Rois Mages

Publié le 2025-01-05

2005

 

18 août 2005 – JMJ Cologne - Discours d’accueil des jeunes

     Vous êtes venus, vous faisant pèlerins à la suite des Mages. En suivant leurs traces, vous voulez découvrir Jésus. Vous avez accepté de vous mettre en route, pour venir, vous aussi, contempler personnellement, et en même temps de manière communautaire, le visage de Dieu qui se révèle dans l'enfant de la crèche. Comme vous, je me suis mis, moi aussi, en route, pour venir, avec vous, m'agenouiller devant la blanche hostie consacrée, dans laquelle les yeux de la foi reconnaissent la présence réelle du Sauveur du monde. "Nous sommes venus l'adorer" (Mt 2, 2).

 

     Nous sommes ici à Cologne, pèlerins à la suite des Mages. Selon la tradition, leurs noms en langue grecque étaient Melchior, Gaspard et Balthazar. Dans son Evangile, Matthieu rapporte la question qui brûlait le coeur des Mages:  "Où est le Roi des Juifs qui vient de naître?" (2, 2). C'est pour Le rechercher qu'ils avaient fait le long voyage jusqu'à Jérusalem. C'est pour cela qu'ils avaient supporté fatigues et privations, sans céder au découragement, ni à la tentation de retourner sur leurs pas. Maintenant qu'ils étaient proches du but, ils n'avaient pas d'autres questions à poser que celle-là. Nous aussi, nous sommes venus à Cologne parce que nous avons entendu résonner dans notre coeur, bien que sous une autre forme, la même question qui avait poussé les hommes de l'Orient à se mettre en chemin. Il est vrai que nous aujourd'hui nous ne cherchons plus un roi; mais nous sommes préoccupés par l'état du monde et nous demandons:  Où puis-je trouver les critères pour ma vie, les critères  pour  collaborer  de manière responsable à l'édification du présent et de l'avenir de notre monde? A qui puis-je faire confiance - à qui me confier? Où est Celui qui peut m'offrir la réponse satisfaisante aux attentes de mon coeur? Poser de telles questions signifie avant tout reconnaître que le chemin ne peut pas s'achever avant d'avoir rencontré Celui qui a le pouvoir d'instaurer son Royaume universel de justice et de paix, auquel les hommes aspirent, mais qu'ils ne savent pas construire tout seuls. Poser de telles questions signifie aussi chercher Quelqu'un qui ne se trompe pas et qui ne peut pas tromper, et qui est donc en mesure d'offrir une certitude assez forte pour permettre de vivre pour elle et, si nécessaire aussi, de mourir.

 

       A l'horizon de l'existence, quand se profile une telle réponse, il faut, chers amis, savoir faire les choix nécessaires. C'est comme lorsque l'on se trouve à une croisée de chemins:  quelle route prendre? Celle qui m'est dictée par les passions ou celle qui m'est indiquée par l'étoile qui brille dans ma conscience? Ayant entendu la réponse:  "A Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète" (Mt 2, 5), les Mages choisirent de poursuivre leur route et d'aller jusqu'au bout, éclairés par cette parole. De Jérusalem, ils allèrent jusqu'à Bethléem, c'est-à-dire de la parole qui leur indiquait où se trouvait le Roi des Juifs qu'ils cherchaient jusqu'à la rencontre avec ce Roi qui était en même temps l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Cette parole s'adresse aussi à nous. Nous aussi, nous devons faire un choix. En réalité, à bien y réfléchir, c'est précisément l'expérience que nous faisons en participant à chaque Eucharistie. A chaque Messe, en effet, la rencontre avec la Parole de Dieu nous introduit à la participation au mystère de la croix et de la résurrection du Christ et ainsi nous introduit à la Table eucharistique, à l'union avec le Christ. Sur l'autel est présent Celui que les Mages virent couché sur la paille:  le Christ, le Pain vivant descendu du ciel pour donner la vie au monde, l'Agneau véritable qui donne sa vie pour le salut de l'humanité. Eclairés par cette Parole, c'est toujours à Bethléem - la "Maison du pain" - que nous pourrons faire la rencontre bouleversante avec la grandeur inconcevable d'un Dieu qui s'est abaissé jusqu'à se donner à voir dans une mangeoire, jusqu'à se donner en nourriture sur l'autel.

 

       Pouvons-nous imaginer la stupeur des Mages devant l'Enfant emmailloté! Seule la foi leur permit de reconnaître sous les traits de cet enfant le Roi qu'ils cherchaient, le Dieu vers lequel l'étoile les avait guidés. En lui, comblant le fossé entre le fini et l'infini, entre le visible et l'invisible, l'Eternel est entré dans le temps, le Mystère s'est fait reconnaître, se donnant à nous dans les membres fragiles d'un petit enfant. "Aujourd'hui, les Mages considèrent avec une profonde stupeur ce qu'ils voient ici:  le ciel sur la terre, la terre dans le ciel; l'homme en Dieu, Dieu dans l'homme; et celui que le monde entier ne peut contenir, enfermé dans le corps d'un tout-petit" (saint Pierre Chrysologue, Homélie pour l'Epiphanie, 160, n. 2).

 

         Je vais maintenant me faire pèlerin à la cathédrale de Cologne, pour vénérer les reliques des saints Mages, qui ont accepté de tout quitter pour suivre l'étoile qui les conduisit au Sauveur du genre humain. Vous aussi, chers jeunes, vous avez déjà eu ou vous aurez l'occasion d'effectuer ce même pèlerinage. Ces reliques ne sont que des signes fragiles et pauvres de ce que furent les Mages et de ce qu'ils vécurent il y a tant de siècles. Les reliques nous conduisent à Dieu lui-même:  en effet, c'est Lui qui, par la force de sa grâce, donne à des êtres fragiles le courage d'être ses témoins devant le monde. En nous invitant à vénérer les restes mortels des martyrs et des saints, l'Eglise n'oublie pas qu'il s'agit certes de pauvres ossements humains, mais d'ossements qui appartenaient à des personnes visitées par la puissance vivante de Dieu. Les reliques des saints sont des traces de la présence invisible mais réelle qui illumine les ténèbres du monde, manifestant que le règne de Dieu est au-dedans de nous. Elles crient avec nous et pour nous:  "Maranatha" - "Viens Seigneur Jésus".

 

 

 

20 août 2005 – JMJ Cologne - Veillée avec les jeunes

     Dans notre pèlerinage avec les mystérieux Mages d'Orient, nous sommes arrivés au moment que saint Matthieu, dans son Evangile, décrit ainsi:  "En entrant dans la maison (sur laquelle l'étoile s'était arrêtée), ils virent l'enfant avec Marie sa mère; et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui" (Mt 2, 11). Le cheminement extérieur de ces hommes était achevé. Ils étaient parvenus à leur but. Mais, à ce point, commence pour eux un nouveau cheminement, un pèlerinage intérieur qui change toute leur vie, parce qu'ils avaient sûrement imaginé ce Roi nouveau-né d'une manière différente. Ils s'étaient précisément arrêtés à Jérusalem pour recueillir auprès du Roi local des informations sur le Roi promis qui venait de naître. Ils savaient que le monde était désordonné, et c'est pourquoi leur coeur était inquiet. Ils étaient certains que Dieu existait et qu'il était un Dieu juste et bienveillant. Et peut-être avaient-ils entendu parler des grandes prophéties dans lesquelles les prophètes d'Israël annonçaient un Roi qui serait en harmonie intime avec Dieu et qui, en son nom et pour son compte, rétablirait l'ordre dans le monde. Pour chercher ce Roi, ils s'étaient mis en route:  au plus profond d'eux-mêmes, ils étaient à la recherche du droit, de la justice qui devait venir de Dieu, et ils voulaient servir ce Roi, se prosterner à ses pieds et ainsi contribuer eux-mêmes au renouveau du monde. Ils appartenaient à cette sorte de gens "qui ont faim et soif de la justice" (Mt 5, 6). Une telle faim et une telle soif les avaient accompagnés dans leur pèlerinage - ils s'étaient fait pèlerins à la recherche de la justice qu'ils attendaient de Dieu, pour pouvoir se mettre à son service.

     Même si les autres personnes, celles qui étaient restées chez elles, les considéraient peut-être comme des utopistes et des rêveurs - ils étaient au contraire des personnes qui avaient les pieds sur terre et qui savaient que, pour changer le monde, il faut disposer du pouvoir. C'est pourquoi ils ne pouvaient chercher l'enfant de la promesse ailleurs que dans le palais du Roi. Maintenant, ils se prosternent cependant devant un enfant de pauvres gens, et ils en viennent rapidement à savoir que, fort de son pouvoir, Hérode - le Roi auprès duquel ils s'étaient rendus - avait l'intention de le poursuivre, en sorte qu'il ne resterait plus à la famille que la fuite et l'exil. Le nouveau Roi, devant lequel ils s'étaient prosternés, était très différent de ce qu'ils attendaient. Ainsi, ils devaient apprendre que Dieu est différent de la façon dont habituellement nous l'imaginons. C'est ici que commença leur cheminement intérieur. Il commença au moment même où ils se prosternèrent devant l'enfant et où ils le reconnurent comme le Roi promis. Mais la joie qu'ils manifestaient par leurs gestes devait s'intérioriser.

Ils devaient changer leur idée sur le pouvoir, sur Dieu et sur l'homme, et, ce faisant, ils devaient aussi se changer eux-mêmes. Maintenant, ils le constataient:  le pouvoir de Dieu est différent du pouvoir des puissants de ce monde. Le mode d'agir de Dieu est différent de ce que nous imaginons et de ce que nous voudrions lui imposer à lui aussi. Dans ce monde, Dieu n'entre pas en concurrence avec les formes terrestres du pouvoir. Il n'a pas de divisions à opposer à d'autres divisions. Dieu n'a pas envoyé à Jésus, au Jardin des Oliviers, douze légions d'anges pour l'aider (cf. Mt 26, 53). Au pouvoir tapageur et pompeux de ce monde, Il oppose le pouvoir sans défense de l'amour qui, sur la Croix - et ensuite continuellement au cours de l'histoire - succombe et qui cependant constitue la réalité nouvelle, divine, qui s'oppose ensuite à l'injustice et instaure le Règne de Dieu. Dieu est différent - c'est cela qu'ils reconnaissent maintenant. Et cela signifie que, désormais, eux-mêmes doivent devenir différents, ils doivent apprendre le style de Dieu.

     Ils étaient venus pour se mettre au service de ce Roi, pour conformer leur royauté à la sienne. Telle était la signification de leur geste de déférence, de leur adoration. Leurs présents - or, encens et myrrhe -, dons qui s'offraient à un Roi considéré comme divin, en faisaient aussi partie. L'adoration a un contenu et comporte aussi un don. Voulant par leur geste d'adoration reconnaître cet enfant comme leur Roi, au service duquel ils entendaient mettre leur pouvoir et leurs capacités, les hommes provenant d'Orient suivaient assurément les traces justes. En le servant et en le suivant, ils voulaient, avec Lui, servir la cause de la justice et du bien dans le monde. Et en cela, ils avaient raison. Maintenant, ils apprennent cependant que cela ne peut se réaliser simplement en donnant des ordres et du haut d'un trône. Maintenant, ils apprennent qu'ils doivent se donner eux-mêmes - un don moindre que celui-là ne suffit pas pour ce Roi. Maintenant, ils apprennent que leur vie doit se conformer à cette façon divine d'exercer le pouvoir, à cette façon d'être de Dieu lui-même. Ils doivent devenir des hommes de la vérité, du droit, de la bonté, du pardon, de la miséricorde. Ils ne poseront plus la question:  à quoi cela me sert-il? Ils devront au contraire poser la question:  avec quoi est-ce que je sers la présence de Dieu dans le monde? Ils doivent apprendre à se perdre eux-mêmes et ainsi à se trouver eux-mêmes. Quittant Jérusalem, ils doivent demeurer sur les traces du vrai Roi, à la suite de Jésus.

     Chers amis, nous nous demandons ce que tout cela signifie pour nous. Car ce que nous venons de dire sur la nature différente de Dieu, qui doit orienter notre vie, sonne bien, mais reste plutôt indéfini et vague. C'est pourquoi Dieu nous a donné des exemples. Les Mages venant d'Orient sont seulement les premiers d'un long cortège d'hommes et de femmes qui, dans leur vie, ont constamment cherché du regard l'étoile de Dieu, qui ont cherché le Dieu qui est proche de nous, les êtres humains, et qui nous indique la route. C'est le grand cortège des saints - connus ou inconnus -, par lesquels le Seigneur, tout au long de l'histoire, a ouvert devant nous l'Evangile et en a fait défiler les pages; c'est la même chose qu'il est en train de faire maintenant. Dans leur vie, comme dans un grand livre illustré, se dévoile la richesse de l'Evangile. Ils sont le sillon lumineux de Dieu, que Lui-même, au long de l'histoire, a tracé et trace encore. Mon vénéré prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, a béatifié et canonisé une grande foule de personnes, de périodes lointaines et récentes. Par ces figures, il a voulu nous montrer comment il faut faire pour être chrétien; comment il faut faire pour mener sa vie de manière juste - pour vivre selon le mode de Dieu. Les bienheureux et les saints ont été des personnes qui n'ont pas cherché obstinément leur propre bonheur, mais qui ont simplement voulu se donner, parce qu'ils ont été touchés par la lumière du Christ. Ils nous montrent ainsi la route pour devenir heureux, ils nous montrent comment on réussit à être des personnes vraiment humaines. Dans les vicissitudes de l'histoire, ce sont eux, les saints, qui ont été les véritables réformateurs qui, bien souvent, ont fait sortir l'histoire des vallées obscures dans lesquelles elle court toujours le risque de s'enfoncer à nouveau; ils l'ont illuminée chaque fois que cela était nécessaire, pour donner la possibilité d'accepter - parfois dans la douleur - la parole prononcée par Dieu au terme de l'oeuvre de la création:  "Cela est bon". Il suffit de penser à des figures comme saint Benoît, saint François d'Assise, sainte Thérèse d'Avila, saint Ignace de Loyola, saint Charles Borromée, aux fondateurs des Ordres religieux du dix-neuvième siècle, qui ont animé et orienté le mouvement social, ou aux saints de notre temps - Maximilien Kolbe, Edith Stein, Mère Teresa, Padre Pio. En contemplant ces figures, nous apprenons ce que signifie "adorer", et ce que veut dire vivre selon la mesure de l'Enfant de Bethléem, selon la mesure de Jésus Christ et de Dieu lui-même.

     Les saints, avons-nous dit, sont les vrais réformateurs. Je voudrais maintenant l'exprimer de manière plus radicale encore:  c'est seulement des saints, c'est seulement de Dieu que vient la véritable révolution, le changement décisif du monde. Au cours du siècle qui vient de s'écouler, nous avons vécu les révolutions dont le programme commun était de ne plus rien attendre de Dieu, mais de prendre totalement dans ses mains le destin du monde. Et nous avons vu que, ce faisant, un point de vue humain et partial était toujours pris comme la mesure absolue des orientations. L'absolutisation de ce qui n'est pas absolu mais relatif s'appelle totalitarisme. Cela ne libère pas l'homme, mais lui ôte sa dignité et le rend esclave. Ce ne sont pas les idéologies qui sauvent le monde, mais seulement le fait de se tourner vers le Dieu vivant, qui est notre créateur, le garant de notre liberté, le garant de ce qui est véritablement bon et vrai. La révolution véritable consiste uniquement dans le fait de se tourner sans réserve vers Dieu, qui est la mesure de ce qui est juste et qui est, en même temps, l'amour éternel. Qu'est-ce qui pourrait bien nous sauver sinon l'amour?

     Chers amis, permettez-moi d'ajouter seulement deux brèves pensées. Ceux qui parlent de Dieu sont nombreux; au nom de Dieu on prêche aussi la haine et on exerce la violence. Il est donc important de découvrir le vrai visage de Dieu. Les Mages d'Orient l'ont trouvé quand ils se sont prosternés devant l'enfant de Bethléem. "Celui qui m'a vu a vu le Père", disait Jésus à Philippe (Jn 14, 9). En Jésus Christ, qui, pour nous,  a  permis  que  son coeur soit transpercé, en Lui, est manifesté le vrai visage de Dieu. Nous le suivrons avec la grande foule de ceux qui nous ont précédés. Alors, nous cheminerons sur le juste chemin.

      Cela  veut  dire  que  nous  ne nous construisons pas un Dieu privé, nous ne nous construisons pas un Jésus privé, mais que nous croyons en Jésus et que nous nous prosternons devant Lui, devant ce Jésus qui nous est révélé par les Saintes Ecritures et qui, dans la grande foule des fidèles appelée Eglise, se révèle vivant, toujours avec nous, et dans le même temps toujours devant nous. On peut beaucoup critiquer l'Eglise. Nous le savons, et le Seigneur lui-même nous l'a dit:  elle est un filet avec de bons et de mauvais poissons, un champ avec le bon grain et l'ivraie. Le Pape Jean-Paul II, qui, dans les nombreux bienheureux et saints qu'il a proclamés, nous a montré le vrai visage de l'Eglise, a aussi demandé pardon pour ce que, dans le cours de l'histoire, en raison de l'action et de la parole d'hommes d'Eglise, s'est produit de mal. De cette manière, il nous a aussi fait voir notre vraie image et il nous a exhortés à entrer avec tous nos défauts et toutes nos faiblesses dans le cortège des saints, qui a commencé avec les Mages d'Orient. En définitive, que l'ivraie existe dans l'Eglise est consolant. Ainsi, avec tous nos défauts, nous pouvons néanmoins espérer nous trouver encore à la suite de Jésus, qui a précisément appelé les pécheurs. L'Eglise est comme une famille humaine, mais elle est aussi, en même temps, la grande famille de Dieu, par laquelle Il forme un espace de communion et d'unité dans tous les continents, dans toutes les cultures et dans toutes les nations. Nous sommes donc heureux d'appartenir à cette grande famille que nous voyons ici; nous sommes heureux d'avoir des frères et des amis dans le monde entier. Nous faisons précisément l'expérience, ici, à Cologne, du fait qu'il est beau d'appartenir à une famille vaste comme le monde, qui comprend le ciel et la terre, le passé, le présent et l'avenir, et toutes les parties de la terre. Dans ce grand rassemblement de pèlerins, nous marchons avec le Christ, nous marchons avec l'étoile qui éclaire l'histoire.

