François de A à Z

Evangelium Vitae - 2015

2015

 

 

 

 

7 janvier 2015 -  Audience Générale

     Dans la famille, il y a la mère. Chaque personne humaine doit la vie à une mère, et presque toujours, elle lui doit une grande partie de son existence successive, de sa formation humaine et spirituelle. Mais la mère, bien qu’étant très exaltée du point de vue symbolique — beaucoup de poésies, beaucoup de belles choses qui nous parlent de façon poétique de la mère — est peu écoutée et peu aidée dans la vie quotidienne, peu considérée dans son rôle central dans la société. Souvent, on profite même de la disponibilité des mères à se sacrifier pour les enfants pour « économiser » sur les dépenses sociales.

     Il arrive également que dans la communauté chrétienne, la mère ne soit pas toujours considérée, qu’elle soit peu écoutée. Pourtant, au centre de la vie de l’Église, il y a la Mère de Jésus. Peut-être les mères, prêtes à tant se sacrifier pour leurs enfants, et souvent également pour ceux des autres, devraient-elles recevoir davantage d’écoute. Il faudrait comprendre davantage leur lutte quotidienne pour être efficaces au travail et attentives et affectueuses en famille ; il faudrait mieux comprendre à quoi elles aspirent pour exprimer les fruits les meilleurs et les plus authentiques de leur émancipation. Une mère avec des enfants a toujours des problèmes, toujours du travail. Je me souviens, à la maison, nous étions cinq enfants et tandis que l’un d’entre nous faisait une bêtise, l’autre pensait déjà à en faire une autre, et notre pauvre mère courait de l’un à l’autre, mais elle était heureuse. Elle nous a beaucoup donné.

     Les mères sont l’antidote le plus fort à la diffusion de l’individualisme égoïste. « Individu » signifie « qui ne peut pas se partager ». Les mères, en revanche, se « partagent », à partir du moment où elles portent un enfant pour le mettre au monde et l’élever. Ce sont elles, les mères, qui détestent le plus la guerre qui tue leurs enfants. Si souvent j’ai pensé à ces mamans lorsqu’elles ont reçu la lettre : « Je vous informe que votre fils est mort en défendant sa patrie... ». Pauvres femmes ! Comme une mère souffre ! Ce sont elles qui témoignent de la beauté de la vie. L’archevêque Oscar Arnulfo Romero disait que les mères vivent un « martyre maternel ». Dans l’homélie pour les funérailles d’un prêtre assassiné par les escadrons de la mort, il dit, faisant écho au Concile Vatican ii : « Nous devons tous être disposés à mourir pour notre foi, même si le Seigneur ne nous accorde pas cet honneur... Donner la vie ne signifie pas seulement être tués ; donner la vie, avoir un esprit de martyre, cela signifie donner dans le devoir, dans le silence, dans la prière, dans l’accomplissement honnête du devoir, dans ce silence de la vie quotidienne, donner sa vie peu à peu ? Oui, comme la donne une mère qui, sans crainte, avec la simplicité du martyre maternel, conçoit en son sein un fils, lui donne le jour, l’allaite, l’élève, et s’occupe de lui avec affection. C’est donner la vie. C’est le martyre ». Voilà pour la citation. Oui, être mère ne signifie pas seulement mettre au monde un fils, c’est également un choix de vie. Que choisit une mère, quel est le choix de vie d’une mère ? Le choix de vie d’une mère est le choix de donner la vie. Et cela est grand, cela est beau.

     Une société sans mères serait une société inhumaine, parce que les mères savent témoigner toujours, même dans les pires moments, de la tendresse, du dévouement, de la force morale. Les mères transmettent souvent également le sens le plus profond de la pratique religieuse : dans les premières prières, dans les premiers gestes de dévotion qu’un enfant apprend, est inscrite la valeur de la foi dans la vie d’un être humain. C’est un message que les mères croyantes savent transmettre sans beaucoup d’explications : celles-ci arriveront après, mais la semence de la foi réside dans ces premiers, très précieux instants. Sans les mères, non seulement il n’y aurait pas de nouveaux fidèles, mais la foi perdrait une bonne partie de sa chaleur simple et profonde. Et l’Église est mère, avec tout cela, c’est notre mère ! Nous ne sommes pas orphelins, nous avons une mère ! La Vierge, la mère Église, est notre maman. Nous ne sommes pas orphelins, nous sommes fils de l’Église, nous sommes fils de la Vierge, et nous sommes fils de nos mères.

     Très chères mamans, merci, merci pour ce que vous êtes dans la famille et pour ce que vous donnez à l’Église et au monde. Et à toi, bien-aimée Église, merci, merci d’être mère. Et à toi, Marie, mère de Dieu, merci de nous faire voir Jésus. Et merci à toutes les mamans ici présentes : nous les saluons par un applaudissement !

 

16 janvier 2015 – Homélie de la Messe,  cathédrale de l’Immaculée Conception à Manille

    Proclamez la beauté et la vérité du message chrétien à une société qui est tentée par des présentations confuses de la sexualité, du mariage et de la famille. Comme vous le savez, ces réalités sont toujours plus attaquées par des forces puissantes qui menacent de défigurer le plan de Dieu sur la création et de trahir les vraies valeurs qui ont inspiré et donné forme à tout ce qu’il y a de beau dans votre culture.

    

 

 

 

18 janvier 2015 – Rencontre avec les jeunes, à Manille. Texte improvisé

    ….. C’est seulement quand nous sommes capables de pleurer sur ce que vous avez vécu que nous pouvons comprendre quelque chose et répondre quelque chose. La grande question pour tous : pourquoi les enfants souffrent ? Pourquoi les enfants souffrent ? C’est vraiment quand le c½ur réussit à se poser la question et à pleurer, que nous pouvons comprendre quelque chose. Il y a une compassion mondaine qui ne sert à rien ! Une compassion qui nous fait tout au plus mettre la main au porte monnaie et donner une pièce. Si le Christ avait eu cette compassion, il serait passé, soigné trois ou quatre personnes et serait retourné au Père. C’est seulement quand le Christ a pleuré et a été capable de pleurer qu’il a compris nos drames.

     Chers jeunes, les pleurs manquent au monde d’aujourd’hui ! Les marginaux pleurent, ceux qui sont mis de côté pleurent, les méprisés pleurent, mais quand nous avons une vie sans trop de besoins, nous ne savons pas pleurer. Certaines réalités de la vie se voient seulement avec des yeux lavés par les larmes. J’invite chacun de vous à se demander : ai-je appris à pleurer ? Ai-je appris à pleurer quand je vois un enfant qui a faim, un enfant drogué dans la rue, un enfant sans maison, un enfant abandonné, un enfant abusé, un enfant utilisé comme esclave par la société ? Ou bien mes pleurs sont ils les pleurs capricieux de celui qui pleure parce qu’il voudrait avoir quelque chose de plus ? C’est la première chose que je voudrais vous dire : apprenons à pleurer, comme elle [Glyzelle] nous l’a appris aujourd’hui. N’oublions pas ce témoignage. La grande question : pourquoi les enfants souffrent ?, elle l’a posée en pleurant, et la grande réponse que nous pouvons faire à chacun est d’apprendre à pleurer.

     Jésus dans l’Évangile a pleuré, il a pleuré pour son ami mort. Il a pleuré dans son c½ur pour cette famille qui avait perdu sa fille. Il a pleuré dans son c½ur quand il a vu la pauvre mère, veuve, qui emmenait son fils au cimetière. Il a été ému et il a pleuré dans son c½ur quand il a vu la foule comme des brebis sans pasteur. Si vous n’apprenez pas à pleurer vous n’êtes pas de bons chrétiens. Et c’est un défi. …Quand on nous pose la question pourquoi les enfants souffrent ? Pourquoi arrive-t-il ceci ou cela de tragique dans la vie ? Que notre réponse soit le silence, ou bien une parole qui nait des larmes. Soyez courageux, n’ayez pas peur de pleurer !

 

 

    Aujourd’hui, nous sommes surinformés, avec tous les media : est-ce un mal ? Non, c’est un bien et cela aide, mais nous courrons le risque de vivre en accumulant les informations. Nous avons beaucoup d’informations, mais peut-être nous ne savons pas quoi en faire. Nous courrons le risque de devenir des « jeunes-musée » en non pas des jeunes sages. Vous pourriez me dire : « Père, comment parvient-on à être sages ? Et c’est un autre défi, le défi de l’amour. Quelle est la matière la plus importante qu’il faut apprendre à l’université ? Quelle la plus importante à apprendre dans la vie ? Apprendre à aimer ! Et c’est le défi posé à vous aujourd’hui. Apprendre à aimer ! Ne pas seulement accumuler des informations et ne pas savoir quoi en faire. C’est un musée. Mais par l’amour faire en sorte que cette information soit féconde. Dans ce but l’Évangile nous propose un chemin, serein, tranquille : utiliser les trois langages : le langage de l’esprit, le langage du c½ur et le langage des mains. Et ces trois langages de manière harmonieuse : ce que tu penses, tu le sens et tu le réalises. Ton information descend dans le c½ur, elle l’émeut et elle réalise. Et cela harmonieusement. Penser ce qui se sent et ce qui se fait. Sentir ce que je pense et ce que je fais ; faire ce que je pense et ce que je sens. Les trois langages. Etes-vous capables de répéter les trois langages à haute voix ?

     L’amour véritable c’est d’aimer et de me laisser aimer. Il est plus difficile de se laisser aimer que d’aimer. À cause de cela, il est très difficile d’arriver à l’amour parfait de Dieu, pour que nous puissions l’aimer, mais la chose importante est de se laisser aimer par lui. Le véritable amour est de s’ouvrir à cet amour qui nous précède et qui provoque en nous une surprise. Si vous avez seulement toute l’information, vous êtes fermés aux surprises ; l’amour s’ouvre aux surprises, l’amour est toujours une surprise parce qu’il suppose un dialogue à deux. Entre celui qui aime et celui qui est aimé. Et nous disons de Dieu qu’il est le Dieu des surprises parce que lui il nous a aimés le premier et qu’il nous attend avec une surprise. Dieu nous surprend… Laissons-nous surprendre par Dieu ! Et n’ayons pas la psychologie du computer de croire tout savoir. Qu’est-ce que cela ? Un instant, et le computer te donne toutes les réponses, aucune surprise. Dans le défi de l’amour, Dieu se manifeste avec des surprises. Pensons à saint Matthieu : c’était un bon commerçant, en plus il trahissait sa patrie parce qu’il prenait les impôts des juifs pour les donner aux Romains, il avait beaucoup d’argent, et il prélevait les impôts. Jésus passa, il le regarda et lui dit : Viens ! Ceux qui étaient avec lui disent : il appelle celui-ci qui est un traître, un infâme ? Et il est attaché à l’argent. Mais la surprise d’être aimé le vainc et il suit Jésus. Ce matin-là, quand il avait salué sa femme, jamais il n’aurait pensé qu’il serait rentré sans argent et en hâte pour dire à sa femme de préparer un banquet. Le banquet pour celui qui l’avait aimé le premier. Qui l’avait surpris avec quelque chose de plus important que tout l’argent qu’il avait.

     Laisse-toi surprendre par l’amour de Dieu ! N’ayez pas peur des surprises, qui te bouleversent, qui te mettent en crise, mais qui nous mettent en chemin. L’amour véritable te pousse à dépenser ta vie avec le risque aussi de rester les mains vides. Pensons à saint François : il a tout laissé, il est mort les mains vides mais le c½ur plein.

     D’accord ? Pas des jeunes de musée, mais des jeunes sages. Pour être sages, utiliser trois langages : penser bien, sentir bien et faire bien. Et pour être sages, se laisser surprendre par l’amour de Dieu, et va, et dépense ta vie !

 

     Vous vous engagez à donner, vous donnez, vous donnez, vous donnez, vous aidez… Mais fais-tu aussi en sorte qu’on te donne ? … Répond dans ton c½ur. Dans l’Évangile, il y a une phrase qui pour moi est la plus importante de toutes : l’Évangile dit que Jésus regarda ce jeune et l’aima (cf. Mc 10, 21). …La phrase la plus importante que dit Jésus est : « Une seule chose te manque » (Mc 10, 21). Chacun de nous écoute en silence cette parole de Jésus : « Une seule chose te manque ».

     Quelle chose me manque ? À tous ceux que Jésus aime beaucoup parce qu’ils donnent beaucoup aux autres je demande : laissez-vous les autres vous donner cette autre richesse que vous n’avez pas ? Les Sadducéens, les docteurs de la Loi de l’époque de Jésus donnaient beaucoup au peuple, ils donnaient la loi, ils enseignaient, mais ils ne laissaient jamais le peuple leur donner quelque chose. Il a fallu que Jésus vienne pour se laisser toucher par le peuple. Combien de jeunes comme vous qui sont là savent donner mais ne sont pas aussi capables de recevoir !

