Benoît XVI de A à Z

2 novembre

 

2005

 

1er novembre 2005 – Angelus Solennité de Toussaint

     La "communion des saints", que nous professons dans le Credo, est une réalité qui se construit ici-bas, mais qui se manifestera pleinement quand nous verrons Dieu "tel qu'il est" (1 Jn 3, 2). C'est la réalité d'une famille liée par de profonds liens de solidarité spirituelle, qui unit les fidèles défunts à ceux qui sont en pèlerinage dans le monde. Un lien mystérieux mais réel, alimenté par la prière et par la participation au Sacrement de l'Eucharistie. Dans le Corps mystique du Christ, les âmes des fidèles se rencontrent en franchissant la barrière de la mort; elles prient les unes pour les autres, elles réalisent dans la charité un intime échange de dons. Dans cette dimension de foi est également comprise la pratique d'offrir des prières d'intention pour les défunts, en particulier le Sacrifice eucharistique, mémorial de la Pâque du Christ, qui a ouvert aux croyants le passage vers la vie éternelle.

     En m'unissant spirituellement à ceux qui se rendent dans les cimetières pour prier pour leurs défunts, moi aussi je me recueillerai en prière demain après-midi dans les Grottes vaticanes auprès des tombes des Papes, qui forment une couronne autour du sépulcre de l'Apôtre Pierre, et j'aurai une pensée spéciale pour le bien-aimé Jean-Paul II. Chers amis, que l'arrêt traditionnel au cours de ces journées sur les tombes de nos défunts constitue une occasion pour penser sans crainte au mystère de la mort et cultiver cette attention permanente qui nous prépare à l'affronter avec sérénité. Pour cela, que nous aide la Vierge Marie, Reine des Saints, à laquelle nous nous adressons à présent avec une confiance filiale.

 

 

2 novembre 2005 – Audience Générale

     1. Après avoir célébré hier la fête solennelle de tous les Saints du ciel, nous rappelons aujourd'hui la mémoire de tous les fidèles défunts. La liturgie nous invite à prier pour nos chers disparus, en tournant notre pensée vers le mystère de la mort, héritage commun de tous les hommes.

     Eclairés par la foi, nous regardons l'énigme humaine de la mort avec sérénité et espérance. Selon l'Ecriture, en effet, celle-ci est une nouvelle naissance plus qu'une fin, elle est le passage obligatoire à travers lequel ceux qui modèlent leur existence terrestre selon les indications de la Parole de Dieu peuvent atteindre la vie en plénitude.

     Le Psaume 111, une composition de type sapientiel, nous présente la figure de ces justes, qui craignent le Seigneur, en reconnaissent la transcendance et adhèrent avec confiance et amour à sa volonté dans l'attente de le rencontrer après la mort.

     Une "béatitude" est réservée à ces fidèles:  "Heureux l'homme qui craint Yahvé" (v. 1). Le Psalmiste précise immédiatement en quoi consiste cette crainte:  elle se manifeste à travers la docilité aux commandements de Dieu. Est proclamé bienheureux celui qui "se plaît fort" à observer ses commandements, trouvant en eux la joie et la paix.

     2. La docilité à l'égard de Dieu est, donc, une source d'espérance et d'harmonie intérieure et extérieure. L'observance de la loi morale est source d'une profonde paix de la conscience. Plus encore, selon la vision biblique de la "rétribution", le manteau de la bénédiction divine s'étend même sur le juste, imprimant stabilité et succès à ses oeuvres et à celles de ses descendants:  "Sa lignée sera puissante sur la terre, et bénie la race des hommes droits. Opulence et bien-être en sa maison" (vv. 2-3; cf. v. 9). A cette vision optimiste s'opposent cependant les observations amères du juste Job, qui fait l'expérience du mystère de la douleur, se sent injustement puni et soumis à des épreuves apparemment insensées. Job représente de nombreuses personnes justes qui souffrent profondément dans le monde. Il faudra donc lire ce Psaume dans le contexte global de l'Ecriture Sainte, jusqu'à la Croix et à la Résurrection du Seigneur. La Révélation embrasse la réalité de la vie humaine sous tous ses aspects.

     La confiance que le Psalmiste veut transmettre et qu'il veut faire ressentir à celui qui a choisi de suivre la voie d'une conduite moralement irréprochable, contre toute alternative d'un succès illusoire obtenu à travers l'injustice et l'immoralité, conserve toutefois toute sa valeur.

     3. Le coeur de cette fidélité à la Parole divine consiste en un choix fondamental, celui de la charité envers les pauvres et les indigents:  "Bienheureux l'homme qui prend pitié et prête... Il fait largesse, il donne aux pauvres" (vv. 5.9). Le fidèle est donc généreux; respectant la règle biblique, il accorde des prêts à ses frères dans le besoin, sans intérêt (cf. Dt 15, 7-11) et sans tomber dans l'infamie de l'usure, qui anéantit la vie des pauvres.

     Le juste, en tenant compte de l'avertissement constant des prophètes, se range du côté des laissés-pour-compte, et les soutient par des aides abondantes. "Il fait largesse, il donne aux pauvres", dit-on dans le verset 9, démontrant ainsi une extrême générosité, totalement désintéressée.

     4. Le Psaume 111, aux côtés du portrait de l'homme fidèle et charitable, "bon, miséricordieux et juste", présente également à la fin, en un seul verset (cf. v. 10), le profil de l'homme mauvais. Cet individu assiste au succès de la personne juste en brûlant de rage et d'envie. C'est le tourment de celui qui a mauvaise conscience, à la différence de l'homme généreux dont le coeur est "ferme" et "assuré" (vv. 7-8).

     Nous tournons notre regard sur le visage serein de l'homme fidèle qui "fait largesse, il donne aux pauvres" et nous nous en remettons, pour notre réflexion de conclusion, aux paroles de Clément d'Alexandrie, le Père de l'Eglise du II siècle, qui a commenté une affirmation difficile du Seigneur. Dans la parabole sur l'administrateur injuste apparaît l'expression selon laquelle nous devons faire  le  bien  avec l'"argent injuste". De là naît la question:  l'argent, la richesse, sont-ils eux-mêmes injustes, ou que veut dire le Seigneur? Clément d'Alexandrie explique très bien ce mot dans son homélie:  "Quel riche se sauvera?" et dit:  Jésus "déclare injuste par nature toute possession que quelqu'un possède pour lui-même comme un bien propre et qu'il ne met pas en commun pour ceux qui en ont besoin; mais il déclare également que, à partir de cette injustice, il est possible d'accomplir une oeuvre juste et salutaire, en donnant le repos à l'un de ces petits qui ont une demeure éternelle auprès du Père (cf. Mt 10, 42; 18, 10)" (31, 6:  Collana di Testi Patristici, CXLVIII, Rome 1999, pp. 56-57).

     Et, s'adressant aux lecteurs, Clément avertit:  "Tout d'abord, sache qu'il ne t'a pas commandé de te faire prier ni d'attendre d'être supplié, mais il faut que tu cherches toi-même ceux qui sont dignes d'être écoutés, en tant que disciples du Sauveur" (31, 7:  ibid, p. 57).

