13 février 1987- Discours de Jean Paul II aux Evêques de France (région Ouest) en Visite Ad Limina -
Il est juste de reconnaître ici une place primordiale à la famille. J’ai parlé à vos Confrères du Sud-Ouest des graves menaces qui pèsent sur elle et de la pastorale à poursuivre en ce domaine. Devant la mentalité et la loi favorables à l’avortement, l’Eglise ne doit pas cesser de défendre la vie de tout être humain dès sa conception, en suscitant tout un mouvement pour la vie. Les diverses associations et initiatives qui y contribuent de façon persuasive et pédagogique méritent d’être fortement soutenues et coordonnées par vos soins. Un peuple généreux pour transmettre la vie aime davantage sa jeunesse. La pastorale familiale s’inscrit dans toute une éducation sur l’amour humain et la procréation selon le dessein de Dieu, avec un enseignement fort et libérateur sur l’affectivité, la sexualité et la famille, qui concerne les adultes et les jeunes. Les foyers ont besoin d’être aidés à élever leurs enfants de façon équilibrée, à faire face aux problèmes difficiles de leurs adolescents, et à les entraîner par le témoignage de leur vie. Les enfants et les jeunes, blessés par des drames familiaux, frustrés d’un véritable modèle de famille chrétienne, requièrent un accompagnement spécial. Je suis heureux de redire tout cela devant le Président de la Commission de pastorale familiale, pour encourager sa mission et les efforts de tous ceux qui y participent courageusement, avec compétence et fidélité à l’Eglise.
1er mai 1987 – Méditation de Jean Paul II lors de la célébration de la Parole de Dieu avec les fidèles de Munster, en Allemagne.
L'évêque von Galen, contre un mouvement totalitaire mondial, a clairement et courageusement énoncé les vérités élémentaires de l'éthique chrétienne : les Dix Commandements. Le « tu ne... . . » du commandement divin était sa réponse à la provocation d'un dictateur qui, dans l'exercice de son pouvoir, foulait aux pieds jusqu'à l'estrême limite la dignité et les droits fondamentaux des hommes comme les inaliénables normes d'une coexistence digne de l'homme.
Lorsque l'évêque Clemens-August a élevé la voix en 1941 dans les trois célèbres grands sermons, il a témoigné de la vérité à une époque de mensonges. Contre ceux qui diffusaient des enseignements sur une autodétermination illimitée de l'homme, sur une liberté qui ne voulait plus reconnaître aucune restriction, il disait alors : l'homme est créé par Dieu, aimé par Dieu, soutenu par Dieu. C'est dans cette origine que réside la noblesse et en même temps l'engagement de l'homme : il devient vraiment homme lorsqu'il s'unit librement et avec confiance à Dieu et lui consacre sa vie comme le bien suprême. Si l'homme choisit un but terrestre pour sa vie et s'y consacre exclusivement, il devient esclave : il perd sa dignité ; la confusion, le chaos et la mort en sont les conséquences tragiques.
Les paroles de l'évêque von Galen en faveur des droits de l'homme sont devenues prophétiques lorsque les nationaux-socialistes ont commencé à déporter et à tuer les malades mentaux parce qu'ils étaient considérés comme improductifs. Il déclara alors : « Une théorie se répand, qui affirme que les êtres dits “inutiles” doivent être éliminés, et donc que des hommes innocents doivent être tués, lorsqu'on considère que leur vie n'a plus de valeur pour le peuple et l'État. Une théorie hideuse, qui veut justifier le meurtre des innocents, qui donne le feu vert à l'assassinat en masse des invalides qui ne peuvent plus travailler, des infirmes, des incurables, des vieillards ? . . Mais il s'agit ici d'hommes, de nos semblables, de nos frères et s½urs ... . Toi et moi, avons-nous le droit de vivre seulement tant que nous sommes productifs ? Seulement tant que les autres nous considèrent comme productifs ? ... Tu ne tueras pas ! Ce commandement de Dieu, le seul Seigneur, qui a le droit de vie et de mort, est inscrit dans le c½ur des hommes depuis le commencement . . . Ce commandement, c'est Dieu qui nous l'a donné, notre Créateur et seul Juge » (Clemens-August von Galen, Sermon du 3 août 1941).
5. Ces paroles ne doivent en aucun cas rester enfouies dans les livres d'histoire et les archives ; elles sont d'une grande actualité, même dans les États démocratiques, où le principe s'applique que c'est le peuple lui-même, c'est-à-dire les hommes, qui doivent gérer leur vie commune dans la dignité et la liberté. Pourtant, il existe encore aujourd'hui dans la société des forces qui menacent la vie humaine. L'euthanasie, cette « bonne mort » issue d'une prétendue compassion, est redevenue un mot terriblement récurrent et trouve ses nouveaux défenseurs égarés. Et l'Église ne peut rester silencieuse face à la libéralisation quasi totale de l'avortement dans votre pays et dans de nombreux autres pays. Avec ses assistants pastoraux et ses laïcs responsables, elle sera certainement proche de chaque femme enceinte qui se trouve en difficulté, avec une sympathie et une gentillesse sincères, et lui manifestera, là où c'est possible, de la compréhension et une aide concrète pour sa situation.