     « Une seule chose te manque ». C’est ce qui nous manque : apprendre à mendier de ceux à qui nous donnons. Il n’est pas facile de le comprendre : apprendre à mendier. Apprendre à recevoir de l’humilité de ceux qui nous aidons. Apprendre à être évangélisés par les pauvres. Les personnes que nous aidons, les pauvres, les malades, les orphelins, ont beaucoup à nous donner. Est-ce que je me fais mendiant et que je demande aussi cela ? Ou bien suis-je autosuffisant, sachant seulement donner ? Vous qui vivez en donnant toujours et croyez que vous n’avez besoin de rien, savez-vous que vous êtes vraiment pauvres ? Savez-vous que vous avez une grande pauvreté et que vous avez besoin de recevoir ? Te laisses-tu aider par les pauvres, par les malades, et par ceux que tu aides ?

    

 

18 janvier 2015 – Discours préparé pour les jeunes à Manille

     Notre intégrité peut être défiée par des intérêts égoïstes, par l’avidité, par la malhonnêteté, ou par l’intention d’instrumentaliser les autres.

     Un des plus grands défis que les jeunes ont devant eux est celui d’apprendre à aimer. Aimer signifie prendre un risque : le risque du refus, le risque d’être utilisé, ou pire d’utiliser l’autre.   N’ayez pas peur d’aimer ! Mais, aussi en aimant, préservez votre intégrité ! En cela aussi, soyez honnêtes et loyaux !

     Saint Paul dit à Timothée : « Que personne n’ait lieu de te mépriser parce que tu es jeune ; au contraire, sois pour les croyants un modèle par ta parole et ta conduite, par ta charité, ta foi et ta pureté » (1 Tm 4, 12).

     Vous êtes donc appelés à donner un bon exemple, exemple d’intégrité. Naturellement, en le faisant, vous devrez affronter des oppositions et des critiques, le découragement et même le ridicule. Mais vous avez reçu un don qui vous permet de dépasser ces difficultés. C’est le don de l’Esprit Saint. Si vous nourrissez ce don par la prière quotidienne et puisez la force dans la participation à l’Eucharistie, vous serez en mesure d’atteindre cette grandeur morale à laquelle Jésus vous appelle. Vous deviendrez aussi une boussole pour vos amis qui sont en recherche. Je pense spécialement à ces jeunes qui ont la tentation de perdre l’espérance, d’abandonner leur idéaux élevés.

 

     Il est donc essentiel de ne pas perdre votre intégrité ! Ne compromettez pas vos idéaux ! Ne cédez pas aux tentations contre la bonté, la sainteté, le courage et la pureté ! Relevez le défi !  Avec le Christ, vous serez – vraiment vous l’êtes déjà – des artisans d’une culture renouvelée et plus juste.

 

    Il y a vingt ans en ce même lieu, saint Jean-Paul II a affirmé que le monde a besoin d’“un nouveau type de jeunes ” – engagés dans les plus hauts idéaux, et désireux de bâtir la civilisation de l’amour. Soyez ces jeunes! Ne perdez pas vos idéaux ! Soyez des témoins joyeux de l’amour de Dieu et du magnifique dessein qu’il a pour nous, pour ce pays et pour le monde dans lequel nous vivons.

 

 

 

21 janvier 2015 – Audience Générale

    Des familles saines sont essentielles à la vie de la société. Voir tant de familles nombreuses qui accueillent les enfants comme un véritable don de Dieu apporte réconfort et espérance. Ils savent que chaque enfant est une bénédiction. J’ai entendu dire par certaines personnes que les familles ayant beaucoup d’enfants et la naissance de nombreux enfants sont parmi les causes de la pauvreté. Cela me paraît une opinion simpliste. Je peux dire, nous pouvons tous dire, que la cause principale de la pauvreté est un système économique qui a ôté la personne du centre et qui y a placé le dieu argent; un système économique qui exclut, exclut toujours: il exclut les enfants, les personnes âgées, les jeunes, sans travail... — et qui crée la culture du rebut que nous vivons. Nous nous sommes habitués à voir des personnes mises au rebut. Voilà le motif principal de la pauvreté, pas les familles nombreuses. En réévoquant la figure de saint Joseph, qui a protégé la vie du «Santo Niño», si vénéré dans ce pays, j’ai rappelé qu’il faut protéger les familles, qui affrontent diverses menaces, afin qu’elles puissent témoigner de la beauté de la famille dans le projet de Dieu. Il faut aussi défendre les familles des nouvelles colonisations idéologiques, qui portent atteinte à son identité et à sa mission.

    

 

 

23 janvier 2015 – Au Tribunal de la Rote Romaine

     Je voudrais réfléchir sur le contexte humain et culturel dans lequel se forme l’intention matrimoniale.

     La crise des valeurs dans la société n’est certainement pas un phénomène récent. Le bienheureux Paul vi, il y a déjà quarante ans, précisément en s’adressant à la Rote romaine, stigmatisait les maladies de l’homme moderne « parfois rendu vulnérable par un relativisme systématique, qui le plie aux choix les plus faciles de la situation, de la démagogie, de la mode, de la passion, de l’hédonisme, de l’égoïsme, si bien qu’extérieurement il essaye de brandir la “majesté de la loi”, et intérieurement, presque sans s’en rendre compte, il remplace l’empire de la conscience morale par le caprice de la conscience psychologique » (Allocution du 31 janvier 1974 : aas 66 [1974], p. 87). En effet, l’abandon d’une perspective de foi débouche inexorablement sur une fausse connaissance du mariage, qui n’est pas privée de conséquences dans la maturation de la volonté nuptiale.

     Dans sa bonté, le Seigneur accorde assurément à l’Église de se réjouir pour les si nombreuses familles qui, soutenues et nourries par une foi sincère, réalisent dans la difficulté et la joie de la vie quotidienne les biens du mariage, assumés avec sincérité au moment des noces et poursuivis avec fidélité et ténacité. L’Église connaît cependant la souffrance de nombreuses cellules familiales qui se désagrègent, laissant derrière elles les ruines de relations d’affection, de projets, d’attentes communes. Le juge est appelé à effectuer son analyse judiciaire lorsqu’il y a un doute sur la validité du mariage, pour s’assurer s’il existe un vice d’origine du consentement, que ce soit directement par défaut d’intention valide, ou par grave deficit dans la compréhension du mariage lui-même, au point de déterminer la volonté (cf. can. 1099). En effet, la crise du mariage est souvent, à sa racine, une crise de la connaissance éclairée par la foi, c’est-à-dire par l’adhésion à Dieu et à son dessein d’amour réalisé en Jésus Christ.

     L’expérience pastorale nous enseigne qu’il y a aujourd’hui un grand nombre de fidèles en situation irrégulière, dont l’histoire a été fortement influencée par la mentalité mondaine diffuse. Il existe en effet une sorte de mondanité spirituelle, « qui se cache derrière des apparences de religiosité et même d’amour de l’Église » (Exhort. apos. Evangelii gaudium, n. 93), et qui conduit à poursuivre le bien-être personnel, au lieu de la gloire du Seigneur. L’un des fruits de cette attitude est « une foi renfermée dans le subjectivisme, où seule compte une expérience déterminée ou une série de raisonnements et de connaissances que l’on considère comme pouvant réconforter et éclairer, mais où le sujet reste en définitive fermé dans l’immanence de sa propre raison ou de ses sentiments » (ibid., n. 94). Il est évident que, pour celui qui se plie à cette attitude, la foi reste privée de sa valeur d’orientation et de réglementation, laissant le champ libre aux compromis avec leur égoïsme et les pressions de la mentalité courante, devenue dominante à travers les mass media.

     C’est pourquoi le juge, en évaluant la validité du consentement exprimé, doit tenir compte du contexte de valeurs et de foi — ou de leur carence et absence — dans lequel l’intention s’est formée. En effet, le manque de connaissance des contenus de la foi pourrait conduire à ce que le Code appelle une erreur déterminant la volonté (cf. can. n. 1099). Cette éventualité ne doit plus être considérée exceptionnelle comme par le passé, étant donné justement la prédominance fréquente de la pensée mondaine sur le magistère de l’Église. Une telle erreur ne menace pas seulement la stabilité du mariage, son exclusivité et sa fécondité, mais aussi l’ordonnancement du mariage au bien de l’autre, l’amour conjugal comme « principe vital » du consentement, la donation réciproque pour constituer l’union de toute la vie. « Le mariage tend à être vu comme une simple forme de gratification affective qui peut se constituer de n’importe quelle façon et se modifier selon la sensibilité de chacun » (Exhort. apos. Evangelii gaudium, n. 66), poussant les futurs époux à une réserve mentale à propos de la stabilité même de l’union, ou de son exclusivité, qui ferait défaut si la personne aimée ne correspondait plus aux propres attentes de bien-être affectif.

     Je voudrais donc vous exhorter à un engagement accru et passionné dans votre ministère, placé au service de la sauvegarde de l’unité du droit dans l’Église. Que de travail pastoral pour le bien de tant de couples et de tant d’enfants, souvent victimes de ces questions ! Ici aussi, une conversion pastorale des structures ecclésiastiques est nécessaire (cf. ibid., n. 27), pour offrir l’opus iustitiae à ceux qui s’adressent à l’Église pour faire la lumière sur leur propre situation conjugale.

     Voilà votre difficile mission, ainsi que celle de tous les juges dans les diocèses: ne pas enfermer le salut des personnes dans les méandres du système juridique. La fonction du droit est orientée vers la salus animarum à condition que, évitant les sophismes éloignés de la chair vivante des personnes en difficulté, il aide à établir la vérité au moment du consentement: c’est-à-dire s’il fut fidèle au Christ ou à la mentalité mondaine mensongère. À cet égard, le bienheureux Paul vi affirmait : « Si l’Église est un dessein divin — Ecclesia de Trinitate — ses institutions, bien que perfectibles, doivent être établies dans le but de communiquer la grâce divine et de favoriser, selon les dons et la mission de chacun, le bien des fidèles, objectif essentiel de l’Église. Cet objectif social, le salut des âmes, la salus animarum, reste le but suprême des institutions, du droit, des lois » (Discours aux participants au iie Congrès international de droit canonique, 17 septembre 1973 : Communicationes 5 [1973], p. 126).

     Il est utile de rappeler ce que prévoit l’Instruction Dignitas connubii, au n. 113, de manière cohérente avec le can. 1490 du Code de droit canonique, à propos de la présence nécessaire dans chaque Tribunal ecclésiastique de personnes compétentes pour donner des conseils attentifs sur la possibilité d’introduire une cause de nullité matrimoniale ; alors qu’est également demandée la présence de défenseurs stables, rétribués par le tribunal lui-même, exerçant la fonction d’avocats. En souhaitant que ces figures soient présentes dans chaque tribunal, en vue de favoriser un accès réel de tous les fidèles à la justice de l’Église, j’ai plaisir à souligner qu’un nombre important de procès de la Rote romaine sont effectués gratuitement en faveur des parties qui, en raison des conditions économiques précaires dans lesquelles elles se trouvent, ne sont pas en mesure de se procurer un avocat. Cela est un point que je désire souligner : les sacrements sont gratuits. Les sacrements nous donnent la grâce. Et un procès matrimonial touche le sacrement du mariage. Je voudrais tant que tous les procès soient gratuits !

 

 

 

 

 

 

Audience Générale du 28 janvier 2015

     Aujourd’hui, nous nous laissons guider par le mot «père». Un mot plus que tout autre cher à nous chrétiens, parce que c’est le nom par lequel Jésus nous a enseigné à appeler Dieu: père. Le sens de ce nom a acquis une nouvelle profondeur précisément à partir de la façon dont Jésus l’utilisait pour s’adresser à Dieu et manifester sa relation particulière avec Lui. Le mystère béni de l’intimité de Dieu, Père, Fils et Esprit, révélé par Jésus, est le c½ur de notre foi chrétienne.

     «Père» est un mot connu de tous, un mot universel. Il indique une relation fondamentale dont la réalité est aussi antique que l’histoire de l’homme. Aujourd’hui, toutefois, on est arrivé à affirmer que notre société serait une «société sans pères». En d’autres termes, en particulier dans la culture occidentale, la figure du père serait symboliquement absente, disparue, éliminée. Dans un premier temps, cela a été perçu comme une libération: libération du père autoritaire, du père comme représentant de la loi qui s’impose de l’extérieur, du père comme censeur du bonheur de ses enfants et obstacle à l’émancipation et à l’autonomie des jeunes. Parfois, dans certains foyers régnait autrefois l’autoritarisme, dans certains cas même l’abus: des parents qui traitaient leurs enfants comme des domestiques, en ne respectant pas les exigences personnelles de leur croissance; des pères qui ne les aidaient pas à entreprendre leur chemin avec liberté — mais il n’est pas facile d’éduquer un enfant dans la liberté —; des pères qui ne les aidaient pas à assumer leurs propres responsabilités pour construire leur avenir et celui de la société.

