Père Daniel Ange
Il fait noir. Les dernières étoiles brillent encore, avant de s’éteindre une à une, marquant la fin du shabbat. Elles cèdent à l’aurore d’un jour nouveau. C’est le premier jour de la semaine, ou le huitième de la précédente (chiffre de la plénitude, au-delà de 7, chiffre parfait).
Une jeune fille court à perdre haleine. Elle n’a peur de rien, ni de la nuit, ni de cette pierre énorme, qu’il faudra bien rouler pour embaumer le corps. Ni de ces gardes postés à l’entrée, qui risquent de lui faire Dieu sait quoi… Et même pas de la mort.
Elle est amoureuse. Les amoureuses n’ont peur de rien. Et comme les femmes sont plus profondément amoureuses que les hommes, elles sont plus facilement victorieuses de la peur. Plus audacieuses, plus intrépides : indomptables ! Myriam veut retrouver à tout prix – au prix de tous les risques – le corps de son Amour. Son âme ne lui suffit pas, c’est sa chair dont elle a besoin. Elle ne peut pas vivre sans la chair de Celui qui est la vie même de son cœur. Ça, c’est l’amour !
Ce Corps, elle veut au moins l’étreindre une dernière fois – Dieu sait comment, puisque la lourde pierre est roulée ! Même si… c’est un cadavre ! Et j’en ai vu des mamans, des sœurs, des filles, baiser une dernière fois le visage de leur époux, de leur enfant, de leur frère, de leur père reposant déjà dans le cercueil.
Ô stupeur, la pierre est roulée lorsqu’elle arrive ! Inimaginable ! Comment ? Quand ? Par qui ? Dans sa panique, elle ne pense même pas à regarder au-dedans. Affolée, elle se précipite prévenir l’Église : Pierre-le-fougueux et Jean-l’amoureux.
Et les voilà tous deux courant à toutes jambes : Pierre alourdi par l’âge, et Jean frêle et agile, presque adolescent encore. Arrivé en tête du mini-marathon, il respecte Pierre-le-Pape et attend que celui-ci entre le premier.
Spectacle insolite, saisissant, stupéfiant : Jésus n’est plus là ! Les linges sont intacts, affaissés sur eux-mêmes, à plat, gardant la forme du corps, mais… personne dedans ! Et la mentonnière qui entourait la tête, avec exactement la forme légèrement ovale de celle-ci, sous le drap gisant à terre. On n’a pas pu l’enlever… C’est matériellement impossible !
Énigme[1] !
Que s’est-il donc passé ? Au cœur de la nuit, j’imagine le Père venant poser sa main sur son front, lui saisir la main :
« Mon petit, ô toi qui dors, réveille-toi Lève-toi d’entre les morts ! Surgis à la lumière ! » [Ep 5, 15]
Le Père qui vient réveiller son Petit qui ne fait que dormir. Celui-ci n’avait-il pas dit lui-même : « Elle n’est pas morte, elle dort ! » [Lc 8, 57]
Et le Père de souffler son Esprit Saint sur le Fils, comme au premier matin du monde, dans le souffle de la Création originelle. Non pas sur son Fils en tant que tel – lui qui possède l’Esprit Saint de toute éternité –, mais sur son corps de chair :
« Qu’en toi resplendisse et brûle notre Esprit ! Esprit de feu et de lumière ! »
Et voilà : tout à coup ce corps frémit, s’anime, bouge, se glisse hors de ce long drap qui l’enveloppait des pieds à la tête, et de la tête aux pieds. Il le traverse, comme ça, sans qu’un seul pli n’y soit fait[2]. Dieu sait comment !
Il se redresse, surgit, bondit, s’élance…
Il est le même qu’avant sa mort charnelle, et en même temps tout autre. Avec un corps entièrement lumineux, transparent, translucide, et pourtant bel et bien son même corps de chair. Chair qui n’est plus que lumière. Corps qui n’est limité ni par le temps, ni par l’espace. Aucun obstacle ne peut l’empêcher d’aller et venir.
Mystère que nous ne comprendrons qu’au ciel !