     "En entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie sa mère; et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui" (Mt 2, 11). Chers amis, il ne s'agit pas d'une histoire lointaine, survenue il y a très longtemps. Il s'agit d'une présence. Ici, dans la sainte hostie, Il est devant nous et au milieu de nous. Comme en ce temps-là, il se voile mystérieusement dans un silence sacré et, comme en ce temps-là, se dévoile précisément le vrai visage de Dieu. Il s'est fait pour nous le grain de blé tombé en terre, qui meurt et qui porte du fruit jusqu'à la fin du monde (cf. Jn 12, 24). Il est présent comme en ce temps-là à Bethléem. Il nous invite au pèlerinage intérieur qui s'appelle adoration. Mettons-nous maintenant en route pour ce pèlerinage et demandons-lui de nous guider.

 

 

 

28 août 2005 – Angelus

     Là où Dieu n'occupe pas la première place, là où il n'est pas reconnu et adoré comme le Bien suprême, la dignité de l'homme est menacée. Il est donc urgent de conduire l'homme d'aujourd'hui à "redécouvrir" le visage authentique de Dieu, qui s'est révélé à nous en Jésus Christ. L'humanité de notre temps pourra ainsi, comme les Mages, se prosterner elle aussi devant lui et l'adorer. En parlant avec les Évêques allemands, je rappelais que l'adoration n'est pas "un luxe mais une priorité". Chercher le Christ doit être le désir incessant des croyants, des jeunes et des adultes, des fidèles et de leurs Pasteurs. Cette recherche doit être encouragée, soutenue et guidée. La foi n'est pas simplement l'adhésion à un ensemble complet de dogmes, qui éteindrait la soif de Dieu présente dans l'âme humaine. Au contraire, elle projette l'homme, en chemin dans le temps, vers un Dieu toujours nouveau dans sa nature infinie. Le chrétien est donc en même temps quelqu'un qui cherche et quelqu'un qui trouve. C'est précisément cela qui rend l'Église jeune, ouverte à l'avenir, riche d'espérance pour l'humanité tout entière.

     Saint Augustin, que nous commémorons aujourd'hui, propose une réflexion superbe sur l'invitation du Psaume 104 "Quaerite faciem eius semper - Cherchez toujours son Visage". Il souligne que l'invitation ne vaut pas seulement pour cette vie ; elle vaut aussi pour l'éternité. La découverte du "visage de Dieu" ne s'arrête jamais. Plus nous entrons dans la splendeur de l'amour divin, plus il est beau d'aller de l'avant dans la recherche, afin que "amore crescente inquisitio crescat inventi - dans la mesure où croît l'amour, croisse la recherche de Celui qui a été trouvé" (Enarr. in Ps. 104, 3; CCL 40, 1537).

     Telle est l'expérience à laquelle nous aussi nous aspirons du plus profond de notre c½ur. Que nous l'obtienne l'intercession du grand Évêque d'Hippone, que nous l'obtienne l'aide maternelle de Marie, Étoile de l'évangélisation, que nous invoquons à présent à travers la prière de l'Angélus.

 

1 -  Nous nous approchons de la XXe Journée mondiale de la Jeunesse, et nous sommes déjà en route. Cette Journée, comme nous le savons, aura lieu à Cologne et, si Dieu le veut, j’y participerai moi aussi – même si je ne suis plus jeune, mais mon c½ur est jeune – du jeudi 18 au dimanche 21 août prochains. Au cours des jours à venir, des groupes de jeunes, provenant de toutes les régions d'Europe et du monde, se mettront en route vers l'Allemagne, à l'image des saints rois mages, comme le suggère le thème: « Nous sommes venus l'adorer » (Mt 2, 2). Je voudrais inviter les jeunes croyants du monde entier, et également ceux qui ne pourront pas prendre part à un événement ecclésial aussi extraordinaire, à s'unir dans un pèlerinage spirituel commun vers les sources de notre foi. - Angelus 31.8.2005

 

2 - Des milliers de jeunes sont sur le point de partir, ou sont déjà en route, vers Cologne pour la XXe Journée mondiale de la Jeunesse qui, comme vous le savez, a pour thème: « Nous sommes venus l'adorer » (Mt 2, 2). On peut dire que toute l'Eglise est spirituellement mobilisée pour vivre cet événement extraordinaire, en se tournant vers les Mages comme vers des modèles particuliers de chercheurs du Christ, devant lequel s'agenouiller en adoration. Mais que signifie « adorer »? S'agit-il d'une attitude d'un autre temps, privée de sens pour l'homme contemporain? Non! Une prière bien connue, que de nombreuses personnes récitent le matin et le soir, commence précisément par ces paroles: « Mon Dieu, je t'adore, je t'aime de tout mon c½ur... ». A l'aube et au crépuscule, le croyant renouvelle chaque jour son « adoration », c'est-à-dire sa reconnaissance de la présence de Dieu, Créateur et Seigneur de l'univers. C'est une reconnaissance pleine de gratitude, qui part du plus profond du c½ur et qui saisit l'être tout entier, car ce n'est qu'en adorant et en aimant Dieu par-dessus tout que l'homme peut se réaliser pleinement lui-même.

     Les Mages adorèrent l'enfant de Bethléem, reconnaissant en Lui le Messie promis, le Fils unique du Père, comme l’affirme saint Paul, « car en lui habite corporellement toute la plénitude de la Divinité » (Col 2, 9). Les disciples Pierre, Jacques et Jean ont, en quelque sorte, fait une expérience semblable, comme le rappelle la fête de la Transfiguration, célébrée précisément hier. Jésus leur révéla sa gloire divine, sur le Mont Thabor, en annonçant la victoire définitive sur la mort. A travers la Pâque, le Christ crucifié et ressuscité manifestera ensuite pleinement sa divinité, offrant à tous les hommes le don de son amour rédempteur. Les saints sont ceux qui ont accueilli ce don et qui sont devenus les véritables adorateurs du Dieu vivant, l'aimant sans réserve à chaque instant de leur vie. Avec la prochaine rencontre de Cologne, l'Eglise veut reproposer cette sainteté, sommet de l'amour, à tous les jeunes du troisième millénaire. – Angelus 7.8.2005

 

 

2006

 

 

 

 

 

6 janvier 2006 – Homélie de la Messe

     La lumière qui, à Noël, a brillé dans la nuit, illuminant la grotte de Bethléem, où Marie, Joseph et les bergers demeuraient, en adoration silencieuse, resplendit aujourd'hui et se manifeste à tous. L'Epiphanie est un mystère de lumière, représentée de manière symbolique par l'étoile qui a guidé le voyage des Rois mages. Toutefois, la vraie source de lumière, l'"Astre d'en haut qui vient nous visiter" (cf. Lc 1, 78), c'est le Christ. Dans le mystère de Noël, la lumière du Christ rayonne sur la terre, en se diffusant comme par cercles concentriques. Tout d'abord sur la sainte Famille de Nazareth:  la Vierge Marie et Joseph sont illuminés par la présence divine de l'Enfant Jésus. La lumière du Rédempteur se manifeste ensuite aux bergers de Bethléem qui, avertis par l'ange, accourent immédiatement à la grotte et y trouvent le "signe" qui leur avait été annoncé:  un enfant enveloppé de langes et couché dans une mangeoire (cf. Lc 2, 12). Les bergers, avec Marie et Joseph, représentent ce "reste d'Israël", les pauvres, les anawim, auxquels est annoncée la Bonne Nouvelle. L'éclat du Christ parvient enfin jusqu'aux Rois mages, qui constituent les prémices des peuples païens. Les palais du pouvoir de Jérusalem restent dans l'ombre et la nouvelle de la naissance du Messie y est annoncée paradoxalement par les Rois mages et suscite non pas la joie, mais la crainte et des réactions hostiles. Mystérieux dessein de Dieu:  "Quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs oeuvres étaient mauvaises" (Jn 3, 19).

Mais qu'est-ce que cette lumière? Est-ce seulement une métaphore suggestive ou cette image correspond-elle à une réalité? L'Apôtre Jean écrit dans sa Première Epître:  "Dieu est Lumière, en lui point de ténèbres" (1 Jn 1, 5); puis il ajoute:  "Dieu est amour". Ces deux affirmations, mises ensemble, nous aident à mieux comprendre:  la lumière, apparue à Noël, et qui se manifeste aujourd'hui aux nations, est l'amour de Dieu, révélé dans la Personne du Verbe incarné. Les Rois mages arrivent d'Orient, attirés par cette lumière. Dans le mystère de l'Epiphanie, par conséquent, en plus d'un mouvement de rayonnement vers l'extérieur, se manifeste un mouvement d'attraction vers le centre qui achève le mouvement déjà inscrit dans l'Ancienne Alliance. La source d'un tel dynamisme est Dieu, Un dans la substance et Trine dans les Personnes, qui attire tout et tous à lui. La Personne incarnée dans le Verbe se présente ainsi comme le principe de réconciliation et de récapitulation universelle (cf. Ep 1, 9-10). Il est le but ultime de l'histoire, le terme d'un "exode", d'un chemin providentiel de rédemption, qui culmine dans sa mort et sa résurrection. Pour cette raison, lors de la solennité de l'Epiphanie, la liturgie anticipe celle que l'on appelle l'"Annonce de Pâques":  l'année liturgique, en effet, reprend toute la parabole de l'histoire du salut, au centre de laquelle se trouve le "Triduum du Seigneur crucifié, enseveli et ressuscité".

Dans la liturgie du Temps de Noël on retrouve souvent, comme refrain, ce verset du Psaume 97:  "Le Seigneur a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations" (v. 2). Ce sont des paroles que l'Eglise utilise pour souligner la dimension "épiphanique" de l'Incarnation:  le Fils de Dieu qui se fait homme, son entrée dans l'histoire est le pinacle de l'auto-révélation de Dieu à Israël et à toutes les nations. A travers l'Enfant de Bethléem, Dieu s'est révélé dans l'humilité de la "forme humaine", dans la "condition d'esclave", ou plutôt de  crucifié  (cf. Ph 2, 6-8). C'est le paradoxe chrétien. C'est précisément le fait de se cacher qui constitue la plus éloquente "manifestation" de Dieu:  l'humilité, la pauvreté, l'ignominie même de la Passion nous font découvrir comment Dieu est réellement. Le visage du Fils révèle fidèlement celui du Père. C'est pour cette raison que le mystère de Noël est, pour ainsi dire, toute une "épiphanie". La manifestation aux Rois mages n'ajoute pas une chose étrangère au dessein de Dieu, mais en révèle une dimension éternelle et constitutive:  "Les païens sont admis au même héritage, membres du même Corps, bénéficiaires de la même Promesse, dans le Christ Jésus, par le moyen de l'Evangile" (Ep 3, 6).

La fidélité de Dieu à Israël et sa manifestation aux nations pourraient apparaître comme des aspects divergents entre eux à un regard superficiel; en réalité, ce sont les deux faces d'une même médaille. En effet, selon les Ecritures, c'est précisément en restant fidèle au pacte d'amour avec le peuple d'Israël que Dieu révèle également sa gloire aux autres peuples. "Grâce et fidélité" (cf. Ps 88, 2), "amour et vérité" (cf. Ps 84, 11) sont le contenu de la gloire de Dieu, son "nom", destiné à être connu et sanctifié par les hommes de toute langue et de toute nation. Mais ce "contenu" est inséparable de la "méthode" que Dieu a choisie pour se révéler, celle de la fidélité absolue à l'alliance, qui atteint son sommet en Jésus Christ. Le Seigneur Jésus est, dans le même temps et de manière inséparable, "lumière pour éclairer les nations païennes, et gloire d'Israël [son] peuple" (Lc 2, 32), comme s'exclamera le vieux Siméon, inspiré par Dieu, en prenant l'Enfant dans ses bras, lorsque ses parents le présenteront au temple. La lumière qui éclaire les nations - la lumière de l'Epiphanie - provient de la gloire d'Israël - la gloire du Messie né, selon les Ecritures, à Bethléem "ville de David" (Lc 2, 4). Les Rois mages ont adoré un simple Enfant dans les bras de sa Mère Marie car, en Lui, ils ont reconnu la source de la double lumière qui les avait guidés:  la lumière de l'étoile et la lumière des Ecritures. Ils ont reconnu en Lui le Roi des Juifs, gloire d'Israël, mais aussi le Roi de toutes les nations.

Dans le contexte liturgique de l'Epiphanie se manifeste également le mystère de l'Eglise et sa dimension missionnaire. Celle-ci est appelée à faire resplendir dans le monde la lumière du Christ, en la reflétant en elle-même comme la lune reflète la lumière du soleil. Les anciennes prophéties concernant la ville sainte de Jérusalem, comme la magnifique prophétie d'Isaïe, que nous venons d'entendre, se sont réalisées dans l'Eglise:  "Debout, Jérusalem! Resplendis:  elle est venue, ta lumière, (...) Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore et la gloire du Seigneur s'est levée sur toi" (Is 60, 1-3). C'est ce que devront réaliser les disciples du Christ:  formés par Lui pour vivre dans le style des Béatitudes, ils devront attirer tous les hommes à Dieu, à travers le témoignage de l'amour:  "De même, que votre lumière brille devant les hommes:  alors en voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux" (Mt 5, 16). En écoutant ces paroles de Jésus, nous, membres de l'Eglise, ne pouvons pas ne pas percevoir toute l'insuffisance de notre condition humaine, marquée par le péché. L'Eglise est sainte mais elle est composée d'hommes et de femmes avec leurs limites et leurs erreurs. Seul le Christ, en nous donnant l'Esprit Saint, peut transformer notre misère et nous renouveler continuellement. C'est Lui la lumière des nations, lumen gentium, qui a choisi d'éclairer le monde à travers son Eglise (cf. Concile Vatican II, Lumen gentium, n. 1).

"Comment cela adviendra-t-il?", pouvons-nous nous demander en reprenant les paroles que la Vierge adressa à l'Archange Gabriel. C'est précisément la Mère du Christ et de l'Eglise qui nous fournit la réponse:  par son exemple de disponibilité totale à la volonté de Dieu "fiat mihi secundum verbum tuum" (Lc 1, 38), elle nous enseigne à être "épiphanie" du Seigneur, dans l'ouverture du coeur à la force de la grâce et dans l'adhésion fidèle à la parole de son Fils, lumière du monde et but ultime de l'histoire.

Ainsi soit-il!

 

 

6 janvier 2006 – Angelus

      Nous célébrons aujourd'hui l'Epiphanie du Seigneur, c'est-à-dire sa manifestation aux nations, représentées par les Rois mages, mystérieux personnages venus d'Orient, dont parle l'Evangile de saint Matthieu (Mt 2, 1-12). L'adoration de Jésus par les Rois mages fut immédiatement reconnue comme accomplissement des Ecritures prophétiques. « Les nations marcheront vers ta lumière - lit-on dans le livre d'Isaïe - et les rois, vers la clarté de ton aurore... apportant l'or et l'encens et proclamant les louanges du Seigneur » (Is 60, 3.6). La lumière du Christ, qui est comme contenue dans la grotte de Bethléem, rayonne aujourd'hui dans toute sa portée universelle.

 

     Aujourd'hui, vient spontanément à l'esprit la Journée mondiale de la Jeunesse. Celle-ci a rassemblé à Cologne en août dernier, et beaucoup d'entre vous étaient là-bas, plus d'un million de jeunes qui avaient pour devise les paroles des Rois mages se rapportant à Jésus: « Nous sommes venus l'adorer » (Mt 2, 2). Combien de fois les avons-nous entendues et répétées ! Maintenant nous ne pouvons pas les entendre sans revenir en esprit à cet événement mémorable, qui a constitué une authentique « épiphanie ». En effet, le pèlerinage des jeunes, dans sa dimension plus profonde, peut être vu comme un itinéraire guidé par la lumière d'une « étoile », l'étoile de la foi. Et aujourd'hui je suis heureux d'étendre à toute l'Eglise le message que j'ai alors proposé aux jeunes rassemblés sur les rives du Rhin: « Ouvrez tout grand votre c½ur à Dieu, laissez-vous surprendre par le Christ ! Ouvrez les portes de votre liberté à son amour miséricordieux ! Exposez vos joies et vos peines au Christ, le laissant illuminer votre intelligence de sa lumière et toucher de sa grâce votre c½ur ! » (Discours du 18 août 2005 lors de la cérémonie d'accueil des jeunes).