     Cela est certainement une attitude qui n’est pas bonne; toutefois, comme c’est souvent le cas, on est passé d’un extrême à l’autre. Le problème de nos jours ne semble plus tant être la présence envahissante des pères que leur absence, leur disparition. Les pères sont parfois si concentrés sur eux-mêmes et sur leur propre travail et parfois sur leur propre réalisation individuelle qu’ils en oublient même la famille. Et ils laissent les enfants et les jeunes seuls.      Déjà en tant qu’évêque de Buenos Aires, je percevais le sentiment d’être orphelin que vivent aujourd’hui les enfants; et souvent, je demandais aux pères s’ils jouaient avec leurs enfants, s’ils avaient le courage et l’amour de perdre du temps avec leurs enfants. Et la réponse était triste, dans la majorité des cas: «Mais, je ne peux pas, parce que j’ai beaucoup de travail...». Et le père était absent, éloigné de cet enfant qui grandissait, il ne jouait pas avec lui, non, il ne perdait pas de temps avec lui.

     A présent, sur ce chemin commun de réflexion sur la famille, je voudrais dire à toutes les communautés chrétiennes que nous devons être plus attentifs: l’absence de la figure paternelle dans la vie des enfants et des jeunes provoque des lacunes et des blessures qui peuvent être également très graves. Et d’ailleurs, les déviances des enfants et des adolescents peuvent être en bonne partie expliquées par ce manque, par la carence d’exemples et de guides faisant autorité dans leur vie de chaque jour, par le manque de proximité, par le manque d’amour de la part des pères. Le sentiment d’être orphelin que vivent tant de jeunes est plus profond que ce que nous pensons.

     Ils sont orphelins en famille, parce que les papas sont souvent absents, même physiquement, de chez eux, mais surtout parce que, lorsqu’ils sont là, ils ne se comportent pas en pères, ils ne dialoguent pas avec leurs enfants, ils ne remplissent pas leur rôle éducatif, ils ne donnent pas à leurs enfants, à travers leur exemple accompagné par les paroles, les principes, les valeurs, les règles de vie dont ils ont besoin comme du pain. La qualité éducative de la présence paternelle est d’autant plus nécessaire lorsque le père est contraint par son travail d’être loin de chez lui. Parfois, il semble que les pères ne sachent pas bien quelle place occuper en famille et comment éduquer leurs enfants. Et alors, dans le doute, ils s’abstiennent, se retirent et négligent leurs responsabilités, en se réfugiant parfois dans un improbable rapport «d’égal à égal» avec leurs enfants. C’est vrai qu’il faut être «ami» de son enfant, mais sans oublier que l’on est le père! Si l’on se comporte seulement comme un ami qui est l’égal de l’enfant, cela ne fera pas de bien au jeune.

     Et nous voyons aussi ce problème dans la communauté civile. La communauté civile avec ses institutions, a une certaine responsabilité — nous pouvons dire paternelle — envers les jeunes, une responsabilité qu’elle néglige parfois ou exerce mal. Elle aussi, souvent, les laisse orphelins et ne leur propose pas de véritable perspective. Les jeunes demeurent ainsi orphelins de voies sûres à parcourir, orphelins de maîtres auxquels se fier, orphelins d’idéaux qui réchauffent le c½ur, orphelins de valeurs et d’espérances qui les soutiennent quotidiennement. Ils sont peut-être remplis d’idoles, mais on leur vole le c½ur. Ils sont poussés à rêver de divertissements et de plaisirs, mais on ne leur donne pas de travail; ils sont trompés par le dieu argent, et on leur nie les véritables richesses.

     Et alors, cela fera du bien à tous, aux pères et aux enfants, d’écouter à nouveau la promesse que Jésus a faite à ses disciples: «Je ne vous laisserai pas orphelins» (Jn 14, 18). C’est Lui, en effet, le Chemin à parcourir, le Maître à écouter, l’Espérance que le monde peut changer, que l’amour vainc la haine, qu’il peut y avoir un avenir de fraternité et de paix pour tous. Certains de vous pourront me dire: «Mais mon père, aujourd’hui, vous avez été trop négatif. Vous n’avez parlé que de l’absence des pères, de ce qui arrive lorsque les pères ne sont pas proches de leurs enfants... C’est vrai, j’ai voulu souligner cela, parce que mercredi prochain je poursuivrai cette catéchèse en mettant en lumière la beauté de la paternité. C’est pourquoi j’ai choisi de commencer de l’obscurité pour arriver à la lumière. Que le Seigneur nous aide à bien comprendre ces choses.

 

 

 

 

Audience Générale du 4 février 2015

     Chaque famille a besoin du père. Aujourd’hui, nous nous arrêtons sur la valeur de son rôle, et je voudrais partir de certaines expressions qui se trouvent dans le Livre des Proverbes, des paroles qu’un père adresse à son fils, en disant : « Mon fils, si ton c½ur est sage, mon c½ur, à moi, se réjouira, et mes reins exulteront quand tes lèvres exprimeront des choses justes » (Pr 23, 15-16). On ne pourrait mieux exprimer l’orgueil et l’émotion d’un père qui reconnaît avoir transmis à son fils ce qui compte véritablement dans la vie, c’est-à-dire un c½ur sage. Ce père ne dit pas : « Je suis fier de toi parce que tu es vraiment comme moi, parce que tu répètes les choses que je dis et que je fais ». Non, il ne lui dit pas simplement quelque chose. Il lui dit quelque chose de bien plus important, que nous pourrions interpréter ainsi : « Je serai heureux chaque fois que je te verrai agir avec sagesse, et je serai ému chaque fois que je t’entendrai parler avec rectitude. Voilà ce que j’ai voulu te laisser, afin que cela devienne une chose qui t’appartienne : l’aptitude à écouter et agir, à parler et juger avec sagesse et rectitude. Et afin que tu puisses être ainsi, je t’ai enseigné des choses que tu ne savais pas, j’ai corrigé des erreurs que tu ne voyais pas. Je t’ai fait sentir une affection profonde et à la fois discrète, que tu n’as sans doute pas reconnue pleinement lorsque tu étais jeune et incertain. Je t’ai donné un témoignage de rigueur et de fermeté que tu ne comprenais sans doute pas, lorsque tu aurais voulu uniquement complicité et protection. J’ai dû moi-même, en premier, me mettre à l’épreuve de la sagesse du c½ur; et veiller sur les excès du sentiment et du ressentiment, pour porter le poids des inévitables incompréhensions et trouver les mots justes pour me faire comprendre. À présent — poursuit le père — lorsque je vois que tu cherches à être ainsi avec tes enfants, et avec tous, je m’émeus. Je suis heureux d’être ton père ». Voilà ce que dit un père sage, un père mûr.

     Un père sait bien combien coûte de transmettre cet héritage : combien de proximité, combien de douceur et combien de fermeté. Mais quel réconfort et quelle récompense reçoit-on, lorsque les enfants font honneur à cet héritage ! C’est une joie qui récompense toute fatigue, qui surmonte toute incompréhension et guérit toute blessure.

     La première nécessité, donc, est précisément celle-ci : que le père soit présent dans la famille. Qu’il soit proche de son épouse, pour tout partager, les joies et les douleurs, les fatigues et les espérances. Et qu’il soit proche de ses enfants dans leur croissance : lorsqu’ils jouent et lorsqu’ils s’appliquent, lorsqu’ils sont insouciants et lorsqu’ils sont angoissés, lorsqu’ils s’expriment et lorsqu’ils sont taciturnes, lorsqu’ils osent et lorsqu’ils ont peur, lorsqu’ils commettent un faux pas et lorsqu’ils retrouvent leur chemin ; un père présent, toujours. Dire présent n’est pas la même chose que dire contrôleur ! Parce que les pères qui contrôlent trop anéantissent leurs enfants, ils ne les laissent pas grandir.

     L’Évangile nous parle de l’exemplarité du Père qui est aux cieux — le seul, dit Jésus, qui puisse véritablement être appelé « Père bon » (cf. Mt 10, 18). Tous connaissent cette extraordinaire parabole appelée du « fils prodigue », ou plutôt, du « père miséricordieux », qui se trouve dans l’Évangile de Luc au chapitre 15 (cf. 15, 11-32). Combien de dignité et combien de tendresse dans l’attente de ce père qui se tient sur le seuil de sa maison en attendant que son fils revienne ! Les pères doivent être patients. Tant de fois, il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre ; prier et attendre avec patience, douceur, magnanimité, miséricorde.

     Un bon père sait attendre et sait pardonner, du plus profond de son c½ur. Certes, il sait aussi corriger avec fermeté : ce n’est pas un père faible, accommodant, sentimental. Le père qui sait corriger sans humilier est aussi celui qui sait protéger sans se ménager. Un jour, lors d’une réunion de mariage, j’ai entendu un père dire : « Parfois, je dois donner une petite claque à mes enfants... Mais jamais sur la figure pour ne pas les humilier ». Comme c’est beau ! Il a le sens de la dignité. Il doit punir, il le fait de façon juste et il va de l’avant.

     S’il existe donc quelqu’un qui peut expliquer jusqu’au bout la prière du « Notre Père » enseignée par Jésus, c’est vraiment celui qui vit en première personne la paternité. Sans la grâce qui vient du Père qui est aux cieux, les pères perdent courage, et abandonnent la partie. Mais les enfants ont besoin de trouver un père qui les attende lorsqu’ils reviennent de leurs erreurs. Ils feront tout pour ne pas l’admettre, pour ne pas le faire voir, mais ils en ont besoin; et ne pas le trouver ouvre en eux des blessures difficiles à cicatriser.

     L’Église, notre mère, est engagée à soutenir de toutes ses forces la présence bonne et généreuse des pères dans les familles, car ils sont pour les nouvelles générations des gardiens et des médiateurs irremplaçables de la foi dans la bonté, de la foi dans la justice et sous la protection de Dieu, comme saint Joseph.

 

 

 

5 février 2015 – Aux Evêques Grecs en Visite Ad Limina

     L’affaiblissement de la famille, causé entre autres raisons par le processus de sécularisation, nécessite que l’Église s’engage à persévérer dans les programmes de formation au mariage, sans oublier le travail indispensable pour la formation chrétienne des nouvelles générations. Que les personnes âgées ne soient pas non plus absentes de vos préoccupations ; beaucoup d’entre elles se retrouvent aujourd’hui seules ou abandonnées parce que la culture du rebut se diffuse malheureusement un peu partout. Ne vous lassez pas de souligner, par vos paroles et vos actions, que la présence des personnes âgées dans la vie sociale est indispensable au bon cheminement d’un peuple

 

 

 

 

Message pour la Journée Mondiale du Malade, 11 février 2015

     « J’étais les yeux de l’aveugle, les pieds du boiteux » (29,15). Je méditer dans la perspective de la « sapientia cordis », la sagesse du c½ur.

    1. Cette sagesse n’est pas une connaissance théorique, abstraite, fruit de raisonnements. Elle est plutôt, comme le décrit saint Jacques dans son épître, « pure, puis pacifique, indulgente, bienveillante, pleine de pitié et de bons fruits, sans partialité, sans hypocrisie » (3,17). Elle est donc un comportement inspiré par l’Esprit Saint dans l’esprit et le c½ur de celui qui sait s’ouvrir à la souffrance des frères et reconnaît en eux l’image de Dieu. Faisons donc nôtre l’invocation du psaume : « Fais-nous savoir comment compter nos jours, que nous venions de c½ur à la sagesse ! » (Ps 90,12). Dans cette sapientia cordis, qui est don de Dieu, nous pouvons résumer les fruits de la Journée mondiale du Malade.

     2. La sagesse du c½ur veut dire servir le frère. Dans le discours de Job qui contient les paroles « j’étais les yeux de l’aveugle, les pieds du boiteux », est mise en évidence la dimension du service à ceux qui en ont besoin, de la part de l’homme juste qui jouit d’une certaine autorité et a une place importante parmi les anciens de la ville. Sa stature morale se manifeste dans le service du pauvre qui demande de l’aide, et également en prenant soin de l’orphelin et de la veuve (v. 12-13).

     Que de chrétiens rendent témoignage aujourd’hui encore, non par leurs paroles mais par leur vie enracinée dans une foi authentique, d’être « les yeux de l’aveugle » et les « pieds du boiteux » ! Des personnes qui sont proches des malades ayant besoin d’une assistance permanente, d’une aide pour se laver, s’habiller, se nourrir. Ce service, surtout lorsqu’il se prolonge dans le temps, peut devenir fatigant et pénible. Il est relativement facile de servir pendant quelques jours, mais il est difficile de soigner une personne pendant des mois, voire des années, également si celle-ci n’est plus à même de remercier. Et pourtant, voilà un grand chemin de sanctification ! Dans ces moments, on peut compter de manière particulière sur la proximité du Seigneur, et on est également un soutien spécial à la mission de l’Église.

     3. La sagesse du c½ur, c’est être avec le frère. Le temps passé à côté du malade est un temps sacré. C’est une louange à Dieu, qui nous conforme à l’image de son Fils, qui « n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mt 20,28). Jésus lui-même a dit : « Et moi je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22,27).

     Avec une foi vive, nous demandons à l’Esprit Saint de nous donner la grâce de comprendre la valeur de l’accompagnement, si souvent silencieux, qui nous conduit à consacrer du temps à ces s½urs et à ces frères qui, grâce à notre proximité et à notre affection, se sentent davantage aimés et réconfortés. En revanche, quel grand mensonge se dissimule derrière certaines expressions qui insistent tellement sur la « qualité de la vie », pour inciter à croire que les vies gravement atteintes par la maladie ne seraient pas dignes d’être vécues !