« Éveille-toi, mon enfant, éveille l’aurore du monde nouveau ! » [Ps 108]
Premier jour de la semaine ! Premier matin du monde recréé dans sa splendeur originelle ! Ce corps de Jésus contient en lui toute la Création renouvelée. Il en est comme la première cellule, le nucleus originel (noyau nucléaire), d’où va surgir – tout au long des temps – l’humanité neuve, l’humanité éternisée, l’humanité glorifiée. Il nous contient tous dans son corps de gloire. Nous sommes tous au-dedans de Lui. Tout ce que nous serons un jour, tout ce que nous deviendrons est déjà ici présent. Comme toute une existence inscrite dans notre génome, et plus précisément dans notre code génétique.
Le Père soufflant sur Lui et l’éveillant à la gloire sans fin, c’est déjà le Père ressuscitant un jour nos corps pour nous donner part à la gloire de son Fils.
Tel est l’événement le plus prodigieux, le plus décisif, le plus fulgurant de toute l’histoire de la Création. Dans la logique même de l’instant où Dieu a pris ma chair, instant qui coupe l’histoire du monde en deux.
Voici que cette chair tout à coup ressuscite. De morte qu’elle était, la voilà débordante de vie. Une vie sur laquelle la mort n’aura plus jamais, jamais, jamais d’emprise. A la différence des résurrections que lui-même a opérées (à Naïm, à Béthanie), voici toute l’immortalité divine qui éclate dans cette chair mortelle. Chair qu’il m’avait empruntée, mais qu’il tient à garder pour toute l’éternité. Dans ce corps, voici insufflée une vie que plus rien jamais ne pourra lui ravir.
Cela se fait d’une manière si déconcertante ! Non dans les éclairs et les flammes du Sinaï [Ex 24] ; même pas dans la fulguration glorieuse de la nuit du Thabor [Mt 17] : tout se fait en silence, comme au jour de l’Annonciation. Dans la plus stricte intimité. Presque dans la clandestinité.
IL aurait pu se manifester spectaculairement à tous les habitants de Jérusalem, à tous les pèlerins de la Pâque, aux hautes autorités, à Pilate et Hérode. Les humilier publiquement : « Ah ! Ah ! Je vous ai bien eus ! » Mais non ! Par respect et délicatesse, il ne se laissera reconnaître que par ceux – et surtout celles – dont les yeux du cœur sont dessillés par l’amour. Personne n’en sera le témoin immédiat. On ne verra que les traces, les signes laissés par cette Résurrection. Mais surtout on le verra Lui-même. Lui en personne ! Lui en sa chair toute neuve !
Maintenant nous le savons en toute certitude : un jour, Jésus fera retentir sa voix, comme son Père le fait en cette nuit : « Ceux qui l’entendront vivront ». Oui, « tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix. Ils sortiront pour une résurrection de vie. » Car « comme le Père ressuscite les morts et leur redonne vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il veut ! » Un 5, 20-29]. (Dans ces chapitres 5 et 6 : trente-deux fois le mot « vie » ou « ressusciter »).
Comme en avant-première, certains corps ne s’étaient-ils pas dressés dans les cimetières de Jérusalem, le Vendredi saint au soir [Mt 27, 52-53] ?
Et déjà les anges de s’écrier :
« Tes morts revivront, tes cadavres, ils ressusciteront ! Réveillez-vous, criez de joie, vous qui habitez la poussière ! Car ta rosée est une rosée d’aurore. Et la terre aux ombres rendra le jour. » [Is 26, 19]
Mais n’anticipons pas. Retour au tombeau, en la nuit de la Pâque !
À cet instant, viennent les anges. Ces anges qui chantaient dans la nuit de Noël, qui venaient le servir au désert, le consoler dans son Agonie, les voici ici même, en cette heure même. Non pour que son corps puisse sortir du tombeau, puisqu’il peut désormais tout traverser. Mais pour ouvrir les Portes royales à leur Roi.
Éclair fulgurant : l’ange à la robe de neige éblouissante vient terrasser les gardes et rouler l’énorme pierre (il y faut normalement plusieurs hommes). Il s’assoit dessus, victorieux de toute pierre roulée [Mt 28, 2]. Pour que nous puissions y entrer, le constater, le vérifier : il n’est plus là !
Plus personne ne gît sur la pierre ! Entre les linges intacts : plus personne !