     Puis, ayant recours à un autre texte biblique, il commente:  "Ce que dit l'Apôtre est donc beau:  "Dieu aime qui donne avec joie" (2 Co 9, 7), celui qui se réjouit de donner et qui ne sème pas chichement, pour ne pas recueillir de la même façon, mais qui partage sans regrets ni distinctions ou douleur; c'est là une authentique manière de faire le bien" (31, 8:  ibid.).

     En ce jour de la commémoration des défunts, comme je l'ai dit au début de notre rencontre, nous sommes tous appelés à nous confronter à l'énigme de la mort et donc à la question de comment vivre bien, comment trouver le bonheur. A cela, le Psaume répond : Heureux l'homme qui donne; heureux l'homme qui n'utilise pas sa vie pour lui-même, mais qui la donne; heureux l'homme qui est miséricordieux, bon et juste; heureux l'homme qui vit dans l'amour de Dieu et du prochain. Ainsi nous vivons bien et ainsi nous ne devons pas avoir peur de la mort, car nous sommes dans le bonheur qui vient de Dieu et qui ne connaît pas de fin.

 

 

11 novembre 2005 – Homélie Messe cardinaux et Eveques défunts

     Le mois de novembre revêt une connotation spirituelle particulière en raison des deux journées par lesquelles il s'ouvre:  la Solennité de la Toussaint et la Commémoration de tous les fidèles défunts. Le mystère de la communion des saints illumine de manière particulière ce mois et toute la partie finale de l'année liturgique, en orientant la méditation sur le destin terrestre de l'homme à la lumière de la Pâque du Christ. Dans  celle-ci  trouve son fondement cette espérance qui, comme le dit saint Paul, est telle qu'elle "ne déçoit pas" (cf. Rm 5, 5). La célébration d'aujourd'hui se situe précisément dans ce contexte, dans lequel la foi exalte des sentiments profondément inscrits dans l'âme humaine. Lors de ces journées, la grande famille de l'Eglise trouve un temps de grâce et le vit, selon sa vocation, en se rassemblant en prière autour du Seigneur et en offrant son Sacrifice rédempteur à l'intention des fidèles défunts. Aujourd'hui, nous l'offrons de manière particulière pour les Cardinaux et les Evêques qui nous ont quittés au cours de l'année écoulée.

     Pendant longtemps, j'ai appartenu au Collège cardinalice, dont j'ai également été le Doyen pendant deux ans et demi. Je me sens donc particulièrement lié à cette communauté spécifique, que j'ai eu l'honneur de présider également pendant les journées inoubliables qui ont suivi la disparition du bien-aimé Pape Jean-Paul II. Il nous a laissé, parmi d'autres exemples lumineux, celui très précieux de la prière, et en ce moment également, nous recueillons son héritage spirituel, conscients que son intercession se poursuit de manière encore plus intense du Ciel. Au cours des douze derniers mois, cinq Vénérés frères Cardinaux sont passés "sur l'autre rive":  Juan Carlos Aramburu, Jan Pieter Schotte, Corrado Bafile, Jaime Sin et, il y a moins d'un mois, Giuseppe Caprio. Avec leurs âmes, nous confions aujourd'hui au Seigneur celles des Archevêques et des Evêques qui, au cours de cette même période, ont conclu leur pèlerinage terrestre. Nous élevons ensemble notre prière pour chacun d'eux, dans la lumière de la Parole que Dieu nous a adressée dans cette Liturgie.

     Le passage du Livre du Siracide contient tout d'abord une exhortation à la constance dans l'épreuve et donc une invitation à la confiance en Dieu. A l'homme qui traverse les vicissitudes de la vie, la Sagesse recommande:  "Attache-toi à lui - au Seigneur -, ne t'éloigne pas, afin d'être exalté à ton dernier jour" (Si 2, 3). Celui qui se place au service du Seigneur et qui donne sa vie dans le ministère ecclésial n'est pas exempté des épreuves, au contraire, il en rencontre de plus insidieuses, comme le démontre largement l'expérience des saints. Mais vivre dans la crainte de Dieu libère le coeur de toute peur et le plonge dans les profondeurs de son amour. "Vous qui craignez le Seigneur, ayez confiance en lui [...] espérez ses bienfaits, la joie éternelle et la miséricorde" (Si 2, 8-9).

     Cette invitation à la confiance se rattache directement au début de l'épisode de l'Evangile de saint Jean qui vient d'être proclamé:  "Que votre coeur ne se trouble pas! - dit Jésus aux Apôtres lors de la dernière Cène - vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi" (Jn 14, 1). Le coeur humain, toujours inquiet tant qu'il ne trouve pas un refuge sûr dans son pèlerinage, atteint finalement là le roc solide où s'arrêter et se reposer. Celui qui a confiance en Jésus, place sa confiance en Dieu lui-même. En effet, Jésus est un Homme véritable, mais en lui, nous pouvons avoir une foi pleine et inconditionnée, car - comme il l'affirme lui-même peu après en s'adressant à Philippe - il est dans le Père et le Père est en lui (cf. Jn 14, 10). En cela, Dieu est véritablement venu à notre rencontre. Nous, les êtres humains, nous avons besoin d'un ami, d'un frère qui nous prenne par la main et nous accompagne jusqu'à la maison du Père (Jn 14, 2); nous avons besoin de quelqu'un qui connaît bien la route. Et Dieu, dans son amour "surabondant" (Ep 2, 4), a envoyé son Fils, non seulement pour qu'il nous l'indique, mais pour devenir lui-même "le chemin" (Jn 14, 6).

     "Nul ne vient au Père que par moi" (Jn 14, 6), affirme Jésus. Ce "nul" n'admet pas d'exceptions; mais, à tout bien considérer, il correspond à une autre parole, que Jésus prononça aussi lors de la dernière Cène lorsque, présentant la coupe, il dit:  "Ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés" (Mt 26, 28). Dans la maison, du Père, les "places" sont "nombreuses", au sens où près de Dieu il y a de la place pour "tous" (cf. Jn 14, 2). Jésus est la voie ouverte à "tous"; il n'y en a pas d'autres. Et celles qui semblent "autres", dans la mesure où elles sont authentiques, reconduisent à Lui; autrement, elles ne mènent pas à la vie. Le don que le Père a fait à l'humanité en envoyant son Fils unique est donc inestimable. A ce don correspond une responsabilité, qui est d'autant plus grande qu'est plus étroit le rapport qui en a dérivé avec Jésus. "A qui on aura donné beaucoup - dit le Seigneur - il sera beaucoup demandé, et à qui on aura confié beaucoup on réclamera davantage" (Lc 12, 48). C'est pour cette raison que, alors que nous rendons grâce à Dieu pour tous les bienfaits qu'il a accordés à nos confrères défunts, nous offrons pour eux les mérites de la passion et de la mort du Christ, pour qu'ils comblent les lacunes dues à la fragilité humaine.