     4. La sagesse du c½ur, c’est la sortie de soi vers le frère. Notre monde oublie parfois la valeur spéciale du temps passé auprès du lit d’un malade, parce qu’on est harcelé par la hâte, par la frénésie de l’action, de la production et on oublie la dimension de la gratuité, de l’acte de prendre soin, de se charger de l’autre. En réalité, derrière cette attitude se dissimule souvent une foi tiède, oublieuse de cette parole du Seigneur qui déclare : « C’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).

     Voilà pourquoi je voudrais rappeler à nouveau « la priorité absolue de “la sortie de soi vers le frère” comme un des deux commandements principaux qui fondent toute norme morale et comme le signe le plus clair pour faire le discernement sur un chemin de croissance spirituelle en réponse au don absolument gratuit de Dieu » (Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 179). De la nature missionnaire même de l’Église jaillissent « la charité effective pour le prochain, la compassion qui comprend, assiste et encourage » (idem).

     5. La sagesse du c½ur c’est être solidaire avec le frère sans le juger. La charité a besoin de temps. Du temps pour soigner les malades et du temps pour les visiter. Du temps pour être auprès d’eux comme le firent les amis de Job : « Puis, s’asseyant à terre près de lui, ils restèrent ainsi durant sept jours et sept nuits. Aucun ne lui adressa la parole, au spectacle d’une si grande douleur » (Jb 2,13). Mais les amis de Job cachaient au fond d’eux-mêmes un jugement négatif à son sujet : ils pensaient que son malheur était la punition de Dieu pour une de ses fautes. Au contraire, la véritable charité est un partage qui ne juge pas, qui ne prétend pas convertir l’autre ; elle est libérée de cette fausse humilité qui, au fond, recherche l’approbation et se complaît dans le bien accompli.

     L’expérience de Job trouve sa réponse authentique uniquement dans la croix de Jésus, acte suprême de solidarité de Dieu avec nous, totalement gratuit, totalement miséricordieux. Et cette réponse d’amour au drame de la souffrance humaine, spécialement de la souffrance innocente, demeure imprimée pour toujours dans le corps du Christ ressuscité, dans ses plaies glorieuses, qui sont un scandale pour la foi mais sont également preuve de la foi (cf. Homélie pour la canonisation de Jean XXIII et de Jean-Paul II, 27 avril 2014).

     De même, lorsque la maladie, la solitude et l’incapacité l’emportent sur notre vie de don, l’expérience de la souffrance peut devenir un lieu privilégié de la transmission de la grâce et une source pour acquérir et renforcer la sapientia cordis. Donc, on peut comprendre que Job, à la fin de son expérience, en s’adressant à Dieu, peut déclarer : « Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu » (42,5). Et les personnes plongées dans le mystère de la souffrance et de la douleur, accueilli dans la foi, peuvent également devenir des témoins vivant d’une foi qui permet d’habiter la souffrance elle-même, bien que l’homme, par son intelligence, ne soit pas capable de la comprendre en profondeur.

    

 

 

Audience Générale du 11 février 2015

     Après avoir réfléchi sur les figures de la mère et du père, dans cette catéchèse sur la famille, je voudrais parler de l'enfant, ou plutôt, des enfants. Je m’inspire d’une belle image d’Isaïe. Le prophète écrit ceci : « tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton c½ur frémira et se dilatera. » (60, 4-5a). C’est une image splendide, une image du bonheur qui se réalise dans le rassemblement des parents et des enfants, qui marchent ensemble vers un avenir de liberté et de paix, après un long temps de privations et de séparation, quand le peuple juif se trouvait loin de sa patrie.

    Il y a en effet un lien étroit entre l’espérance d’un peuple et l’harmonie entre les générations. Ceci, nous devons bien y réfléchir. Il y a un lien étroit entre l’espérance d’un peuple et l’harmonie entre les générations. La joie des enfants fait frémir le c½ur de leurs parents et ouvre à un nouvel avenir. Les enfants sont la joie de leur famille et de la société. Ils ne sont pas un problème de biologie reproductive, ni une façon parmi d’autres de se réaliser. Et ils sont encore moins la possession de leurs parents… Non, les enfants sont un don, ils sont un cadeau : compris ? Les enfants sont un don. Chacun est unique et irremplaçable et, en même temps, nécessairement lié à ses racines. En effet, être fils ou fille selon le dessein de Dieu signifie porter en soi la mémoire et l’espérance d’un amour qui s’est réalisé précisément en donnant la vie à un autre être humain, original et nouveau. Et pour les parents, chacun des enfants est lui-même, est différent, est distinct. Permettez-moi un souvenir de famille. Je me souviens de ma maman, elle disait de nous – nous étions cinq - : « J’ai cinq enfants ». Quand on lui demandait : « Lequel préfères-tu ? », elle répondait : « J’ai cinq enfants, comme j’ai cinq doigts. [le pape montre ses doigts]. Si on tape sur celui-ci, j’ai mal ; si on tape sur cet autre, j’ai mal. Ils me font mal tous les cinq. Ce sont tous mes enfants, mais tous différents comme les doigts d’une main ». La famille, c’est comme cela ! Les enfants sont différents, mais ils sont tous des enfants.

    On aime son enfant parce que c’est son enfant, pas parce qu’il est beau ou parce qu’il est comme ceci ou comme cela. Non ! Parce que c’est son enfant ! Non pas parce qu’il pense comme moi ou qu’il incarne mes désirs. Un enfant est un enfant : une vie engendrée par nous, mais destinée à lui, à son bien, au bien de la famille, de la société, de toute l’humanité.

     C’est de là que vient aussi la profondeur de l’expérience humaine d’être fils ou fille, qui nous permet de découvrir la dimension plus gratuite de l’amour, qui n’a jamais finit de nous étonner. C’est la beauté d’être aimés en premier : les enfants sont aimés avant d’arriver. Je rencontre très souvent, sur la place, des mamans qui me montrent leur ventre et me demandent la bénédiction… ces enfants sont aimés avant de venir au monde. Et cela, c’est la gratuité, c’est l’amour ; ils sont aimés avant leur naissance, comme l’amour de Dieu qui nous aime toujours en premier. Ils sont aimés avant d’avoir fait quoi que ce soit pour le mériter, avant de savoir parler ou penser, et même carrément avant de venir au monde ! Être enfant est la condition fondamentale pour connaître l’amour de Dieu, qui est la source ultime de ce véritable miracle. Dans l’âme de tous les enfants, aussi vulnérables soient-ils, Dieu dépose le sceau de cet amour, qui est à la base de sa dignité personnelle, une dignité que rien ni personne ne pourra détruire.

     Aujourd’hui, il semble plus difficile pour les enfants d’imaginer leur avenir. Les pères – je le faisais remarquer dans les catéchèses précédentes – ont peut-être fait un pas en arrière et les enfants sont devenus plus indécis pour se lancer. Nous pouvons apprendre le bon rapport entre les générations de notre Père céleste qui laisse libre chacun de nous, mais qui ne nous laisse jamais seuls. Et si nous nous trompons, il continue de nous suivre avec patience sans que son amour pour nous diminue. Notre Père céleste ne fait jamais de pas en arrière dans son amour pour nous, jamais ! Il avance toujours et s’il ne peut pas avancer, il nous attend, mais il ne recule jamais ; il veut que ses enfants soient courageux et se lancent.

      Les enfants, de leur côté, ne doivent pas avoir peur de s’engager pour construire un monde nouveau ; il est juste qu’ils désirent que ce monde soit meilleur que celui qu’ils ont reçu ! Mais cela doit se faire sans arrogance, sans suffisance. Il faut savoir reconnaître la valeur de ses enfants et il faut toujours honorer ses parents.

     Le quatrième commandement demande aux enfants – et nous sommes tous des enfants ! – d’honorer leur père et leur mère (cf. Ex 20,12). Ce commandement vient aussitôt après ceux qui concernent Dieu lui-même. En effet, il contient quelque chose de sacré, quelque chose de divin, quelque chose qui se trouve à la racine de toutes les autres formes de respect entre les hommes. Et dans la formulation biblique du quatrième commandement, il est ajouté : « afin d’avoir longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu ». Le lien vertueux entre les générations est une garantie d’avenir, et c’est la garantie d’une histoire vraiment humaine. Une société d’enfants qui n’honorent pas leurs parents est une société sans honneur ; quand on n’honore pas ses parents, on perd son propre honneur ! C’est une société destinée à se remplir de jeunes arides et avides. Mais une société avare de génération, qui n’aime pas s’entourer d’enfants, qui les considère surtout comme une préoccupation, un poids, un risque, est une société déprimée. Pensons à toutes les sociétés que nous connaissons ici, en Europe : ce sont des sociétés déprimées parce qu’elles ne veulent pas d’enfants, elles n’ont pas d’enfants, le taux de naissance n’atteint pas un pour cent. Pourquoi ? Que chacun de nous y réfléchisse et réponde. Si une famille généreuse en enfants est regardée comme si elle était un poids, il y a quelque chose qui ne va pas ! La génération des enfants doit être responsable, comme l’enseigne l’encyclique Humanae vitae, du bienheureux pape Paul VI ; mais avoir davantage d’enfants ne peut pas devenir automatiquement un choix irresponsable. Ne pas avoir d’enfants est un choix égoïste. La vie rajeunit si elle acquiert des énergies en se multipliant : elle s’enrichit, elle ne s’appauvrit pas ! Les enfants apprennent à prendre en charge leur famille, ils mûrissent en en partageant les sacrifices, ils grandissent en appréciant les cadeaux que celle-ci représente. L’expérience joyeuse de la fraternité inspire le respect et le soin envers les parents, auxquels est due notre reconnaissance.

     Beaucoup parmi vous, ici, ont des enfants et nous sommes tous des enfants. Faisons une chose, une minute de silence. Que chacun de nous pense dans son c½ur à ses enfants – s’il en a - ; qu’il pense en silence. Et nous tous, pensons à nos parents et remercions Dieu pour le don de la vie. En silence, que ceux qui ont des enfants pensent à eux et pensons tous à nos parents. [Moment de silence] Que le Seigneur bénisse nos parents et qu’il bénisse vos enfants.

     Que Jésus, le Fils éternel, qui s’est fait fils dans le temps, nous aide à trouver la voie d’une nouvelle irradiation de cette expérience humaine si simple et si grande, qu’est le fait d’être des enfants. Dans la multiplication des générations, il y a un mystère d’enrichissement de la vie de tous qui vient de Dieu lui-même. Nous devons le redécouvrir et braver les préjugés ; et le vivre, dans la foi, dans une joie parfaite. Et je vous dis aussi : comme c’est beau, lorsque je passe au milieu de vous et que je vois les papas et les mamans qui soulèvent leurs enfants pour qu’ils soient bénis ; c’est un geste quasiment divin. Merci de faire cela !

 

 

 

Audience Générale du 11 mars 2015

    Grâce aux progrès de la médecine, la vie s’est allongée, mais la société ne s’est pas «élargie» à la vie ! Le nombre des personnes âgées s’est multiplié, mais nos sociétés ne se sont pas assez organisées pour leur faire place, avec le juste respect et la considération concrète pour leur fragilité et leur dignité. Tant que nous sommes jeunes, nous sommes incités à ignorer la vieillesse, comme s’il s’agissait d’une maladie à tenir à distance ; ensuite, quand nous vieillissons, en particulier si nous sommes pauvres, si nous sommes malades, seuls, nous faisons l’expérience des carences d’une société programmée sur l’efficacité, qui en conséquence ignore les personnes âgées. Et les personnes âgées sont une richesse, on ne peut pas les ignorer.

     Benoît xvi, en visitant une maison pour les personnes âgées, employa des mots clairs et prophétiques, s’exprimant ainsi : « La qualité d’une société, je dirais d’une civilisation, se juge aussi à la façon dont les personnes âgées sont traitées et à la place qui leur est réservée dans la vie commune » (12 novembre 2012). C’est vrai, l’attention à l’égard des personnes âgées fait la différence d’une civilisation. Porte-t-on de l’attention aux personnes âgées dans une civilisation ? Y a-t-il de la place pour la personne âgée ? Cette civilisation ira de l’avant si elle sait respecter la sagesse, la sapience des personnes âgées. Une civilisation où il n’y a pas de place pour les personnes âgées, ou qui les met au rebut parce qu’elles créent des problèmes, est une société qui porte en elle le virus de la mort.

     En Occident, les chercheurs présentent le siècle actuel comme le siècle du vieillissement, le nombre d’enfants diminue et celui des personnes âgées augmente. Ce déséquilibre nous interpelle, il est même un grand défi pour la société contemporaine. Pourtant, une certaine culture du profit insiste pour faire apparaître les personnes âgées comme un poids, un « lest ». Non seulement elles ne produisent pas, pense cette culture, mais elles sont une charge. En somme, quel est le résultat d’une telle façon de penser ? Il faut les mettre au rebut. Il est mauvais de voir des personnes âgées mises au rebut, c’est quelque chose de mauvais, c’est un péché ! On n’ose pas le dire ouvertement, mais on le fait ! Il y a quelque chose de lâche dans cette accoutumance à la culture du rebut. Mais nous sommes habitués à mettre les gens au rebut. Nous voulons faire disparaître notre peur accrue de la faiblesse et de la vulnérabilité, mais en agissant ainsi, nous augmentons chez les personnes âgées l’angoisse d’être mal supportées et d’être abandonnées.

