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« Prenez et mangez-en tous ». A première vue, la liturgie eucharistique nous invite tous à communier. Sans exception. Dans les deux formes du rite romain. En réalité, le magistère de l’Eglise nous enseigne les conditions aussi bien indispensables que souhaitables pour recevoir fructueusement le Corps et le Sang du Christ. Quelles sont-elles ?
LES CONDITIONS MINIMALES INDISPENSABLES
Etre baptisé.
Puisqu’une des finalités de la Communion est de nourrir en nous la vie divine, la première condition pour pouvoir recevoir l’eucharistie est d’avoir reçu le baptême. Les personnes non baptisées (donc les catéchumènes compris) ne peuvent donc pas recevoir la sainte Communion.
Avoir la vraie foi en l’eucharistie, et une foi vivante.
La participation à la communion eucharistique implique la communion dans la doctrine des Apôtres. Celui qui ne croit pas en la présence vraie, réelle, et substantielle du Christ en l’eucharistie ne peut pas communier.
En outre, il faut être un membre vivant du Corps du Christ qui est l’Eglise. Il ne suffit pas d’appartenir de « corps » à l’Eglise, il faut encore lui appartenir de « coeur » c’est-à-dire avoir la « foi opérant par la charité » (Ga 5, 6).
Etre en état de grâce.
D’où la norme rappelée par le Catéchisme de l’Eglise catholique : « celui qui est conscient d’un péché grave [ou mortel] doit recevoir le sacrement de la réconciliation avant d’accéder à la communion »[1]. Notons bien que le jugement sur l’état de grâce appartient non pas au ministre qui distribue la sainte eucharistie mais bien uniquement à la personne qui s’approche de l’autel pour communier[2] : il s’agit en effet d’un jugement de conscience du communiant (cf. saint Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia vivit, n 37). Cette discipline de l’Eglise n’est pas nouvelle. Nous lisons en effet sous la plume de saint Jean Chrysostome : « Moi aussi, j’élève la voix, je supplie, je prie et je vous supplie de ne pas vous approcher de cette table sainte avec une conscience souillée et corrompue. Une telle attitude en effet ne s’appellera jamais communion, même si nous recevions mille fois le Corps du Seigneur, mais plutôt condamnation, tourment et accroissement des châtiments » (Homélies sur Isaïe 6, 3: PG 56, 139). Nous connaissons en effet les paroles très fortes de saint Paul aux Corinthiens que l’Eglise nous fait entendre le Jeudi-Saint : « Quiconque mange ce pain ou boit cette coupe du Seigneur indignement aura à répondre du Corps et du Sang du Seigneur. Que chacun donc s’éprouve soi-même et qu’il mange alors de ce pain et boive de cette coupe ; car celui qui mange et boit, mange et boit sa propre condamnation, s’il n’y discerne le Corps » (1 Co 11, 27-29). Recevoir le Corps du Christ en sachant que l’on est en état de péché mortel c’est Le recevoir indignement. C’est un sacrilège. Le pape Benoit XVI a attiré notre attention sur ce point en écrivant : « à notre époque, les fidèles se trouvent immergés dans une culture qui tend à effacer le sens du péché, favorisant un comportement superficiel qui porte à oublier la nécessité d’être dans la grâce de Dieu pour s’approcher dignement de la communion sacramentelle » (« Sacramentum caritatis », n 20). Pour être admis au banquet des noces de l’Agneau il faut avoir l’habit nuptial du baptême (Mt 22, 1-14) et s’il est sali (par le péché mortel), il faut le laver et le blanchir dans le Sang de l’Agneau (Ap 7, 14).
Appartenir à l’Eglise catholique.
L’Eucharistie suppose et renforce la communion ecclésiale. C’est la raison pour laquelle, par exemple, il n’est pas possible de communier à une Messe valide mais non catholique (sauf la disposition prévue par le canon 844[3], et reprise dans Sacramentum Caritatis n 56). C’est pourquoi Saint Ignace d’Antioche écrivait : « Que cette Eucharistie soit seule regardée comme légitime, qui se fait sous la présidence de l’évêque ou de celui qu’il en a chargé. Là où parait l’évêque, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Eglise catholique » (Ad Smyrnenses, 8, 2). Cela implique la pleine communion avec le successeur de Pierre et les évêques en lien avec lui[4].