     Le Psaume responsorial (121/122) et la deuxième Lecture (1 Jn 3, 1-2) ouvrent nos coeurs par l'émerveillement de l'espérance, à laquelle nous avons été appelés. Le Psalmiste nous la fait chanter comme un hymne à Jérusalem, en nous invitant à imiter spirituellement les pèlerins qui "montaient" vers la ville sainte et, après un long chemin, parvenaient remplis de joie à ses portes:  "J'étais joyeux que l'on me dise:  / Allons à la maison de Yahvé! / Enfin nos pieds s'arrêtent / dans tes portes, Jérusalem!" (Ps 121, 1-2). Dans sa première Lettre, l'Apôtre Jean l'exprime en nous communiquant la certitude, mêlée de gratitude, d'être devenus des fils de Dieu et en même temps en nous rappelant l'attente de la pleine manifestation de cette réalité:  "Bien-aimés, dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n'a pas encore été manifesté... Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est" (1 Jn 3, 2).

     Vénérés et chers frères, l'âme tournée vers ce mystère de salut, nous offrons la divine Eucharistie pour les Cardinaux et les Evêques qui nous ont précédés dans le dernier passage vers la vie éternelle. Nous invoquons l'intercession de saint Pierre et de la Bienheureuse Vierge Marie, afin qu'ils les accueillent dans la maison du Père, dans l'espérance confiante de pouvoir un jour nous unir à eux pour jouir de la plénitude de la vie et de la paix. Amen.

 

 

 

2006

1er novembre 2006 – Angelus

     L'homme moderne attend-il encore cette vie éternelle, ou bien considère-t-il qu'elle appartient à une mythologie désormais dépassée? A notre époque, plus que par le passé, nous sommes tellement occupés par les choses terrestres, qu'il est parfois difficile de penser à Dieu comme le protagoniste de l'histoire et de notre vie elle-même. Toutefois, par sa nature, l'existence humaine est tendue vers quelque chose de plus grand, qui la transcende; le désir de justice, de vérité, et de bonheur complet inscrit dans l'être humain est irrépressible. Face à l'énigme de la mort, sont présents chez de nombreuses personnes le désir et l'espérance de retrouver leurs proches dans l'au-delà. De même qu'il existe la profonde conviction d'un jugement dernier qui rétablisse la justice, et l'attente d'une confrontation finale dans laquelle chacun reçoive ce qui lui est dû.

     La "vie éternelle", pour nous, chrétiens, n'indique cependant pas une vie qui dure pour toujours, mais une nouvelle qualité de vie, pleinement plongée dans l'amour de Dieu, qui libère du mal et de la mort et nous place dans une communion sans fin avec tous les frères et les soeurs qui participent du même Amour. C'est pourquoi l'éternité peut être déjà présente au centre de la vie terrestre et temporelle, lorsque l'âme, à travers la grâce, est unie à Dieu, à son fondement ultime. Tout passe, seul Dieu reste immuable. Un Psaume dit:  "Et ma chair et mon coeur sont consumés:  roc de mon coeur, ma part, Dieu à jamais!" (Ps 73 [72], 26). Tous les chrétiens, appelés à la sainteté, sont des hommes et des femmes qui vivent solidement ancrés à ce "Roc"; ils ont les pieds sur terre, mais le coeur déjà au Ciel, demeure définitive des amis de Dieu.

     Chers frères et soeurs, méditons sur ces réalités l'âme tournée vers notre destin ultime et définitif, qui donne un sens aux situations quotidiennes. Ravivons le sentiment joyeux de la communion des saints et laissons-nous attirer vers le but de notre existence:  la rencontre face-à-face avec Dieu. Prions afin que cela soit l'héritage de tous les fidèles défunts, non seulement de nos proches, mais également de toutes les âmes, en particulier celles qui sont le plus oubliées et qui ont besoin de la miséricorde divine. Que la Vierge Marie, Reine de Tous les Saints, nous guide pour choisir en tout moment la vie éternelle, la "vie du monde à venir" comme nous le disons dans le Credo; un monde déjà inauguré par la résurrection du Christ, et dont nous pouvons hâter la venue par notre conversion sincère et les oeuvres de charité.

 

 

 

 

 

4 novembre 2006 – Homélie Messe cardinaux et Evêques défunts

      Ces derniers jours, la solennité de la Toussaint et la Commémoration de tous les fidèles défunts nous ont aidés à méditer sur la destination finale de notre pèlerinage terrestre. Dans ce climat spirituel, nous nous retrouvons aujourd'hui autour de l'autel du Seigneur pour célébrer la Messe d'intention pour les Cardinaux et les Evêques que Dieu a appelés à lui au cours de l'année écoulée. Nous revoyons leurs visages qui nous sont familiers, tout en entendant à nouveau les noms des regrettés Cardinaux, qui, au cours des douze derniers mois, nous ont quittés:  Leo Scheffczyk, Pio Taofinu'u, Raùl Francisco Primatesta, Angel Suquía Goicoechea, Johannes Willebrands, Louis-Albert Vachon, Dino Monduzzi et Mario Francesco Pompedda. J'aimerais aussi citer chacun des Archevêques et des Evêques, mais la certitude réconfortante, comme le dit un jour Jésus aux Apôtres, que leurs noms "sont inscrits dans les cieux" (Lc 10, 20), nous suffit.

     Rappeler les noms de nos frères dans la foi nous renvoie au sacrement du Baptême, qui a marqué pour chacun d'eux, comme pour chaque chrétien, l'entrée dans la communauté des saints. Au terme de la vie, la mort nous prive de tout ce qui est terrestre, mais non de cette Grâce et de ce "caractère" sacramentel en vertu desquels nous avons été associés indissolublement au mystère pascal de notre Seigneur et Sauveur. Dépossédé de tout, mais revêtu du Christ:  c'est ainsi que le baptisé passe le seuil de la mort et se présente devant Dieu juste et miséricordieux. Afin que le vêtement blanc, reçu lors du Baptême, soit purifié de tout péché et de toute tache, la communauté des croyants offre le sacrifice eucharistique et d'autres prières d'intention pour ceux que la mort a appelés à passer du temps à l'éternité. Il s'agit d'une noble pratique, que celle de prier pour les défunts, qui présuppose la foi dans la résurrection des morts, selon ce que l'Ecriture Sainte et, de façon parfaite, l'Evangile, nous ont révélé.

     Nous venons d'entendre le récit de la vision des ossements desséchés du prophète Ezéchiel (37, 1-14). C'est sans aucun doute l'une des pages bibliques les plus significatives et impressionnantes, qui se prête à une double lecture. Sur le plan historique, il répond au besoin d'espérance des Hébreux déportés à Babylone, découragés et affligés d'avoir dû enterrer leurs proches en terre étrangère. Par la bouche du prophète, le Seigneur leur annonce qu'il les fera sortir de ce cauchemar et les fera rentrer dans le pays d'Israël. L'image très suggestive des ossements qui se réaniment et se mettent en mouvement représente donc ce peuple qui reprend vigueur dans l'espérance pour rentrer dans sa patrie.