     Pendant mon ministère à Buenos Aires, j’ai déjà touché du doigt cette réalité avec ses problèmes : « Les personnes âgées sont abandonnées, et pas seulement dans la précarité matérielle. Elles sont abandonnées dans l’incapacité égoïste d’accepter leurs limites qui reflètent nos limites, dans les nombreuses difficultés qu’elles doivent aujourd’hui surmonter pour survivre dans une civilisation qui ne leur permet pas de participer, de donner leur avis, ni d’être des référents selon le modèle consumériste du “seuls les jeunes peuvent être utiles et peuvent profiter”. Ces personnes âgées devraient en revanche être, pour toute la société, la réserve de sagesse de notre peuple. Les personnes âgées sont la réserve sapientielle de notre peuple ! Avec quelle facilité fait-on taire sa conscience quand il n’y a pas d’amour ! » (Seul l’amour peut nous sauver, Cité du Vatican 2013, p. 83). C’est ce qui se passe. Je me souviens, quand je visitais les maisons de repos, je parlais à tout le monde et j’ai souvent entendu cela : « Comment allez-vous ? Et vos enfants ? — Bien, bien — Combien en avez-vous ? — Beaucoup. — Et ils viennent vous rendre visite ? — Oui, oui, souvent, oui, ils viennent. — Quand sont-ils venus la dernière fois ? Je me souviens d’une dame âgée qui m’a répondu : « Et bien, à Noël ». Nous étions au mois d’août ! Huit mois sans avoir reçu la visite de ses enfants, abandonnée pendant huit mois ! Cela s’appelle un péché mortel, comprenez-vous ? Une fois, enfant, ma grand-mère nous a raconté l’histoire d’un grand-père âgé qui se salissait en mangeant, parce qu’il avait des difficultés à porter la cuillère remplie de soupe à sa bouche. Et son fils, c’est-à-dire le père de famille, avait décidé de le déplacer de la table commune et avait préparé une petite table à la cuisine, où on ne le voyait pas, pour qu’il mange seul. Ainsi il n’aurait pas fait une mauvaise impression quand ses amis venaient déjeuner ou dîner. Quelques jours plus tard, il rentra chez lui et trouva le plus petit de ses enfants qui jouait avec du bois, un marteau et des clous ; il fabriquait quelque chose, il lui dit : « Mais que fais-tu ? — Je fais une table, papa. — Une table, pourquoi ? — Pour l’avoir quand tu deviendras vieux, comme ça tu pourras manger là ». Les enfants ont plus de conscience que nous !

     Dans la tradition de l’Église, il existe un bagage de sagesse qui a toujours soutenu une culture de proximité des personnes âgées, une disposition à l’accompagnement affectueux et solidaire pendant cette partie finale de la vie. Cette tradition est enracinée dans l’Écriture Sainte, comme l’attestent par exemple ces expressions du livre du Siracide : « Ne fais pas fi du discours des vieillards, car eux-mêmes ont été à l’école de leurs parents ; c’est d’eux que tu apprendras la prudence et l’art de répondre à point nommé » (Si 8, 9).

     L’Église ne peut pas et ne veut pas se conformer à une mentalité d’intolérance, et encore moins d’indifférence et de mépris à l’égard de la vieillesse. Nous devons réveiller le sentiment collectif de gratitude, d’appréciation, d’hospitalité, qui ait pour effet que la personne âgée se sente une partie vivante de sa communauté.

     Les personnes âgées sont des hommes et des femmes, des pères et des mères qui sont passés avant nous sur notre même route, dans notre même maison, dans notre bataille quotidienne pour une vie digne. Ce sont des hommes et des femmes dont nous avons beaucoup reçu. La personne âgée n’est pas un extra-terrestre. La personne âgée, c’est nous, dans peu de temps, dans longtemps, mais cependant inévitablement, même si nous n’y pensons pas. Et si nous apprenons à bien traiter les personnes âgées, nous serons traités de la même manière.

     Nous, les personnes âgées, sommes un peu toutes fragiles. Certaines, cependant, sont particulièrement faibles, beaucoup sont seules, et frappées par la maladie. Certaines dépendent de soins indispensables et de l’attention des autres. Ferons-nous pour cela un pas en arrière ? Les abandonnerons-nous à leur destin ? Une société sans proximité, où la gratuité et l’affection sans contrepartie — même entre étrangers — disparaissent, est une société perverse. L’Église, fidèle à la Parole de Dieu, ne peut pas tolérer cette dégénérescence. Une communauté chrétienne où proximité et gratuité ne seraient plus considérées comme indispensables, perdrait son âme avec celles-ci. Là où on ne fait pas honneur aux personnes âgées, il n’y a pas d’avenir pour les jeunes.

 

 

 

 

Audience Générale du 11 mars 2015

     Dans la catéchèse d’aujourd’hui, nous poursuivons la réflexion sur les grands-parents, en considérant la valeur et l’importance de leur rôle dans la famille. Je le fais en m’identifiant à ces personnes, car moi aussi j’appartiens à cette tranche d’âge.

     Quand j’ai été aux Philippines, le peuple philippin me saluait en disant : « Lolo Kiko » — c’est-à-dire grand-père François — « Lolo Kiko », me disaient-ils ! Il est important de souligner une première chose : c’est vrai que la société tend à nous mettre de côté, mais certainement pas le Seigneur. Le Seigneur ne nous met jamais de côté ! Il nous appelle à le suivre à tous les âges de la vie, et être âgé contient aussi une grâce et une mission, une véritable vocation du Seigneur. Être âgé est une vocation. Ce n’est pas encore le moment de « baisser les bras ». Cette période de la vie est différente des précédentes, cela ne fait aucun doute ; nous devons également un peu « l’inventer », car nos sociétés ne sont pas prêtes, spirituellement et moralement, à donner à celle-ci, à ce moment de la vie, sa pleine valeur. En effet, autrefois il n’était pas aussi normal d’avoir du temps à disposition ; aujourd’hui cela l’est beaucoup plus. Et la spiritualité chrétienne a elle aussi été prise de court, il s’agit de tracer une spiritualité des personnes âgées. Mais grâce à Dieu les témoignages de saints et de saintes âgées ne manquent pas !

     J’ai été très frappé par la « Journée pour les personnes âgées » que nous avons célébrée ici sur la place Saint-Pierre l’année dernière, la place était pleine. J’ai écouté des récits de personnes âgées qui se prodiguent pour les autres, et aussi des histoires de couples d’époux, qui disaient : « Nous fêtons notre 50e anniversaire de mariage, nous fêtons notre 60e anniversaire de mariage ». Cela est important de le faire voir aux jeunes qui se lassent vite ; le témoignage des personnes âgées concernant la fidélité est important. Et sur cette place elles étaient très nombreuses ce jour-là. C’est une réflexion qu’il faut poursuivre, aussi bien dans le domaine ecclésial que civil. L’Évangile vient à notre rencontre avec une très belle image émouvante et encourageante. C’est l’image de Siméon et Anne, dont nous parle l’Évangile de l’enfance de Jésus composé par saint Luc. Ils étaient assurément âgés, le « vieux » Siméon et la « prophétesse » Anne qui avait 84 ans. Cette femme ne cachait pas son âge. L’Évangile dit qu’ils attendaient la venue de Dieu chaque jour, avec une grande fidélité, depuis de longues années. Ils voulaient vraiment voir ce jour, en saisir les signes, en pressentir le début. Peut-être étaient-ils aussi un peu résignés, désormais, à mourir avant : mais cette longue attente continuait à occuper toute leur vie, ils n’avaient pas d’engagements plus importants que celui-ci : attendre le Seigneur et prier. Et bien, quand Marie et Joseph arrivèrent au temple pour obéir aux prescriptions de la Loi, Siméon et Anne s’élancèrent, animés par l’Esprit Saint (cf. Lc 2, 27). Le poids de l’âge et de l’attente disparut en un instant. Ils reconnurent l’Enfant, et découvrirent une nouvelle force, pour une nouvelle tâche : rendre grâce et rendre témoignage pour ce Signe de Dieu. Siméon improvisa un très bel hymne de joie (cf. Lc 2, 29-32) — il a été poète à ce moment-là — et Anne devint la première prédicatrice de Jésus : « Elle parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem » (Lc 2, 38).

     Chers grands-parents, chères personnes âgées, plaçons-nous dans le sillage de ces vieux extraordinaires ! Devenons nous aussi un peu poètes de la prière : prenons goût à chercher nos mots, réapproprions-nous de ce que nous enseigne la Parole de Dieu. La prière des grands-parents et des personnes âgées est un grand don pour l’Église ! La prière des personnes âgées et des grands-parents est un don pour l’Église, c’est une richesse ! C’est également une grande transfusion de sagesse pour toute la société humaine, en particulier pour celle qui est trop affairée, trop prise, trop distraite. Quelqu’un doit bien chanter, pour eux aussi, chanter les signes de Dieu, proclamer les signes de Dieu, prier pour eux ! Regardons Benoît XVI, qui a choisi de passer dans la prière et dans l’écoute de Dieu la dernière période de sa vie ! C’est beau ! Un grand croyant du siècle dernier, de tradition orthodoxe, Olivier Clément, disait : « Une civilisation où l’on ne prie plus est une civilisation où la vieillesse n’a plus de sens. Et cela est terrifiant, nous avons besoin avant tout de personnes âgées qui prient, car la vieillesse nous est donnée pour cela ». Nous avons besoin de personnes âgées qui prient car la vieillesse nous est donnée précisément pour cela. C’est une belle chose que la prière des personnes âgées.

     Nous pouvons rendre grâce au Seigneur pour les bienfaits reçus, et remplir le vide de l’ingratitude qui l’entoure. Nous pouvons intercéder pour les attentes des nouvelles générations et donner dignité à la mémoire et aux sacrifices des générations passées. Nous pouvons rappeler aux jeunes ambitieux qu’une vie sans amour est une vie desséchée. Nous pouvons dire aux jeunes qui ont peur, que l’angoisse de l’avenir peut être vaincue. Nous pouvons enseigner aux jeunes qui s’aiment trop qu’il y a plus de joie à donner qu’à recevoir. Les grands-pères et les grands-mères forment la « chorale » permanente d’un grand sanctuaire spirituel, où la prière de supplication et le chant de louange soutiennent la communauté qui travaille et lutte sur le terrain de la vie.

     La prière, enfin, purifie sans cesse le c½ur. La louange et la prière à Dieu préviennent le durcissement du c½ur dans le ressentiment et dans l’égoïsme. Comme le cynisme d’une personne âgée qui a perdu le sens de son témoignage, qui méprise les jeunes et ne communique pas une sagesse de vie est laid ! Comme est beau, en revanche, l’encouragement qu’une personne âgée réussit à transmettre aux jeunes à la recherche du sens de la foi et de la vie ! C’est vraiment la mission des grands-parents, la vocation des personnes âgées. Les paroles des grands-parents ont quelque chose de spécial, pour les jeunes. Et ils le savent. Je conserve encore avec moi les paroles que ma grand-mère me remit par écrit le jour de mon ordination sacerdotale ; elles sont toujours dans mon bréviaire, je les lis souvent et cela me fait du bien.

     Comme je voudrais une Église qui défie la culture du rebut par la joie débordante d’une nouvelle étreinte entre les jeunes et les personnes âgées ! C’est ce que je demande aujourd’hui au Seigneur, cette étreinte !

 

 

Au terme de l’Audience Générale du 11 mars 2015

     J’invite vos familles à accueillir avec reconnaissance au milieu d’elles les personnes âgées, afin de recevoir leur témoignage de sagesse nécessaire aux jeunes générations.

 

 

 

 

 

Message pour le Carême 2015

     Le Carême est un temps de renouveau pour l’Église, pour les communautés et pour chaque fidèle. Mais c’est surtout un « temps de grâce » (2 Cor 6, 2)…. Dieu… n’est pas indifférent à nous. Il porte chacun de nous dans son c½ur, il nous connaît par notre nom, il prend soin de nous et il nous cherche quand nous l’abandonnons. Chacun de nous l’intéresse ; son amour l’empêche d’être indifférent à ce qui nous arrive. Mais il arrive que, quand nous allons bien et nous sentons à l’aise, nous oublions sûrement de penser aux autres (ce que Dieu le Père ne fait jamais), nous ne nous intéressons plus à leurs problèmes, à leurs souffrances et aux injustices qu’ils subissent… alors notre c½ur tombe dans l’indifférence : alors que je vais relativement bien et que je suis à l’aise, j’oublie ceux qui ne vont pas bien. Cette attitude égoïste, d’indifférence, a pris aujourd’hui une dimension mondiale, au point que nous pouvons parler d’une mondialisation de l’indifférence. Il s’agit d’un malaise que, comme chrétiens, nous devons affronter.