6 janvier 2006 – Aux francophones, après l’Angelus

     Je vous invite à adorer le Christ comme les Mages, afin de vous laisser transformer par lui et de repartir vers vos frères pour en rendre témoignage, par des chemins nouveaux.

 

 

 

 

2007

 

 

 

 

3 janvier 2007 – Audience Générale

     Seul l'Enfant qui est couché dans la crèche possède le véritable secret de la vie. C'est pour cela qu'il demande qu'on l'accueille, qu'on lui laisse de la place en nous, dans nos c½urs, dans nos maisons, dans nos villes et dans nos sociétés. … Essayons d'être parmi ceux qui l'accueillent. Face à Lui on ne peut pas rester indifférents. Nous aussi, chers amis, nous devons sans cesse prendre position. Quelle sera donc notre réponse ? Avec quelle attitude l'accueillons-nous ? La simplicité des pasteurs et la quête des Mages qui, à travers l'étoile, scrutent les signes de Dieu, nous viennent en aide ; la docilité de Marie et la sagesse prudente de Joseph sont pour nous un exemple.

 

 

 

6 janvier 2007 - Homélie Messe Epiphanie
      Nous célébrons avec joie la solennité de l'Epiphanie, « manifestation » du Christ aux nations, qui sont représentées par les Mages, mystérieux personnages venus d'Orient. …

 

    Vingt siècles se sont écoulés depuis que ce mystère a été révélé et s'est réalisé dans le Christ, mais celui-ci n'est pas encore parvenu à son accomplissement. Mon bien-aimé prédécesseur Jean-Paul II, ouvrant son encyclique sur la mission de l'Eglise, a écrit que « au terme du deuxième millénaire après sa venue, un regard d'ensemble porté sur l'humanité montre que cette mission en est encore à ses débuts » (Redemptoris missio, n. 1). Plusieurs questions se posent alors spontanément : dans quel sens, aujourd'hui, le Christ est-il encore Lumen Gentium, lumière des nations ? A quel point se trouve - si l'on peut ainsi dire - cet itinéraire universel des peuples vers Lui ? Est-il dans une phase de progrès ou de recul ? Et encore : qui sont aujourd'hui les Mages ? Comment pouvons-nous interpréter, en pensant au monde actuel, ces mystérieuses figures évangéliques ? Pour répondre à ces interrogations, je voudrais revenir à ce que les Pères du Concile Vatican II dirent à ce propos. Et j'ai plaisir à ajouter que, immédiatement après le Concile, le Serviteur de Dieu Paul VI, il y a quarante ans, précisément le 26 mars 1967, consacra l'Encyclique Populorum progressio au développement des peuples.

 

           En vérité, tout le Concile Vatican II fut inspiré par la volonté d'annoncer le Christ, lumière du monde, à l'humanité contemporaine. Au c½ur de l'Eglise, à partir du sommet de sa hiérarchie, apparut de manière impérieuse, suscité par l'Esprit Saint, le désir d'une nouvelle épiphanie du Christ au monde, un monde que l'époque moderne avait profondément transformé et qui, pour la première fois dans l'histoire, se trouvait face au défi d'une civilisation mondiale, où le centre ne pouvait plus être l'Europe, pas plus que ce nous appelons l'Occident et le Nord du monde. Apparaissait l'exigence d'élaborer un nouvel ordre mondial politique et économique, mais, dans le même temps et surtout, spirituel et culturel ; c'est-à-dire un humanisme renouvelé. Cette constatation s'imposait avec une évidence croissante. Un nouvel ordre mondial économique et politique ne fonctionne pas s'il n'y a pas de renouveau spirituel, si nous ne pouvons pas nous approcher à nouveau de Dieu et trouver Dieu parmi nous. Avant le Concile Vatican II, des consciences éclairées et des penseurs chrétiens avaient déjà eu l'intuition de ce défi historique et l'avaient affronté. Eh bien, au début du troisième millénaire, nous nous trouvons au c½ur de cette phase de l'histoire humaine, qui a désormais été classifiée autour du terme « mondialisation ». D'autre part, nous nous apercevons aujourd'hui à quel point il est facile de perdre de vue les termes de ce même défi, précisément parce que l'on est concerné par ce défi : un risque fortement renforcé par l'immense expansion des mass media, qui, d'une part, s'ils multiplient indéfiniment les informations, de l'autre, semblent affaiblir nos capacités de réaliser une synthèse critique. La solennité d'aujourd'hui peut nous offrir cette perspective, à partir de la manifestation d'un Dieu qui s'est révélé dans l'histoire comme lumière du monde, pour guider et introduire finalement l'humanité dans la terre promise, où règnent la liberté, la justice et la paix. Et nous voyons toujours davantage que nous ne pouvons pas promouvoir seuls la justice et la paix, si ne se manifeste pas à nous la lumière d'un Dieu qui nous montre son visage, qui nous apparaît dans la mangeoire de Bethléem, qui nous apparaît sur la Croix.
 

     Qui sont donc les « Mages » d'aujourd'hui, et où en est leur « voyage » et notre « voyage » ? Chers frères et s½urs, revenons à ce moment de grâce spéciale que fut la conclusion du Concile Vatican II, le 8 décembre 1965, quand les Pères conciliaires adressèrent à l'humanité tout entière plusieurs « Messages ». Le premier était adressé « Aux gouvernants », le deuxième « Aux hommes de la pensée et de la science ». Il s'agit de deux catégories de personnes que, d'une certaine manière, nous pouvons voir représentées dans les figures évangéliques des Mages. Je voudrais ensuite en ajouter une troisième, à laquelle le Concile n'adressa pas de message, mais qui fut bien présente à son esprit dans la Déclaration conciliaire Nostra aetate. Je fais référence aux guides spirituels des grandes religions non chrétiennes. Plus de deux mille ans après, nous pouvons donc reconnaître dans les figures des Mages une sorte de préfiguration de ces trois dimensions constitutives de l'humanisme moderne : la dimension politique, la dimension scientifique et la dimension religieuse. L'Epiphanie nous le montre dans un état de « pèlerinage », c'est-à-dire dans un mouvement de recherche, souvent un peu confuse, qui, en définitive, possède son point d'arrivée dans le Christ, même si parfois l'étoile se cache. Dans le même temps, elle nous montre Dieu qui, à son tour, est en pèlerinage vers l'homme. Ce n'est pas seulement le pèlerinage de l'homme vers Dieu ; Dieu lui-même s'est mis en marche vers nous : en effet, qui est Jésus, sinon Dieu qui est sorti, pour ainsi dire, de lui-même pour venir à la rencontre de l'humanité ? Par amour, Il s'est fait histoire dans notre histoire ; par amour, il est venu nous apporter le germe de la vie nouvelle (cf. Jn 3, 3-6) et la semer dans les sillons de notre terre, afin qu'elle germe, qu'elle fleurisse et qu'elle porte du fruit.

     Je voudrais aujourd'hui faire miens ces Messages conciliaires, qui n'ont rien perdu de leur actualité. Comme par exemple là où, dans le Message adressé aux gouvernants, on peut lire : « C'est à vous qu'il revient d'être sur terre les promoteurs de l'ordre et de la paix entre les hommes. Mais, ne l'oubliez pas : c'est Dieu, le Dieu vivant et vrai, qui est le Père des hommes. Et c'est le Christ, son Fils éternel, qui est venu nous le dire et nous apprendre que nous sommes tous frères. C'est lui, le grand artisan de l'ordre et de la paix sur la terre, car c'est lui qui conduit l'histoire humaine et qui seul peut conduire les c½urs à renoncer aux passions mauvaises qui engendrent la guerre et le malheur ». Comment ne pas reconnaître dans ces paroles des Pères conciliaires la trace lumineuse d'un chemin qui, seul, peut transformer l'histoire des nations et du monde ? Et encore, dans le « Message aux hommes de la pensée et de la science », nous lisons : « Continuez à chercher sans vous lasser, sans désespérer jamais de la vérité ! » - tel est, en effet, le grand danger : perdre intérêt pour la vérité et chercher seulement l'action, l'efficacité, le pragmatisme ! - « Rappelez-vous, continuent les Pères conciliaires, la parole d'un de vos grands amis, saint Augustin : « Cherchons avec le désir de trouver et trouvons avec le désir de chercher encore ». Heureux ceux qui, possédant la vérité, continuent de la chercher, pour la renouveler, pour l'approfondir, pour l'offrir aux autres. Heureux ceux qui, ne l'ayant pas trouvée, marchent vers elle d'un c½ur sincère : qu'ils cherchent la lumière de demain avec les lumières d'aujourd'hui, jusqu'à la plénitude de la lumière !».

 

     Voilà ce qui était dit dans les deux Messages conciliaires. Aux chefs des peuples, aux chercheurs et aux scientifiques, il est aujourd'hui plus que jamais nécessaire d'ajouter les représentants des grandes traditions religieuses non chrétiennes, en les invitant à se confronter à la lumière du Christ, qui n'est pas venu pour abolir, mais pour mener à bien ce que la main de Dieu a inscrit dans l'histoire religieuse des civilisations, en particulier dans les « grandes âmes », qui ont contribué à édifier l'humanité par leur sagesse et leurs exemples de vertu. Le Christ est lumière, et la lumière ne peut pas obscurcir, mais seulement illuminer, éclairer, révéler. Que personne n'ait donc peur du Christ et de son message ! Et si, au cours de l'histoire, les chrétiens, qui sont des hommes limités et pécheurs, ont parfois pu le trahir par leurs comportements, cela met encore davantage en évidence que la lumière est le Christ et que l'Eglise ne la reflète qu'en restant unie à Lui.

 

      « Nous avons vu l'étoile en Orient et nous sommes venus pour adorer le Seigneur » (cf. Mt 2, 2). Ce qui chaque fois nous étonne, en écoutant ces paroles des Mages, est que ces derniers se prosternèrent en adoration devant un petit enfant dans les bras de sa mère, non pas dans le cadre d'un palais royal, mais dans la pauvreté d'une bergerie à Bethléem (cf. Mt 2, 11). Comment cela a-t-il été possible ? Qu'est-ce qui a convaincu les Mages que cet enfant était « le roi des Juifs » et le roi des peuples ? Ils ont certainement été persuadés par le signe de l'étoile, qu'ils avaient vu « se lever » et qui s'était arrêtée précisément au-dessus du lieu où se trouvait l'Enfant (cf. Mt 2, 9). Mais même l'étoile n'aurait pas suffi, si les Mages n'avaient pas été des personnes profondément ouvertes à la vérité. A la différence du roi Hérode, absorbé par son intérêt pour le pouvoir et la richesse, les Mages étaient tendus vers l'objectif de leur recherche, et lorsqu'ils le trouvèrent, bien qu'ils fussent des hommes cultivés, ils se comportèrent comme les bergers de Bethléem : ils reconnurent le signe et adorèrent l'Enfant, en lui offrant les dons précieux et symboliques qu'ils avaient apportés avec eux.

     Arrêtons-nous nous aussi en esprit face à l'icône de l'adoration des Mages. Celle-ci contient un message exigeant et toujours actuel. Exigeant et toujours actuel en particulier pour l'Eglise qui, se reflétant en Marie, est appelée à montrer Jésus aux hommes, rien d'autre que Jésus. En effet, Il est Tout et l'Eglise n'existe que pour rester unie à Lui et le faire connaître au monde. Que la Mère du Verbe incarné nous aide à être des disciples dociles de son Fils, Lumière des nations. L'exemple des Mages d'alors constitue également une invitation pour les Mages d'aujourd'hui à ouvrir les esprits et les c½urs au Christ et à lui offrir les dons de leur recherche. A eux, à tous les hommes de notre temps, je voudrais aujourd'hui répéter : n'ayez pas peur de la lumière du Christ ! Sa lumière est la splendeur de la vérité. Laissez-vous illuminer par Lui, peuples de toute la terre ; laissez-vous envelopper par son amour et vous trouverez le chemin de la paix.

 



 

 

 

 

 

 

 

 

6 janvier 2007 – Méditation de Benoit XVI lors de la prière de l’Angelus

      En ce jour de la solennité de l'Epiphanie, nous célébrons la manifestation du Christ aux Rois Mages, un événement auquel saint Matthieu accorde une grande importance (cf. Mt 2, 1-12). Il raconte dans son Évangile que quelques "Mages" - probablement des chefs religieux persans - arrivèrent à Jérusalem guidés par une "étoile", un phénomène lumineux céleste qu'ils avaient interprété comme le signe de la naissance d'un nouveau roi des Juifs. Personne dans la ville n'était au courant; le roi qui régnait, Hérode, fut même profondément troublé par la nouvelle et conçut le tragique dessein du "massacre des innocents", pour supprimer son rival qui venait de naître. Les Rois Mages, en revanche, se laissèrent guider par les Saintes Écritures, en particulier la prophétie de Michée selon laquelle le Messie serait né à Bethléem, la ville de David, située à environ dix kilomètres au sud de Jérusalem (cf. Mi 5, 1). Partis dans cette direction, ils virent à nouveau l'étoile et, remplis de joie, ils la suivirent jusqu'à ce qu'elle s'arrête au-dessus d'une bergerie. Ils entrèrent et trouvèrent l'Enfant avec Marie ; ils se prosternèrent devant Lui et, en hommage à sa dignité royale, ils Lui offrirent de l'or, de l'encens et de la myrrhe.

     Pourquoi cet événement est-il si important ? Car c'est là que commença à se réaliser l'adhésion des peuples païens à la foi dans le Christ, selon la promesse faite par Dieu à Abraham, à laquelle se réfère le Livre de la Genèse : "En toi seront bénies toutes les familles de la terre" (Gn 12, 3). Si Marie, Joseph et les bergers de Bethléem représentent donc le peuple d'Israël qui a accueilli le Seigneur, les Rois Mages sont en revanche les prémices des nations appelées à faire partie elles aussi de l'Église, nouveau peuple de Dieu, non plus basé sur l'homogénéité ethnique, linguistique ou culturelle, mais uniquement sur la foi commune en Jésus, Fils de Dieu. Par conséquent, l'Épiphanie du Christ est en même temps épiphanie de l'Église, c'est-à-dire manifestation de sa vocation et de sa mission universelle. À ce propos, je suis heureux d'adresser une salutation cordiale aux bien-aimés frères et s½urs des Églises orientales qui, conformément au calendrier Julien, célébreront demain Noël :  je leur souhaite avec affection une abondance de paix et de prospérité chrétienne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2008

 

 

 

6 janvier 2008 – Homélie de la Messe

Nous célébrons aujourd'hui le Christ, Lumière du monde, et sa manifestation aux nations. Le jour de Noël, le  message  de la liturgie retentissait ainsi:  "Hodie descendit lux magna super terram - Aujourd'hui, une grande lumière descend sur la terre" (Missel Romain). A Bethléem, cette "grande lumière" apparut à un petit groupe de personnes, un minuscule "reste d'Israël":  la Vierge Marie, son époux Joseph et quelques pasteurs. Une humble lumière, dans le style du vrai Dieu:  une petite flamme allumée dans la nuit:  un nouveau-né fragile qui pleure dans le silence du monde... Mais l'hymne de louange des multitudes célestes, qui chantaient gloire et paix, accompagnait cette naissance cachée et inconnue (cf. Lc 2, 13-14).

Ainsi cette lumière, bien que modeste dans son apparition sur la terre, se projetait avec force dans les cieux:  la naissance du Roi des Juifs avait été annoncée par l'apparition d'une étoile, visible de très loin. Tel fut le témoignage de "plusieurs Mages" venus d'Orient à Jérusalem, peu après la naissance de Jésus, au temps du roi Hérode (cf. Mt 2, 1-2). Encore une fois, le ciel et la terre, le cosmos et l'histoire s'appellent et se répondent. Les antiques prophéties se retrouvent dans le langage des astres. "Un astre issu de Jacob devient chef, / un sceptre se lève, issu d'Israël" (Nb 24, 17), avait annoncé le voyant païen Balaam, appelé à maudire le peuple d'Israël, mais qui en revanche le bénit, car - Dieu lui révéla - "ce peuple [...] est béni" (Nb 22, 12). Chromace d'Aquilée, dans son commentaire à l'Evangile de Matthieu, mettant en relation Balaam avec les Mages, écrit:  "Celui-ci prophétisa que le Christ serait venu; et ces derniers le virent avec les yeux de la foi". Et il ajoute une observation importante:  "L'étoile était vue par tous, mais tous n'en comprirent pas le sens. De la même manière, le Seigneur notre Sauveur est né pour tous, mais tous ne l'ont pas accueilli (ibid., 4, 1-2). Dans une perspective historique, apparaît ici la signification du symbole de la lumière appliqué à la naissance du Christ:  il exprime la bénédiction particulière de Dieu sur la descendance d'Abraham, destinée à s'étendre à tous les peuples de la terre.