     Mais le long et complexe oracle d'Ezéchiel, qui exalte la puissance de la Parole de Dieu face à laquelle rien n'est impossible, marque dans le même temps un pas en avant décisif vers la foi  dans  la  résurrection des morts. Cette foi trouvera son accomplissement dans le Nouveau Testament. A la lumière du mystère pascal du Christ, la vision des ossements desséchés revêt la valeur d'une parabole universelle sur le genre humain, en pèlerinage dans l'exil terrestre et soumis au joug de la mort. La Parole divine, incarnée en Jésus, vient habiter dans le monde qui, sous de nombreux points de vue, est une vallée désolée; il devient pleinement solidaire avec tous les hommes et il leur apporte l'annonce joyeuse de la vie éternelle. Cette annonce d'espérance est proclamée jusque dans les profondeurs d'outre-tombe, alors qu'est définitivement ouverte la route qui conduit à la Terre promise.

     Dans le passage évangélique, nous avons à nouveau entendu les premiers versets de la grande prière de Jésus rapportée dans le chapitre 17 de saint Jean. Les paroles chaleureuses du Seigneur montrent que la fin dernière de toute l'"oeuvre" du Fils de Dieu incarné consiste à offrir aux hommes la vie éternelle (cf. Jn 17, 2). Jésus dit également en quoi consiste la vie éternelle:  "C'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable  Dieu,  et  celui  que tu as envoyé,  Jésus  Christ" (Jn 17, 3). Dans cette expression, on entend résonner la voix  en  prière  de  la   communauté ecclésiale, consciente que la révélation du "nom" de Dieu, reçue du Seigneur, équivaut au don de la vie éternelle. Connaître Jésus signifie connaître le Père et connaître le Père veut dire entrer en communion réelle avec l'Origine même de la Vie, de la Lumière, de l'Amour.

     Chers frères et soeurs, aujourd'hui, nous rendons grâce de manière particulière à Dieu pour avoir fait connaître son nom à ces Cardinaux et Evêques qui nous ont quittés. Ils appartiennent au nombre de ces hommes que le Père - selon l'expression de l'Evangile de Jean - a confiés au Fils "du monde" (cf. Jn 17, 6). A chacun d'eux, le Christ "a donné les paroles" du Père et "ils ont cru", ils ont placé leur confiance dans le Père et le Fils (cf. Jn 17, 8). Pour eux, Il a prié (Jn 17, 9), en les confiant au Père (Jn 17, 15.17.20-21) et en disant en particulier:  "Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire" (Jn 17, 24). Nous voulons aujourd'hui unir notre prière d'intention à cette prière du Seigneur, qui est sacerdotale par excellence. Le Christ a rendu concrète son invocation au Père à travers l'oblation de lui-même sur la Croix; quant à nous, nous offrons notre prière en union avec le Sacrifice eucharistique, qui est la représentation réelle et actuelle de cette oblation salvifique unique.

     Chers frères et soeurs, c'est dans cette foi qu'ont vécu les vénérés Cardinaux et Evêques défunts que nous rappelons ce matin. Chacun d'eux a été appelé dans l'Eglise à ressentir comme siennes et à tenter de mettre en pratique les paroles de l'Apôtre Paul:  "Pour moi, la vie c'est le Christ" (Ph 1, 21), proclamées il y a quelques instants dans la seconde lecture. Cette vocation, reçue dans le Baptême, s'est renforcée en eux à travers le sacrement de la Confirmation et à travers les trois grades de l'Ordre sacré, et elle s'est constamment nourrie dans la participation à l'Eucharistie. A travers cet itinéraire sacramentel, leur "être dans le Christ" s'est constamment consolidé et approfondi, si bien que mourir n'est plus une perte - étant donné qu'ils avaient déjà tout "perdu" de manière évangélique pour le Seigneur et pour l'Evangile (cf. Mc 8, 35) - mais un "gain":  celui de rencontrer enfin Jésus, et avec Lui, la plénitude de la vie. Nous demandons au Seigneur qu'il concède à nos chers frères Cardinaux et Evêques défunts d'atteindre la destination tant désirée. Nous le demandons en nous appuyant sur l'intercession de la Très Sainte Vierge Marie et sur les prières des si nombreuses personnes qui les ont connus lorsqu'ils étaient en vie et ont apprécié leurs vertus chrétiennes. Nous recueillons toutes les actions de grâce et les prières dans cette Eucharistie, au bénéfice de leurs âmes et de celles de tous les défunts, que nous recommandons à la miséricorde divine. Amen.

 

 

2007

1er novembre 2007 - Angelus

    C'est avec sagesse que l'Eglise a placé en étroite succession la fête de la Toussaint et la Commémoration de tous les fidèles défunts. A notre prière de louange à Dieu et de vénération des esprits bienheureux, que la liturgie nous présente aujourd'hui comme « une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, races, peuples et langues » (Ap 7, 9), s'unit la prière d'intention pour ceux qui nous ont précédés dans le passage de ce monde à la vie éternelle. Demain, nous consacrerons de manière particulière notre prière à ces derniers et nous célébrerons le sacrifice eucharistique pour eux. En vérité, l'Eglise nous invite chaque jour à prier pour eux, en offrant également les souffrances et les difficultés quotidiennes afin que, complètement purifiés, ils soient admis à jouir pour l'éternité de la lumière et de la paix du Seigneur.

     Au centre de l'assemblée des saints, resplendit la Vierge Marie, « humble et plus élevée que toute créature » (Dante, Paradis, XXXIII, 2). En mettant notre main dans la sienne, nous nous sentons incités à marcher avec plus d'élan sur le chemin de la sainteté. Nous lui confions notre engagement quotidien et nous la prions aujourd'hui également pour nos chers défunts, avec l'intime espérance de nous retrouver un jour tous ensemble, dans la communion glorieuse des saints.
 

 

5 novembre 2007 – Homélie Messe  cardinaux et Evêques défunts

     Après avoir commémoré tous les fidèles défunts lors de leur fête liturgique, nous nous retrouvons, selon la tradition, dans cette Basilique vaticane pour offrir le Sacrifice eucharistique à l'intention des Cardinaux et des Evêques qui, au cours de l'année, appelés par le Seigneur, ont quitté ce monde. Je rappelle avec une affection fraternelle les noms des regrettés prélats:  Salvatore Pappalardo, Frédéric Etsou-Nzabi Bamungwabi,  Antonio María Javierre, Angelo  Felici, Jean-Marie Lustiger, Edouard Gagnon, Adam Kozlowiecki et Rosalio José Castillo Lara. En pensant à la personne et au ministère de chacun d'eux, malgré la douleur de la séparation, nous élevons à Dieu une sincère action de grâce pour le don qu'Il a fait à l'Eglise à travers eux et pour tout le bien qu'ils ont pu accomplir avec son aide. Nous confions également au Père éternel les Patriarches, les Archevêques et les Evêques défunts, en exprimant aussi pour eux notre reconnaissance au nom de la communauté catholique tout entière.