     Quand le peuple de Dieu se convertit à son amour, il trouve les réponses à ces questions que l’histoire lui pose continuellement. Un des défis les plus urgents sur lesquels je veux m’arrêter dans ce message, est celui de la mondialisation de l’indifférence.

     L’indifférence envers son prochain et envers Dieu est une tentation réelle même pour nous, chrétiens. C’est pour cela que nous avons besoin d’entendre, lors de chaque Carême, le cri des prophètes qui haussent la voix et qui nous réveillent.

     Dieu n’est pas indifférent au monde, mais il l’aime jusqu’à donner son Fils pour le salut de tout homme. Dans l’incarnation, dans la vie terrestre, dans la mort et la résurrection du Fils de Dieu, la porte entre Dieu et l’homme, entre ciel et terre, s’ouvre définitivement. Et l’Église est comme la main qui maintient ouverte cette porte grâce à la proclamation de la Parole, à la célébration des sacrements, au témoignage de la foi qui devient efficace dans la charité (cf. Ga 5, 6). Toutefois, le monde tend à s’enfermer sur lui-même et à fermer cette porte par laquelle Dieu entre dans le monde et le monde en lui. Ainsi, la main, qui est l’Église, ne doit jamais être surprise si elle est repoussée, écrasée et blessée.

     … Le chrétien est celui qui permet à Dieu de le revêtir de sa bonté et de sa miséricorde, de le revêtir du Christ, pour devenir comme lui, serviteur de Dieu et des hommes. …

     Il est nécessaire de traduire tout ce qui est dit par l’Église universelle dans la vie des paroisses et des communautés. Réussit-on dans ces réalités ecclésiales à faire l’expérience d’appartenir à un seul corps ? Un corps qui en même temps reçoit et partage tout ce que Dieu veut donner ? Un corps qui connaît et qui prend soin de ses membres les plus faibles, les plus pauvres et les plus petits ? Ou bien nous réfugions-nous dans un amour universel qui s’engage de loin dans le monde mais qui oublie le Lazare assis devant sa propre porte fermée ? (cf. Lc 16, 19-31).

 

     … Quand l’Église terrestre prie, s’instaure une communion de service réciproque et de bien qui parvient jusqu’en la présence de Dieu. Avec les saints qui ont trouvé leur plénitude en Dieu, nous faisons partie de cette communion dans laquelle l’indifférence est vaincue par l’amour. L’Église du ciel n’est pas triomphante parce qu’elle a tourné le dos aux souffrances du monde et se réjouit toute seule. Au contraire, les saints peuvent déjà contempler et jouir du fait que, avec la mort et la résurrection de Jésus, ils ont vaincu définitivement l’indifférence, la dureté du c½ur et la haine. Tant que cette victoire de l’amour ne pénètre pas le monde entier, les saints marchent avec nous qui sommes encore pèlerins. Sainte Thérèse de Lisieux, docteur de l’Église, convaincue que la joie dans le ciel par la victoire de l’amour crucifié n’est pas complète tant qu’un seul homme sur la terre souffre et gémit, écrivait : « Je compte bien ne pas rester inactive au Ciel, mon désir est de travailler encore pour l'Église et les âmes » (Lettre 254, 14 juillet 1897).

     Nous aussi, nous participons aux mérites et à la joie des saints et eux participent à notre lutte et à notre désir de paix et de réconciliation. Leur joie de la victoire du Christ ressuscité nous est un motif de force pour dépasser tant de formes d’indifférence et de dureté du c½ur.

 

     … La mission est ce que l’amour ne peut pas taire. …

      Je désire tant que les lieux où se manifeste l’Église, en particulier nos paroisses et nos communautés, deviennent des îles de miséricorde au milieu de la mer de l’indifférence !

 

     Même en tant qu’individu nous avons la tentation de l’indifférence. Nous sommes saturés de nouvelles et d’images bouleversantes qui nous racontent la souffrance humaine et nous sentons en même temps toute notre incapacité à intervenir. Que faire pour ne pas se laisser absorber par cette spirale de peur et d’impuissance ?

     … La souffrance de l’autre constitue un appel à la conversion parce que le besoin du frère me rappelle la fragilité de ma vie, ma dépendance envers Dieu et mes frères. Si nous demandons humblement la grâce de Dieu et que nous acceptons les limites de nos possibilités, alors nous aurons confiance dans les possibilités infinies que l’amour de Dieu a en réserve. Et nous pourrons résister à la tentation diabolique qui nous fait croire que nous pouvons nous sauver et sauver le monde tout seuls.

     …  Avoir un c½ur miséricordieux ne veut pas dire avoir un c½ur faible. Celui qui veut être miséricordieux a besoin d’un c½ur fort, solide, fermé au tentateur, mais ouvert à Dieu. Un c½ur qui se laisse pénétrer par l’Esprit et porter sur les voies de l’amour qui conduisent à nos frères et à nos s½urs. Au fond, un c½ur pauvre, qui connaisse en fait ses propres pauvretés et qui se dépense pour l’autre.

 

 

Message pour la Journée Mondiale de la Jeunesse  - Rameaux 2015

      Chers jeunes, la recherche du bonheur est commune à toutes les personnes, de tous les temps, et de tous les âges. Dieu a déposé dans le c½ur de chaque homme et de chaque femme un désir irrépressible de bonheur, de plénitude. Ne sentez-vous pas que vos c½urs sont inquiets et en recherche continuelle d’un bien qui puisse étancher leur soif d’infini ?

     Les premiers chapitres du livre de la Genèse nous présentent la magnifique béatitude à laquelle nous sommes appelés, et qui consiste en la communion parfaite avec Dieu, avec les autres, avec la nature, avec nous-mêmes. Le libre accès à Dieu, à son intimité et à sa vision était présent dans le projet de Dieu pour l’humanité dès ses origines, et faisait en sorte que la lumière divine imprégnait toutes les relations humaines de vérité et de transparence. Dans cet état de pureté originelle, les « masques » n’existaient pas, ni les faux-fuyants, ni les raisons de se cacher les uns aux autres. Tout était limpide et clair.

     Quand l’homme et la femme cèdent à la tentation et brisent la relation de communion confiante avec Dieu, le péché entre dans l’histoire humaine (cf. Gn 3). Les conséquences se font tout de suite connaître, y compris dans leurs relations avec soi-même, l’un avec l’autre, avec la nature. Et elles sont dramatiques ! La pureté des origines est comme polluée. À partir de ce moment l’accès direct à la présence de Dieu n’est plus possible. Il s’en suit la tendance à se cacher, l’homme et la femme doivent couvrir leur nudité. Privés de la lumière provenant de la vision du Seigneur, ils regardent la réalité qui les entoure de manière déformée, myope. La « boussole » intérieure qui les guidait dans la recherche du bonheur perd son point de référence et les appels du pouvoir, de la possession et de l’appétit du plaisir à n’importe quel prix, les entraînent dans le gouffre de la tristesse et de l’angoisse. 

     Nous trouvons dans les psaumes le cri que l’humanité adresse à Dieu du fond de l’âme : « Qui nous fera voir le bonheur ? Sur nous, Seigneur, que s’illumine ton visage » (Ps 4, 7). Le Père, dans sa bonté infinie, répond à cette supplique en envoyant son Fils. En Jésus, Dieu prend un visage humain. Par son incarnation, sa vie, sa mort et sa résurrection, il nous rachète du péché et nous ouvre des horizons nouveaux, jusqu’alors impensables.

     Et ainsi, dans le Christ, chers jeunes, se trouve le plein accomplissement de vos rêves de bonté et de bonheur. Lui seul peut satisfaire vos attentes, tant de fois déçues par les fausses promesses du monde. Comme le disait saint Jean-Paul II : « C’est lui, la beauté qui vous attire tellement ; c’est lui qui vous provoque par la soif de la radicalité qui vous empêche de vous habituer aux compromis ; c’est lui qui vous pousse à faire tomber les masques qui faussent la vie ; c’est lui qui lit dans vos c½urs les décisions les plus profondes que d’autres voudraient étouffer. C’est Jésus qui suscite en vous le désir de faire de votre vie quelque chose de grand » (Veillée de prière à Tor Vergata, 19 août 2000 : Documentation catholique, 97 (2000), p. 778 ).

     2. Heureux les c½urs purs…

     À présent cherchons à approfondir comment cette Béatitude passe par la pureté du c½ur. Avant tout nous devons comprendre le sens biblique du mot c½ur. Dans la culture juive, le c½ur est le centre des sentiments, des pensées, et des intentions de la personne humaine. Si la Bible nous enseigne que Dieu ne regarde pas les apparences, mais le c½ur (cf. 1S 16, 7), on peut dire aussi que c’est à partir de notre c½ur que nous pouvons voir Dieu. Cela parce que le c½ur résume l’être humain dans sa totalité et dans son unité de corps et d’âme, dans sa capacité d’aimer et d’être aimé.

     En ce qui concerne la définition de « pur », le mot grec utilisée par l’Évangéliste Matthieu est katharos, et signifie fondamentalement propre, limpide, libre de substance contaminante. Dans l’Évangile nous voyons Jésus détruire une certaine conception de la pureté rituelle liée à l’extériorité, qui interdisait tout contact avec des choses et des personnes (comme les lépreux et les étrangers), considérées comme impures. Aux pharisiens qui, comme tant de juifs de cette époque, ne mangeaient pas sans avoir fait les ablutions et qui observaient de nombreuses traditions liées au lavage des objets, Jésus dit de manière catégorique : « Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. C’est du dedans, du c½ur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure » (Mc 7, 15.21-22).

     En quoi consiste donc le bonheur qui jaillit d’un c½ur pur ? À partir de la liste des maux qui rendent l’homme impur, énumérés par Jésus, nous voyons que la question concerne surtout le champ de nos relations. Chacun de nous doit apprendre à discerner ce qui peut « polluer » son c½ur, se former une conscience droite et sensible, capable de « discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait » (Rm 12, 2). Si une saine attention à la sauvegarde de la création est nécessaire, pour la pureté de l’air, de l’eau et de la nourriture, combien plus devons-nous garder la pureté de ce que nous avons de plus précieux : nos c½urs et nos relations. Cette « écologie humaine » nous aidera à respirer l’air pur qui vient des belles choses, de l’amour vrai, de la sainteté.

     Un jour je vous ai posé la question : où est votre trésor ? Sur quel trésor repose votre c½ur ? (cf. Entretien avec quelques jeunes de Belgique, 31 mars 2014). Oui, nos c½urs peuvent s’attacher aux vrais ou aux faux trésors, ils peuvent trouver un repos authentique ou s’endormir, devenant paresseux et engourdis. Le bien le plus précieux que nous pouvons avoir dans la vie est notre relation avec Dieu. En êtes-vous convaincus ? Êtes-vous conscients de la valeur inestimable que vous avez aux yeux de Dieu ? Savez-vous que vous êtes  aimés et accueillis par lui, inconditionnellement, comme vous êtes ? Quand cette perception diminue, l’être humain devient une énigme incompréhensible, parce que savoir que l’on est aimé de Dieu inconditionnellement donne sens à notre vie. Vous rappelez-vous la conversation de Jésus avec le jeune homme riche (cf. Mc 10, 17-22) ? L’évangéliste Marc note que le Seigneur fixa son regard sur lui et l’aima (cf. v. 21), l’invitant ensuite à le suivre pour trouver le vrai trésor. Je vous souhaite, chers jeunes, que ce regard du Christ, plein d’amour, vous accompagne toute votre vie.

 

 

     L’époque de la jeunesse est celle où s’épanouit la grande richesse affective présente dans vos c½urs, le désir profond d’un amour vrai, beau et grand. Que de force il y a dans cette capacité d’aimer et d’être aimé ! Ne permettez pas que cette valeur précieuse soit falsifiée, détruite ou défigurée. Cela arrive quand l’instrumentalisation du prochain à nos fins égoïstes apparaît dans nos relations, parfois comme pur objet de plaisir. Le c½ur reste blessé et triste à la suite de ces expériences négatives. Je vous en prie : n’ayez pas peur d’un amour vrai, celui que nous enseigne Jésus et que saint Paul décrit ainsi : « L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne fait rien d’inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretint pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. L’amour ne passera jamais » (1Co 13, 4-8).

     En vous invitant à redécouvrir la beauté de la vocation humaine à l’amour, je vous exhorte aussi à vous rebeller contre la tendance diffuse à banaliser l’amour, surtout quand on cherche à le réduire seulement à l’aspect sexuel, en le détachant ainsi de ses caractéristiques essentielles de beauté, de communion, de fidélité et de responsabilité. Chers jeunes, « dans la culture du provisoire, du relatif, beaucoup prônent que l’important c’est de ‘‘jouir’’ du moment, qu’il ne vaut pas la peine de s’engager pour toute la vie, de faire des choix définitifs, ‘‘pour toujours’’, car on ne sait pas ce que nous réserve demain. Moi, au contraire, je vous demande d’être révolutionnaires, je vous demande d’aller à contre-courant ; oui, en cela je vous demande de vous révolter contre cette culture du provisoire, qui, au fond, croit que vous n’êtes pas en mesure d’assumer vos responsabilités, elle croit que vous n’êtes pas capables d’aimer vraiment. Moi, j’ai confiance en vous, jeunes, et je prie pour vous. Ayez le courage d’ ‘‘aller à contre-courant’’. Et ayez aussi le courage d’être heureux.» (Rencontre avec les jeunes volontaires de la Journée Mondiale de la Jeunesse de Rio, 28 juillet 2013).

