Homélie du P. Cantalamessa (dimanche 16 septembre 2007)
Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 15, 1-32
Le père courut à sa rencontre
La liturgie de ce dimanche prévoit la lecture de tout le chapitre quinze de l'Evangile de Luc, qui contient les trois paraboles dites « de la miséricorde » : la brebis perdue, la pièce d'argent perdue et le fils prodigue. « Un père avait deux fils... ». Ces trois ou quatre mots suffisent pour que celui qui a un minimum de familiarité avec l'Evangile s'exclame spontanément : parabole du fils prodigue ! J'ai déjà à d'autres occasions souligné la signification spirituelle de cette parabole ; je voudrais cette fois souligner un aspect peu développé mais extrêmement actuel et proche de la vie de cette parabole. Au fond, elle n'est que l'histoire d'une réconciliation entre père et fils et nous savons tous qu'une telle réconciliation est vitale, aussi bien pour le bonheur des parents que celui des enfants.
On pourrait se demander pourquoi la littérature, l'art, le monde du spectacle, la publicité, n'exploitent qu'un seul aspect des relations humaines : la relation sur fond érotique entre l'homme et la femme, entre mari et femme. Il semblerait qu'il n'existe pas autre chose dans la vie. La publicité et le monde du spectacle ne font que cuisiner le même plat avec mille sauces différentes. Nous omettons en revanche d'explorer un autre aspect des relations humaines, tout aussi universel et vital, une autre des grandes sources de joie de la vie : la relation père - fils, la joie de la paternité. En littérature, la seule oeuvre qui traite vraiment de ce thème est la « Lettre au père », de F. Kafka (le célèbre roman « Pères et fils » de Tourguéniev ne traite pas en réalité de la relation entre pères et fils naturels mais entre générations différentes).
Si, en revanche, on creuse avec sérénité et objectivité dans le coeur de l'homme, on découvre que dans la majorité des cas, une relation réussie, intense et sereine avec ses enfants n'est pas, pour un homme adulte et mûr, moins important et moins épanouissant que la relation homme - femme. Et nous savons combien cette relation est également importante pour un fils ou une fille et le vide que laisse une rupture.
De même que le cancer attaque généralement les organes les plus sensibles chez l'homme et la femme, la puissance destructrice du péché et du mal attaque les centres les plus vitaux de l'existence humaine. Rien n'est plus soumis aux abus, à l'exploitation et à la violence que la relation homme - femme et rien n'est plus exposé à la déformation que la relation père - fils : autoritarisme, paternalisme, rébellion, refus, incommunicabilité.
Il ne faut pas généraliser. Il existe des cas de relations très belles entre père et fils et j'en ai moi-même connu plusieurs. Nous savons toutefois qu'il existe également, et ils sont plus nombreux, des cas négatifs de relations difficiles entre parents et enfants. Dans le livre d'Isaïe on lit cette exclamation de Dieu : « J'ai élevé des enfants, je les ai fait grandir, mais ils se sont révoltés contre moi » (Is 1, 2). Je crois qu'aujourd'hui, de nombreux parents savent, par expérience, ce que signifient ces paroles.
La souffrance est réciproque ; ce n'est pas comme dans la parabole, où la culpabilité est entièrement et uniquement celle du fils... Il existe des pères dont la souffrance la plus profonde dans la vie est celle d'être rejetés voire même méprisés par leurs enfants. Et il existe des enfants dont la souffrance la plus profonde et inavouée est celle de se sentir incompris, non estimés, voire même refusés par leur père.
J'ai insisté sur le côté humain et existentiel de la parabole de l'enfant prodigue. Mais il ne s'agit pas seulement de cela, c'est-à-dire d'améliorer la qualité de la vie en ce monde. Cela entre dans l'effort pour une nouvelle évangélisation, l'initiative d'une grande réconciliation entre pères et fils et le besoin d'une guérison profonde de leur relation. On sait combien la relation avec le père terrestre peut influencer, de manière positive ou négative, la relation avec le Père des Cieux et donc la vie chrétienne elle-même. Lorsque naquit le précurseur Jean-Baptiste, l'ange déclara que l'une de ses tâches aurait été de ramener le coeur des pères vers leurs enfants et le coeur des fils vers leurs pères (cf. Lc 1, 17). Une tâche plus actuelle que jamais.