Face à la société, l'Eglise ne doit pas rester silencieuse, même si elle est tentée de refuser une discussion franche sur la situation actuelle de l'avortement, comme s'il s'agissait d'un tabou. De la part des hommes politiques et des décideurs de l'opinion publique - qui se sentent encore liés à des fondements éthiques ou même à la foi chrétienne - l'Eglise attend une aide, afin que les découvertes scientifiques de l'embryologie et de la psychologie de la grossesse et de l'avortement soient mieux mises en lumière et déterminent de plus en plus efficacement les décisions pratiques des hommes. Les responsables devraient examiner de manière objective les normes juridiques elles-mêmes et leur application pratique pour voir si, au lieu de protéger la vie, elles ne renforcent pas plutôt chez de nombreux hommes la conviction erronée qu'il s'agit d'un fait sans importance, même juridique, puisqu'ils n'ont même pas à en supporter la charge financière.
L'Église doit également s'engager aujourd'hui avec insistance, clarté et patience en faveur du droit à la vie de tous les hommes, en particulier des enfants pas encore nés qui ont, pour cette raison, le plus besoin de protection ; elle doit s'engager en faveur de la validité illimitée du cinquième commandement : tu ne tueras pas. Au-delà des belles paroles et du refus de la réflexion, la majorité en est bien consciente : l'avortement est le meurtre volontaire d'une vie humaine innocente. Il est encourageant de constater que de nombreuses personnes se penchent à nouveau sur la question, parce qu'elles voient plus clairement les conséquences négatives sur les principes et les jugements moraux d'aujourd'hui. Aucun mouvement pour la paix ne mérite ce nom s'il ne condamne pas et ne s'oppose pas avec la même force à la lutte contre la vie à naître. Aucun mouvement écologique n'est à prendre au sérieux s'il ignore la maltraitance et la destruction d'innombrables enfants qui pourraient continuer à vivre dans le sein de leur mère. Aucune femme émancipée ne peut se réjouir d'une plus grande autodétermination si elle est obtenue aux dépens d'une vie humaine confiée à ses soins et qui, à son tour, possède le droit à l'autodétermination.
Accueillons enfin l'homme parmi les biens qui méritent notre plus grande protection et qui méritent d'être proclamés pour une plus grande reconnaissance parmi les peuples ! C'est pourquoi les médecins, les travailleurs sociaux, les parlementaires, les journalistes et les enseignants devraient se sentir particulièrement obligés de s'engager eux aussi publiquement en faveur de la protection juridique de la vie.
6. Le Fils de Dieu s'est fait homme ; le Christ veut être notre frère. C'est pourquoi aucun homme ne peut mépriser les autres, les maltraiter ou même les tuer. Le droit à la vie est le plus fondamental et le plus sacré de tous les droits de l'homme.
En cette période de Pâques, nous ressentons tout particulièrement que notre Dieu est un Dieu de vie, le Dieu qui a ressuscité Jésus d'entre les morts. Dieu n'accepte pas la mort et nous non plus. Avec la Résurrection du Christ, Dieu a donné un nouvel élan à la vie. Cette initiative de Dieu doit être la nôtre. La tâche du chrétien est de lutter, avec l'Esprit de Dieu, pour la vie et la paix, pour la vérité et la justice.
En dernière analyse, notre monde vit de la bonté et de la miséricorde, que Dieu nous donne et à travers lesquelles les êtres humains se rencontrent. N'attendons-nous pas tous que quelqu'un soit bon avec nous, qu'il nous accepte, qu'il nous encourage ou nous console, qu'il nous aide lorsque nous avons besoin de soutien ? Lorsqu'une vie est marquée par la bonté du c½ur, il y a aussi de la place pour les faibles, les personnes âgées et les affligés ; il y a aussi de la place et un avenir pour les enfants qui ne sont pas encore nés dans le sein de leur mère. L'expérience de la miséricorde éveille en nous l'espérance de rencontrer enfin le bien ultime et suprême : la bonté infinie et éternelle de Dieu.
Dieu est le premier, il est aussi le dernier et l'éternel. C'est de lui que vient toute vie, c'est à lui que va notre vie. De Dieu à Dieu : tel est le chemin de l'homme.
Choisis la vie ! Choisis toute la vie ! De cette manière, choisis aussi ta vie Eternelle !