     Vous les jeunes, soyez de bons explorateurs ! Si vous vous lancez à la découverte du riche enseignement de l’Église dans ce domaine, vous découvrirez que le christianisme ne consiste pas en une série d’interdits qui étouffent nos désirs de bonheur, mais en un projet de vie capable de fasciner nos c½urs !

 

3… parce qu’ils verront Dieu

     Dans le c½ur de chaque homme et de chaque femme résonne continuellement l’invitation du Seigneur : « Cherchez ma face ! » (Ps 27, 8). En même temps, nous devons toujours nous confronter à notre pauvre condition de pécheurs. C’est ce que nous lisons par exemple dans le Livre des Psaumes : « Qui peut gravir la montagne du Seigneur et se tenir dans le lieu saint ? L’homme au c½ur pur, aux mains innocentes » (Ps 24, 3-4). Mais nous ne devons pas avoir peur ni nous décourager : dans la Bible et dans l’histoire de chacun de nous, nous voyons que c’est toujours Dieu qui fait le premier pas. C’est Lui qui nous purifie afin que nous puissions être admis en sa présence.

     Le prophète Isaïe, quand il a reçu l’appel du Seigneur à parler en son nom, s’est effrayé et a dit : « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures » (Is 6, 5). Et pourtant, le Seigneur l’a purifié, en lui envoyant un ange qui a touché ses lèvres et lui a dit : « Ta faute est enlevée, ton péché est pardonné » (v. 7). Dans le Nouveau Testament, quand sur le lac de Génésareth Jésus a appelé ses premiers disciples et a accompli le prodige de la pêche miraculeuse, Simon Pierre est tombé à ses pieds en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur » (Lc 5, 8). La réponse ne s’est pas faite attendre : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras» (v. 10). Et quand l’un des disciples de Jésus lui a demandé : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit », le Maître a répondu : « Celui qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14, 8-9).

     L’invitation du Seigneur à le rencontrer est donc adressée à chacun de vous, en quelque lieu ou situation où il se trouve. Il suffit de « prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui » (Exhort. Ap. Evangelii gaudium, n. 3). Nous sommes tous pécheurs, ayant besoin d’être purifiés par le Seigneur. Mais il suffit de faire un petit pas vers Jésus pour découvrir qu’il nous attend toujours les bras ouverts, en particulier à travers le Sacrement de la Réconciliation, une occasion privilégiée de rencontre avec la miséricorde divine qui purifie et recrée nos c½urs.

 

Audience Générale du 18 mars 2015

     Après avoir passé en revue les diverses figures de la vie familiale — mère, père, enfants, frères, grands-parents —, je voudrais conclure ce premier groupe de catéchèse sur la famille en parlant des jeunes enfants. Je le ferai en deux temps: aujourd’hui je m’arrêterai sur le grand don que sont les enfants pour l’humanité – c’est vrai, ils sont un grand don pour l’humanité mais ils sont également exclus parce qu’on ne les laisse même pas naître – et prochainement je m’arrêterai sur certaines blessures qui malheureusement font mal à l’enfance. Il me vient à l’esprit les nombreux enfants que j’ai rencontrés durant mon dernier voyage en Asie: pleins de vie, d’enthousiasme, et d’un autre côté, je vois que dans le monde beaucoup d’entre eux vivent dans des conditions indignes... En effet, l’on peut juger la société à la façon dont on y traite les enfants, mais pas seulement moralement, sociologiquement aussi, si c’est une société libre ou une société esclave d’intérêts internationaux.

     En premier lieu, les enfants nous rappellent que nous tous, dans les premières années de notre vie, nous avons été dépendants des soins et de la bienveillance des autres. Et le Fils de Dieu ne s’est pas épargné ce passage. C’est le mystère que nous contemplons chaque année, à Noël. La crèche est l’icône qui nous communique cette réalité de la façon la plus simple et directe. Mais c’est curieux: Dieu n’a pas de difficulté à se faire comprendre des enfants et les enfants n’ont pas de problème pour comprendre Dieu. Ce n’est pas un hasard si dans l’Evangile il y a certaines paroles très belles et fortes de Jésus sur les «petits». Ce terme de «petits» indique toutes les personnes qui dépendent de l’aide des autres, en particulier les enfants. Jésus dit par exemple: «Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits» (Mt 11, 25). Et encore: «Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits: car, je vous le dis, leurs anges aux cieux voient constamment la face de mon Père qui est aux cieux» (Mt 18, 10).

     Ainsi, les enfants constituent une richesse pour l’humanité et également pour l’Eglise, parce qu’ils nous rappellent constamment à la condition nécessaire pour entrer dans le Royaume de Dieu: celle de ne pas nous considérer auto-suffisants, mais dans le besoin d’aide, d’amour, de pardon. Et nous tous, nous avons besoin d’aide, d’amour et de pardon! Les enfants nous rappellent une autre belle chose; ils nous rappellent que nous sommes toujours des enfants: même si quelqu’un devient adulte, ou âgé, même s’il devient parent, s’il occupe un poste à responsabilité, au fond l’identité de l’enfant demeure. Nous sommes tous des enfants. Et cela nous renvoie toujours au fait que nous ne nous sommes pas donné la vie nous-mêmes mais nous l’avons reçue. Le grand don de la vie est le premier cadeau que nous avons reçu. Parfois, nous risquons de vivre en oubliant cela, comme si nous étions les maîtres de notre existence, alors que nous sommes radicalement dépendants. En réalité, il est très réjouissant d’entendre qu’à tout âge de la vie, dans chaque situation, dans chaque condition sociale, nous sommes et demeurons enfants. C’est le message principal que les enfants nous livrent, de par leur présence même: par leur simple présence, ils nous rappellent que nous tous et chacun de nous, sommes des enfants. Mais il y a tellement de dons, tant de richesses que les enfants apportent à l’humanité. J’en rappelle seulement quelques-uns. 

     Ils conduisent leur façon de voir la réalité, avec un regard confiant et pur. L’enfant a une confiance spontanée en son père et en sa mère; il a une confiance spontanée en Dieu, en Jésus, en la Vierge. Dans le même temps, son regard intérieur est pur, pas encore pollué par la malice, par les duplicités, par les «incrustations» de la vie qui durcissent le c½ur. Nous savons que les enfants possèdent le péché originel, qu’ils ont leurs égoïsmes, mais ils conservent une pureté et une simplicité intérieure.

     Mais les enfants ne sont pas diplomates: ils disent ce qu’ils sentent, ils disent ce qu’ils voient, directement. Et ils mettent souvent leurs parents en difficulté, en disant devant d’autres personnes: «Celui-là ne me plaît pas parce qu’il est laid». Mais les enfants disent ce qu’ils voient, ce ne sont pas des personnes doubles, ils n’ont pas encore appris cette science de la duplicité que nous adultes avons malheureusement apprise.

     En outre, les enfants — dans leur simplicité intérieure — portent en eux la capacité de recevoir et de donner de la tendresse. La tendresse est d’avoir un c½ur «de chair» et non «de pierre», comme le dit la Bible (cf. Ez 36, 26). La tendresse est également poésie: c’est «sentir» les choses et les événements, ne pas les traiter comme de purs objets, seulement pour les utiliser, parce qu’ils servent...

     Les enfants ont la capacité de sourire et de pleurer. Certains, quand on les prend dans les bras pour les embrasser, sourient; d’autres me voient habillé de blanc et croient que je suis le médecin et que je viens leur faire un vaccin, et ils pleurent... mais spontanément! Les enfants sont ainsi: ils sourient et ils pleurent, deux choses qui chez nous, les grands, «se bloquent» souvent, nous n’en sommes plus capables... Très souvent notre sourire devient un sourire en carton, une chose sans vie, un sourire qui n’est pas vivant, également un sourire artificiel, de clown. Les enfants sourient spontanément et pleurent spontanément. Cela dépend toujours du c½ur, et souvent notre c½ur se bloque et perd cette capacité de sourire, de pleurer. Alors les enfants peuvent nous apprendre à nouveau à sourire et à pleurer. Mais nous devons nous-mêmes nous demander: est-ce que je souris spontanément, avec fraîcheur, avec amour ou bien mon sourire est-il artificiel? Est-ce que je pleure encore ou bien ai-je perdu la capacité de pleurer? Deux questions très humaines que les enfants nous enseignent.

     C’est pour toutes ces raisons que Jésus invite ses disciples à «devenir comme les enfants», car «c’est à ceux qui sont comme eux qu’appartient le Royaume de Dieu» (cf. Mt 18, 3; Mc 10, 14).

     Chers frères et s½urs, les enfants apportent la vie, la joie, l’espérance, également des problèmes. Mais la vie est faite ainsi. Ils apportent certainement aussi des préoccupations et parfois de nombreux problèmes; mais il vaut mieux une société avec ces préoccupations et ces problèmes qu’une société triste et grise parce qu’elle est restée sans enfants! Et quand nous voyons que le niveau des naissances d’une société arrive à peine à un pour cent, nous pouvons dire que cette société est triste, est grise parce qu’elle est restée sans enfants.

 

 

 

Audience Générale du 15 avril 2015

     Dans le Livre de la Genèse, nous lisons que Dieu, après avoir créé l’univers et tous les êtres vivants, créa le chef d’½uvre, c’est-à-dire l’être humain, qu’il fit à son image: «à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa» (Gn 1, 27), ainsi dit le Livre de la Genèse. 

     Et comme nous le savons tous, la différence sexuelle est présente sous tant de formes de vie, dans les différentes formes d’espèces vivantes. Mais ce n’est que dans l’homme et la femme qu’elle porte en elle l’image et la ressemblance de Dieu: le texte biblique le répète au moins trois fois dans deux versets (26-27); l’homme et la femme sont à l’image et à la ressemblance de Dieu. Cela nous dit que non seulement l’homme pris en soi est à l’image de Dieu, non seulement la femme prise en soi est l’image de Dieu, mais aussi que l’homme et la femme, comme couple, sont l’image de Dieu. La différence entre l’homme et la femme ne vise pas l’opposition, ou la subordination, mais la communion, l’engendrement, toujours à l’image et ressemblance de Dieu.

     L’expérience nous l’enseigne: pour bien nous connaître et croître harmonieusement, l’être humain a besoin de la réciprocité entre homme et femme. Lorsque cela n’est pas le cas, on en voit les conséquences. Nous sommes faits pour nous écouter et nous aider réciproquement. Nous pouvons dire que sans l’enrichissement réciproque dans cette relation — dans la pensée et dans l’action, dans les attaches familiales et dans le travail, et également dans la foi — tous deux ne peuvent même pas comprendre pleinement ce que signifie être homme et femme.

     La culture moderne et contemporaine a ouvert de nouveaux espaces, de nouvelles libertés et de nouvelles profondeurs pour l’enrichissement de la compréhension de cette différence. Mais elle a introduit également de nombreux doutes et beaucoup de scepticisme. Par exemple, je me demande si ce que l’on appelle la théorie du gender n’est pas également l’expression d’une frustration et d’une résignation, qui vise à effacer la différence sexuelle parce qu’elle ne sait plus s’y confronter. Oui, nous risquons de faire un pas en arrière. L’annulation de la différence, en effet, est le problème, pas la solution. Pour résoudre leurs problèmes de relation, l’homme et la femme doivent au contraire se parler davantage, s’écouter davantage, se connaître davantage, s’aimer davantage. Ils doivent se traiter avec respect et coopérer avec amitié. Avec ces deux bases humaines, soutenues par la grâce de Dieu, il est possible de projeter l’union matrimoniale et familiale pour toute la vie. Le lien matrimonial et familial est une chose sérieuse, il l’est pour tous, pas seulement pour les croyants. Je voudrais exhorter les intellectuels à ne pas déserter ce thème, comme s’il était devenu secondaire pour l’engagement en faveur d’une société plus libre et plus juste.

     Dieu a confié la terre à l’alliance de l’homme et de la femme: son échec rend aride le monde des attaches familiales et obscurcit le ciel de l’espérance. Les signaux sont déjà préoccupants et nous les voyons. Je voudrais indiquer, parmi beaucoup d’autres, deux points qui doivent selon moi nous engager avec plus d’urgence.

     Le premier. Il ne fait aucun doute que nous devons faire beaucoup plus en faveur de la femme, si nous voulons redonner plus de force à la réciprocité entre hommes et femmes. Il est nécessaire, en effet, que la femme non seulement soit plus écoutée, mais que sa voix ait un poids réel, une autorité reconnue, dans la société et dans l’Eglise. La façon même dont Jésus a considéré la femme dans un contexte moins favorable que le nôtre, parce qu’à cette époque, la femme était vraiment placée au second plan, et Jésus l’a considérée d’une façon qui émet une lumière puissante, qui illumine une route qui conduit loin, dont nous avons parcouru uniquement un petit bout. Nous n’avons pas encore compris en profondeur quelles sont les choses que peuvent nous apporter le génie féminin, les choses que la femme peut apporter à la société et à nous aussi: la femme sait voir les choses avec d’autres yeux qui complètent la pensée des hommes. C’est une voie à parcourir avec plus de créativité et d’audace.

