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Recherche sur l'embryon : le choix crucial de la France (I/III) - PO Arduin - 6.5.2009


Bioéthique - Liberté Politique
Recherche sur l'embryon : le choix crucial de la France (I/III)
6 mai 2009 | Pierre-Olivier Arduin*

Appelée à réviser son dispositif en matière de recherche sur l'embryon humain, la France est à la croisée des chemins. Deux options sont aujourd'hui régulièrement mises en avant : faut-il autoriser cette recherche sans plus y mettre de restrictions ou maintenir le statu quo législatif actuel ?

Nous nous proposons en trois articles successifs de passer en revue les aspects scientifiques, éthiques et législatifs de cette question afin de dégager une troisième solution réaliste et cohérente, réconciliant la science et la morale. L'occasion également de présenter un travail qui a été explicité devant Jean Leonetti, rapporteur de la mission parlementaire de révision de la loi et président des États généraux de la bioéthique. Le 28 mars dernier, celui-ci était en effet l'invité d'honneur de Mgr Rey, évêque de Fréjus-Toulon.


Fièvre planétaire autour de l'embryon

EN 1998, le savant américain James Thomson isole dans son laboratoire de l'Université du Wisconsin les premières lignées de cellules souches embryonnaires humaines. L'étude qu'il publie suscite un enthousiasme retentissant dans la communauté scientifique internationale, accompagné d'une déferlante médiatique [1]. Thomson vient en effet de montrer qu'aux cinquième et sixième jours de son développement, l'embryon humain, appelé à ce stade blastocyste, comprend des cellules que l'on peut extraire et amener à se différentier en tous les tissus composant un organisme adulte. Il les qualifie de cellules souches embryonnaires pluripotentes pour désigner leur remarquable plasticité. Le concept de médecine régénératrice était né : il serait désormais possible, nous disait-on, de réparer in situ nos organes en greffant à la demande ces « cellules du miracle ». Entre immortalité en culture du fait de leur grande capacité de prolifération et immortalité de l'homme, le pas était allégrement franchi. « Prolonger la vie. Rendre, à quelque degré, la jeunesse. Retarder le vieillissement. Guérir des maladies réputées incurables... [2] », Francis Bacon était bien le prophète de la nouvelle épopée biotechnicienne. Mettant en demeure les responsables politiques des pays développés de légiférer rapidement afin de réquisitionner les embryons humains pour la recherche.

Or ceux-ci étaient abondamment disponibles. Le recours quasi systématique à la création d'embryons surnuméraires pour gonfler les résultats médiocres de l'assistance médicale à la procréation (AMP) avait généré des stocks considérables d'embryons humains congelés depuis le début des années quatre-vingt-dix. L'AMP induisant un rapport de domination entre sujets producteurs d'une part - parents donneurs de gamètes, biologistes réalisant leur projet parental - et objet produit d'autre part, les esprits étaient mûrs pour faire de l'embryon un vulgaire matériau de recherche. Tant et si bien que les processus de fécondation in vitro sont devenus le premier fournisseur de matière première embryonnaire pour les chercheurs à l'affût.

La dérogation meurtrière de la loi française


Si la première loi de bioéthique du 29 juillet 1994 stipulait que « toute expérimentation sur l'embryon est interdite », le Parlement ayant jugé cette prohibition assez grave pour inscrire dans le Code pénal des sanctions sévères en cas de violation, sept ans d'emprisonnement et 700 000 francs d'amende, la loi du 6 août 2004 cèdera aux revendications des scientifiques, revêtant l'embryon humain des habits de cobaye de laboratoire. Pour concilier les parlementaires « catholiques », le législateur instaurera un régime dérogatoire sur le modèle de la loi relative à l'IVG.

En effet, le dispositif réaffirme le principe d'interdiction de mener des expérimentations sur l'embryon tout en les dépénalisant à condition que ces recherches soient « susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs » et qu'elles ne puissent pas « être poursuivies par une méthode alternative d'efficacité comparable [3] ». Et ce pendant un moratoire de 5 ans et sur des embryons surnuméraires conçus in vitro « qui ne font plus l'objet d'un projet parental » selon l'expression consacrée. Le décret réglementant cette recherche étant paru le 6 février 2006, celle-ci sera donc de nouveau strictement prohibée le 5 février 2011 à minuit.

Seconde innovation technocratique de la loi nécessaire pour contrôler le dispositif et rassurer les plus dubitatifs, la mise en place d'un établissement administratif public chargé de délivrer les autorisations de protocoles de recherches sur l'embryon : l'Agence de la biomédecine.