7. Chers frères et s½urs ! Il y a de beaux hymnes qui perdurent. Il y a des hymnes qui ne sont jamais oubliés. Notre hymne qui s'élève au-dessus de la clameur de l'histoire du monde est le Credo, l'hymne de notre foi. Avec cet hymne, nous reconnaissons notre foi dans le Père, qui nous appelle à la vie, dans notre frère et sauveur Jésus-Christ, dans l'Esprit Saint, qui nous donne continuellement la vie. Chantons maintenant ensemble cet hymne de notre foi. Amen.
5 juin 1987 - Aux participants d ‘un congrès sur la procréation responsable. ’Université du Sacré-C½ur de Rome
Je vous salue chaleureusement et vous remercie de votre présence, et je suis heureux que le Centre d’études et de recherches sur la régulation naturelle de la fertilité de la faculté de médecine de l’université catholique du Sacré-C½ur ait organisé cette année une étude sur les questions relatives à la procréation responsable.
Votre engagement s’inscrit dans la mission de l’Eglise et y participe, en raison d’un souci pastoral qui est des plus urgent et important. Il s’agit de faire en sorte que les époux vivent saintement leur mariage. Vous proposez de les aider dans chemin vers la sainteté, en vue de la pleine réalisation de leur vocation conjugale.
Il est bien connu que souvent — ainsi que l’a également relevé le concile Vatican II (cf. Gaudium et spes, 51,1) — l’une des principales inquiétudes auxquelles sont exposés les époux est constituée par la difficulté à réaliser dans leur vie conjugale la valeur éthique de la procréation responsable. Ce même Concile pose à la base une juste solution à ce problème sur cette vérité : il ne peut y avoir de contradiction entre la loi divine concernant la transmission de la vie humaine et l’authentique amour conjugal (cf. Gaudium et spes, 2). Parler d’un « conflit de valeurs ou de biens » et de la nécessité qui en découlerait de les « équilibrer », en choisissant l’un et en rejetant l’autre, n’est pas moralement correct et ne fait qu’engendrer la confusion dans la conscience des époux. La grâce du Christ donne aux époux la vraie capacité à accomplir la «l’entière vérité » de leur amour conjugal. Vous voulez témoigner concrètement de cette possibilité et ce faisant donner aux couples mariés une aide précieuse : celle de vivre dans la plénitude de leur communion conjugale. Nonobstant les difficultés que vous pouvez rencontrer, il est nécessaire de continuer avec un dévouement généreux.
Les difficultés que vous rencontrez sont de diverses natures. La première, et en un certain sens, la plus grave, est que même dans la communauté chrétienne, on a entendu des voix — et on continue de les entendre — qui remettent en question la vérité même de l’enseignement de l’Eglise. Cet enseignement a été vigoureusement affirmé par Vatican II, par l’encyclique Humanae Vitae, par l’exhortation apostolique Familiaris consortio, et par la récente instruction Donum Vitæ. À cet égard, une grave responsabilité se fait jour : ceux qui se placent en contradiction ouverte par rapport à la loi de Dieu, authentiquement enseignée par l’Eglise, entraînent les époux sur un mauvais chemin. Rien de ce qu’enseigne l’Eglise sur la contraception n’appartient à une matière susceptible de libre discussion de la part des théologiens. Enseigner le contraire revient à induire en erreur la conscience morale des époux.
La deuxième difficulté est constituée par le fait que de nombreuses personnes pensent que l’enseignement chrétien, quoique vrai, serait cependant impossible à mettre en ½uvre, au moins dans certaines circonstances. Comme la tradition de l’Eglise l’a constamment enseigné, Dieu ne commande pas l’impossible, mais tout commandement comporte aussi un don de grâce qui aide la liberté humaine à l’accomplir. Mais sont cependant nécessaires la prière constante, le recours fréquent aux sacrements et l’exercice de la chasteté conjugale. Vos efforts ne doivent donc pas se limiter au seul enseignement d’une méthode pour le contrôle de la fertilité humaine. Cette information devra s’insérer dans le contexte d’une proposition éducative complète, qui s’adresse aux personnes des époux, prises dans leur intégrité. Sans ce contexte anthropologique, votre proposition risquerait d’être mal comprise. De cela, vous êtes bien convaincus, puisque vous avez toujours placé à la base de vos formations une réflexion anthropologique et éthique correcte.
Aujourd’hui plus qu’hier, l’homme recommence à ressentir le besoin de vérité et de raison droite dans son expérience quotidienne. Soyez toujours prêts à dire, sans ambiguïté, la vérité sur le bien et le mal concernant l’homme et la famille.
C’est avec ces sentiments que je souhaite encourager le service d’apostolat unique que vous cherchez à mettre en ½uvre dans les diocèses et dans les centres de formation familiale. En éduquant à la procréation responsable, sachez encourager les époux à suivre les principes moraux inhérents à la loi naturelle et à une saine conscience chrétienne. Apprenez-leur à rechercher et à aimer la volonté de Dieu. Encouragez-les à respecter et à remplir la sublime vocation à l’amour sponsal et au don de la vie.