Le pardon des offenses et la charité fraternelle.
L’Eucharistie est le sacrement de la charité. Il suppose et fait croître la charité. D’où cette parole fondamentale du Seigneur : « Si donc tu présentes ton offrande à l’autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis, viens présenter ton offrande » (Mt 5, 23-24). Et nous pourrions ajouter : « ensuite, viens communier ». La communion présuppose le pardon des offenses. De plus, si je n’aime pas « Dieu caché dans mon prochain » (saint Louis-Marie Grignion de Montfort) alors je ne peux pas communier au Corps de Jésus. Saint Jean Chrysostome nous interpelle encore vigoureusement : «tu as goûté au Sang du Seigneur et tu ne reconnais pas même ton frère. Tu déshonores cette table même, en ne jugeant pas digne de partager ta nourriture celui qui a été jugé digne de prendre part à cette table. Dieu t’a libéré de tous tes péchés et t’y a invité. Et toi, pas même alors, tu n’es devenu plus miséricordieux » (hom. in 1 Cor. 27, 4 : PG 61, 229-230).
Ne pas être empêché par le droit.
« Tout baptisé qui n’en est pas empêché par le droit peut et doit être admis à la sainte communion » (Canon 912). Ainsi, « les excommuniés[5] et les interdits, après l’infliction ou la déclaration de la peine, et ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste, ne seront pas admis à la sainte communion » (Canon 915).
Etre à jeun depuis au moins une heure.
« Qui va recevoir la très sainte Eucharistie s’abstiendra, au moins une heure avant la sainte communion, de prendre tout aliment et boisson, à l’exception seulement de l’eau et des médicaments. Les personnes âgées et les malades, ainsi que celles qui s’en occupent, peuvent recevoir la très sainte Eucharistie même si elles ont pris quelque chose moins d’une heure auparavant » (Canon 919 § 1 et 3).
Avoir une attitude et une tenue corporelle respectueuses du Seigneur.
Si nous allions à une audience avec le pape ou avec saint Louis, nous ferions attention à notre manière d’être et à notre tenue : combien plus lorsque nous approchons du Seigneur et que nous allons Le recevoir. C’est une évidence pour celui ou pour celle qui a la foi. « L’attitude corporelle (gestes, vêtements) traduira le respect, la solennité, la joie de ce moment où le Christ devient notre hôte[6] » (CEC 1387).
Pour résumer toutes ces conditions et aller à l’essentiel, méditons cet écrit de Mgr David Macaire (Archevêque de Saint-Pierre et Fort-de-France) : « Ce n’est pas en communiant ou en ne communiant pas que l’on fait ce que Dieu veut, c’est en se confessant ! Il faut, certes, éviter les scandales quand on vit une situation publique ambigüe, mais on peut communier si, et seulement si, dans le secret du confessionnal, le prêtre envoyé pour ça par Dieu nous a jugés suffisamment contrits pour recevoir le pardon de nos péchés. Voilà pourquoi je fais souvent ce communiqué précis avant la communion aux messes que je préside : « Pour communier, recevoir le Corps du Christ, je vous rappelle qu’il faut être baptisé, avoir fait sa première communion, s’être confessé, avoir reçu l’absolution et vivre selon l’Evangile ».
LES CONDITIONS SOUHAITABLES OPTIMALES
Après avoir exposé « qui peut communier », voyons maintenant les dispositions que l’Eglise recommande et souhaite voir dans nos âmes au moment où nous nous approchons de la sainte communion.
Tout baptisé étant appelé à la perfection de la charité (c’est-à-dire à la sainteté), la sainte Eglise nous conseille des attitudes intérieures pour porter le maximum de fruits de nos communions eucharistiques[7]. Quelles sont-elles ?
Communier avec ferveur.
Cela signifie vouloir grandir dans la sainteté, vouloir lutter contre nos défauts et nos péchés véniels[8]. « Fais-toi capacité et je me ferai torrent » disait le Père éternel à sainte Catherine de Sienne. Ouvrons tout grand notre cœur par de grands désirs avant de communier.
Avec foi et avec une grande humilité.
Précédons nos communions d’un bel acte de foi, et recevons le Seigneur (autant que possible) « à genoux et dans la bouche»[9], précisément parce que c’est le Seigneur et que nous ne sommes que ses créatures[10].