La double rupture conceptuelle du décret du 6 février 2006 [4]

Concernant le décret du 6 février 2006 proprement dit, nous avons fait remarquer à Jean Leonetti qu'il ne reprenait pas exactement les termes de la législation en opérant deux ruptures conceptuelles.

Théoriquement, la période de cinq années est requise pour qu'un couple puisse confirmer l'abandon de tout projet parental sur ses embryons surnuméraires congelés. Celui-ci est alors informé des possibilités qui lui sont offertes : arrêt simple de la conservation, accueil des embryons par un autre couple ou autorisation d'un protocole de recherche. Le consentement est écrit et doit être renouvelé à l'issue d'un délai de réflexion de trois mois. Or le texte réglementaire du 6 février 2006 reconnaît que lorsqu'un couple met en oeuvre une AMP, il peut lui être proposé « de consentir dans le même temps par écrit à ce que les embryons qui ne seraient pas susceptibles d'être transférés ou conservés fassent l'objet d'une recherche (art. R. 2151-4) ».

Autrement dit, l'équipe médicale peut demander à l'avance et a priori aux parents leur consentement à rejeter certains de leurs embryons jugés de faible qualité biologique avant même l'implantation des embryons conformes. Nous ne sommes donc plus très éloignés de l'intention de créer des embryons in vitro à des fins de recherche, strictement condamnée par le droit français [5]. Ou à tout le moins, on ne peut nier que la frontière est extrêmement ténue entre les deux cas de figure puisque les biologistes de la reproduction savent que chaque cycle de FIV conduira à la conception d'un pourcentage incompressible d'embryons qui seront mal classés sur le plan morphologique, inéluctablement écartés et donc en puissance d'être donnés à la recherche dans de brefs délais. Ce point nous semble hautement contestable car il opère dès le début de la procédure de fécondation in vitro une discrimination entre les embryons qui resteront en quelque sorte « couverts » par le projet procréatif et ceux qui seront écartés au profit de la science.

La seconde rupture vient se greffer sur la pratique du diagnostic préimplantatoire. Le décret autorise le couple à donner son accord afin que les embryons porteurs de l'anomalie génétique recherchée, lesquels par définition ne font l'objet d'aucun projet parental, soient donnés aux équipes scientifiques qui en font la demande. Statistiquement, les praticiens sont certains dans le cadre du DPI d'obtenir des embryons atteints de la pathologie en cause : le décret du 6 février 2006 autorise donc de manière détournée la création d'embryons malades in vitro à des fins de recherche, considérés par les chercheurs comme des outils précieux de modélisation cellulaire des maladies génétiques. L'Agence de la biomédecine autorisait ainsi le 19 juin 2006 l'équipe des professeurs Marc Peschanski et Stéphane Viville (Laboratoire I-Stem, Inserm U421, Évry) à dériver des lignées de cellules souches embryonnaires humaines porteuses d'une mutation à l'origine de maladies monogéniques. Nous verrons plus pourquoi il était important de rappeler ce fait.

Les scientifiques cherchant constamment à améliorer les processus biotechnologiques, on peut penser que ces deux concessions réglementaires pourront d'ici peu se marier avec la mise en place à moyen terme d'un DPI de routine systématiquement associé à une FIV. Les biologistes effectueront un criblage génétique automatisé de plusieurs maladies, repérées à l'aide de puces, les parents s'engageant à livrer les embryons non conformes aux équipes de recherches. Pour l'instant, seules des limitations techniques empêchent de généraliser le DPI. Pour le professeur Jacques Testard, cette dérive est inéluctable, le DPI étant appelé à devenir l'instrument technique idéal d'un « eugénisme consenti, moderne, non violent et démocratique [6] ».

L'imposture des cellules « élixir de jouvence »

Revenons à la recherche sur l'embryon proprement dite. Il est primordial de s'atteler à créer les conditions d'un climat d'honnêteté scientifique sans lequel toute réflexion bioéthique serait par avance biaisée. C'est d'ailleurs une recommandation avisée du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) dans son rapport préparatoire : « Les États généraux doivent impérativement être l'occasion de donner à tous une information, plurielle et critique, sur les questions scientifiques qui sont au coeur de la révision de la loi de bioéthique. Le CCNE reconnaissait dès 1995 que la fiabilité et la loyauté des ces informations scientifiques deviennent de réels enjeux sociaux [7] ». Qu'en est-il du respect effectif des deux conditions dérogatoires « justifiant » l'atteinte à la vie de l'embryon humain, à savoir les perspectives de progrès thérapeutiques majeurs et l'absence d'alternative d'efficacité comparable ?