L'événement évangélique que nous rappelons dans l'Epiphanie - la visite des Mages à l'Enfant Jésus à Bethléem - nous renvoie ainsi aux origines de l'histoire du peuple de Dieu, c'est-à-dire à l'appel d'Abraham. Nous sommes au 12 chapitre du Livre de la Genèse. Les 11 premiers chapitres sont comme de grandes fresques qui répondent à plusieurs questions fondamentales de l'humanité:  quelle est l'origine de l'univers et du genre humain? D'où vient le mal? Pourquoi y a-t-il plusieurs langues et civilisations? Parmi les récits du début de la Bible, apparaît une première "alliance", établie par Dieu avec Noé, après le déluge. Il s'agit d'une alliance universelle, qui concerne toute l'humanité:  le nouveau pacte avec la famille de Noé est en même temps un pacte avec "toute chair". Ensuite, avant l'appel d'Abraham, on trouve une autre grande fresque très importante pour comprendre  le  sens de l'Epiphanie:  celle de la tour de Babel. Le texte sacré affirme qu'à l'origine "tout le monde se servait d'une même langue et des mêmes mots" (Gn 11, 1). Puis les hommes dirent:  "Allons! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux!  Faisons-nous  un  nom  et  ne soyons pas dispersés sur toute la terre!" (Gn 11, 4). La conséquence de ce péché d'orgueil, semblable à celui d'Adam et Eve, fut la confusion des langues et la dispersion de l'humanité sur toute la terre (cf. Gn 11, 7-8). Voilà ce que signifie "Babel", et ce fut une sorte de malédiction semblable à celle d'Adam et Eve chassés du paradis terrestre.

A ce point, commence l'histoire de la bénédiction, avec l'appel d'Abraham:  c'est le commencement du grand dessein de Dieu pour faire de l'humanité une famille, à travers l'alliance avec un peuple nouveau, qu'Il a choisi pour qu'il soit une bénédiction parmi toutes les nations (cf. Gn 12, 1-3). Ce plan divin est encore en cours et a atteint son moment culminant dans le mystère du Christ. Depuis ce moment, les "temps derniers" ont commencé, au sens où le dessein a été pleinement révélé et réalisé dans le Christ, mais il demande à être accueilli par l'histoire humaine, qui reste toujours une histoire de fidélité de la part de Dieu et, malheureusement, également d'infidélité de notre part à nous, les hommes. L'Eglise elle-même, dépositaire de la bénédiction, est sainte et composée de pécheurs, marquée par la tension entre le "déjà" et le "pas encore". Dans la plénitude des temps, Jésus Christ est venu conduire l'alliance à son accomplissement:  Lui-même, vrai Dieu et vrai homme, est le Sacrement de la fidélité de Dieu à son dessein de salut pour l'humanité tout entière, pour nous tous.

L'arrivée des Mages d'Orient à Bethléem, pour adorer le Messie nouveau-né, est le signe de la manifestation du Roi universel aux peuples et à tous les hommes qui cherchent la vérité. C'est le début d'un mouvement opposé à celui de Babel:  de la confusion à la compréhension, de la dispersion à la réconciliation. Nous entrevoyons ainsi un lien entre l'Epiphanie et la Pentecôte:  si le Noël du Christ, qui est le Chef, est également le Noël de l'Eglise, son corps, nous voyons dans les Mages les peuples qui se joignent au reste d'Israël, préannonçant le grand signe de l'"Eglise polyglotte", réalisé par l'Esprit Saint cinquante jours après Pâques. L'amour fidèle et tenace de Dieu, qui ne manque jamais à son alliance, de génération en génération. C'est le "mystère" dont parle saint Paul dans ses Lettres, également dans le passage de la Lettre aux Ephésiens qui vient d'être proclamé:  l'Apôtre affirme que ce mystère "lui a été fait connaître par révélation" (cf. Ep 3, 3) et qu'il est chargé de le faire connaître.

Ce "mystère" de la fidélité de Dieu constitue l'espérance de l'histoire. Il est certes marqué par des mouvements de divisions et des abus de pouvoir, qui déchirent l'humanité à cause du péché et du conflit des égoïsmes. Dans l'histoire, l'Eglise est au service de ce "mystère" de bénédiction pour l'humanité tout entière. Dans ce mystère de fidélité de Dieu, l'Eglise n'accomplit pleinement sa mission que lorsque se reflète en elle la lumière du Christ Seigneur, et qu'elle aide ainsi les peuples du monde sur la voie de la paix et du progrès authentique. En effet, la parole de Dieu révélée par l'intermédiaire du prophète Isaïe reste toujours valable:  "... les ténèbres s'étendent sur la terre, / et l'obscurité sur les peuples" (Is 60, 2). Ce que le prophète annonce à Jérusalem s'accomplit dans l'Eglise du Christ:  "Les nations marcheront à ta lumière et  les  rois  à  ta clarté naissante" (Is 60, 3).

Avec Jésus Christ, la bénédiction d'Abraham s'est étendue à tous les peuples, à l'Eglise universelle comme nouvel Israël qui accueille dans son sein l'humanité tout entière. Aujourd'hui aussi, pourtant, ce que disait le prophète reste vrai dans beaucoup de sens:  "l'obscurité s'étend sur les peuples" et notre histoire. On ne peut pas dire, en effet, que la mondialisation soit synonyme d'ordre mondial, bien au contraire. Les conflits pour la suprématie économique et la domination des ressources énergétiques, hydriques et des matières premières rendent difficile le travail de ceux qui, à tous les niveaux, s'efforcent de construire un monde juste et solidaire. Il y a besoin d'une espérance plus grande, qui permette de préférer le bien commun de tous au luxe d'un petit nombre et à la misère d'un grand nombre. "Cette grande espérance ne peut être que Dieu... non pas n'importe quel dieu, mais le Dieu qui possède un visage humain" (Spe salvi, n. 31):  le Dieu qui s'est manifesté dans l'Enfant de Bethléem et dans le Crucifié-Ressuscité. S'il existe une grande espérance, on peut persévérer dans la sobriété. Si la véritable espérance manque, on recherche le bonheur dans l'ivresse du superflu, dans les excès, et l'on se ruine soi-même, ainsi que le monde. La modération n'est donc pas seulement une règle ascétique, mais également une voie de salut pour l'humanité. Il est désormais évident que ce n'est qu'en adoptant un style de vie sobre, accompagné par un engagement sérieux pour une distribution équitable des richesses, qu'il sera possible d'instaurer une ordre de développement juste et durable. C'est pourquoi il y a besoin d'hommes qui nourrissent une grande espérance et qui possèdent donc beaucoup de courage. Le courage des Mages, qui entreprirent un long voyage en suivant une étoile, et qui surent s'agenouiller devant un Enfant et lui offrir leurs dons précieux. Nous avons tous besoin de ce courage, ancré à une solide espérance. Que Marie nous l'obtienne, en nous accompagnant au cours de notre pèlerinage terrestre par sa protection maternelle. Amen!

 

 

 

6 janvier 2008 – Méditation de Benoit XVI lors de la prière de l’Angelus

     Nous célébrons aujourd'hui avec joie, malgré la pluie, l'Epiphanie du Seigneur, c'est-à-dire sa manifestation aux peuples du monde entier, représentés par les Mages qui vinrent d'Orient pour rendre hommage au Roi des Juifs. Observant les phénomènes célestes, ces mystérieux personnages avaient vu surgir une étoile nouvelle et, également éclairés par les prophéties antiques, ils avaient reconnu en elle le signe de la naissance du Messie, descendant de David (cf. Mt 2, 1-12). Dès qu'elle apparaît, la lumière du Christ commence donc à attirer à elle les hommes "que Dieu aime" (Lc 2, 14), de toute langue, peuple et culture. C'est la force de l'Esprit Saint qui pousse les c½urs et les esprits à rechercher la vérité, la beauté, la justice et la paix. C'est ce qu'affirme le serviteur de Dieu Jean-Paul II dans l'Encyclique Fides et ratio: "L'homme est engagé sur la voie d'une recherche humainement sans fin : recherche de vérité et recherche d'une personne à qui faire confiance" (n. 33) : les Mages ont  trouvé  ces deux réalités dans l'Enfant de Bethléem.

     Dans ce pèlerinage, les hommes et les femmes de chaque génération ont besoin d'être guidés : quelle étoile pouvons-nous donc suivre ? Après s'être placée "au-dessus du lieu où se trouvait l'Enfant" (Mt 2, 9), l'étoile qui avait guidé les Mages cessa sa fonction, mais sa lumière spirituelle est toujours présente dans la parole de l'Évangile, qui aujourd'hui aussi est en mesure de guider tout homme vers Jésus. Cette même parole, qui n'est autre que le reflet du Christ vrai Dieu et vrai homme, trouve un écho autorisé dans l'Église pour toute âme bien disposée. L'Église accomplit donc aussi pour l'humanité la mission de l'étoile. Mais on peut dire la même chose de chaque chrétien, appelé à éclairer les pas de ses frères par la parole et par le témoignage de sa vie. Comme il est donc alors important que nous, chrétiens, soyons fidèles à notre vocation ! Chaque croyant authentique est toujours en marche dans son itinéraire personnel de foi et, dans le même temps, avec la petite lumière qu'il porte en lui, il peut et doit venir en aide à celui qui se trouve à ses côtés et a peut-être de la peine à trouver la route qui conduit au Christ.

 

 

 

 

 

 

 

2009

 

6 janvier 2009 – Homélie de la Messe

L'Epiphanie, la "manifestation" de notre Seigneur Jésus Christ, est un mystère multiforme. La tradition latine l'identifie avec la visite des rois mages à l'Enfant Jésus à Bethléem, et l'interprète donc surtout comme une révélation du Messie d'Israël aux peuples païens. La tradition orientale en revanche privilégie le moment du baptême de Jésus dans le fleuve Jourdain, lorsqu'il se manifesta comme Fils unique du Père céleste, consacré par l'Esprit Saint. Mais l'Evangile de Jean invite à considérer comme "épiphanie" également les noces de Cana, où Jésus, changeant l'eau en vin, "manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui" (Jn 2, 11). Et que devrions-nous dire, chers frères, en particulier nous, prêtres de la nouvelle Alliance, qui chaque jour sommes témoins et ministres de l'"épiphanie" de Jésus Christ dans la sainte Eucharistie? L'Eglise célèbre tous les mystères du Seigneur dans ce très saint et très humble Sacrement, dans lequel il révèle et cache dans le même temps sa gloire. "Adoro te devote, latens Deitas" - en adorant, ainsi prions-nous avec saint Thomas d'Aquin.

En cette année 2009 qui, à l'occasion du 4 centenaire des premières observations de Galilée au télescope, a été consacrée à l'astronomie, nous ne pouvons manquer de prêter une attention particulière au symbole de l'étoile, si importante dans le récit évangélique des rois mages (cf. Mt 2, 1-12). Ceux-ci étaient selon toute probabilité des astronomes. De leur point d'observation, placé à l'Orient par rapport à la Palestine, peut-être en Mésopotamie, ils avaient remarqué l'apparition d'un astre nouveau, et ils avaient interprété ce phénomène céleste comme l'annonce de la naissance d'un roi, précisément, selon les Saintes Ecritures, du roi des Juifs (cf. Nb 24, 17). Les Pères de l'Eglise ont vu dans ce singulier épisode raconté par saint Matthieu également une sorte de "révolution" cosmologique, causée par l'entrée dans le monde du Fils de Dieu. Par exemple, saint Jean Chrysostome écrit:  "Lorsque l'étoile parvint au-dessus de l'enfant, elle s'arrêta et cela ne pouvait être que le fait d'une puissance que les astres n'ont pas:  c'est-à-dire tout d'abord se cacher, puis apparaître à nouveau, et enfin, s'arrêter (Homélie sur l'Evangile de Matthieu, 7, 3). Saint Grégoire de Nazianze affirme que la naissance du Christ imprima aux astres de nouvelles orbites (cf. Poèmes dogmatiques, v, 53-64:  pg 37, 428-429). Ce qu'il faut bien sûr entendre au sens symbolique et théologique. En effet, alors que la théologie païenne divinisait les éléments et les forces du cosmos, la foi chrétienne, en conduisant à son achèvement la révélation biblique, contemple un unique Dieu, Créateur et Seigneur de tout l'univers.

L'amour divin, incarné dans le Christ, est la loi fondamentale et universelle de la création. Cela doit en revanche être entendu non au sens poétique, mais réel. C'est ainsi que l'entendait du reste Dante lui-même, lorsque, dans le vers sublime qui conclut le Paradis et toute la Divine Comédie, il définit Dieu comme "l'amor che move il sole e l'altre stelle", l'amour qui meut le soleil et les autres étoiles (Paradis, XXXIII, 145). Cela signifie que les étoiles, les planètes, l'univers tout entier ne sont pas gouvernés par une force aveugle, ils n'obéissent pas aux dynamiques de la seule matière. Ce ne sont donc pas les éléments cosmiques qui doivent être divinisés, mais, bien au contraire, en toute chose et au-dessus de toute chose, il y a une volonté personnelle, l'Esprit de Dieu, qui dans le Christ s'est révélé comme Amour (cf. Enc. Spe salvi, n. 5). S'il en est ainsi, alors les hommes - comme l'écrit saint Paul aux Colossiens - ne sont pas esclaves des "éléments du monde" (cf. Col 2, 8), mais sont libres, c'est-à-dire capables d'entrer en relation avec la liberté créatrice de Dieu. Celui-ci est à l'origine de toute chose et gouverne toute chose non à la manière d'un moteur froid et anonyme, mais comme Père, Epoux, Ami, Frère, comme Logos, "Parole-Raison" qui s'est unie à notre chair mortelle une fois pour toutes et a partagé pleinement notre condition, en manifestant la puissance surabondante de sa grâce. Il y a donc dans le christianisme, une conception cosmologique particulière, qui a trouvé dans la philosophie et dans la théologie médiévales de très hautes expressions. Celle-ci, même à notre époque, donne des signes intéressants d'une nouvelle floraison, grâce à la passion et à la foi d'un grand nombre de scientifiques qui - sur les traces de Galilée - ne renoncent ni à la raison ni à la foi, et les mettent en revanche pleinement en valeur toutes les deux, dans leur fécondité réciproque.

La pensée chrétienne compare l'univers à un "livre" - c'est également ce que disait Galilée -, en le considérant comme l'½uvre d'un Auteur qui s'exprime à travers la "symphonie" de la création. A l'intérieur de cette symphonie, on trouve, à un certain moment, ce que l'on appellerait en langage musical un "solo", un thème confié à un seul instrument ou à une voix; et il est tellement important que la signification de toute l'½uvre dépend de lui. Ce "solo" c'est Jésus, à qui correspond, justement, un signe royal:  l'apparition d'une nouvelle étoile dans le firmament. Jésus est comparé par les auteurs chrétiens antiques à un nouveau soleil. Selon les connaissances astrophysiques actuelles, nous devrions le comparer à une étoile encore plus centrale, non seulement pour le système solaire, mais pour tout l'univers connu. Dans ce dessein mystérieux, à la fois physique et métaphysique, qui a conduit à l'apparition de l'être humain comme couronnement des éléments de la création, Jésus est venu au monde:  "né d'une femme" (Ga 4, 4), comme l'écrit saint Paul. Le Fils de l'homme résume en lui la terre et le ciel, la création et le Créateur, la chair et l'Esprit. Il est le centre de l'univers et de l'histoire, parce qu'en Lui s'unissent sans se confondre l'Auteur et son ½uvre.

Dans le Jésus terrestre se trouve le sommet de la création et de l'histoire, mais dans le Christ ressuscité, on va au-delà:  le passage, à travers la mort, à la vie éternelle anticipe le point de la "récapitulation" de toute chose dans le Christ (cf. Ep 1, 10). Tout, en effet - écrit l'apôtre -, "a été créé par lui et pour lui" (Col 1, 16). Et c'est précisément avec la résurrection d'entre les morts, qu'il a obtenu "en tout la primauté" (Col 1, 18). Jésus lui-même l'affirme en apparaissant aux disciples après la résurrection:  "Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre" (Mt 28, 18). Cette conscience soutient le chemin de l'Eglise, Corps du Christ, le long des chemins de l'histoire. Aucune ombre, aussi ténébreuse soit-elle, ne peut obscurcir la lumière du Christ. C'est pourquoi chez les croyants dans le Christ, l'espérance ne fait jamais défaut, même aujourd'hui, face à la grande crise sociale et économique qui afflige l'humanité, devant la haine et la violence destructrice qui ne cessent d'ensanglanter de nombreuses régions de la terre, face à l'égoïsme et à la prétention de l'homme de s'ériger en dieu de lui-même, ce qui conduit parfois à de dangereux bouleversements du dessein divin sur la vie et la dignité de l'être humain, sur la famille et l'harmonie de la création. Notre effort en vue de libérer la vie humaine et le monde des empoisonnements et des pollutions qui pourraient détruire le présent et l'avenir, conserve sa valeur et son sens - ai-je déjà souligné dans l'encyclique Spe salvi citée ci-dessus - même si en apparence, nous ne connaissons pas de succès et nous semblons impuissants face aux débordements des forces hostiles parce que "c'est la grande espérance appuyée sur les promesses de Dieu qui, dans les bons moments comme dans les mauvais, nous donne courage et oriente notre agir" (n. 35).