De toutes les façons, avant de recevoir le Seigneur sacramentellement, même si nous remplissons les conditions indispensables et même souhaitables, nous dirons toujours avec le centurion de l’Evangile[11] : « Domine, non sum dignus, ut intres sub tectum meum, sed tantum dic verbo, et sanabitur anima mea ». Car, au fond, une seule personne humaine fut digne de communier : la Vierge Immaculée. Avec saint Louis-Marie Grignion de Monfort, demandons à la Vierge Marie de nous apprendre à communier[12] pour être les saints que Dieu veut.
Abbé Laurent SPRIET +
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[1] CEC 1385 qui reprend le Concile de Trente, Sess. XIII, Décret sur la très sainte Eucharistie, ch. 7 et can. 11: DS, nn. 1647. 1661 ; saint Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia vivit n 36. Notons aussi que : « l’acte pénitentiel, situé au début de la Messe, a pour but d’aider les participants à se préparer à célébrer dignement les saints mystères ; toutefois, « il n’a pas l’efficacité du sacrement de Pénitence », et il ne peut se substituer au sacrement de Pénitence pour la rémission des péchés graves. Les pasteurs d’âmes doivent veiller attentivement dans la catéchèse à ce que la doctrine chrétienne dans ce domaine soit transmise aux fidèles » (Redemptionis sacramentum n 80).
[2] Ceci pose d’ailleurs des problèmes pratiques comme par exemple celui des personnes scrupuleuses (ou ayant une tendance aux scrupules) qui s’abstiennent de communier car ils pensent être en état de péché mortel alors qu’objectivement ils n’ont pas fait de péché grave ; ou à l’opposé, celui de personnes qui sont objectivement dans un état de vie contraire à l’Evangile mais qui n’en ont pas conscience. « Toutefois, dit saint Jean-Paul II, en cas de comportement extérieur gravement, manifestement et durablement contraire à la norme morale, l’Église, dans son souci pastoral du bon ordre communautaire et par respect pour le Sacrement, ne peut pas ne pas se sentir concernée. Cette situation de contradiction morale manifeste est traitée par la norme du Code de Droit canonique sur la non-admission à la communion eucharistique de ceux qui « persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste » (Ecclesia de Eucharistia vivit n 37). Ainsi, il faut parfois refuser la sainte communion à certaines personnes pour éviter de scandaliser l’ensemble des fidèles. Canon 915 : « les excommuniés et les interdits, après l’infliction ou la déclaration de leur peine et ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste, ne seront pas admis à la sainte communion ». Ici nous pouvons penser aux francs-maçons notoires par exemple (cf. déclaration de la congrégation pour la Doctrine de la foi du 26 novembre 1983 : « les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion »), mais aussi aux divorcés remariés notoires : cf. la déclaration du conseil pontifical pour les textes législatifs du 24 juin 2000. Les personnes qui ne peuvent pas communier sont toujours invitées à se présenter au banc de communion afin de recevoir une bénédiction de Dieu, à travers le signe de la croix qui sera tracé sur leur front. Ils se présentent généralement les bras croisés sur la poitrine (comme les petits enfants qui n’ont pas encore fait leur première communion).
[3] Can. 844 – § 1. Les ministres catholiques administrent licitement les sacrements aux seuls fidèles catholiques qui, de même, les reçoivent licitement des seuls ministres catholiques. § 2. Chaque fois que la nécessité l’exige ou qu’une vraie utilité spirituelle s’en fait sentir, et à condition d’éviter tout danger d’erreur ou d’indifférentisme, il est permis aux fidèles qui se trouvent dans l’impossibilité physique ou morale d’avoir recours à un ministre catholique, de recevoir les sacrements de pénitence, d’Eucharistie et d’onction des malades de ministres non catholiques, dans l’Église desquels ces sacrements sont valides. § 3. Les ministres catholiques administrent licitement les sacrements de pénitence, d’Eucharistie et d’onction des malades aux membres des Églises orientales qui n’ont pas la pleine communion avec l’Église catholique, s’ils le demandent de leur plein gré et s’ils sont dûment disposés ; ceci vaut aussi bien pour les membres d’autres Églises qui, au jugement du Siège Apostolique, se trouvent pour ce qui concerne les sacrements dans la même condition que les Églises orientales susdites.