Pierre repart, mille points d’interrogation en tête. Jean, lui, a tout de suite la réponse, parce qu’il aime. La foi, c’est ça : la clairvoyance de l’amour, la lucidité du cœur. L’intuition de l’amour ! Il adhère à l’inimaginable. A ce qui ne pouvait traverser la pensée d’aucun juif : une résurrection, c’était impensable, sinon à la fin du monde, à la résurrection de la chair. Comme l’avait d’abord affirmé Marthe. C’est vrai qu’ils avaient tous vu l’événement de Naïm et celui de Béthanie, mais enfin…
Il voit. Il aime. Il croit. Il croit parce qu’il aime.
[In 20, 10-18]
Myriam de Magdala, elle, refuse de partir : il lui faut retrouver son Bien-aimé. Telle la fiancée du Cantique des cantiques disant aux gardes faisant leur ronde en ville : « L’avez-vous vu, mon bien-aimé ? Où est-il passé ? Rendez-le moi ! Mettez-moi sur sa piste, que je le retrouve ! Il est perdu, il a disparu, je le veux ! Rendez-le moi ! »
Et il y a ce premier mot de l’ange : « Qui donc cherches-tu ? Pourquoi pleures-tu ? » [Jn 24, 5]
Dans nos désolations, les anges sont nos consolateurs…
A l’horizon, le ciel doucement blanchit, puis rougit, puis flamboie de mille feux. Aurore d’un jour, d’un monde nouveau.
A ces lueurs, elle aperçoit là un homme qui retourne la terre. Sûrement le jardinier, venu très tôt avant la canicule cultiver ses fleurs, le shabbat passé. Alors c’est à lui qu’elle s’en prend : « Dis-moi où tu l’as emporté ? » Le soupçonne-t-elle, lui, de l’avoir volé, enterré ailleurs, Dieu sait où ? Qui sait, peut-être que les autorités l’ont soudoyé pour ce coup là, pour que les disciples ne puissent même pas prier auprès de sa tombe…
Et le jardinier à son tour reprend le mot de l’ange : « Femme, pourquoi donc sangloter ? »
Les tout premiers mots de Jésus ressuscité, dans sa vie toute nouvelle, ce sont les premiers mots entendus sur ses lèvres, s’adressant à sa Maman désolée, quand il avait 12 ans. Tu t’en souviens ? Et aussi les derniers mots de son cœur, avant-hier soir : « Femme… » et « Pourquoi… » Ce matin, Marie de Magdala est comme lui-même était sur la Croix, se sentant complètement abandonnée, délaissée… Lui par son Père (apparemment), et par les siens (manifestement). Elle par son Jésus… Jésus doit être bouleversé de voir sa petite Myriam crucifiée, délaissée, abandonnée. Sa fidélité à elle avait alors été sa consolation. Ce matin, il va se faire sa consolation. Et quelle consolation ! « Pourquoi pleures-tu ? »
Jésus a tant pleuré – larmes de compassion et larmes de terrible passion, larmes de tendresse et larmes de détresse – qu’il peut essuyer chaque larme sur chaque visage. En ce matin de Pâques, il est déjà l’Agneau qu’un jour, dans l’île de Patmos, Jean verra dans le ciel ouvert, un dimanche matin [Ap 1, 9]. Berger conduisant les siens dans un jardin vers les sources d’eau vive. Les siens sortant de la grande épreuve de leur passion, leurs vêtements encore ruisselants de sang. Et Dieu essuyant chaque larme sur chaque visage [Ap 7, 17].
Comme personne, il peut consoler : comme personne il a pleuré !
Évangéliser, c’est toujours consoler : Pourquoi pleures-tu ? Ne sais-tu pas qu’un jour toute larme sera essuyée ? Que les pleurs ne sont que pour un temps, le temps de la traversée d’une vallée de larmes, qui en devient vallée de sources… »
Étrange jardinier ! Comme la Samaritaine au bord du puits, Myriam a beau le dévisager, elle ne sait toujours pas à qui elle a affaire. Soudain le jardinier lâche un mot, un seul mot :
– « Myriam ! »
C’est tout
Il avait commencé par lui dire : « Femme… », comme sur la Croix il avait dit : « Mon Dieu… » Et de même qu’il avait ajouté : « Abba ! », le petit nom familier de son Père, ici il ajoute son nom d’intimité, son nom le plus personnel : « Myriam ! » Mais murmuré avec une telle douceur dans la voix, une telle tendresse dans les yeux, qu’immédiatement elle saisit : c’est Lui ! Ce ne peut être personne d’autre que Lui ! Lui seul !