La puissance universelle du Christ s'exerce de manière particulière sur l'Eglise. Dieu "a tout mis sous ses pieds - lit-on dans la Lettre aux Ephésiens - et l'a constitué au sommet de tout, Tête pour l'Eglise, laquelle est son Corps, la Plénitude de Celui qui est rempli, tout en tout" (Ep 1, 22-23). L'Epiphanie est la manifestation du Seigneur, et par reflet elle est la manifestation de l'Eglise, parce qu'on ne peut pas séparer le Corps de la Tête. La première lecture d'aujourd'hui, extraite de ce que l'on appelle le Troisième Isaïe, nous offre la perspective exacte afin de comprendre la réalité de l'Eglise, en tant que mystère de lumière réfléchie:  "Debout! - dit le prophète en s'adressant à Jérusalem - Resplendis! car voici ta lumière, / et sur toi se lève la gloire de Yahvé" (Is 60, 1). L'Eglise est une humanité éclairée, "baptisée" dans la gloire de Dieu, c'est-à-dire dans son amour, dans sa beauté, dans sa puissance. L'Eglise sait que son humanité, avec ses limites et ses malheurs, met encore plus en relief l'½uvre de l'Esprit Saint. Elle ne peut se vanter de rien sinon dans son Seigneur:  ce n'est pas d'elle que provient la lumière, la gloire n'est pas la sienne. Mais c'est précisément là qu'est sa joie, que personne ne pourra lui ôter:  être "signe et instrument" de Celui qui est "lumen gentium", lumière des peuples (cf. Conc. Vat. ii, Const. dogm. Lumen gentium, n. 1).
Chers amis, en cette année paulinienne, la fête de l'Epiphanie invite l'Eglise et, en elle, chaque communauté et chaque fidèle, à imiter, comme le fit l'apôtre des nations, le service que l'étoile rendit aux rois mages d'Orient en les conduisant jusqu'à Jésus (cf. saint Léon le Grand, Disc. 3 pour l'Epiphanie, 5:  pl 54, 244). Qu'a été la vie de Paul après sa conversion, sinon une "course" pour apporter aux peuples la lumière du Christ et, inversement, conduire les peuples au Christ? La grâce de Dieu a fait de Paul une "étoile" pour les nations. Son ministère est un exemple et un encouragement pour l'Eglise à se redécouvrir essentiellement missionnaire et à renouveler l'engagement pour l'annonce de l'Evangile, notamment à tous ceux qui ne le connaissent pas encore. Mais, en regardant saint Paul, nous ne pouvons pas oublier que sa prédication était toute nourrie des Ecritures Saintes. C'est pourquoi, dans la perspective de la récente assemblée du Synode des évêques, il faut réaffirmer avec force que l'Eglise et chaque chrétien ne peuvent être une lumière qui conduit vers le Christ, que s'ils se nourrissent assidûment et intimement de la Parole de Dieu. C'est la Parole qui illumine, purifie, convertit, ce n'est certes pas nous. Nous ne sommes que des serviteurs de la Parole de vie. C'est ainsi que Paul concevait sa personne et son ministère:  un service à l'Evangile. "Et tout cela je le fais pour l'Evangile" (1 Co 9, 23). C'est également ce que devrait pouvoir dire l'Eglise, chaque communauté ecclésiale, chaque évêque et chaque prêtre:  tout cela, je le fais pour l'Evangile. Chers frères et s½urs, priez pour nous, Pasteurs de l'Eglise, afin que, en assimilant quotidiennement la Parole de Dieu, nous puissions la transmettre fidèlement à nos frères. Mais nous aussi prions pour vous, tous les fidèles, car chaque chrétien est appelé par le baptême et la confirmation à annoncer le Christ lumière du monde, avec la parole et le témoignage de la vie. Que la Vierge Marie, Etoile de l'évangélisation, nous vienne en aide, pour mener à bien cette mission ensemble, et qu'intercède pour nous du ciel saint Paul, apôtre des nations. Amen.

 

 

 

 

 

 

6 janvier 2009 – Méditation de Benoit XVI lors de la prière de l’Angelus

     Nous célébrons aujourd'hui la solennité de l'Épiphanie, la "Manifestation" du Seigneur. L'Évangile raconte comment Jésus est venu au monde, dans une grande humilité et discrétion. Saint Matthieu raconte toutefois l'épisode des rois mages qui vinrent d'Orient, guidés par une étoile, pour rendre hommage au nouveau-né, roi des Juifs. Chaque fois que nous entendons ce récit, nous sommes touchés par le net contraste entre l'attitude des rois mages d'une part, et celle d'Hérode et des Juifs, de l'autre. L'Évangile dit en effet qu'en entendant les paroles des rois mages, "le roi Hérode fut pris d'inquiétude, et tout Jérusalem avec lui" (Mt 2, 3). Une réaction qui peut être comprise de différentes manières : Hérode est inquiet car il voit en celui que les rois mages recherchent, un concurrent pour lui-même et pour ses fils. Les chefs et les habitants de Jérusalem, en revanche, semblent plutôt stupéfaits, comme réveillés d'une certaine torpeur et ayant besoin de réfléchir. Isaïe avait en réalité annoncé : "Oui ! Un enfant nous est né, / un fils nous a été donné; / l'insigne du pouvoir est sur son épaule; / on proclame son nom : / Merveilleux-Conseiller, Dieu-Fort, / Père-à-jamais, Prince-de-la-Paix" (Is 9, 5).

     Pourquoi Jérusalem est-elle donc troublée ? Il semble que l'évangéliste veuille presque anticiper la position que prendront ensuite les grands prêtres et le sanhédrin, mais aussi celle du peuple, par rapport à Jésus durant sa vie publique. Il ressort, certainement, que la connaissance des Ecritures et des prophéties messianiques ne conduit pas toutes les personnes à s'ouvrir à Lui et à sa parole. On se souvient qu'à l'approche imminente de la passion, Jésus a pleuré sur Jérusalem car elle n'avait pas reconnu le temps où elle avait été visitée (cf. Lc 19, 44). Nous touchons ici un des points cruciaux de la théologie de l'histoire :  le drame de l'amour fidèle de Dieu dans la personne de Jésus qui "est venu chez les siens, / et les siens ne l'ont pas reçu" (Jn 1, 11). À la lumière de toute la Bible, cette attitude hostile, ambiguë, ou superficielle, représente celle de tout homme et du "monde" - au sens spirituel - quand il se ferme à l'esprit du vrai Dieu qui vient à notre rencontre avec la douceur désarmante de l'amour. Jésus, le "roi des Juifs" (cf. Jn 18, 37), est le Dieu de la miséricorde et de la fidélité; Il veut régner dans l'amour et dans la vérité et nous demande de nous convertir, d'abandonner les ½uvres mauvaises et de nous engager résolument sur la voie du bien.

     "Jérusalem" représente donc, en ce sens, chacun de nous ! Que la Vierge Marie, qui a accueilli Jésus avec foi, nous aide à ne pas fermer notre c½ur à son Évangile de salut. Laissons-nous plutôt conquérir et transformer par Lui, l'"Emmanuel", Dieu venu parmi nous pour nous donner sa paix et son amour.

 

 

 

 

1er décembre 2009 – Homélie de la Messe Commission Théologique Internationale  

Les paroles du Seigneur, que nous venons d'entendre dans le passage évangélique, constituent un défi pour nous théologiens, ou peut-être, pour mieux dire, une invitation à un examen de conscience: qu'est-ce que la théologie? Que sommes-nous, nous les théologiens? Comment bien faire de la théologie? Nous avons entendu que le Seigneur loue le Père, car il a caché le grand mystère du Fils, le mystère trinitaire, le mystère christologique, aux sages, aux savants — ceux-ci ne l'ont pas reconnu —, mais il l'a révélé aux petits, aux nèpioi, à ceux qui ne sont pas savants, qui n'ont pas une grande culture. C'est à eux qu'a été révélé ce grand mystère.

Avec ces mots, le Seigneur décrit simplement un fait de sa vie; un fait qui commence déjà au temps de sa naissance, lorsque les Rois mages d'Orient demandent à ceux qui sont compétents, aux scribes, aux exégètes le lieu de la naissance du Sauveur, du Roi d'Israël. Les scribes le savent, car ce sont de grands spécialistes; ils peuvent dire immédiatement où naît le Messie: à Bethléem! Mais ils ne se sentent pas invités à y aller: pour eux, cela reste une connaissance académique, qui ne touche pas leur vie; ils restent en dehors. Ils peuvent donner des informations, mais l'information ne devient pas formation de leur propre vie.

Ensuite, au cours de toute la vie publique du Seigneur, nous trouvons la même chose. Il est impossible aux savants de comprendre que cet homme qui n'est pas savant, galiléen, puisse être réellement le Fils de Dieu. Il reste inacceptable pour eux que Dieu, le grand, l'unique, le Dieu du ciel et de la terre, puisse être présent chez cet homme. Tous savent, connaissent également Isaïe 53, toutes les grandes prophéties, mais le mystère reste caché. Il est en revanche révélé aux petits, à commencer par la Vierge, jusqu'aux pêcheurs du lac de Galilée. Ils reconnaissent, de même que le capitaine romain sous la croix reconnaît: celui-ci est le Fils de Dieu!

Les faits essentiels de la vie de Jésus n'appartiennent pas seulement au passé, mais sont présents, de manière différente, dans toutes les générations. Et ainsi, à notre époque également, au cours des deux cents dernières années, nous observons la même chose. Il y a de grands sages, de grands spécialistes, de grands théologiens, des maîtres de la foi, qui nous ont enseigné de nombreuses choses. Ils ont pénétré dans les détails de l'Ecriture Sainte, de l'histoire du salut, mais ils n'ont pas pu voir le mystère lui-même, le véritable noyau: que Jésus était réellement le Fils de Dieu, que le Dieu trinitaire entre dans notre histoire, à un moment historique déterminé, dans un homme comme nous. L'essentiel est resté caché! On pourrait facilement citer de grands noms de l'histoire de la théologie de ces deux cents ans, dont nous avons beaucoup appris, mais le mystère ne s'est pas ouvert aux yeux de leur c½ur.

En revanche, il y a aussi à notre époque des petits qui ont connu ce mystère. Nous pensons à sainte Bernadette Soubirous; à sainte Thérèse de Lisieux, avec sa nouvelle lecture de la Bible « non scientifique », mais qui entre dans le c½ur de l'Ecriture Sainte; jusqu'aux saints et bienheureux de notre époque: sainte Joséphine Bakhita, la bienheureuse Teresa de Calcutta, saint Damien de Veuster. Nous pourrions en citer tant!

Mais de tout cela naît la question: pourquoi en est-il ainsi? Le christianisme est-il la religion des sots, des personnes sans culture, non formées? La foi s'éteint-elle là où la raison se réveille? Comment cela s'explique-t-il? Peut-être devons-nous encore une fois regarder l'histoire. Ce que Jésus a dit, ce que l'on peut observer au cours de tous les siècles, reste vrai. Mais il y a toutefois une « espèce » de petits qui sont également savants. Sous la croix se trouve la Vierge, l'humble servante de Dieu et la grande femme illuminée par Dieu. Et il y a également Jean, pêcheur du lac de Galilée, mais c'est ce Jean qui sera justement appelé par l'Eglise « le théologien », car il a réellement su voir le mystère de Dieu et l'annoncer: avec un ½il d'aigle, il est entré dans la lumière inaccessible du mystère divin. Ainsi, après sa résurrection également, le Seigneur, sur le chemin de Damas, touche le c½ur de Saul, qui est l'un des savants qui ne voient pas. Lui-même, dans la première Lettre à Timothée, se définit « ignorant » à cette époque, malgré sa science. Mais le Ressuscité le touche: il devient aveugle et, dans le même temps, il devient réellement voyant, il commence à voir. Le grand sage devient un petit, et c'est précisément pour cela qu'il voit la folie de Dieu qui est sagesse, une sagesse plus grande que toutes les sagesses humaines.

Nous pourrions continuer à lire toute l'histoire de cette manière. Une dernière observation encore. Ces sages savants, sofòi et sinetòi, dans la première lecture, apparaissent d'une autre manière. Ici sofìa et sìnesis sont des dons de l'Esprit Saint qui reposent sur le Messie, sur le Christ. Qu'est-ce que cela signifie? Il apparaît qu'il existe un double usage de la raison et une double façon d'être sages ou petits. Il y a une manière d'utiliser la raison qui est autonome, qui se place au-dessus de Dieu, dans tout l'éventail des sciences, en commençant par les sciences naturelles, où une méthode adaptée pour la recherche de la matière est universalisée: Dieu n'a rien à voir dans cette méthode, donc Dieu y est absent. Et, enfin, il en est également de même en théologie: on pêche dans les eaux de l'Ecriture Sainte avec un filet qui ne permet de prendre que des poissons d'une certaine taille; tout ce qui dépasse cette taille ne peut pas entrer dans le filet et donc ne peut pas exister. Ainsi, le grand mystère de Jésus, du Fils qui s'est fait homme, se réduit à un Jésus historique: une figure tragique, un fantôme sans chair ni os, un homme qui est resté dans le sépulcre, qui s'est corrompu et qui est réellement mort. La méthode sait « attraper » certains poissons, mais exclut le grand mystère, car l'homme se fait lui-même la mesure: il a cette prétention, qui dans le même temps est une grande sottise, car elle rend absolues certaines méthodes qui ne sont pas adaptées aux grandes réalités; elle s'inscrit dans cet esprit académique que nous avons vu chez les scribes, qui répondent aux Rois mages: cela ne me concerne pas; je reste enfermé dans mon existence, qui n'est pas touchée. C'est la spécialisation qui voit tous les détails, mais qui ne voit plus la totalité.

Et il y a l'autre manière d'utiliser la raison, d'être sages, celle de l'homme qui reconnaît qui il est; et qui reconnaît sa propre mesure et la grandeur de Dieu, en s'ouvrant dans l'humilité à la nouveauté de l'action de Dieu. Ainsi, précisément en acceptant sa propre petitesse, en se faisant petit comme il l'est réellement, il arrive à la vérité. De cette manière, la raison aussi peut exprimer toutes ses possibilités, elle n'est pas éteinte, mais elle s'élargit, elle devient plus grande. Il s'agit d'une autre sofìa et sìnesis, qui n'exclut pas du mystère, mais qui est précisément communion avec le Seigneur dans lequel reposent savoir et sagesse, et leur vérité.

En ce moment, nous voulons prier pour que le Seigneur nous donne la véritable humilité. Qu'il nous donne la grâce d'être petits pour pouvoir être réellement sages; qu'il nous illumine, qu'il nous fasse voir son mystère de la joie de l'Esprit Saint, qu'il nous aide à être de véritables théologiens, qui puissent annoncer son mystère car ils ont été touchés dans la profondeur de leur c½ur, de leur existence. Amen.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2010

 

6 janvier 2010 – Homélie de la Messe

Aujourd'hui, solennité de l'Epiphanie, la grande lumière qui rayonne de la Grotte de Bethléem, à travers les mages venus de l'Orient, inonde toute l'humanité. La première lecture, tirée du Livre du prophète Isaïe, et le passage de l'Evangile de Matthieu, que nous venons d'écouter, placent l'une à côté de l'autre la promesse et son accomplissement, dans cette tension particulière que l'on trouve lorsqu'on lit successivement des passages de l'Ancien et du Nouveau Testament. Voilà qu'apparaît devant nous la splendide vision du prophète Isaïe qui, après les humiliations subies par le peuple d'Israël de la part des puissances de ce monde, voit le moment où la grande lumière de Dieu, apparemment sans pouvoir et incapable de protéger son peuple, apparaîtra sur toute la terre, si bien que les rois des nations s'inclineront face à lui, viendront de tous les confins de la terre et déposeront à ses pieds leurs trésors les plus précieux. Et le c½ur du peuple frémira de joie.

Par rapport à cette vision, celle que nous présente l'évangéliste Matthieu apparaît pauvre et humble:  il nous semble impossible d'y reconnaître l'accomplissement des paroles du prophète Isaïe. En effet, ce ne sont pas les puissants et les rois de la terre qui arrivent à Bethléem, mais des mages, des personnages inconnus, peut-être considérés avec méfiance, qui ne sont en tous les cas pas dignes d'une attention particulière. Les habitants de Jérusalem sont informés de ce qui s'est passé, mais ils ne considèrent pas nécessaire de se déranger et, même à Bethléem, il ne semble pas que quelqu'un se soucie de la naissance de cet Enfant, appelé par les mages Roi des Juifs, ou de ces hommes de l'Orient venus lui rendre visite. Peu après, en effet, lorsque le roi Hérode fera comprendre qui détient effectivement le pouvoir, obligeant la sainte Famille à fuir en Egypte et offrant une preuve de sa cruauté avec le massacre des innocents (cf. Mt 2, 13-18), l'épisode des mages semble être effacé et oublié. Et il est donc compréhensible que le c½ur et l'âme des croyants de tous les siècles soient davantage attirés par la vision du prophète, plutôt que par le sobre récit de l'évangéliste, comme l'attestent également les représentations de cette visite dans nos crèches, où apparaissent les chameaux, les dromadaires, les rois puissants de ce monde qui s'agenouillent devant l'Enfant et déposent leurs dons à ses pieds dans des écrins précieux. Mais il faut prêter une plus grande attention à ce que les deux textes nous transmettent.

En réalité, qu'a vu Isaïe avec son regard prophétique? En un seul instant, il aperçoit une réalité destinée à marquer toute l'histoire. Mais l'événement que Matthieu nous rapporte n'est pas non plus un bref épisode négligeable, qui se termine avec le retour en hâte des mages dans leurs terres. Au contraire, il s'agit d'un commencement. Ces personnages provenant de l'Orient ne sont pas les derniers, mais les premiers de la grande procession de ceux qui, à travers toutes les époques de l'histoire, savent reconnaître le message de l'étoile, savent marcher sur les routes indiquées par l'Ecriture Sainte et savent ainsi trouver Celui qui en apparence est faible et fragile, mais qui, en revanche, a le pouvoir de donner la joie la plus grande et la plus profonde au c½ur de l'homme. En Lui, en effet, se manifeste la réalité merveilleuse que Dieu nous connaît et qu'il est proche de nous, que sa grandeur et sa puissance ne s'expriment pas dans la logique du monde, mais dans la logique d'un enfant sans défense, dont la seule force est celle de l'amour qui se confie à nous. Sur le chemin de l'histoire, il y a toujours des personnes qui sont illuminées par la lumière de l'étoile, qui trouvent la route et parviennent à Lui. Toutes vivent, chacune à sa façon, l'expérience même des mages.