En dix ans de recherche, aucun essai clinique n'a pu être réalisé chez l'homme, aucune publication scientifique n'a pu fournir le plus petit élément prouvant une possible application thérapeutique chez un malade. A contrario, pour la seule année 2008, l'Institut national de la santé américain (US National Institute of Health) a comptabilisé 1987 essais cliniques à partir de cellules souches adultes et 106 à partir de cellules de sang de cordon.

La FDA, l'Agence sanitaire américaine, a cependant autorisé - après de longs mois de tergiversations, on nous l'annonce pour cet été - la tenue du premier essai de phase I mené à partir de cellules souches embryonnaires humaines sur une dizaine de personnes frappées de lésions importantes de la moelle épinière [8]. Ce choix a quelque peu surpris la communauté scientifique puisque l'on s'attendait à ce que le feu vert américain concerne des pathologies plus courantes comme le diabète ou l'infarctus du myocarde. L'explication est simple : déontologiquement, il fallait des malades dans des situations cliniques très graves qui consentent à un essai risqué qui est avant tout un test d'innocuité.

Pourquoi ? Tout simplement parce que les cellules souches embryonnaires ont fait la preuve incontestable d'une instabilité chromosomique foncière à l'origine du développement de tumeurs. Le neurobiologiste Alain Privat a récemment rappelé devant la mission parlementaire que ce risque mutagène était à présent très bien documenté et excessivement fréquent [9]. La conclusion de l'un des derniers rapports parlementaires sur la question est catégorique : « Le risque de cancérogenèse après administration de cellules souches embryonnaires ES pourrait être proportionnel à leur capacité de prolifération [...]. Le taux de cancers développés après injection de cellules ES est très élevé [10]. »

D'autre part, il a été récemment montré qu'elles étaient très mal tolérées sur le plan immunitaire. Des chercheurs de l'Université de Stanford ont pu le vérifier en étudiant en temps réel le devenir biologique de cellules embryonnaires transplantées chez la souris [11]. Leur durée de vie moyenne n'excède pas la dizaine de jours chez un hôte immunocompétent. En d'autres termes, un organisme normal les repère très facilement comme des corps étrangers pour les éliminer grâce à ses cellules immunitaires dites « tueuses ». Une contre-performance supplémentaire à rajouter à une liste déjà longue.

Dernier point de plus en plus fréquemment soulevé : le mépris de la déontologie la plus élémentaire qui contraint tout scientifique à travailler au préalable chez l'animal. Pour le professeur Jacques Testard, cela constitue une entorse gravissime à la déclaration d'Helsinki qui exige de longues études chez l'animal avant toute expérimentation chez l'être humain. Dans une tribune de Libération au titre éloquent, « Cannibales et marchands à la recherche de l'embryon », il s'étonne « de la volonté de s'emparer de l'embryon humain afin de développer une stratégie thérapeutique qui n'a pas encore fait ses preuves chez l'animal comme si l'humain pouvait être un matériau expérimental banal [12] ».

Alain Privat vient de lui donner magistralement raison en affirmant que les cellules embryonnaires de primates suffisent amplement à poursuivre une recherche cognitive fondamentale de très haut niveau sans qu'il ne soit nul besoin de requérir à des zygotes humains. Il s'agit donc de la première objection sérieuse à opposer à l'Agence de la biomédecine qui plaide pour la poursuite des travaux sur les cellules embryonnaires humaines dans le but d'identifier les mécanismes moléculaires de différenciation et de pluripotence [13]. À quoi il faut répondre que l'embryon animal permet de s'en passer tout à fait.

La révolution scientifique des cellules iPS

L'absurdité scientifique de la recherche sur l'embryon est d'autant plus impardonnable que les chercheurs ont accumulé des découvertes spectaculaires dans le champ des cellules souches adultes. En mettant au point à la fin de l'année 2007 la technique de reprogrammation cellulaire, les Japonais Yamanaka et Takahashi ont révolutionné ce champ de la biomédecine [14]. La recette consiste à introduire des facteurs de dédifférenciation dans le génome de simples cellules de peau qui rajeunissent alors de façon exceptionnelle. Prénommées cellules souches pluripotentes induites ou iPS, ces entités cellulaires donnent lieu à une avalanche de publications. Le bouleversement est tel dans la communauté scientifique que Ian Wilmut, « père » scientifique du premier mammifère cloné, la fameuse brebis Dolly, a renoncé à la technique du clonage embryonnaire humain dans une conférence de presse qui a fait le tour du monde.