     La prière d'intention de l'Eglise s'"appuie", pour ainsi dire, sur la prière de Jésus lui-même, que nous avons écoutée dans le passage évangélique:  "Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi" (Jn 17, 24). Jésus se réfère à ses disciples, en particulier aux Apôtres, qui sont à ses côtés au cours de la dernière Cène. Mais la prière du Seigneur s'étend à tous les disciples de tous les temps. En effet, il avait dit peu auparavant:  "Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi" (Jn 17, 20). Et s'il demandait à cette occasion qu'ils soient "un... pour que le monde croie" (v. 21), nous pouvons également comprendre ici qu'Il demande au Père de pouvoir avoir avec lui, dans la demeure de sa gloire éternelle, tous les disciples morts sous le signe de la foi.

     "Ceux que tu m'as donnés...":  il s'agit d'une belle définition du chrétien comme tel, mais on peut bien sûr l'appliquer de manière particulière à ceux que Dieu le Père a élus parmi les fidèles pour les destiner à suivre de plus près son Fils. En ce moment, à la lumière de ces paroles du Seigneur, notre pensée va, en particulier, vers les Vénérés frères pour lesquels nous offrons cette Eucharistie. Ce sont des hommes que le Père "a donnés" au Christ. Il les a enlevés du monde, ce "monde" qui "ne l'a pas reconnu" (Jn 17, 25), et il les a appelés à devenir des amis de Jésus. Cela a été la grâce la plus précieuse de toute leur vie. Ils ont bien sûr été des hommes avec des caractéristiques différentes, que ce soit en raison de leur parcours personnel ou du ministère qu'ils ont exercé; ils ont cependant tous eu en commun la chose la plus grande:  l'amitié avec le Seigneur Jésus. Ils l'ont reçue en héritage sur la terre, en tant que prêtres, et à présent, au-delà de la mort, ils partagent dans les cieux cet "héritage qui ne connaît ni destruction, ni souillure" (1 P 1, 4). Au cours de son existence temporelle, Jésus leur a fait connaître le nom de Dieu, en les admettant à participer à l'amour de la Très Sainte Trinité. L'amour du Père pour le Fils est entré en eux, et ainsi, la personne même du Fils, en vertu de l'Esprit Saint, est demeurée en chacun d'eux (cf. Jn 17, 26):  une expérience de communion divine qui tend, par sa nature, à occuper l'existence entière, pour la transfigurer et la préparer à la gloire de la vie éternelle.

     Il est réconfortant et salutaire, dans la prière pour les défunts, de méditer sur la confiance de Jésus envers son Père et de se laisser ainsi envelopper par la lumière sereine de cet abandon absolu  du  Fils  à la volonté de son "Abbà". Jésus sait que le Père est toujours avec Lui (cf. Jn 8, 29); qu'ensemble, ils ne font qu'un (cf. Jn 10, 30). Il sait que sa propre mort doit être un "baptême", c'est-à-dire une immersion dans l'amour de Dieu (cf. Lc 12, 50), et il va vers celle-ci certain que le Père réalisera en Lui l'antique prophétie, que nous avons écoutée aujourd'hui dans la première Lecture biblique:  "après deux jours il nous fera revivre, / le troisième jour il nous relèvera / et nous vivrons en sa présence" (Os 6, 2). Cet oracle du prophète Osée se réfère au peuple d'Israël et exprime la confiance dans l'assistance du Seigneur:  une confiance que le peuple n'a malheureusement parfois pas méritée, en raison de son inconstance et de sa superficialité, allant jusqu'à abuser de la bienveillance divine. En la Personne de Jésus, en revanche, l'amour pour Dieu le Père devient pleinement sincère, authentique, fidèle. Il assume en lui toute la réalité de l'antique Israël et la conduit à son accomplissement. Le "nous" du peuple se concentre dans le "moi" de Jésus, en particulier dans ses annonces répétées de la passion, de la mort et de la résurrection, lorsqu'il révèle ouvertement aux disciples ce qui l'attend à Jérusalem:  il devra être refusé par les chefs, arrêté, condamné à mort et crucifié, et le troisième jour ressusciter (cf. Mt 16, 21). Cette confiance singulière du Christ nous a été transmise à travers le don de l'Esprit Saint à l'Eglise, dans laquelle nous sommes entrés avec le Sacrement du Baptême. Le "moi" de Jésus devient un nouveau "nous", le "nous" de son Eglise, lorsqu'il se communique à ceux qui sont incorporés à Lui dans le Baptême. Et cette identification est renforcée chez ceux qui, en raison d'un appel spécial du Seigneur, ont été configurés à Lui dans l'Ordre Saint.

     Le Psaume responsorial a placé sur nos lèvres le souhait poignant d'un lévite qui, loin de Jérusalem et du Temple, désire y retourner pour être à nouveau aux côtés du Seigneur (cf. Ps 41, 1-3). "Mon âme a soif de Dieu, / le Dieu vivant; quand pourrai-je m'avancer, paraître face à Dieu?" (Ps 42/41, 3). Cette soif contient une vérité qui ne trahit pas, une espérance qui ne déçoit pas. C'est une soif qui, même à travers la nuit la plus obscure, illumine le chemin vers la source de la vie, comme l'a chanté avec des expressions admirables saint Jean de la Croix. Le Psalmiste laisse place aux plaintes de l'âme, mais au centre et à la fin de son admirable hymne, il place un refrain plein de confiance:  "Pourquoi t'attristes-tu, mon âme, / pourquoi gémis-tu sur moi? / Espère  en  Dieu:  je pourrai encore le louer, / lui, salut de ma face et mon Dieu" (v. 6). Dans la lumière du Christ et de son mystère pascal, ces paroles révèlent toute leur merveilleuse vérité:  la mort elle-même ne peut rendre vaine l'espérance du croyant, car le Christ est entré pour nous dans le sanctuaire du croyant, car le Christ est entré pour nous dans le sanctuaire du ciel, et il veut nous conduire en ce lieu, après nous y avoir préparé une place (cf. Jn 14, 1-3).

     C'est avec cette foi et cette espérance que nos chers frères défunts ont récité à d'innombrables reprises ce Psaume. En tant que prêtres, ils ont fait l'expérience de tout son retentissement existentiel, en prenant également sur eux les accusations et les dérisions de ceux qui disent aux croyants dans l'épreuve:  "Où est ton Dieu?". A présent, au terme de leur exil terrestre, ils sont arrivés dans leur patrie. En suivant la voie tracée par leur Seigneur Ressuscité, ils ne sont pas entrés dans un temple fait par des mains d'hommes, mais dans le ciel même (cf. He 9, 24). Là, avec la Bienheureuse Vierge Marie, et avec tous les saints, puissent-ils contempler finalement - telle est notre prière - la face de Dieu et chanter pour l'éternité ses louanges. Amen!