Ils ont apporté de l'or, de l'encens et de la myrrhe. Ce ne sont certainement pas des dons qui répondent aux nécessités premières ou quotidiennes. A ce moment-là, la sainte Famille aurait certainement eu davantage besoin de quelque chose d'autre que de l'encens et de la myrrhe, et même l'or ne pouvait pas lui être immédiatement utile. Mais ces dons ont également une profonde signification:  ils sont un acte de justice. En effet, selon la mentalité qui régnait à cette époque en Orient, ils représentent la reconnaissance d'une personne comme Dieu et Roi:  ils sont donc un acte de soumission. Ils veulent dire qu'à partir de ce moment, les donateurs appartiennent au souverain et reconnaissent son autorité. La conséquence qui en découle est immédiate. Les mages ne peuvent plus poursuivre leur route, ils ne peuvent plus retourner chez Hérode, ils ne peuvent plus être alliés avec ce souverain puissant et cruel. Ils ont été conduits pour toujours sur la route de l'Enfant, celle qui leur fera négliger les grands et les puissants de ce monde et les conduira à Celui qui nous attend parmi les pauvres, la route de l'amour qui seule peut transformer le monde.

Les mages ne se sont donc pas seulement mis en chemin, mais à partir de leur action quelque chose de nouveau a commencé, une nouvelle route a été tracée, une nouvelle lumière est descendue sur le monde, qui ne s'est pas éteinte. La vision du prophète se réalise, cette lumière ne peut plus être ignorée dans le monde:  les hommes iront vers cet Enfant et seront illuminés par la joie que Lui seul sait donner. La lumière de Bethléem continue à resplendir dans le monde entier. A ceux qui l'ont accueillie, saint Augustin rappelle:  "Nous aussi, en reconnaissant le Christ comme notre roi et prêtre mort pour nous, nous l'avons honoré comme si nous avions offert de l'or, de l'encens et de la myrrhe; il ne nous manque que d'en témoigner, en prenant une route différente de celle que nous avons empruntée pour venir" (Sermo 202. In Epiphania Domini, 3, 4).

Si nous lisons donc en même temps la promesse du prophète Isaïe et son accomplissement dans l'Evangile de Matthieu, dans le grand contexte de toute l'histoire, il apparaît évident que ce qui nous est dit, et que nous cherchons à reproduire dans la crèche, n'est pas un rêve ni même un vain jeu de sensations et d'émotions, privées de vigueur et de réalité, mais c'est la Vérité qui rayonne dans le monde, même si Hérode semble toujours être plus fort et que cet Enfant semble pouvoir être relégué au rang de ceux qui n'ont pas d'importance, ou même être piétiné. Mais ce n'est que dans cet Enfant que se manifeste la force de Dieu, qui rassemble les hommes de tous les siècles, car sous sa domination ils parcourent la route de l'amour, qui transfigure le monde. Toutefois, même si les quelques personnes de Bethléem sont devenues nombreuses, les croyants en Jésus Christ semblent toujours être peu nombreux. Beaucoup de personnes ont vu l'étoile, mais seules quelques-unes en ont compris le message. Les experts de l'Ecriture de l'époque de Jésus connaissaient parfaitement la Parole de Dieu. Ils étaient en mesure de dire sans aucune difficulté ce qu'on pouvait trouver dans celle-ci à propos du lieu où le Messie devait naître, mais, comme le dit saint Augustin:  "Il leur est arrivé comme aux pierres milliaires (qui indiquent la route):  tout en donnant des indications aux voyageurs en chemin, ils sont eux-mêmes restés inertes et immobiles" (Sermo 199. In Epiphania Domini, 1, 2).

Nous pouvons alors nous demander:  quelle est la raison pour laquelle certains voient et trouvent et d'autres pas? Qu'est-ce qui ouvre les yeux et le c½ur? Qu'est-ce qui manque à ceux qui sont indifférents, à ceux qui indiquent la route mais qui ne bougent pas? Nous pouvons répondre:  trop d'assurance en eux-mêmes, la prétention de connaître parfaitement la réalité, la présomption d'avoir déjà formulé un jugement définitif sur les choses rend leurs c½urs fermés et insensibles à la nouveauté de Dieu. Ils sont sûrs de l'idée qu'ils se sont faite du monde et ne se laissent plus bouleverser au plus profond d'eux-mêmes par l'aventure d'un Dieu qui veut les rencontrer. Ils placent leur confiance davantage en eux-mêmes qu'en Lui et ne considèrent pas possible que Dieu soit grand au point de pouvoir se faire tout petit, de pouvoir vraiment s'approcher de nous.

A la fin, ce qui manque, c'est l'humilité authentique, qui sait se soumettre à ce qui est plus grand, mais également le courage authentique, qui conduit à croire à ce qui est vraiment grand, même si cela se manifeste dans un Enfant sans défense. Il manque la capacité évangélique d'être des enfants dans son c½ur, de s'émerveiller, et de sortir de soi pour se mettre en route sur le chemin que l'étoile indique, le chemin de Dieu. Mais le Seigneur a le pouvoir de nous rendre capables de voir et de nous sauver. Nous voulons alors Lui demander de nous donner un c½ur sage et innocent, qui nous permette de voir l'étoile de sa miséricorde, de nous mettre en route sur son chemin, pour le trouver et être inondés par la grande lumière et par la joie véritable qu'il a apportée dans ce monde. Amen!

 

 

 

6 janvier 2010 – Méditation de Benoit XVI lors de la prière de l’Angelus

     Nous célébrons aujourd'hui la grande fête de l'Épiphanie, le mystère de la Manifestation du Seigneur à tous les païens, représentés par les mages, venus de l'Orient pour adorer le Roi des Juifs (cf. Mt 2, 1-2). Saint Matthieu, qui raconte l'événement, souligne qu'ils arrivèrent jusqu'à Jérusalem en suivant une étoile, repérée dès sa naissance et interprétée comme le signe de la naissance du Roi annoncé par les prophètes, c'est-à-dire du Messie. Mais arrivés à Jérusalem, les mages eurent besoin des indications des prêtres et des scribes pour connaître exactement le lieu où ils voulaient se rendre, c'est-à-dire Bethléem, la ville de David (cf. Mt 2, 5-6 ; Mi 5, 1). L'étoile et les Saintes Écritures furent les deux lumières qui guidèrent le chemin des mages, qui nous apparaissent comme le modèle des chercheurs authentiques de la vérité.

     Ces derniers étaient des savants, qui scrutaient les astres et connaissaient l'histoire des peuples. Ils étaient des hommes de science au sens large, qui observaient l'univers, le considérant comme une sorte de grand livre empli de signes et de messages divins pour l'homme. Leur savoir, pourtant, loin de se considérer comme autosuffisant, était ouvert à des révélations ultérieures et à des appels divins. En effet, ils n'ont pas honte de demander des instructions aux chefs religieux des Juifs. Ils auraient pu dire :  faisons cela tous seuls, nous n'avons besoin de personne, évitant, selon notre mentalité actuelle, toute "contamination" entre la science et la Parole de Dieu. Au contraire, les mages écoutent les prophéties et les accueillent ; et à peine se remettent-ils en chemin vers Bethléem qu'ils voient de nouveau l'étoile, comme une confirmation de l'harmonie parfaite entre la recherche humaine et la Vérité divine, une harmonie qui remplit de joie leurs c½urs de savants authentiques (cf. Mt 2, 10). Le sommet de leur itinéraire de recherche fut quand ils se trouvèrent devant "l'enfant avec Marie sa mère" (Mt 2, 11). L'Évangile dit que "se prosternant, ils lui rendirent hommage". Ils auraient pu être déçus, voire scandalisés. Au contraire, en véritables savants, ils sont ouverts au mystère qui se manifeste de manière surprenante ; et par leurs dons symboliques, ils démontrent reconnaître en Jésus le Roi et le Fils de Dieu. C'est par ce geste que s'accomplissent les oracles messianiques qui annoncent l'hommage des nations au Dieu d'Israël.

     Un dernier détail confirme, chez les mages, l'unité entre l'intelligence et la foi:  c'est le fait qu'"avertis en songe de ne point retourner chez Hérode, ils prirent une autre route pour rentrer dans leur pays" (Mt 2, 12). Il aurait été naturel de retourner à Jérusalem, dans le palais d'Hérode et dans le Temple, pour donner un éclat à leur découverte. Au contraire, les mages, qui ont choisi l'Enfant comme leur souverain, le protègent en cachette, selon le style de Marie ou mieux, de Dieu lui-même et, tout comme ils étaient apparus, ils disparaissent en silence, satisfaits, mais aussi transformés par la rencontre avec la Vérité. Ils ont découvert un nouveau visage de Dieu, une nouvelle royauté : celle de l'amour. Que la Vierge Marie, modèle de sagesse véritable, nous aide à être des chercheurs authentiques de la vérité de Dieu, capables de vivre toujours la profonde harmonie qui existe entre raison et foi, science et révélation.

 

 

 

 

2011

 

 

6 janvier 2011 – Homélie de la Messe

En la solennité de l’Epiphanie, l’Eglise continue à contempler et à célébrer le mystère de la naissance de Jésus sauveur. La fête d’aujourd’hui souligne en particulier la destination et la signification universelles de cette naissance. Se faisant homme dans le sein de Marie, le Fils de Dieu est venu non seulement pour le peuple d’Israël, représenté par les pasteurs de Bethléem, mais également pour l’humanité tout entière, représentée par les Mages. Et c’est précisément sur les Mages et sur leur chemin à la recherche du Messie (cf. Mt 2, 1-12) que l’Eglise nous invite aujourd’hui à méditer et à prier. Dans l’Evangile, nous avons entendu que ces derniers, arrivés de l’Orient à Jérusalem, demandent: «Où est le roi des juifs qui vient de naître? Nous avons vu se lever son étoile et nous sommes venus nous prosterner devant lui» (v. 2). Quel genre de personnes étaient-ils et de quelle sorte d’étoile s’agissait-il? C’était probablement des sages qui scrutaient le ciel, mais non pour chercher à «lire» l’avenir dans les astres, ou éventuellement pour en tirer un profit; c’était plutôt des hommes «à la recherche» de quelque chose de plus, à la recherche de la véritable lumière, qui soit en mesure d’indiquer la voie à parcourir dans la vie. C’était des personnes assurées que dans la création, il existe ce que nous pourrions définir la «signature» de Dieu, une signature que l’homme peut et doit tenter de découvrir et déchiffrer. La manière de mieux connaître ces Mages et de comprendre leur désir de se laisser guider par les signes de Dieu est peut-être de s’arrêter pour analyser ce qu’ils trouvent, sur leur chemin, dans la grande ville de Jérusalem.

Ils rencontrèrent tout d’abord le roi Hérode. Il était certainement intéressé par l’enfant dont parlaient les Mages; mais pas dans le but de l’adorer, comme il veut le laisser croire en mentant, mais pour le supprimer. Hérode était un homme de pouvoir, qui ne voyait dans l’autre qu’un rival à combattre. Au fond, si nous réfléchissons bien, Dieu aussi lui apparaît comme un rival, et même un rival particulièrement dangereux, qui voudrait priver les hommes de leur espace vital, de leur autonomie, de leur pouvoir; un rival qui indique la route à parcourir dans la vie et qui empêche ainsi de faire tout ce que l’on veut. Hérode entend de ses experts en Ecritures Saintes les paroles du prophète Michée (5, 1), mais son unique pensée est le trône. Alors, Dieu lui-même doit être voilé et les personnes doivent se réduire à être de simples pions à déplacer sur le grand échiquier du pouvoir. Hérode est un personnage qui ne nous est pas sympathique et que nous jugeons instinctivement de façon négative en raison de sa brutalité. Mais nous devrions nous demander: peut-être existe-t-il quelque chose d’Hérode en nous? Peut-être nous aussi, parfois, voyons-nous Dieu comme une sorte de rival? Peut-être nous aussi sommes-nous aveugles devant ses signes, sourds à ses paroles, parce que nous pensons qu’il pose des limites à notre vie et ne nous permet pas de disposer de notre existence à notre gré? Chers frères et soeurs, quand nous voyons Dieu de cette manière, nous finissons par être insatisfaits et mécontents, car nous ne nous laissons pas guider par Celui qui est à la base de toutes les choses. Nous devons ôter de notre esprit et de notre coeur l’idée de la rivalité, l’idée que laisser place à Dieu constitue une limite pour nous-mêmes; nous devons nous ouvrir à la certitude que Dieu est l’amour tout-puissant qui n’ôte rien, qui ne menace pas, et qui est au contraire l’Unique capable de nous offrir la possibilité de vivre en plénitude, d’éprouver la vraie joie.

Les Mages rencontrent ensuite les savants, les théologiens, les experts qui savent tout sur les Saintes Ecritures, qui en connaissent les interprétations possibles, qui sont capables d’en citer par c½ur chaque passage et qui sont donc une aide précieuse pour ceux qui veulent parcourir la voie de Dieu. Toutefois, affirme saint Augustin, ils aiment être des guides pour les autres, ils indiquent la voie, mais ils ne marchent pas, ils restent immobiles. Pour eux, les Saintes Ecritures deviennent une sorte d’atlas à lire avec curiosité, un ensemble de paroles et de concepts à examiner et sur lesquels discuter doctement. Mais nous pouvons à nouveau nous demander: n’existe-t-il pas aussi en nous la tentation de considérer les Saintes Ecriture, ce trésor très riche et vital pour la foi de l’Eglise, davantage comme un objet d’étude et de discussion des spécialistes, que comme le Livre qui indique la juste voie pour parvenir à la vie? Je pense que, comme je l’ai exposé dans l’exhortation apostolique Verbum Domini, devrait toujours à nouveau naître en nous la profonde disposition à voir la parole de la Bible, lue dans la Tradition vivante de l’Eglise (n. 18), comme la vérité qui nous dit ce qu’est l’homme et comment il peut se réaliser pleinement, la vérité qui est la voie à parcourir quotidiennement, avec les autres, si nous voulons construire notre existence sur le roc et non sur le sable.

Et nous en venons ainsi à l’étoile. Quel type d’étoile était celle que les Mages ont vue et suivie? Au cours des siècles, cette question a été l’objet de discussion entre les astronomes. Kepler, par exemple, considérait qu’ils s’agissait d’une «nova» ou d’une «supernova», c’est-à-dire de l’une de ces étoiles qui normalement diffusent une faible lumière, mais qui peuvent à l’improviste connaître une violente explosion interne qui produit une lumière exceptionnelle. Ce sont assurément des choses intéressantes, mais qui ne nous conduisent pas à ce qui est essentiel pour comprendre cette étoile. Nous devons revenir au fait que ces hommes cherchaient les traces de Dieu; ils cherchaient à lire sa «signature» dans la création; ils savaient que «les cieux proclament la gloire de Dieu» (Ps 19, 2); c’est-à-dire qu’ils étaient certains que Dieu peut être entrevu dans la création. Mais, en hommes sages, ils savaient également que ce n’est pas avec un télescope quelconque, mais avec l’acuité des yeux de la raison à la recherche du sens ultime de la réalité et avec le désir de Dieu animé par la foi, qu’il est possible de le rencontrer, ou mieux qu’il devient possible que Dieu s’approche de nous. L’univers n’est pas le résultat du hasard, comme certains veulent nous le faire croire. En le contemplant, nous sommes invités à y lire quelque chose de profond: la sagesse du Créateur, l’inépuisable imagination de Dieu, son amour infini pour nous. Nous ne devrions pas permettre que notre esprit soit limité par des théories qui n’arrivent toujours qu’à un certain point et qui — à tout bien considérer — ne sont pas du tout en opposition avec la foi, mais ne réussissent pas à expliquer le sens ultime de la réalité. Dans la beauté du monde, dans son mystère, dans sa grandeur et dans sa rationalité, nous ne pouvons que lire la rationalité extérieure, et nous ne pouvons manquer de nous laisser guider par celle-ci jusqu’à l’unique Dieu, créateur du ciel et de la terre. Si nous avons ce regard, nous verrons que Celui qui a créé le monde et celui qui est né dans une grotte à Bethléem et qui continue à habiter parmi nous dans l’Eucharistie, sont le même Dieu vivant, qui nous interpelle, qui nous aime, qui veut nous conduire à la vie éternelle.