     Une deuxième réflexion concerne le thème de l’homme et de la femme créés à l’image de Dieu. Je me demande si la crise de confiance collective en Dieu, qui nous fait tant de mal, qui nous rend malades de résignation face à l’incrédulité et le cynisme, n’est pas liée elle aussi à la crise de l’alliance entre homme et femme. En effet, le récit biblique, avec la grande fresque symbolique sur le paradis terrestre et le péché originel, nous dit précisément que la communion avec Dieu se reflète dans la communion du couple humain et la perte de la confiance dans le Père céleste engendre la division et le conflit entre l’homme et la femme.

     D’où la grande responsabilité de l’Eglise, de tous les croyants, et surtout des familles de croyants, pour redécouvrir la beauté du dessein créateur qui inscrit l’image de Dieu également dans l’alliance entre l’homme et la femme. La terre se remplit d’harmonie et de confiance lorsque l’alliance entre l’homme et la femme est vécue dans le bien. Et si l’homme et la femme la recherchent ensemble entre eux et avec Dieu, ils la trouvent sans aucun doute. Jésus nous encourage de façon explicite au témoignage de cette beauté qui est l’image de Dieu.

 

 

 

 

6 juin 2015 – Le Saint-Père rencontre les prêtres, religieux eet séminaristes,  à Sarajevo. Paroles improvisées.

     Il me vient à l’esprit ce qu’a dit le Cardinal Archevêque : qu’est ce qui arrive au jardin de la vie, c’est-à-dire la famille ? Une mauvaise chose arrive : qu’elle ne fleurisse pas. Priez pour les familles, pour qu’elles fleurissent en de nombreux enfants et qu’y il ait aussi de nombreuses vocations.

 

 

 

 

17 juin 2015  Au terme de l’Audience Générale

     Chers nouveaux mariés, sur le chemin que vous avez entrepris, approchez-vous de l'Eucharistie, afin que nourris du Christ vous soyez des familles chrétiennes touchées par l’amour du C½ur de Jésus 

21 juin 2015 – Rencontre du Pape François avec les jeunes, à Turin. Discours improvisé

     Je me permets de rappeler les paroles du bienheureux Pier Giorgio Frassati, un jeune comme vous : « Vivre, ne pas vivoter ! ». Vivre !

     Vous savez qu’il n’est pas bien de voir un jeune qui vit « à l’arrêt », mais qui vit — permettez-moi l’expression — comme un légume : il fait des choses, mais sa vie n’est pas une vie qui bouge, c’est une vie immobile. Effectivement, cela me rend très triste lorsque je vois des jeunes qui vont à la retraite à 20 ans ! Oui, ils vieillissent tôt... : Ce qui fait qu’un jeune ne va pas à la retraite est la volonté d’aimer, la volonté de donner ce que l’homme a de plus beau, et ce que Dieu a de plus beau, parce que la définition que Jean donne de Dieu est « Dieu est amour ». Et quand le jeune aime, il vit, il croît, il ne va pas à la retraite. Il croît, il croît et donne.

     Mais qu’est-ce que l’amour ? « Est-ce un feuilleton télévisé, mon père ? Ce que nous voyons dans les romans photos ? Certains pensent que c’est cela l’amour. Parler de l’amour est très beau, on peut dire des choses belles, belles, belles. Mais l’amour tourne autour de deux axes, et si une personne, un jeune, ne possède pas ces deux axes, ces deux dimensions de l’amour, ce n’est pas de l’amour. Avant tout, l’amour réside davantage dans les gestes que dans les paroles : l’amour est concret. L’amour est concret, et réside davantage dans les gestes que dans les paroles. Ce n’est pas de l’amour lorsque l’on se limite à dire : « Je t’aime, j’aime tout le monde ». Non. Que fais-tu par amour ? L’amour se donne. Pensez que Dieu a commencé à parler de l’amour lorsqu’il s’est engagé pour son peuple, quand il a choisi son peuple, lorsqu’il a établi une alliance avec son peuple, il a sauvé son peuple, il a pardonné tant de fois — Dieu a beaucoup de patience ! — : il a fait, il a accompli des gestes d’amour, des ½uvres d’amour. Et la deuxième dimension, le deuxième axe autour duquel tourne l’amour et que l’amour se communique toujours, c’est-à-dire que l’amour écoute et répond, l’amour se fait dans le dialogue, dans la communion, il se communique. L’amour n’est ni sourd, ni muet, il se communique. Ces deux dimensions sont très utiles pour comprendre ce qu’est l’amour, qui n’est pas un sentiment romantique d’un instant ou une histoire, non, il est concret, il réside dans les gestes. Et il se communique, c’est-à-dire qu’il est dans le dialogue, toujours.

     L’amour est dans les gestes, dans la communication, mais l’amour est très respectueux des personnes, il n’utilise pas les personnes, et donc l’amour est chaste. Et à vous, jeunes dans ce monde, dans ce monde hédoniste, dans ce monde où l’on ne vante que le plaisir, le fait de bien s’en sortir, de mener une belle vie, moi je vous dis : soyez chastes, soyez chastes.

     Nous sommes tous passés dans la vie par des moments où cette vertu est très difficile, mais c’est précisément la voie d’un amour authentique, d’un amour qui sait donner la vie, qui ne cherche pas à utiliser l’autre pour son propre plaisir. C’est un amour qui considère sacrée la vie de l’autre personne: je te respecte, je ne veux pas t’utiliser, je ne veux pas t’utiliser. Cela n’est pas facile. Nous connaissons tous les difficultés de surmonter cette conception « facile » et hédoniste de l’amour. Pardonnez-moi si je dis une chose que vous n’attendiez pas, mais je vous demande : efforcez-vous de vivre l’amour de façon chaste.

     Et nous tirons une conséquence de cela : si l’amour est respectueux, si l’amour est dans les gestes, si l’amour est dans la communication, l’amour se sacrifie pour les autres. Regardez l’amour des parents, de nombreuses mères, de nombreux pères qui le matin arrivent fatigués parce qu’ils n’ont pas bien dormi pour soigner leur enfant malade, ça c’est de l’amour ! C’est du respect. Ce n’est pas avoir une vie facile. Cela est — nous évoquons ici un autre mot-clé — un « service ». L’amour est service. C’est servir les autres. Lorsque Jésus, après le lavement des pieds, a expliqué son geste aux apôtres, il a enseigné que nous sommes faits pour nous servir les uns les autres, et si je dis que j’aime et que je ne sers pas l’autre, je n’aide pas l’autre, je ne le fais pas aller de l’avant, je ne me sacrifie pas pour l’autre, cela n’est pas de l’amour. Cet histoire d’amour de Dieu interpellé à travers les gestes et à travers le dialogue, avec le respect, avec le pardon, avec la patience au cours de tant de siècles d’histoire avec son peuple, finit là : son Fils sur la croix, le service plus grand, qui est de donner la vie, se sacrifier, aider les autres. Il n’est pas facile de parler d’amour, il n’est pas facile de vivre l’amour.

 

     Aujourd’hui aussi, nous vivons une culture du rebut. Parce que ce qui n’a aucune utilité économique est mis au rebut. On met au rebut les enfants, parce que l’on n’en fait pas, ou parce qu’on les tue avant qu’ils ne viennent au monde ; on met au rebut les personnes âgées, parce qu’elle ne servent pas et on les laisse là, mourir, dans une sorte d’euthanasie cachée, et on ne les aide pas à vivre ; et à présent, on met au rebut les jeunes : pense à ces 40% de jeunes ici, sans travail. C’est vraiment un rebut ! Mais pourquoi ? Parce que dans le système économique mondial, ce n’est pas l’homme et la femme qui sont au centre, comme le veut Dieu, mais le dieu-argent. On fait tout pour l’argent. En espagnol, il y a un beau dicton qui dit : « Por la plata baila el mono ». Je traduis : « Pour l’argent, même le singe danse ». Et ainsi, avec cette culture du rebut, peut-on avoir confiance dans la vie ? Avec ce sens de défi qui s’étend, s’étend, s’étend ? Un jeune qui ne peut pas étudier, qui n’a pas de travail, qui a honte de ne pas se sentir digne parce qu’il n’a pas d’argent, ne gagne pas sa vie. Mais combien de fois ces jeunes finissent-ils dans les dépendances ? Combien de fois se suicident-ils ? On ne connaît pas bien les statistiques relatives aux suicides des jeunes. Ou combien de fois ces jeunes vont-ils lutter aux côtés des terroristes, au moins pour faire quelque chose, pour un idéal. Je comprends ce défi. C’est pour cela que Jésus nous disait de ne pas placer nos sécurités dans les richesses, dans les pouvoirs mondains. Comment puis-je avoir confiance dans la vie ? Comment puis-je faire, comment puis-je vivre une vie qui ne détruise pas, qui ne soit pas une vie de destruction, une vie qui n’écarte pas les personnes ? Comment puis-je vivre une vie qui ne me déçoit pas ?

 

     Faire à contre-courant. Pour vous, jeunes qui vivez cette situation économique, même culturelle, hédoniste, consumiste, avec des valeurs comme des « bulles de savon », avec ces valeurs, on ne va pas de l’avant. Faire des choses constructives, même petites, mais qui nous rassemblent, nous unissent entre nous, avec nos idéaux, tel est le meilleur antidote contre ce manque de confiance dans la vie, contre cette culture qui t’offre uniquement le plaisir, avoir une vie facile, avoir de l’argent et ne pas penser à autre chose.

 

             Très souvent, les publicités veulent nous convaincre que cela est beau, que cela est bon, et ils nous font croire que ce sont des « diamants », mais en réalité, ils nous vendent du verre ! Et nous devons aller contre cela, ne plus être ingénus. Ne pas acheter de saletés qu’on nous fait passer pour des diamants.

 

 

 

 

11 juillet 2015 – Rencontre  avec les prêtres, au Paraguay 

     Nous qui chantons qu’« il en coûte au Seigneur de voir mourir les siens » (Ps 115, 15), nous sommes ceux qui luttons, qui nous donnons du mal, nous défendons la valeur de toute vie humaine, depuis la conception jusqu’à ce que le nombre des années s’accroisse et que les forces se réduisent. La prière est reflet de l’amour que nous ressentons pour Dieu, pour les autres, pour le monde créé.

 

 

 

 

 

 

27 décembre 2015 – Homélie de la Messe – Solennité de la Sainte Famille

      Comme cela nous fait du bien de penser que Marie et Joseph ont enseigné à Jésus à réciter les prières ! Et cela est un pèlerinage, le pèlerinage de l’éducation à la prière. Et cela nous fait aussi du bien de savoir que durant la journée ils priaient ensemble ; et qu’ensuite le samedi, ils allaient ensemble à la synagogue pour écouter les Écritures de la Loi et des Prophètes et louer le Seigneur avec tout le peuple. Et certainement durant le pèlerinage vers Jérusalem, ils ont prié en chantant avec les paroles du Psaume : « Quelle joie quand on m’a dit : “Nous irons à la maison du Seigneur !”. Maintenant notre marche prend fin devant tes portes, Jérusalem ! » (122, 1-2).

     Comme il est important pour nos familles de marcher ensemble et d’avoir un même but à atteindre ! Nous savons que nous avons un parcours commun à accomplir ; une route où nous rencontrons des difficultés mais aussi des moments de joie et de consolation. Dans ce pèlerinage de la vie, nous partageons aussi le moment de la prière. Qu’y-a-t-il de plus beau pour un papa et une maman que de bénir leurs enfants au début de la journée et à sa conclusion ? Tracer sur leur front le signe de la croix comme le jour du Baptême. N’est-ce pas peut-être la prière la plus simple des parents pour leurs enfants ? Les bénir, c’est-à-dire les confier au Seigneur, comme l’ont fait Elkana et Anne, Joseph et Marie, pour qu’il soit leur protection et leur soutien dans les différents moments de la journée. Comme il est important pour la famille de se retrouver aussi pour un bref moment de prière avant de prendre ensemble les repas, pour remercier le Seigneur de ces dons, et pour apprendre à partager ce qui est reçu avec celui qui est davantage dans le besoin. Ce sont de tout-petits gestes qui expriment cependant le rôle de formation que possède la famille dans le pèlerinage de tous les jours.

          Que chaque famille chrétienne puisse devenir un lieu privilégié de ce pèlerinage où s’expérimente la joie du pardon. Le pardon est l’essence de l’amour qui sait comprendre l’erreur et y porter remède. Pauvres de nous si Dieu ne nous pardonnait pas ! C’est à l’intérieur de la famille qu’on s’éduque au pardon, parce qu’on a la certitude d’être compris et soutenus malgré les erreurs qui peuvent se commettre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

publié le : 27 février 2025

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