 

 

 

 

 

 

 

 

2008

 

3 novembre 2008 – Homélie Messe cardinaux et Eveques défunts

     Au lendemain de la commémoration de tous les fidèles défunts, nous nous réunissons aujourd'hui, suivant une belle tradition, pour célébrer le sacrifice eucharistique en hommage à nos frères cardinaux et évêques qui ont quitté ce monde au cours de cette année. Notre prière est animée et confortée par le mystère de la communauté des saints, mystère que, ces derniers jours, nous avons de nouveau contemplé dans l'intention de le comprendre, de l'accueillir et de le vivre de  manière toujours plus intense.

     Dans cette communion, nous rappelons avec une grande affection Messieurs les cardinaux Stephen Fumio Hamao, Alfons Maria Stickler, Aloisio Lorscheider, Peter Porekuu Dery, Adolfo Antonio Suárez Rivera, Ernesto Corripio Ahumada, Alfonso López Trujillo, Bernardin Gantin, Antonio Innocenti et Antonio José González Zumárraga. Nous les croyons et les pensons vivants dans le Dieu des vivants. Et avec eux nous rappelons également chacun des archevêques et des évêques qui, ces douze derniers mois, sont passés de ce monde à la Maison du Père. Pour chacun d'eux, nous voulons prier, en laissant notre esprit et notre c½ur être illuminés par la Parole de Dieu que nous venons à peine d'écouter.

     La première lecture - un extrait du Livre de la Sagesse (4, 7-15) - nous a rappelé que l'âge vraiment vénérable n'est pas seulement le grand âge, mais la sagesse et une existence pure, sans malice. Et si le Seigneur appelle à lui un juste prématurément, c'est qu'il a pour lui un dessein de prédilection qui nous est inconnu:  la mort prématurée d'une personne qui nous est chère devient une invitation à ne pas nous attarder à vivre de manière médiocre, mais à tendre au plus vite à la plénitude de la vie. Il y a, dans le texte de la Sagesse, une veine de paradoxe que nous retrouvons également dans le passage évangélique (Mt 11, 25-30). Une opposition ressort des deux lectures entre ce qui apparaît superficiel au regard des hommes et ce que voient en revanche les yeux de Dieu. Le monde considère comme chanceux celui qui vit longtemps, mais Dieu, plus que l'âge, regarde la rectitude du c½ur. Le monde donne du crédit aux "sages" et aux "savants" quand Dieu préfère les "petits". L'enseignement général qui en découle est que la réalité a deux dimensions:  une plus profonde, vraie et éternelle, l'autre marquée par la finitude, l'éphémère et l'apparence. A ce point, il est important de préciser que ces deux dimensions ne se succèdent pas dans le temps, comme si la vie véritable ne commençait qu'après la mort. En réalité, la vie véritable, la vie éternelle commence déjà dans ce monde, dans la précarité des vicissitudes de l'histoire; la vie éternelle débute dans la mesure où nous nous ouvrons au mystère de Dieu et que nous l'accueillons parmi nous. Dieu est le Seigneur de la vie et en Lui, "nous avons la vie, le mouvement et l'être" (Ac 17, 28), comme le dit saint Paul à l'Aréopage d'Athènes.

     Dieu est la vraie sagesse qui ne vieillit pas, il est la richesse authentique qui ne dépérit pas, il est le bonheur auquel le c½ur de tout homme aspire en profondeur. Cette vérité qui traverse les Livres de la Sagesse et réapparaît dans le Nouveau Testament, trouve son accomplissement dans l'existence et dans l'enseignement de Jésus. Dans la perspective de la sagesse évangélique, la mort elle-même est porteuse d'un enseignement salutaire, parce qu'elle nous contraint à regarder la réalité en face; elle nous pousse à reconnaître la caducité de ce qui apparaît grand et fort aux yeux du monde. Face à la mort, tout motif d'orgueil humain perd de son intérêt et ressort en revanche ce qui a véritablement un prix. Tout se termine, nous sommes tous de passage en ce monde. Seul Dieu a la vie en lui, est la vie. La nôtre est une vie de participation, donée "ab alio", aussi un homme ne peut-il arriver à la vie éternelle que grâce à la relation particulière que lui a donnée son Créateur. Mais Dieu, voyant l'homme s'éloigner de Lui, a fait un pas en avant, a créé une nouvelle relation entre Lui et nous, dont nous parle la seconde lecture de la Liturgie d'aujourd'hui. Lui, le Christ "a donné      sa vie pour nous" (1 Jn 3, 16).

     Si Dieu - écrit saint Jean - nous a aimé gratuitement, nous aussi pouvons, et donc devons, nous laisser impliquer par ce mouvement oblatif, et faire de nous-mêmes un don gratuit pour les autres. De cette manière, nous connaissons Dieu comme il nous connaît; de cette manière, nous demeurons en Lui comme il a voulu demeurer en nous, et nous passons de la mort à la vie (cf. 1 Jn 3, 14) comme Jésus Christ, qui a vaincu la mort par sa résurrection, grâce à la puissance glorieuse de l'amour du Père céleste.

     Chers frères et s½urs, cette Parole de vie et d'espérance nous est d'un grand réconfort devant le mystère de la mort, surtout quand il touche les personnes qui nous sont les plus chères. Le Seigneur nous assure aujourd'hui que nos regrettés frères, pour qui nous prions lors de cette messe, sont passés de la mort à la vie parce qu'ils ont choisi le Christ, ils en ont accueilli le joug aisé (cf. Mt 11, 29) et se sont consacrés au service des leurs frères. Aussi, même s'ils doivent expier leur part des peines dues à la fragilité humaine - qui nous marque tous, nous aidant à rester humbles -, leur fidélité au Christ leur permet d'entrer dans la liberté des enfants de Dieu. Si donc nous sommes tristes d'avoir dû nous détacher d'eux, et si nous ressentons toujours leur absence, la foi nous remplit d'une assurance intime à l'idée que, comme cela fut pour le Seigneur Jésus, et toujours grâce à lui, la mort n'a plus de pouvoir sur eux (cf. Rm 6, 9). En passant, dans cette vie, par le C½ur miséricordieux du Christ, ils ont "trouv[é] le repos" (Sg 4, 7). Et nous avons maintenant plaisir à les imaginer en compagnie des saints, finalement soulagés des amertumes de cette vie, et nous ressentons nous aussi le désir de pouvoir les rejoindre un jour en si heureuse compagnie.

     Dans le Psaume responsorial, nous avons répété ces paroles réconfortantes:  "Oui, grâce et bonheur me pressent / tous les jours de ma vie; / ma demeure est la maison de Yahvé / en la longueur des jours" (Ps 23[22], 6). Oui, nous aimons espérer que le Bon Pasteur a accueilli nos frères, pour qui nous célébrons le Sacrifice divin, au crépuscule de leur journée terrestre et les a introduits dans sa bienheureuse intimité. L'onction - à laquelle le Psaume fait référence (v. 5) - a été posée trois fois sur leur front et une fois sur leurs mains; la coupe (ibid.) glorieuse de Jésus Prêtre est aussi devenue leur coupe, qu'ils ont levé jour après jour, en louant le nom du Seigneur. Ils ont rejoint les pâturages du ciel, où les signes ont laissé place à la réalité.