Hérode, les experts en Ecritures, l’étoile. Mais suivons le chemin des Mages qui parviennent à Jérusalem. Au dessus de la grande ville, l’étoile disparaît, on ne la voit plus. Qu’est-ce que cela signifie? Dans ce cas aussi, nous devons lire le signe en profondeur. Pour ces hommes, il était logique de chercher le nouveau roi dans le palais royal, où se trouvaient les sages conseillers de la cour. Mais, probablement à leur grand étonnement, ils durent constater que ce nouveau-né ne se trouvait pas dans les lieux du pouvoir et de la culture, même si dans ces lieux leur étaient offertes de précieuses informations sur lui. Ils se rendirent compte en revanche que, parfois, le pouvoir, même celui de la connaissance, barre la route à la rencontre avec cet Enfant. L’étoile les guida alors à Bethléem, une petite ville; elle les guida parmi les pauvres, parmi les humbles, pour trouver le Roi du monde. Les critères de Dieu sont différents de ceux des hommes; Dieu ne se manifeste pas dans la puissance de ce monde, mais dans l’humilité de son amour, cet amour qui demande à notre liberté d’être accueilli pour nous transformer et nous permettre d’arriver à Celui qui est l’Amour. Mais pour nous aussi les choses ne sont pas si différentes que ce qu’elles étaient pour les Mages. Si on nous demandait notre avis sur la façon dont Dieu aurait dû sauver le monde, peut-être répondrions-nous qu’il aurait dû manifester tout son pouvoir pour donner au monde un système économique plus juste, dans lequel chacun puisse avoir tout ce qu’il veut. En réalité, cela serait une sorte de violence sur l’homme, car cela le priverait d’éléments fondamentaux qui le caractérisent. En effet, il ne serait fait appel ni à notre liberté, ni à notre amour. La puissance de Dieu se manifeste de manière complètement différente: à Bethléem, où nous rencontrons l’apparente impuissance de son amour. Et c’est là que nous devons aller, et c’est là que nous retrouvons l’étoile de Dieu.

Ainsi nous apparaît très clairement un dernier élément important de l’épisode des Mages: le langage de la création nous permet de parcourir un bon bout de chemin vers Dieu, mais il ne nous donne pas la lumière définitive. A la fin, pour les Mages, il a été indispensable d’écouter la voix des Saintes Ecritures: seules celles-ci pouvaient leur indiquer la voie. La Parole de Dieu est la véritable étoile qui, dans l’incertitude des discours humains, nous offre l’immense splendeur de la vérité divine. Chers frères et s½urs, laissons-nous guider par l’étoile, qui est la Parole de Dieu, suivons-la dans notre vie, en marchant avec l’Eglise, où la Parole a planté sa tente. Notre route sera toujours illuminée par une lumière qu’aucun autre signe ne peut nous donner. Et nous pourrons nous aussi devenir des étoiles pour les autres, reflet de cette lumière que le Christ a fait resplendir sur nous. Amen.

 

6 janvier 2011 – Méditation de Benoit XVI lors de la prière de l’Angelus

     Nous avons célébré dans la Basilique la fête de l'Épiphanie — veuillez excuser mon retard —, Épiphanie signifie manifestation de Jésus à tous les peuples, représentés aujourd’hui par les Mages, qui arrivèrent à Bethléem de l'Orient pour rendre hommage au Roi des Juifs dont ils avaient appris la naissance par l'apparition d'une nouvelle étoile dans le ciel (cf. Mt 2, 1-12). En effet, avant l'arrivée des Mages, la connaissance de cet événement avait peu dépassé le cercle familial : outre Marie et Joseph, et probablement d'autres proches, il était connu des pasteurs de Bethléem qui, ayant entendu l'annonce joyeuse, avaient accouru pour voir l'enfant alors qu'il se trouvait encore dans la mangeoire. La venue du Messie, celui qui était attendu par les peuples et que les Prophètes avaient prédit, demeurait ainsi au début caché. Jusqu'à ce que ces mystérieux personnages, les Mages, arrivent précisément à Jérusalem pour demander des nouvelles du « roi des Juifs », né depuis peu. Évidemment, s'agissant d'un roi, ils se rendirent au palais royal où résidait Hérode. Mais celui-ci ne savait rien de cette naissance et, très préoccupé, il convoqua immédiatement les prêtres et les scribes qui, sur la base de la célèbre prophétie de Michée (cf. 5, 1), affirmèrent que le Messie devait naître à Bethléem. Et en effet, repartis dans cette direction, les Mages virent de nouveau l'étoile qui les guida jusqu'au lieu où se trouvait Jésus. Une fois entrés, ils se prosternèrent et l'adorèrent, lui offrant des dons symboliques: de l'or, de l'encens et de la myrrhe. Voilà l'épiphanie, la manifestation : la venue et l'adoration des Mages est le premier signe de l'identité singulière du fils de Dieu qui est aussi l'enfant de la Vierge Marie. Dès lors commença à se diffuser la question qui accompagnera toute la vie du Christ et qui, de diverses manières, traverse les siècles : qui est ce Jésus ?

     Chers amis, c'est la question que l'Église veut susciter dans le c½ur de tous les hommes : qui est Jésus ? C'est le souci spirituel qui pousse la mission de l'Église : faire connaître Jésus, son Évangile, pour que chaque homme puisse découvrir sur son visage humain le visage de Dieu, et être éclairé par son mystère d'amour. L'Épiphanie préannonce l'ouverture universelle de l'Église, son appel à évangéliser tous les peuples. Mais l'Épiphanie nous dit aussi de quelle manière l'Église réalise cette mission : en reflétant la lumière du Christ et en annonçant sa Parole. Les chrétiens sont appelés à imiter le service que rendit l'étoile aux Mages. Nous devons resplendir comme des enfants de lumière, pour attirer le monde à la beauté du Royaume de Dieu. Et à tous ceux qui cherchent la vérité, nous devons offrir la Parole de Dieu qui conduit à reconnaître Jésus « le Dieu véritable et la Vie éternelle » (1 Jn 5, 20).

     Encore une fois, nous ressentons en nous une profonde reconnaissance pour Marie, la Mère de Jésus. Elle est l'image parfaite de l'Église qui donne au monde la lumière du Christ: elle est l'Étoile de l'évangélisation. Respice Stellam, nous dit saint Bernard : regarde l'Étoile, toi qui cherches la vérité et la paix ; tourne ton regard vers Marie et Elle te montrera Jésus, lumière pour chaque homme et pour tous les peuples.

 

 

 

 

 

2012

 

 

6 janvier 2012 – Homélie de la Messe

     L’Épiphanie est une fête de la lumière. « Debout ! [Jérusalem] Rayonne ! Car voici ta lumière et sur toi se lève la gloire du Seigneur » (Is 60,1). Avec ces paroles du prophète Isaïe, l’Église décrit le contenu de la fête. Oui, Il est venu dans le monde Celui qui est la vraie Lumière, Celui qui rend les hommes lumière. Il leur donne le pouvoir de devenir enfants de Dieu (cf. Jn 1,9.12). Le voyage des Mages d’Orient est pour la liturgie le début seulement d’une grande procession qui continue tout au long de l’histoire. Avec ces hommes commence le pèlerinage de l’humanité vers Jésus-Christ – vers ce Dieu qui est né dans une étable ; qui est mort sur la croix et qui depuis sa résurrection demeure avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde (cf. Mt 28,20). L’Église lit le récit de l’Évangile de Matthieu avec celui de la vision du prophète Isaïe, que nous avons écouté dans la première lecture : le voyage de ces hommes est seulement un commencement. D’abord étaient venus les bergers – des âmes simples qui demeuraient au plus près du Dieu fait petit enfant et qui pouvaient aller vers Lui plus facilement (cf. Lc 2,15) et Le reconnaître comme Seigneur. Mais maintenant, viennent aussi les sages de ce monde. Viennent les grands et les petits, les rois et les serviteurs, les hommes de toutes les cultures et de tous les peuples. Les hommes d’Orient sont les premiers, suivis par tant d’autres, tout au long des siècles. Après la grande vision d’Isaïe, la lecture tirée de la lettre aux Éphésiens exprime la même réalité d’une façon sobre et simple : les païens partagent le même héritage (cf. Ep 3,6). Le Psaume 2 l’avait exprimé ainsi : « Je te donne les nations pour héritage et pour domaine les extrémités de la terre » (Ps 2,8).

     Les Mages d’Orient précèdent. Ils inaugurent la marche des peuples vers le Christ. Durant cette Messe je confèrerai l’Ordination épiscopale à deux prêtres, je les consacrerai Pasteurs du peuple de Dieu. Selon les paroles de Jésus, précéder le troupeau fait partie de la charge du Pasteur (Jn 10,4). Donc, dans ces personnages qui comme les premiers païens trouvèrent le chemin vers le Christ, nous pouvons peut-être chercher – malgré toutes les différences de vocations ou de fonctions – des indications regardant la charge des Évêques. Quel genre d’hommes étaient-ils ? Les experts nous disent qu’ils appartenaient à la grande tradition de l’astronomie qui à travers les siècles s’était développée en Mésopotamie et y fleurissait encore. Cependant cette information seule ne suffit pas. Il y avait peut-être de nombreux astronomes dans la Babylone antique, mais seul ce petit nombre s’est mis en route et a suivi l’étoile en laquelle il avait reconnu l’étoile de la promesse, celle qui indique la route vers le vrai Roi et Sauveur. Ils étaient, pourrions-nous dire, des hommes de science, mais non seulement dans le sens où ils voulaient connaître beaucoup de choses : ils voulaient davantage. Ils voulaient comprendre ce qui compte dans l’être humain. Probablement avaient-ils entendu parler de la prophétie du prophète païen Balaam : « Un astre issu de Jacob devient chef et un sceptre se lève, issu d’Israël » (Nb 24,17). Ceux-ci approfondirent cette promesse. C’étaient des personnes au c½ur inquiet, qui ne se contentaient pas de ce qui paraît et est habituel. C’étaient des hommes à la recherche de la promesse, à la recherche de Dieu. Et c’étaient des hommes attentifs, capables de percevoir les signes de Dieu, son langage discret et insistant. Mais c’étaient encore des hommes à la fois courageux et humbles : nous pouvons imaginer qu’ils durent supporter quelques moqueries parce qu’ils s’étaient mis en route vers le Roi des Juifs, affrontant pour cela beaucoup de fatigue. Pour eux, ce que pensait d’eux celui-ci ou celui-là ou encore les personnes influentes ou intelligentes, n’était pas déterminant. Pour eux, ce qui comptait était la vérité elle-même, et non l’opinion des hommes. Pour cela ils affrontèrent les renoncements et les fatigues d’un voyage long et incertain. Ce fut leur courage humble qui leur permit de pouvoir s’incliner devant le petit enfant de gens pauvres et de reconnaître en Lui le Roi promis dont la recherche et la reconnaissance avait été le but de leur cheminement extérieur et intérieur.

     Chers amis, comment ne pas voir en tout cela quelques-uns des traits essentiels du ministère épiscopal ? L’Évêque lui aussi doit être un homme au c½ur inquiet qui ne se contente pas des choses habituelles de ce monde, mais suit l’inquiétude de son c½ur qui le pousse à s’approcher intérieurement toujours plus de Dieu, à chercher son Visage, à Le connaître toujours mieux, pour pouvoir l’aimer toujours plus. L’Évêque doit être lui aussi un homme au c½ur vigilant qui perçoit le langage discret de Dieu et sait discerner le vrai de l’apparent. L’Évêque encore doit être rempli du courage de l’humilité, qui ne s’interroge pas sur ce que peut dire de lui l’opinion dominante, mais tire son critère de mesure de la vérité de Dieu, et pour elle s’engage « opportune – importune » à temps et à contre-temps. Il doit être capable d’ouvrir et d’indiquer la route. Il doit marcher en avant, suivant Celui qui nous a tous précédés, parce qu’il est le vrai Pasteur, l’étoile véritable de la promesse : Jésus-Christ. Et il doit avoir l’humilité de s’incliner devant ce Dieu qui s’est rendu si concret et si simple qu’il contredit notre stupide orgueil, qui ne veut pas voir Dieu aussi proche et aussi petit. Il doit vivre l’adoration du Fils de Dieu fait homme, adoration qui lui indique toujours à nouveau la route.

     La liturgie de l’Ordination épiscopale interprète l’essentiel de ce ministère en huit questions posées aux candidats à l’ordination, qui commencent toujours par la parole : « Vultis ? – Voulez-vous ? ». Les questions orientent la volonté et lui indiquent la route à prendre. Je voudrais ici mentionner brièvement quelques unes des paroles-clés d’une telle orientation, dans lesquelles se concrétise ce sur quoi nous avons réfléchi peu auparavant à partir des Mages de la fête d’aujourd’hui. La charge des Évêques est de « predicare Evangelium Christi », « custodire » et « dirigere », « pauperibus se misericordes praebere », « indesinenter orare ». Annoncer l’Évangile de Jésus-Christ, précéder et conduire, garder le patrimoine sacré de notre foi, la miséricorde et la charité envers les plus nécessiteux et les pauvres en qui se reflète l’amour miséricordieux de Dieu pour nous et, pour finir, la prière continue sont des caractéristiques fondamentales du ministère épiscopal. La prière continue qui signifie ne jamais perdre contact avec Dieu, se laisser toujours toucher par Lui dans l’intime de notre c½ur et être ainsi envahis par sa lumière. Seul celui qui connaît Dieu personnellement peut guider les autres vers Dieu. Seul celui qui guide les hommes vers Dieu, les guide sur le chemin de la vie.

     Le c½ur inquiet, dont nous avons parlé en nous reportant à saint Augustin, est le c½ur qui, en fin de compte, ne se contente de rien de moins que de Dieu et, précisément ainsi, devient un c½ur qui aime. Notre c½ur est inquiet à l’égard de Dieu et il le reste, même si aujourd’hui on s’efforce, avec des « narcotiques » très efficaces, de libérer l’homme de cette inquiétude. Toutefois, ce n’est pas seulement nous, les êtres humains, qui sommes inquiets par rapport à Dieu. Le c½ur de Dieu est inquiet pour l’homme. Dieu nous attend. Il nous cherche. Il n’est pas tranquille lui non plus tant qu’il ne nous a pas trouvés. Le c½ur de Dieu est inquiet, et c’est pour cela qu’il s’est mis en chemin vers nous – vers Bethléem, vers le Calvaire, de Jérusalem à la Galilée et jusqu’aux confins du monde. Dieu est inquiet à notre égard, il est à la recherche de personnes qui se laissent gagner par son inquiétude, par sa passion pour nous. De personnes qui portent en elles la recherche qui est dans leur c½ur et, en même temps, qui se laissent toucher dans leur c½ur par la recherche de Dieu à notre égard. Chers amis, c’est la tâche des Apôtres d’accueillir l’inquiétude de Dieu à l’égard de l’homme et de porter Dieu lui-même aux hommes. Et c’est votre tâche sur les pas des Apôtres de vous laisser toucher par l’inquiétude de Dieu afin que le désir de Dieu à l’égard de l’homme puisse être satisfait.

     Les Mages ont suivi l’étoile. À travers le langage de la création, ils ont trouvé le Dieu de l’histoire. Certes, le langage de la création à lui-seul ne suffit pas. Seule la Parole de Dieu, que nous rencontrons dans la Sainte Écriture, pouvait leur indiquer de façon définitive la route. Création et Écriture, raison et foi doivent coexister pour nous conduire au Dieu vivant. On a beaucoup discuté sur le genre d’étoile qu’était celle qui avait guidé les Mages. On pense à une conjonction de planètes, à une Super nova, c’est-à-dire à une de ces étoiles au départ très faible en qui une explosion interne libère pendant un certain temps une immense splendeur, à une comète, etc. Que les savants continuent de discuter ! La grande étoile, la véritable Super nova qui nous guide, c’est le Christ lui-même. Il est, pour ainsi dire, l’explosion de l’amour de Dieu, qui fait resplendir sur le monde le grand éclat de son c½ur. Et nous pouvons ajouter : les Mages d’Orient dont parle l’Évangile d’aujourd’hui, de même que les saints en général, sont devenus eux-mêmes petit à petit des constellations de Dieu, qui nous indiquent la route. En toutes ces personnes, le contact avec la Parole de Dieu a, pour ainsi dire, provoqué une explosion de lumière, à travers laquelle la splendeur de Dieu illumine notre monde et nous indique la route. Les saints sont des étoiles de Dieu, par lesquelles nous nous laissons guider vers Celui auquel notre c½ur aspire. Chers amis, vous avez suivi l’étoile Jésus Christ, quand vous avez dit votre « oui » au sacerdoce et au ministère épiscopal. Et des étoiles mineures ont certainement brillé aussi pour vous, vous aidant à ne pas perdre la route. Dans les litanies des Saints, nous invoquons toutes ces étoiles de Dieu, afin qu’elles brillent toujours à nouveau pour vous et vous indiquent la route. En étant ordonnés Évêques, vous êtes appelés à être vous aussi étoiles de Dieu pour les hommes, à les guider sur la route vers la véritable lumière, vers le Christ. Prions donc à présent tous les Saints afin que vous puissiez toujours accomplir votre tâche et montrer aux hommes la lumière de Dieu.

 

 

 

6 janvier 2012 – Méditation de Benoit XVI lors de la prière de l’Angelus

     Aujourd’hui, en la solennité de l’Épiphanie du Seigneur, j’ai ordonné, dans la basilique Saint-Pierre, deux nouveaux évêques et ainsi pardonnez ce retard. Cette fête de l’Épiphanie est une fête très ancienne, qui a ses origines dans l’Orient chrétien et met en relief le mystère de la manifestation de Jésus Christ à tous les peuples, représentés par les Mages qui sont venus adorer le Roi des Juifs, qui vient de naître à Bethléem, comme le raconte l’Évangile de Matthieu (cf. 2, 1-12). Cette « lumière nouvelle » qui s’est allumée la nuit de Noël (cf. Préface de Noël 1), commence aujourd’hui à resplendir sur le monde, comme le suggère l’image de l’étoile, signe céleste qui a attiré l’attention des Mages et les a guidés dans leur voyage vers la Judée.