Et toi qui me lis, dis-moi : qui donc peut prononcer ton nom comme Lui ? Lui, le Berger appelant par son nom chacune de ses brebis. Le Créateur appelant chacune de ses étoiles par son nom. Car les milliards de soleils-étoiles dansant dans les galaxies ont chacun un nom unique, connu de Dieu seul [Ba 3, 33].
Dans tes moments de silence, priant dans ton cœur, surtout après avoir reçu son Corps très saint, ressuscité à jamais, peut-être percevras-tu Jésus t’appelant simplement par ton nom, comme il avait appelé le petit Samuel [1 S 3]. C’est chaque fois un matin de Pâques au jardin, une pause-regard. Laisse Jésus prononcer ton nom ! Laisse ses yeux regarder ton âme ! Et toi, émerveille-toi de son Visage !
Qui dira jamais ce qui s’est alors passé entre Jésus et sa petite Myriam ? Qui devinera jamais ce long regard posé sur elle ? La remerciant pour sa fidélité, son courage. Pour avoir osé braver toutes les moqueries, tous les quolibets, tous les barrages de police, plutôt que d’abandonner son corps de chair. Que ce soit au pied de la Croix ou bien avant l’aurore ce matin. Ce regard lui chante :
« Merci d’exister ! Merci de t’être laissée pardonner ! Me pardonnes-tu toutes les épreuves que j’ai permises pour toi ? Tout cet enfer que tu viens de traverser, avant de surgir ce matin à la lumière, me pardonnes-tu ? Toi, l’enfant de mon pardon, toi ma fille-miséricorde, toi que ce matin je ressuscite… »
Et n’est-ce pas l’instant qui nous est régulièrement donné de vivre, lors d’une retraite, d’un temps fort de prière ? D’une confession, surtout.
Myriam est là, tombée à genoux, prosternée, étreignant ses pieds. Ces pieds de berger qui ont couru vers sa petite brebis perdue. Jusqu’à ce qu’il l’ait enfin retrouvée.
Instants d’éternité ! Moments de ciel !
Et Jésus lui dit cette chose déroutante : « Maintenant, arrête de m’étreindre, de me retenir, car je suis en partance… Déjà en vol… Je ne suis pas ressuscité pour rester dans ce jardin, mais pour partir vers tous les lieux de souffrance de par le monde, jusqu’à la fin des temps. Pour m’y rendre présent. Pour vivre avec chacun ce que je suis en train de vivre avec toi. »
Te souviens-tu de Pierre retrouvant Jésus, très tôt le matin, disparu de sa chambre trouvée vide, et qui répond : « Maintenant, il nous faut partir ailleurs… »
Myriam parcourt le passage de Jésus-retrouvé à Jésus-glorifié. Du Jésus du passé au Jésus d’aujourd’hui. Du Jésus sur la terre au Jésus dans son Père, et donc présent à toute la terre. Et Myriam comprend que Jésus n’est pas simplement revenu à la vie – comme Lazare –, qu’on ne va pas tout recommencer comme avant, continuer à l’accompagner sur les chemins de Gaulée et de Samarie, mais qu’il entame là une nouvelle manière d’exister-avec-nous. Et bientôt, elle comprendra que c’est en nous.
« Et toi, petite Myriam, tu vas partir avec moi… Je vais t’envoyer… Tu étreins mes pieds, mais tes pieds aussi vont être beaux, parce qu’ils vont courir sur les collines pour porter l’unique Nouvelle qui tienne la route… Le scoop de tous les scoops de toute l’histoire du monde, c’est toi qui vas le publier… Alors, je ne te retiens pas ici… Et toi, ne me retiens pas ! Moi, je monte vers mon Père, et je t’entraîne avec moi vers Lui. Et vite, plus une seconde à perdre : à Pierre, Jean, Nathanaël, Matthieu, Philippe et les autres, file dire ce que tu viens de voir et d’entendre. Et surtout dis-leur de ma part :
« Mon Père est maintenant votre Père à chacun, à jamais ! » C’est pour cela que je peux en toute vérité les appeler : « mes frères ».