     Chers frères et s½urs, unissons notre prière commune et élevons-la au Père de toutes bonté et miséricorde afin que, par l'intercession de la Très Sainte Vierge Marie, la rencontre avec le feu de son amour purifie rapidement nos amis défunts de toute imperfection et les transforme en louange de sa gloire. Prions également pour que nous, pèlerins sur la terre, conservions toujours le regard et le c½ur tournés vers le but ultime auquel nous aspirons, la Maison du Père, le Ciel. Ainsi soit-il!

 

 

 

30 novembre 2008 – Homélie de la Messe à la Basilique St Laurent Hors les Murs

     Chers frères et s½urs, la pensée de la présence du Christ et de son retour certain à l'accomplissement des temps est plus que jamais significative dans votre Basilique qui jouxte le magistral cimetière du Verano, où reposent, dans l'attente de la Résurrection, un grand nombre de nos défunts. Combien de fois dans ce temple sont célébrées des liturgies d'obsèques; combien de fois retentissent pleines de réconfort les paroles de la liturgie:  "Dans le Christ ton Fils, notre Sauveur, resplendit devant nous l'espérance de la bienheureuse résurrection, et si la certitude de devoir mourir nous attriste, nous sommes réconfortés par la promesse de l'immortalité future!" (cf. Préface des défunts, I).

 

 

 

 

 

2009

1er novembre 2009 – Angelus

     Demain aura lieu la commémoration de tous les fidèles défunts. Je voudrais inviter à vivre ce jour selon l'authentique esprit chrétien, c'est-à-dire dans la lumière qui vient du Mystère pascal. Le Christ est mort et ressuscité et il nous a ouvert le passage à la maison du Père, le Royaume de la vie et de la paix. Celui qui suit Jésus dans cette vie est accueilli où Il nous a précédés. Au cours de nos visites dans les cimetières, par conséquent, rappelons-nous que là, dans les tombes, ne reposent que les dépouilles mortelles de nos proches dans l'attente de la résurrection finale. Leurs âmes ― comme le dit l'Ecriture ― sont déjà « dans la main de Dieu » (Sg 3, 1). Aussi le moyen le plus approprié et efficace de leur rendre hommage est-il de prier pour eux, en offrant des actes de foi, d'espérance et de charité. En union au Sacrifice eucharistique, nous pouvons intercéder pour leur salut éternel, et faire l'expérience de la communion la plus profonde, dans l'attente de nous retrouver ensemble, pour jouir à jamais de l'Amour qui nous a créés et rachetés.

     Chers amis, comme est belle et réconfortante la communion des saints! C'est une réalité qui confère une dimension différente à toute notre vie. Nous ne sommes jamais seuls! Nous appartenons à une « compagnie » spirituelle au sein de laquelle règne une profonde solidarité: le bien de chacun est au bénéfice de tous et, inversement, le bonheur commun rayonne sur chaque individu. Dans une certaine mesure, c'est un mystère dont nous pouvons déjà faire l'expérience dans ce monde, dans la famille, dans l'amitié, en particulier dans la communauté spirituelle de l'Eglise. Puisse la Très Sainte Vierge Marie nous aider à marcher d'un pas alerte sur le chemin de la sainteté et être une Mère de miséricorde pour les âmes des défunts.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2011

 

1er novembre 2011 – Angelus

     La solennité de tous les saints est une occasion propice pour élever le regard des réalités terrestres, rythmées par le temps, vers la dimension de l’éternité et de la sainteté. La liturgie nous rappelle aujourd’hui que la sainteté est la vocation originelle de chaque baptisé (cf. Lumen gentium, n. 40). En effet, le Christ, qui avec le Père et l’Esprit est le seul Saint (cf. Ap 15, 4), a aimé l’Église comme son épouse et s’est donné lui-même pour elle, dans le but de la sanctifier (cf. Ep 5, 25-26). C’est pour cette raison que tous les membres du peuple de Dieu sont appelés à devenir saints, selon l’affirmation de l’apôtre Paul : « Et voici quelle est la volonté de Dieu : c'est votre sanctification » (1 Th 4, 3). Nous sommes donc invités à regarder l’Église non dans son aspect uniquement temporel et humain, marqué par la fragilité, mais comme le Christ l’a voulue, c’est-à-dire une « communion des saints » (Catéchisme de l’Église catholique, n. 946). Dans le Credo, nous professons l’Église « sainte », sainte en tant que Corps du Christ, en tant qu’instrument de participation aux saints Mystères — en premier lieu l’Eucharistie — et famille des saints, à la protection de laquelle nous sommes confiés le jour du baptême. Aujourd’hui, nous vénérons précisément cette innombrable communauté de tous les saints, qui, à travers leurs différents parcours de vie, nous indiquent différentes voies de sainteté, réunies par un unique dénominateur : suivre le Christ et se conformer à Lui, but ultime de notre existence humaine. En effet, tous les états de vie peuvent devenir, avec l’action de la grâce et avec l’engagement et la persévérance de chacun, des voies de sanctification.

     La commémoration des fidèles défunts, à laquelle est consacrée la journée de demain, 2 novembre, nous aide à rappeler nos proches qui nous ont quittés, et toutes les âmes en marche vers la plénitude de la vie, précisément dans l’horizon de l’Église céleste, auquel la solennité d’aujourd’hui nous a élevés. Dès les premiers temps de la foi chrétienne, l’Église terrestre, reconnaissant la communion de tout le corps mystique de Jésus Christ, a cultivé avec une grande piété la mémoire des défunts et leur a offert des prières d’intention. Notre prière pour les morts est donc non seulement utile mais nécessaire, dans la mesure où elle peut non seulement les aider, mais rend, dans le même temps, efficace leur intercession en notre faveur (cf. Catéchisme de l’Église catholique, n. 958). La visite aux cimetières, alors qu’elle conserve les liens d’affection avec ceux qui nous ont aimés dans cette vie, nous rappelle également que nous tendons tous vers une autre vie, au-delà de la mort. Les pleurs, dus au détachement terrestre, ne doivent donc pas prévaloir sur la certitude de la résurrection, sur l’espérance de parvenir à la béatitude de l’éternité, « moment rempli de satisfaction, dans lequel la totalité nous embrasse et dans lequel nous embrassons la totalité » (Spe salvi, n. 12). L’objet de notre espérance, en effet, est de jouir de la présence de Dieu dans l’éternité. Jésus l’a promis à ses disciples en disant : « Je vous verrai de nouveau et votre c½ur sera dans la joie, et votre joie, nul ne vous l'enlèvera » (Jn 16, 22).

     Nous confions notre pèlerinage vers la patrie céleste à la Vierge Marie, Reine de tous les saints, alors que nous invoquons pour nos frères et s½urs défunts son intercession maternelle

 

 

2 novembre 2011 – Audience Générale

     L’Eglise nous invite à commémorer tous les fidèles défunts, à tourner notre regard vers les nombreux visages qui nous ont précédés et qui ont conclu leur chemin terrestre. Je voudrais vous proposer quelques pensées simples sur la réalité de la mort qui pour nous, chrétiens, est illuminée par la Résurrection du Christ, et pour renouveler notre foi dans la vie éternelle.