     Toute la période de Noël et de l’Épiphanie est caractérisée par le thème de la lumière, lié aussi au fait que, dans l’hémisphère Nord, après le solstice d’hiver, le jour recommence à s’allonger par rapport à la nuit. Mais, au-delà de leur position géographique, la parole du Christ vaut pour tous les peuples : « Je suis la Lumière du monde; qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie » (Jn 8, 12). Jésus est le soleil apparu à l’horizon de l’humanité pour éclairer l’existence personnelle de chacun de nous, et pour nous conduire tous ensemble vers le but de notre pèlerinage, vers la terre de la liberté et de la paix où nous vivrons pour toujours en pleine communion avec Dieu et entre nous.

     L’annonce de ce mystère de salut a été confié par le Christ à son Église. « Il vient d'être révélé maintenant à ses saints apôtres et prophètes, dans l'Esprit — écrit saint Paul — : les païens sont admis au même héritage, membres du même Corps, bénéficiaires de la même Promesse, dans le Christ Jésus, par le moyen de l'Évangile » (Ep 3, 5-6). L’invitation que le prophète Isaïe adressait à la cité sainte de Jérusalem peut être appliquée à l’Église : « Debout ! Resplendis ! car voici ta lumière, et sur toi se lève la gloire de Yahvé. Tandis que les ténèbres s'étendent sur la terre et l'obscurité sur les peuples, sur toi se lève Yahvé, et sa gloire sur toi paraît » (Is 60, 1-2). Et ainsi, comme le dit le Prophète : le monde et toutes ses ressources, n’est pas en mesure de donner à l’humanité la lumière qui oriente son chemin. Nous le constatons aussi de nos jours : la civilisation occidentale semble avoir perdu l’orientation, elle navigue à vue. Mais l’Église, grâce à la Parole de Dieu, voit à travers ces brouillards. Elle ne possède pas de solutions techniques, mais elle garde le regard tourné vers le but, et elle offre la lumière de l’Évangile à tous les hommes de bonne volonté, quelle que soit leur nation ou culture.

 

 

 

 

 

 

 

 

2013

 

 

 

6 janvier 2013 – Homélie de Benoit XVI lors de la Messe de l’Epiphanie

     Pour l’Église croyante et priante, les Mages d’Orient qui, sous la conduite de l’étoile, ont trouvé la route vers la crèche de Bethléem sont seulement le début d’une grande procession qui s’avance dans l’histoire. À cause de cela, la liturgie lit l’évangile qui parle du cheminement des Mages avec les splendides visions prophétiques d’Isaïe 60 et du Psaume 72, qui illustrent par des images audacieuses le pèlerinage des peuples vers Jérusalem. Comme les bergers qui, en tant que premiers hôtes auprès de l’Enfant nouveau-né couché dans la mangeoire, personnifient les pauvres d’Israël et, en général, les âmes humbles qui vivent intérieurement en étant très proches de Jésus, ainsi les hommes provenant de l’Orient personnifient le monde des peuples, l’Église des Gentils – les hommes qui à travers tous les siècles se mettent en marche vers l’Enfant de Bethléem, honorent en Lui le Fils de Dieu et se prosternent devant Lui. L’Église appelle cette fête « Épiphanie » – la manifestation du Divin. Si nous regardons le fait que, dès le début, les hommes de toute provenance, de tous les continents, de toutes les diverses cultures et de tous les divers modes de pensée et de vie ont été et sont en marche vers le Christ, nous pouvons vraiment dire que ce pèlerinage et cette rencontre avec Dieu dans la figure de l’Enfant est une Épiphanie de la bonté de Dieu et de son amour pour les hommes (cf. Tt 3, 4).

     Selon une tradition commencée par le Bienheureux Pape Jean-Paul II, nous célébrons aussi la fête de l’Épiphanie comme le jour de l’ordination épiscopale pour quatre prêtres qui, en des fonctions diverses, collaboreront désormais au Ministère du Pape pour l’unité de l’unique Église de Jésus Christ dans la pluralité des Églises particulières. Le lien entre cette ordination épiscopale et le thème du pèlerinage des peuples vers Jésus Christ est évident. En ce pèlerinage, l’évêque a la mission non seulement de marcher avec les autres, mais de précéder et d’indiquer la route. Dans cette liturgie, je voudrais toutefois réfléchir encore avec vous sur une question plus concrète. À partir de l’histoire racontée par Matthieu, nous pouvons certainement nous faire une certaine idée du type d’hommes qu’ont dû être ceux qui, en suivant le signe de l’étoile, se sont mis en route pour aller trouver ce Roi qui aurait fondé un nouveau type de royauté, non seulement pour Israël, mais aussi pour l’humanité entière. Quel genre d’hommes ceux-ci étaient-ils donc ? Et, à partir d’eux, demandons-nous aussi si, malgré la différence d’époque et de missions, on peut percevoir quelque chose de ce qu’est l’évêque et sur la façon dont il doit accomplir sa mission.

     Les hommes qui partirent alors vers l’inconnu étaient, en tout cas, des hommes au c½ur inquiet. Des hommes poussés par la recherche inquiète de Dieu et du salut du monde. Des hommes en attente qui ne se contentaient pas de leur revenu assuré et de leur position sociale peut-être reconnue. Ils étaient à la recherche de la réalité la plus grande. Ils étaient peut-être des hommes instruits qui avaient une grande connaissance des astres et qui probablement disposaient aussi d’une formation philosophique. Mais, ils ne voulaient pas seulement savoir beaucoup de choses. Ils voulaient savoir surtout l’essentiel. Ils voulaient savoir comment on peut réussir à être une personne humaine. Et c’est pourquoi, ils voulaient savoir si Dieu existe, où et comment il est. S’il prenait soin de nous et comment nous pouvons le rencontrer. Ils voulaient non seulement savoir. Ils voulaient reconnaître la vérité sur nous, sur Dieu et sur le monde. Leur pèlerinage extérieur était une expression de leur cheminement intérieur, du pèlerinage intérieur de leur c½ur. Ils étaient des hommes qui cherchaient Dieu et, en définitive, ils étaient en marche vers lui. Ils étaient des chercheurs de Dieu.

     Mais avec cela, nous arrivons à la question : comment doit être un homme à qui on impose les mains pour l’ordination épiscopale dans l’Église de Jésus Christ ? Nous pouvons dire : il doit être avant tout un homme dont l’intérêt est tourné vers Dieu, car c’est seulement alors qu’il s’intéresse vraiment aussi aux hommes. Nous pourrions aussi le dire en sens inverse : un évêque doit être un homme à qui les hommes tiennent à c½ur, un homme qui est touché par les situations des hommes. Il doit être un homme pour les autres. Toutefois, il peut l’être vraiment seulement s’il est un homme conquis par Dieu. Si pour lui, l’inquiétude pour Dieu est devenu une inquiétude pour sa créature, l’homme. Comme les Mages d’Orient, un évêque ne doit pas aussi être quelqu’un qui exerce seulement son métier et ne veut rien d’autre. Non, il doit être pris par l’inquiétude de Dieu pour les hommes. Il doit, pour ainsi dire, penser et sentir avec Dieu. Il n’est pas seulement l’homme qui porte en lui l’inquiétude innée pour Dieu, mais cette inquiétude est une participation à l’inquiétude de Dieu pour nous. Puisque Dieu est inquiet de nous, il nous suit jusque dans la mangeoire, jusqu’à la Croix. « En me cherchant, tu as peiné ; tu m’as sauvé par ta passion : qu’un tel effort ne soit pas vain », prie l’Église dans le Dies irae. L’inquiétude de l’homme pour Dieu et, à partir d’elle, l’inquiétude de Dieu pour l’homme ne doivent pas donner de repos à l’évêque. C’est cela que nous comprenons quand nous disons que l’évêque doit être d’abord un homme de foi. Car la foi n’est pas autre chose que le fait d’être intérieurement touché par Dieu, une condition qui nous conduit sur le chemin de la vie. La foi nous introduit dans un état où nous sommes pris par l’inquiétude de Dieu et fait de nous des pèlerins qui sont intérieurement en marche vers le vrai Roi du monde et vers sa promesse de justice, de vérité et d’amour. Dans ce pèlerinage, l’évêque doit précéder, il doit être celui qui indique aux hommes le chemin vers la foi, l’espérance et l’amour.

     Le pèlerinage intérieur de la foi vers Dieu s’effectue surtout dans la prière. Saint Augustin a dit un jour que la prière, en dernière analyse, ne serait autre chose que l’actualisation et la radicalisation de notre désir de Dieu. À la place de la parole “désir”, nous pourrions mettre aussi la parole “inquiétude” et dire que la prière veut nous arracher à notre fausse commodité, à notre enfermement dans les réalités matérielles, visibles et nous transmettre l’inquiétude pour Dieu, nous rendant ainsi ouverts et inquiets aussi les uns des autres. Comme pèlerin de Dieu, l’évêque doit être d’abord un homme qui prie. Il doit être en contact intérieur permanent avec Dieu ; son âme doit être largement ouverte vers Dieu. Il doit porter à Dieu ses difficultés et celles des autres, comme aussi ses joies et celles des autres, et établir ainsi, à sa manière, le contact entre Dieu et le monde dans la communion avec le Christ, afin que la lumière du Christ resplendisse dans le monde.

     Revenons aux Mages d’Orient. Ceux-ci étaient aussi et surtout des hommes qui avaient du courage, le courage et l’humilité de la foi. Il fallait du courage pour accueillir le signe de l’étoile comme un ordre de partir, pour sortir – vers l’inconnu, l’incertain, sur des chemins où il y avait de multiples dangers en embuscade. Nous pouvons imaginer que la décision de ces hommes a suscité la dérision : la plaisanterie des réalistes qui pouvaient seulement se moquer des rêveries de ces hommes. Celui qui partait sur des promesses aussi incertaines, risquant tout, ne pouvait apparaître que ridicule. Mais pour ces hommes touchés intérieurement par Dieu, le chemin selon les indications divines était plus important que l’opinion des gens. La recherche de la vérité était pour eux plus importante que la dérision du monde, apparemment intelligent.

     Comment ne pas penser, dans une telle situation, à la mission d’un évêque à notre époque ? L’humilité de la foi, du fait de croire ensemble avec la foi de l’Église de tous les temps, se trouvera à maintes reprises en conflit avec l’intelligence dominante de ceux qui s’en tiennent à ce qui apparemment est sûr. Celui qui vit et annonce la foi de l’Église, sur de nombreux points n’est pas conforme aux opinions dominantes justement aussi à notre époque. L’agnosticisme aujourd’hui largement dominant a ses dogmes et est extrêmement intolérant à l’égard de tout ce qui le met en question et met en question ses critères. Par conséquent, le courage de contredire les orientations dominantes est aujourd’hui particulièrement urgent pour un évêque. Il doit être valeureux. Et cette vaillance ou ce courage ne consiste pas à frapper avec violence, à être agressif, mais à se laisser frapper et à tenir tête aux critères des opinions dominantes. Le courage de demeurer fermement dans la vérité est inévitablement demandé à ceux que le Seigneur envoie comme des agneaux au milieu des loups. « Celui qui craint le Seigneur n’a peur de rien » dit le Siracide (34, 16). La crainte de Dieu libère de la crainte des hommes. Elle rend libres !

     Dans ce contexte, un épisode des débuts du christianisme que saint Luc rapporte dans les Actes des Apôtres me vient à l’esprit. Après le discours de Gamaliel, qui déconseillait la violence envers la communauté naissante des croyants en Jésus, le sanhédrin convoqua les Apôtres et les fit flageller. Ensuite il leur interdit de parler au nom de Jésus et il les remit en liberté. Saint Luc continue : « Mais eux, en sortant du sanhédrin, repartaient tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus. Et chaque jour … ils ne cessaient d’enseigner et d’annoncer la Bonne Nouvelle du Christ Jésus » (Ac 5, 40ss.). Les successeurs des Apôtres doivent aussi s’attendre à être à maintes reprises frappés, de manière moderne, s’ils ne cessent pas d’annoncer de façon audible et compréhensible l’Évangile de Jésus Christ. Et alors ils peuvent être heureux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour lui. Naturellement, nous voulons, comme les apôtres, convaincre les gens et, en ce sens, obtenir leur approbation. Naturellement, nous ne provoquons pas, mais bien au contraire nous invitons chacun à entrer dans la joie de la vérité qui indique la route. L’approbation des opinions dominantes, toutefois, n’est pas le critère auquel nous nous soumettons. Le critère c’est Lui seul : le Seigneur. Si nous défendons sa cause, grâce à Dieu, nous gagnerons toujours de nouveau des personnes pour le chemin de l’Évangile. Mais inévitablement nous serons aussi frappés par ceux qui, par leur vie, sont en opposition avec l’Évangile, et alors nous pouvons être reconnaissants d’être jugés dignes de participer à la Passion du Christ.

     Les Mages ont suivi l’étoile, et ainsi ils sont parvenus jusqu’à Jésus, jusqu’à la grande Lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde (cf. Jn 1, 9). Comme pèlerins de la foi, les Mages sont devenus eux-mêmes des étoiles qui brillent dans le ciel de l’histoire et nous indiquent la route. Les saints sont les vraies constellations de Dieu, qui éclairent les nuits de ce monde et nous guident. Saint Paul, dans la Lettre aux Philippiens, a dit à ses fidèles qu’ils doivent resplendir comme des astres dans le monde (cf. 2, 15).

     Chers amis, ceci nous concerne aussi. Ceci vous concerne surtout vous qui, maintenant, allez être ordonnés évêques de l’Église de Jésus Christ. Si vous vivez avec le Christ, liés à nouveau à lui dans le sacrement, alors vous aussi vous deviendrez des sages. Alors vous deviendrez des astres qui précèdent les hommes et leur indiquent le juste chemin de la vie. En ce moment nous tous ici nous prions pour vous, afin que le Seigneur vous remplisse de la lumière de la foi et de l’amour. Afin que cette inquiétude de Dieu pour l’homme vous touche, pour que tous fassent l’expérience de sa proximité et reçoivent le don de sa joie. Nous prions pour vous, afin que le Seigneur vous donne toujours le courage et l’humilité de la foi. Nous prions Marie qui a montré aux Mages le nouveau Roi du monde (Mt 2, 11), afin qu’en Mère affectueuse, elle vous montre aussi Jésus Christ et vous aide à être des hommes qui indiquent la route qui conduit à lui. Amen.

 

 

 

 

 

6 janvier 2013 – Méditation de Benoit XVI lors de la prière de l’Angelus

     Nous célébrons aujourd’hui l’Épiphanie du Seigneur, sa manifestation aux nations, alors que, selon le calendrier Julien, de nombreuses Églises orientales fêtent Noël. Cette légère différence, qui fait se superposer les deux moments, fait ressortir que cet Enfant, né dans l’humilité de la grotte de Bethléem, est la lumière du monde, qui oriente la route de tous les peuples. C’est un rapprochement qui fait réfléchir aussi du point de vue de la foi : d’une part, à Noël, devant Jésus, nous voyons la foi de Marie, de Joseph et des bergers ; aujourd’hui, à l’Épiphanie, la foi des trois Mages, venus d’Orient, pour adorer le roi des juifs.

La Vierge Marie, et son époux, représentent la « souche » d’Israël, le « reste » annoncé par les prophètes, dont devait germer le Messie. Les Mages représentent en revanche les peuples et nous pouvons dire aussi les civilisations, les cultures, les religions qui sont pour ainsi dire en marche vers Dieu, à la recherche de son Royaume de paix, de justice, de vérité et de liberté. Il y a tout d’abord un noyau, personnifié en particulier par Marie, la « Fille de Sion » : un noyau d’Israël, le peuple qui connaît et a foi en ce Dieu qui s’est révélé aux patriarches, et sur la route de l’histoire. Cette foi arrive à son achèvement dans Marie, à la plénitude des temps ; en elle, « bienheureuse parce qu’elle a cru », le Verbe s’est fait chair, Dieu est « apparu » dans le monde. La foi de Marie devient les prémices et le modèle de la foi de l’Église, peuple de la Nouvelle alliance. Mais dès le début, ce peuple est universel, et nous le voyons aujourd’hui dans les figures des Mages qui arrivent à Bethléem en suivant la lumière d’une étoile et les indications des Saintes Écritures.

Saint Léon le Grand affirme : « Autrefois, une descendance innombrable qui aurait été engendrée non selon la chair mais selon la fécondité de la foi a été promise à Abraham » (Discours 3 pour l’Épiphanie, 1 : pl 54, 240). La foi de Marie peut être rapprochée de la foi d’Abraham : c’est le commencement nouveau de la même promesse, du même immuable dessein de Dieu, qui trouve à présent son plein accomplissement en Jésus Christ. Et la lumière du Christ est si limpide, et forte qu’elle rend intelligible aussi bien le langage du cosmos que celui des Écritures si bien que tous ceux qui, comme les Mages, sont ouverts à la vérité peuvent la reconnaître et arriver à contempler le Sauveur du monde. Saint Léon dit encore : « Qu’elle entre, qu’elle entre donc dans la famille des patriarches la grande foule des nations (…). Que tous les peuples (…) adorent le Créateur de l’univers, et que Dieu soit connu non seulement en Judée, mais par toute la terre » (ibid.). Nous pouvons aussi voir dans cette perspective les ordinations épiscopales que j’ai eu la joie de conférer ce matin en la basilique Saint-Pierre : deux des nouveaux évêques resteront au service du Saint-Siège, et les deux autres partiront pour être des représentants pontificaux auprès de deux Nations. Prions pour chacun d’eux, pour leur ministère, et afin que la lumière du Christ resplendisse sur le monde entier.

 


 

 

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