[4] Saint Augustin : « Notre Seigneur […] a consacré sur la table le mystère de notre paix et de notre unité. Celui qui reçoit le mystère de l’unité, et ne reste pas dans les liens de la paix, ne reçoit pas son mystère pour son salut ; il reçoit un témoignage qui le condamne » (cité dans Ecclesia de Eucharistia n 40).
[5] Cela concerne notamment, et non exclusivement, toutes les personnes excommuniées à cause du péché d’avortement : ceux qui procurent l’avortement et leurs complices éventuels (cf. canon 1398 et 1329). Pour mémoire : la peine de l’excommunication a pour but de rendre pleinement conscient de la gravité d’un péché particulier et donc de favoriser une conversion et une pénitence adéquates du pécheur.
[6] Abrégé (ou compendium) du Catéchisme de l’Eglise Catholique au n° 291: « Qu’est-il exigé pour recevoir la Communion ? Pour recevoir la Communion, il faut être pleinement incorporé à l’Église catholique et être en état de grâce, c’est-à-dire sans conscience d’avoir commis de péché mortel. Celui qui est conscient d’avoir commis un péché grave doit recevoir le sacrement de la Réconciliation avant d’accéder à la Communion. Il importe aussi d’avoir un esprit de recueillement et de prière, d’observer le jeûne prescrit par l’Église et d’avoir des attitudes corporelles dignes (gestes, vêtements), comme marques de respect envers le Christ.
[7] CEC 1128 « les sacrements agissent ex opere operato (littéralement : » par le fait même que l’action est accomplie « ), c’est-à-dire en vertu de l’œuvre salvifique du Christ, accomplie une fois pour toutes. Il s’en suit que » le sacrement n’est pas réalisé par la justice de l’homme qui le donne ou le reçoit, mais par la puissance de Dieu » (S. Thomas d’A., s. th. 3, 68, 8). Dès lors qu’un sacrement est célébré conformément à l’intention de l’Église, la puissance du Christ et de son Esprit agit en lui et par lui, indépendamment de la sainteté personnelle du ministre. Cependant, les fruits des sacrements dépendent aussi des dispositions de celui qui les reçoit ».
[8] Nous retrouvons ici les normes édictées par saint Pie X dans le décret « Sacra Tridentina » sur la communion fréquente (20 décembre 1905) : »L’intention droite consiste à s’approcher de la sainte Table, non par habitude, ou par vanité, ou pour des raisons humaines, mais pour satisfaire à la volonté de Dieu, s’unir à Lui plus intimement par la charité et, grâce à ce divin remède, combattre ses défauts et ses infirmités ». « Que les confesseurs se gardent de priver de la communion fréquente et quotidienne une personne qui est en état de grâce et qui s’en approche avec une intention droite » (ibidem).
[9] « Par la suite, lorsque la vérité et l’efficacité du mystère eucharistique, ainsi que la présence du Christ en lui, ont été plus approfondies, on a mieux ressenti le respect dû à ce Très Saint Sacrement et l’humilité avec laquelle il doit être reçu, et la coutume s’est établie que ce soit le ministre lui-même qui dépose sur la langue du communiant une parcelle de Pain consacré. Compte tenu de la situation actuelle de l’Église dans le monde entier, cette façon de distribuer la Sainte Communion doit être conservée, non seulement parce qu’elle a derrière elle une tradition multiséculaire, mais surtout parce qu’elle exprime le respect des fidèles envers l’Eucharistie » Instruction « Memoriale Domini » du Bienheureux pape Paul VI, 29 mai 1969. Et cf. instruction « Redemptionis sacrmentum » n 90 à 93 du 25 mars 2004.
[10] A propos des parcelles ou fragments d’hosties consacrées qui pourraient tomber à terre, saint Cyrille de Jérusalem écrit dans ses « catéchèses mystagogiques » : « Ce que tu as laissé tomber, considère que c’est comme une partie de tes membres qui vient à te manquer » (5, 21 ; PG 33, 1126).
[11] « Lorsque, en effet, nous réalisons qui est Celui que nous recevons dans la communion eucharistique, naît en nous presque spontanément un sentiment d’indignité accompagné du regret de nos péchés et du besoin intérieur de nous purifier » Saint Jean-Paul II, Dominicae Cenae, n 7.
[12] Cf. « Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge » n° 266 et suivants.
© LA NEF n°303 Mai 2018 (Version longue d’un article plus court publié dans le n°303)