     Nous nous rendons ces jours-ci au cimetière pour prier pour les personnes chères qui nous ont quittés, nous allons en quelque sorte leur rendre visite pour leur exprimer, une fois de plus, notre affection, pour les sentir encore proches, en rappelant également, de cette façon, un article du Credo : dans la communion des saints existe un lien étroit entre nous, qui marchons encore sur cette terre, et nos nombreux frères et s½urs qui ont déjà atteint l’éternité.

     Depuis toujours, l’homme se préoccupe de ses morts et tente de leur donner une deuxième vie à travers l’attention, le soin, l’affection. D’une certaine façon, on veut conserver leur expérience de vie ; et, paradoxalement, c’est précisément des tombes devant lesquelles se bousculent les souvenirs que nous découvrons la façon dont ils ont vécu, ce qu’ils ont aimé, ce qu’ils ont craint, ce qu’ils ont espéré, et ce qu’ils ont détesté. Celles-ci représentent presque un miroir de leur monde.

     Pourquoi en est-il ainsi ? Car, bien que la mort soit souvent un thème presque interdit dans notre société, et que l’on tente constamment de chasser de notre esprit la seule idée de la mort, celle-ci concerne chacun de nous, elle concerne l’homme de tout temps et de tout lieu. Et devant ce mystère, tous, même inconsciemment, nous cherchons quelque chose qui nous invite à espérer, un signe qui nous apporte un réconfort, qui nous ouvre un horizon, qui offre encore un avenir. Le chemin de la mort, en réalité, est une voie de l’espérance et parcourir nos cimetières, comme lire les inscriptions sur les tombes, signifie accomplir un chemin marqué par l’espérance d’éternité.

     Mais nous nous demandons : pourquoi éprouvons-nous de la crainte face à la mort ? Pourquoi une grande partie de l’humanité ne s’est-elle jamais résignée à croire qu’au-delà de la mort, il n’y pas pas simplement le néant ? Je dirais qu’il existe de multiples réponses : nous éprouvons une crainte face à la mort car nous avons peur du néant, de ce départ vers quelque chose que nous ne connaissons pas, qui nous est inconnu. Il existe alors en nous un sentiment de rejet parce que nous ne pouvons pas accepter que tout ce qui a été réalisé de beau et de grand au cours d’une existence tout entière soit soudainement effacé, tombe dans l’abîme du néant. Et surtout, nous sentons que l’amour appelle et demande l’éternité et il n’est pas possible d’accepter que cela soit détruit par la mort en un seul moment.

     De plus, nous éprouvons de la crainte à l’égard de la mort car, lorsque nous nous trouvons vers la fin de notre existence, existe la perception qu’un jugement est exercé sur nos actions, sur la façon dont nous avons mené notre vie, surtout sur les zones d’ombre que nous savons souvent habilement éliminer ou que nous nous efforçons d’effacer de notre conscience. Je dirais que c’est précisément la question du jugement qui est souvent à l’origine de la préoccupation de l’homme de tous les temps pour les défunts, de l’attention pour les personnes qui ont compté pour lui et qui ne sont plus à ses côtés sur le chemin de la vie terrestre. Dans un certain sens, les gestes d’affection et d’amour qui entourent le défunt sont une façon de le protéger dans la conviction qu’ils ne demeurent pas sans effet sur le jugement. C’est ce que nous pouvons constater dans la majorité des cultures qui caractérisent l’histoire de l’homme.

     Aujourd’hui, le monde est devenu, tout au moins en apparence, beaucoup plus rationnel, ou mieux, la tendance s’est diffusée de penser que chaque réalité doit être affrontée avec les critères de la science expérimentale, et qu’également à la grande question de la mort on ne doit pas tant répondre avec la foi, mais en partant de connaissances expérimentables, empiriques. On ne se rend cependant pas suffisamment compte que, précisément de cette manière, on a fini par tomber dans des formes de spiritisme, dans la tentative d’avoir un contact quelconque avec le monde au-delà de la mort, presque en imaginant qu’il y existe une réalité qui, à la fin, serait une copie de la réalité présente.

     Chers amis, la solennité de la Toussaint et la commémoration de tous les fidèles défunts nous disent que seul celui qui peut reconnaître une grande espérance dans la mort, peut aussi vivre une vie à partir de l’espérance. Si nous réduisons l’homme exclusivement à sa dimension horizontale, à ce que l’on peut percevoir de manière empirique, la vie elle-même perd son sens profond. L’homme a besoin d’éternité et toute autre espérance est trop brève, est trop limitée pour lui. L’homme n’est explicable que s’il existe un Amour qui dépasse tout isolement, même celui de la mort, dans une totalité qui transcende aussi l’espace et le temps. L’homme n’est explicable, il ne trouve son sens profond, que s’il y a Dieu. Et nous savons que Dieu est sorti de son éloignement et s’est fait proche, qu’il est entré dans notre vie et nous dit : « Je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s'il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (Jn 11, 25-26).

     Pensons un moment à la scène du Calvaire et écoutons à nouveau les paroles que Jésus, du haut de la Croix, adresse au malfaiteur crucifié à sa droite : « En vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 23, 43). Pensons aux deux disciples sur la route d’Emmaüs, quand, après avoir parcouru un bout de chemin avec Jésus Ressuscité, ils le reconnaissent et partent sans attendre vers Jérusalem pour annoncer la Résurrection du Seigneur (cf. Lc 24, 13-35). Les paroles du Maître reviennent à l’esprit avec une clarté renouvelée : « Que votre c½ur ne se trouble pas ! Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, je vous l'aurais dit ; je vais vous préparer une place » (Jn 14, 1-2). Dieu s’est vraiment montré, il est devenu accessible, il a tant aimé le monde « qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16), et dans l’acte d’amour suprême de la Croix, en se plongeant dans l’abîme de la mort, il l’a vaincue, il est ressuscité et nous a ouvert à nous aussi les portes de l’éternité. Le Christ nous soutient à travers la nuit de la mort qu’Il a lui-même traversée; il est le Bon Pasteur, à la direction duquel on peut se confier sans aucune crainte, car Il connaît bien la route, même dans l’obscurité.

     Chaque dimanche, en récitant le Credo, nous réaffirmons cette vérité. Et en nous rendant dans les cimetières pour prier avec affection et avec amour pour nos défunts, nous sommes invités, encore une fois, à renouveler avec courage et avec force notre foi dans la vie éternelle, ou mieux, à vivre avec cette grande espérance et à la témoigner au monde : derrière le présent il n’y a pas le rien. C’est précisément la foi dans la vie éternelle qui donne au chrétien le courage d’aimer encore plus intensément notre terre et de travailler pour lui construire un avenir, pour lui donner une espérance véritable et sûre.

 


 

 

publié le : 31 octobre 2024

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