Jésus ne dit pas mes « apôtres », mes « disciples », les miens. C’est bien plus que cela : « Va vers mes frères » : mon frère, ma sœur, que chacun est devenu. C’est la toute première fois qu’on entend ce mot sur ses lèvres. Nous ne pouvions être ses frères, avant qu’il ne nous ait donné son Père, en nous livrant son Esprit sur la Croix.
Te souviens-tu de la petite Samaritaine, filant vers tous ceux de son village ? Eh bien, viens et vois aujourd’hui cette femme folle-amoureuse que Jésus choisit entre tous pour être – après les anges – la toute première dans l’histoire du monde à oser crier :
« Le Christ est ressuscité ! » Oui, c’est bien vrai ! Il est ressuscité
Cri qui va se répandre à vitesse-éclair – incendie dans la savane –, dans tous les peuples, nations, races et langues, jusqu’à la fin du monde.
Ce cri que rien, jamais, ne pourra étouffer dans le cœur, sur les lèvres des croyants. Qu’aucune persécution ne réussira à faire taire. Qui va se répercuter dans le fin fond des goulags sibériens, dans les plus obscurs cachots de Roumanie ou de Chine, dans les épouvantables camps de la mort, au Soudan ou ailleurs. Cri qui a résonné à Dachau, Treblinka, Auschwitz, Mauthausen, ce cri, c’est Myriam qui le crie la première. Elle ne pourra plus le rattraper pour l’empêcher de courir.
Il est ressuscité ! Oui, c’est bien vrai !
Il est ressuscité !
Soleil de justice se levant à l’horizon, ce cri de joie commence sa course ce matin. A la lumière, à la chaleur, à la vie de ce mot qui donne la vie, rien n’échappera [Ps 18].
Ce cri, le voilà lancé dans l’espace, mis sur orbite, pour tout le temps que durera notre cosmos :
Il est ressuscité ! Oui, c’est bien vrai !
Il est ressuscité !
S’y condensent toute la Parole de Dieu, toute la Bible, tous les enseignements de Jésus… Et déjà tout ce que les missionnaires, les évangélisateurs, les apôtres annonceront, proclameront, transmettront. Dans tous les temps. Dans tous les peuples. Dans tous les cours :
Il est ressuscité ! Oui, c’est bien vrai !
Il est ressuscité !
Cri qui se propagera de baptisé en baptisé, irradiant les visages, éclairant les âmes, réchauffant les cours chaque nuit de Pâques, chaque dimanche matin et – pourquoi pas ? – chaque lever du jour :
Il est ressuscité ! Oui, c’est bien vrai ! Il est ressuscité !
Oui, ce n’est pas un Apôtre, même pas Pierre-le-Pape, même pas Jean-le-bien-aimé, c’est elle qui est instituée, ordonnée, mandatée, envoyée par Jésus en personne, pour être non seulement apôtre, mais l’apôtre des Apôtres, l’évangéliste des évangélistes, comme le chantent fièrement nos frères baptisés d’Orient dans leurs merveilleuses liturgies.
C’est elle qui va évangéliser les premiers évêques. Et aujourd’hui, je vois souvent des jeunes – qui ont peut-être été très blessées par la vie et par l’amour, comme Myriam de Magdala tellement ardentes dans leur foi, ferventes dans leur amour de Jésus, audacieuses et intrépides dans leur annonce de la Résurrection, que des prêtres et même des évêques (successeurs des Apôtres) en sont retournés, renouvelés, vivifiés dans leur propre foi. Et l’avouent ! Des jeunes filles qui évangélisent des évêques, cela existe aujourd’hui : c’est simplement la suite de ce qui s’est fait au matin de Pâques. Le retentissement de ce cri matinal, primal :
Il est ressuscité ! Oui, c’est bien vrai ! Il est ressuscité !
Malraux vers la fin de sa vie : « J’attends qu’un prophète se lève pour crier : il n’y a pas de néant ! » il n’avait pas à attendre. Depuis 2 000 ans, une prophète avait déjà crié :
Il est ressuscité ! Oui, c’est bien vrai ! Il est ressuscité !
[Lc 23, 55]
Mais ce n’est pas seulement Myriam. Il y a ces autres femmes qui n’ont cessé de le suivre depuis trois ans, et jusqu’au bout de sa Passion, c’est-à-dire jusqu’à l’extrême de leur amour. Admirables ! Dès l’aube, les voici portant leurs aromates. Ce sont les saintes myrrhophores, tant aimées des liturgies orientales[3]. À Noël, trois rois avaient offert leurs précieux parfums. Ici, ce sont trois femmes. Qu’elles sont belles !