Je vous bénis tous volontiers, ainsi que ceux qui vous sont chers, et les initiatives de votre apostolat.
18 décembre 1987 – Discours de Jean Paul II aux participants au Congrès d’étude sur le droit à la vie et l’Europe
1. Je me réjouis que cette réunion ait lieu à l'occasion de la conférence d'étude sur « Le droit à la vie et l'Europe ». Je vous salue cordialement.
Le thème sur lequel vous avez centré vos réflexions est d'une importance décisive pour l'avenir de l'Europe, voire de chaque peuple et de chaque nation. Le respect inconditionnel du droit à la vie de la personne humaine déjà conçue et pas encore née est l'un des piliers sur lesquels repose toute société civile. Lorsqu'un État met à disposition ses institutions pour que quelqu'un puisse traduire en actes la volonté de supprimer la conception, il renonce à l'un de ses devoirs premiers et à sa dignité même d'État. Saint Thomas d'Aquin, l'un des plus grands maîtres de la conscience européenne, enseigne que la loi civile « a force de loi dans la mesure de sa justice » (S. Thomae, Summa theologiae, I-II, q. 95, a. 2). Cette justice - comme l'explique immédiatement le Docteur Angélique - est fondée sur la loi naturelle elle-même, de sorte qu'une loi qui ne s'y conforme pas, conclut-il, « n'est pas une loi, mais la corruption de la loi » (Ibid).
Il n'est pas nécessaire de se tourner vers la lumière de la foi chrétienne pour comprendre ces vérités fondamentales. Lorsque l'Église les rappelle, elle ne veut pas instaurer un État chrétien : elle veut simplement promouvoir un État humain. Un État qui reconnaît comme son premier devoir la défense des droits fondamentaux de la personne humaine, en particulier des plus faibles. Et qui est plus faible que la personne conçue et pas encore née ?
2. Mais vous avez voulu réfléchir en particulier au droit à la vie des personnes conçues et au destin de l'Europe. On voit bien la contradiction flagrante entre la légalisation de l'avortement, malheureusement en cours dans presque toute l'Europe, et ce qui constitue la grandeur de la culture européenne. Celle-ci, qui puise ses sources majeures dans les héritages grec et latin, a trouvé dans le christianisme l'apport éclairant qui lui a permis de se propulser vers des objectifs de grandeur supérieure. Avec le christianisme, l'Europe a découvert la dignité de chaque personne humaine en tant que telle : une découverte qui a fait de la culture européenne une culture éminemment humaniste. Enracinée dans la latinité, elle a été l'école du droit, entendu comme l'organisation rationnelle de la vie sociale sur la base de la justice. Héritière de la culture grecque, la culture européenne a vu dans le bont usage de la raison - conçue comme la capacité d'appréhender la réalité sans se laisser dominer par ses intérêts particuliers - l'un des signes les plus clairs de la grandeur de l'homme.
À présent, dans ce patrimoine culturel incomparable, la légalisation de l'avortement s'est insérée comme un élément étranger, portant en lui le germe de la corruption. Comment peut-on encore parler de la dignité de chaque personne humaine, alors que l'on se permet de tuer la plus fragile et la plus innocente ? Au nom de quelle justice s'opère la discrimination la plus injuste entre les personnes, déclarant certaines dignes d'être défendues, tandis que d'autres se voient refuser cette dignité ? Quelle raison est mise en place ici, si même pour des raisons utilitaires ou hédonistes, l'élimination d'une personne innocente est permise ? En vérité, c'est là que l'Europe joue son destin futur, car elle montre des signes de décadence morale et même d'appauvrissement démographique, risquant ainsi de dilapider un patrimoine culturel qui lui a été légué par d'éminents penseurs, de grands juristes et d'admirables saints.
3. Votre présence, l'engagement avec lequel vous avez suivi ces journées d'étude, démontrent cependant le sérieux et la profondeur de votre désir de changer de cap sur cette voie. Ne soyez pas effrayés par la difficulté de la tâche. Ne vous laissez pas freiner par le fait que vous êtes une minorité. L'histoire de l'Europe montre qu'il n'est pas rare que les grands sauts qualitatifs de sa culture aient été propitiés par le témoignage, souvent payé de sacrifices personnels, de personnes seules. La force est dans la vérité elle-même et non dans le nombre. L'Europe de demain est entre vos mains. Soyez dignes de cette tâche. Vous travaillez à rendre à l'Europe sa véritable dignité : celle d'être un lieu où la personne, chaque personne, est affirmée dans son incomparable dignité.
En invoquant sur votre engagement le réconfort de l'assistance divine, je vous bénis de tout c½ur.
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