosz, Mme Doris Stump, M. Han Ten Broeke, M. Vasile Ioan Dănuţ Ungureanu, M. Marek Wikiński, M. Paul Wille, Mme Betty Williams, M. Gert Winkelmeier, Mme Karin S. Woldseth, Mme Gisela Wurm, M. Vladimir Zhidkikh, Mme Anna Roudoula Zissi.
N.B. Les noms des membres qui ont pris part à la réunion sont imprimés en gras.
Secrétariat de la commission: Mme Affholder, Mme Devaux, M. Parent