Les jeunes gens à l’éblouissante robe de neige – les anges – les interpellent :
« Je sais bien qui vous cherchez : celui qui a été mis en croix. Mais regardez donc : il n’est plus là ! Pourquoi chercher encore parmi les morts Celui qui est à jamais vivant ? »
Et à leur tour d’être envoyées auprès des Apôtres-hommes. Et voici : sur le chemin, c’est Jésus en personne qui vient à leur rencontre. Il les accueille avec le mot qui avait ouvert tout l’Évangile, avait marqué le début de sa vie sur terre, le mot adressé par un ange à une autre jeune femme, Myriam, celle de Nazareth :
« Réjouissez-vous ! »
Et de confirmer leur mission : transmettre son rendez-vous sur les bords du lac, là-bas, en cette douce Galilée tant aimée
Mais voilà, personne ne les prend au sérieux… Elles fantasment ! Elles déconnectent ! Elles pètent les plombs ! Radotages de bonnes femmes excitées ! Bonnes pour l’HP ! Vite, l’ambulance !
Ne fallait-il pas que les Apôtres fassent ainsi l’expérience du refus de croire, afin que plus tard, quand ils seraient face à un refus de leur message, ils se rappellent qu’eux-mêmes avaient refusé de croire ces petites bonnes femmes de Gaulée ! Ce sera le cas de saint Paul dans l’amphi d’Athènes : dès qu’il parle de la Résurrection, on lui lance : « Va-t-en ailleurs, cesse tes stupidités ! » [Ac 17, 321
Myriam de Nazareth n’est pas au nombre de ces porteuses de parfums. Pourquoi donc ? Parce qu’elle sait parfaitement bien que le corps de Jésus ne sera plus là ; et qu’il n’y a donc pas besoin de l’embaumer. Mais qui dit que Jésus, dans le secret de la nuit, n’a pas visité en tout premier lieu sa propre Maman : « Réjouis-toi, car celui que tu as porté dans ton sein, le voici ! C’est moi ! Pour avoir espéré contre toute espérance, sois bénie[4] !
[1] e Père Feuillet – un des meilleurs spécialistes et traducteurs de la Bible – rend ainsi ce passage : « S’étant penché, il aperçoit les linges affaissés. Cependant il n’entra pas. Vient donc aussi Pierre qui le suivait et il entra dans le tombeau. Il voit les linges affaissés, et le soudarion qui avait été ajusté à sa tête, non pas affaissé avec [comme] les linges, mais distinctement enveloppé et roulé à sa place. Alors entra aussi l’autre disciple arrivé le premier au tombeau. Il vit et il crut. » [Jn 20, 5-8]
[2] Grâce aux toute récentes expérimentations technologiques, l’unique explication du mode d’impression est celui d’une sorte de déflagration atomique : sans doute le flash de la Résurrection. A la fraction de seconde même où ce corps inanimé, inerte, cadavérique, a été tout à coup investi de vie et de gloire. Rempli de l’Esprit de feu et de lumière. Une fraction de seconde en moins, il n’y aurait aucune netteté. Une de plus, tout le tissu aurait été brûlé.
[3] À Jeunesse-Lumière, le Samedi saint, dans l’église toute voilée de violet (même les fresques des murs), nous célébrons la liturgie des saintes myrrophores [porteuses d’aromates]. Les jeunes filles uniquement font délicatement une onction de parfum sur l’icône du Visage de Jésus, geste simple, lourd d’amour ! Dans les liturgies orientales, c’est le Mercredi saint.
[4] En avril 1997, Jean Paul II a parlé de cette tradition bien-fondée d’une apparition « privée » à Marie, la nuit de Pâques. A Jeunesse-Lumière, vers 4 heures 30 du matin, nous revenons du grand feu nouveau, chacun tenant en main son cierge, et protégeant la petite flamme reçue. En cours de route, dans les bois, nous aimons nous arrêter devant un oratoire abritant l’icône de Marie pour lui présenter le beau cierge pascal (décoré d’une icône de la Résurrection peinte à la main), et lui chanter : « Reine du ciel, réjouis-toi Il est ressuscité des morts ! Alléluia ! Alleluia ! »