Vie spirituelle

Fête-Dieu : le ciel commencé - Fr. T-D Humbrecht - 10 juin 2007


Spiritualité

Fête-Dieu : le ciel commencé
Fr. Thierry-Dominique Humbrecht op*

L'évangile du dimanche de la solennité du Saint-Sacrement n'est pas un récit eucharistique, mais il en annonce le geste et la nouveauté : Jésus est présent, il se donne en nourriture, pour que vive le peuple assemblé près de lui. L'épître de saint Paul, en revanche, est un récit eucharistique, qui ajoute aux paroles consécratoires de Jésus l'affirmation d'une nouvelle Alliance, « la nouvelle Alliance en mon sang ». Cette Alliance doit être célébrée, en mémoire de lui, jusqu'à ce qu'il vienne.

Avec ces deux textes, nous avons de quoi contempler ce qu'est l'eucharistie et de quoi la fêter. Pourtant, les choses ne sont pas si transparentes. Nous qui si souvent célébrons, recevons, adorons l'eucharistie, savons-nous ce que nous faisons ? Pouvons-nous, sinon comprendre ce mystère, ce mystère si élevé, du moins le définir ? Essayons de le caractériser, de dire ce qu'il fait et ce qu'il est.

Ce n'est pas commode, parce que nous avons en face de nous du pain et du vin, signes trop humbles, signes décalés, de la présence du Christ. Quel rapport y a-t-il entre le Christ et ces pauvres aliments ? Sommes-nous en train d'adorer de la matière diététique ou bien en train de nous souvenir d'un repas du passé ? À quoi sert-il de manger, de manger si souvent, dans quel but et avec quels effets ? En un mot, pourquoi célébrer avec autant de solennité, dans l'Église entière, le Corps et le Sang du Christ ?

Sinon parce que, ainsi, le Christ se rend présent, pour nous nourrir, faisant grandir notre union à Dieu.

Présence

Dans l'eucharistie, le Christ se rend personnellement présent, non pas symboliquement mais en personne. Pourtant, nous ne voyons rien, nous ne sentons rien. Plaçons-nous, pour en prendre la mesure, de deux points de vue : du côté du ciel et de notre côté.

Du côté du ciel, le Christ, qui est dans la gloire avec son corps, se rend présent sur terre. Il se saisit d'une présence sacramentelle, c'est-à-dire d'une présence selon une autre apparence que la sienne. Pourquoi le fait-il ? Pour nous dispenser les fruits de son unique sacrifice, le sacrifice de la Croix, la nouvelle Alliance en son sang. S'il le fait, c'est pour nous faire participer à son sacrifice.

De notre côté, nous sommes confortés par cette présence. Le Christ est là, il est vraiment là et là pour nous. Bien sûr, Dieu est présent partout, dans le ciel étoilé au-dessus de nous et dans la loi morale en nous ; mais cela n'est pas assez, c'est naturel, c'est laïc. Le Christ se rend présent en vertu de son humanité unie à sa divinité, pour nous sauver. C'est pourquoi, si le baptême est le sacrement le plus nécessaire, l'eucharistie est le principal.

Pourtant, à quoi bon une telle présence ? Ce n'est pas qu'elle soit trop sensible, mais elle semble l'être de travers : les apparences nutritives la desservent. Pourquoi le Christ n'a-t-il pas choisi une autre présence, s'il s'agit pour lui d'être là avec nous, qu'une présence à consommer tout de suite ?


Nourriture

Il faut s'y résoudre : le Christ se rend présent pour être mangé et bu. Il se donne en nourriture. Plaçons-nous du côté du ciel et puis du nôtre.

Du côté du ciel, l'eucharistie est le moyen que le Christ a trouvé pour instituer la communion, c'est-à-dire l'union à sa personne. Cette union est union de tous et de chacun. De tous, et ainsi l'Église est-elle constituée par l'eucharistie ; être schismatique ou excommunié, ou bien en état de péché mortel, par exemple, c'est prendre la mesure de la gravité des actes que l'on a commis contre la communion de l'Église. C'est pour cela que, par voie de conséquence, on ne communie plus à l'eucharistie.

De notre côté, lorsque nous communions, nous accueillons le Christ en nous. Il entre en personne dans le logis de l'âme. C'est tout de même autre chose que si le Président de la République venait dîner à la maison ! Le Christ s'est donc laissé manger et boire, il a revêtu une autre forme que la sienne, pour nous transformer en lui. Il le fait pour nous. En le laissant entrer, c'est nous qui devenons des tabernacles.

Nous devrions devenir des saints, séance tenante ! Si cela était, une seule messe nous suffirait ; mais sa répétition nous ramène à nos lenteurs. Ces lenteurs de la pédagogie de Dieu épousent en effet nos lenteurs à nous. Nous sommes des êtres de progrès, de construction, de devenir. La grâce met du temps à nous transformer, non à cause d'elle mais de nous. Cela dit, si nous refusons cette lenteur, par orgueil ou par candeur spirituelle, supposant que tout peut se faire dans l'instant, nous périrons dans l'immobilité et même la régression.

On ne saurait imaginer, avec l'eucharistie, nourriture plus sanctifiante, très au-dessus de toutes nos autres prières. Néanmoins, une telle nourriture, qui va et qui vient, qui se répète ou qui manque, reste imparfaite. Le Christ ne nous est pas présent ainsi tout le temps. Il y a donc mieux que l'eucharistie, c'est le ciel même.

L'union

Le ciel, ce n'est pas la dispersion dans le cosmos ; le ciel, c'est l'état de l'âme après la mort, unie à la Trinité, unie au Christ, face à face, en attendant la résurrection des corps au Jugement dernier. Le ciel, c'est la charité à son état maximum.

Du côté du ciel, c'est Dieu qui se donne en aimant et qui se donne à aimer. La charité, c'est Dieu même qui entre en relation amoureuse avec nous. C'est Dieu qui se rend présent sans voiles ; l'eucharistie, sans les espèces sensibles du sacrement ; le Christ, vu dans les yeux.
De notre côté, nous n'aurons plus besoin de messe, au ciel. Il y aura mieux. Mieux, non quant au fond, car le fond, c'est la communion de charité au Christ, dans l'Église de tous les saints ; mais, mieux, quant à la manière. La vision remplacera la foi, et la réalité les signes. Tout à coup, on changera de modalité, en passant des manières qui nous sont adaptées à celles qui sont adaptées à Dieu. Le renversement nous transformera. Le ciel, c'est le Christ de l'hostie à découvert.

C'est la raison pour laquelle, en retour, l'eucharistie, la nôtre, prépare le ciel. La charité commence tout de suite. La messe est comme un brouillon du paradis. Brouillon, en négatif, parce qu'elle le préfigure, selon la manière qui est adaptée à nos yeux de plomb ; brouillon aussi, en positif, parce qu'elle est animée de la même charité. La messe est le ciel commencé, parce que le Christ se rend présent et se donne en nourriture pour faire croître en nous la charité, la sienne.

La solennité du Corps et du Sang du Seigneur est la célébration d'une présence ; présence à la fois réelle et dynamique, qui nous aspire vers le ciel.

Le seul problème qu'elle pose ainsi est qu'elle met le feu partout, à nos âmes, à la nature créée qui se trouve ainsi pulvérisée, et au ciel même. L'hostie est donc la première responsable du réchauffement de la planète.



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Solennité du Saint-Sacrement, Dimanche 10 juin 2007, Dominicains de Bordeaux
Prédication du fr. Thierry-Dominique Humbrecht o.p., sur I Cor. 11, 23-26 et Luc 9, 11-17

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