Depuis, la technique ne cesse d'être perfectionnée. Ironie du sort, James Thomson lui-même est devenu l'une des figures de proue de cette méthode, ayant réussi il y a quelques jours à se passer de vecteur viral pour intégrer le cocktail de facteurs - dont plus aucun n'est oncogène, c'est-à-dire pouvant entraîner des cancers - induisant la reprogrammation des cellules réceptrices [15]. Le professeur Alain Privat en a conclu devant les députés que les cellules iPS rendaient totalement obsolètes les études sur les cellules embryonnaires humaines. Si l'on veut prendre le train en marche de la révolution des iPS, ce sont toutes nos politiques de recherche qu'il faut repenser de fond en comble, a-t-il martelé. On note d'ailleurs que les équipes britanniques retournent leurs vestes les unes après les autres, délaissant la recherche embryonnaire pourtant autorisée larga manu outre-Manche pour se consacrer aux cellules iPS. Il faut signaler que les chercheurs anglais ne sont parvenus à aucun résultat tangible en presque 10 ans d'autorisation, le gouvernement ayant dépensé des millions de livres sterling en vain.

Les mauvais arguments de l'Agence de la biomédecine

Concernant ces cellules reprogrammées, nous voudrions ici faire plusieurs remarques. Tout d'abord, leurs propriétés exceptionnelles en terme de pluripotence n'écartent pas totalement le danger de prolifération cancéreuse. De nombreux travaux sont encore nécessaires avant de passer à la phase clinique proprement dite même si les progrès ont été considérables en quelques mois.

Toutefois, en ce qui a trait à la recherche fondamentale, elles ont totalement reléguées à l'arrière plan les cellules issues de la destruction d'embryons humains. Deux études remarquables nous le montrent. La première provient de l'équipe dirigée par le docteur Kevin Eggan de l'Institut des cellules souches d'Harvard [16]. Ces scientifiques sont parvenus à cultiver des cellules iPS à partir de cellules de peau prélevées chez des malades frappés par une affection neurologique, la sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot. Cependant, ils ne se sont pas arrêtés à ce stade : ils ont réussi à les transformer en neurones atteints du même dysfonctionnement que celui généré par la SLA. L'intérêt pour la recherche médicale est considérable puisque est offerte aux chercheurs la possibilité de travailler très précisément sur des outils cellulaires reproduisant parfaitement les mécanismes de la maladie.

La seconde équipe [17], issue également de l'Université d'Harvard, a procédé selon le même schéma et a abouti à un résultat aussi probant, mais en recueillant les cellules cutanées dans un large panel de malades souffrant de diverses pathologies telles le diabète de type I, la trisomie 21, la chorée de Huntington, la maladie des « bébés bulles », la maladie de Parkinson,...

George Daley qui a supervisé les travaux s'est félicité des « larges perspectives ouvertes dans la compréhension des mécanismes pathologiques et dans la recherche de nouvelles voies thérapeutiques ». Il ajoute : « Afin d'accélérer la recherche médicale, nous souhaitons désormais produire des lignées cellulaires pour un très grand nombre de maladies, à la fois pour notre équipe, nos collaborateurs, mais aussi pour l'ensemble de la communauté scientifique. Notre travail n'est que le début d'une entreprise qui permettra d'étudier des milliers de maladies dans des boîtes de Petri. »

Ces études réduisent à néant la demande de l'Agence de la biomédecine à ce que soit poursuivie en France la recherche sur les embryons rejetés par le DPI dont nous avons parlé en évoquant le décret du 6 février 2006 : « La possibilité de dériver des CSEh dont le génome porte des mutations caractéristiques de maladies humaines monogéniques est un champ d'explorations important, qui devrait permettre de décrypter les anomalies moléculaires en cause dans des pathologies humaines pour lesquelles nous n'avons aucun modèle expérimental et possiblement aider à l'identification de molécules thérapeutiques. » L'argument ne tient plus une seconde devant les résultats de Stanford. Le professeur Peschanski n'a à ce titre plus aucune justification scientifique à mettre sur la table pour continuer à travailler sur des embryons malades issus des pratiques de DPI.

Enfin, il y a un autre faux argument auquel il faut tordre le cou une fois pour toutes. L'Agence de la biomédecine défend l'idée selon laquelle le professeur Yamanaka n'aurait jamais mis au point son procédé sans des travaux réalisés sur les cellules souches embryonnaires, dont on dit qu'ils lui auraient permis d'identifier les mécanismes de différentiation et de pluripotence cellulaires. L'Agence insiste donc sur le prérequis des études sur l'embryon et la nécessité de poursuivre les deux voies en parallèle. On oublie ou on feint d'ignorer que Yamanaka a pour l'essentiel découvert les processus de dédifférenciation grâce à des études entreprises sur les cellules souches embryonnaires... animales. Nous sommes d'autant plus sûrs de ce que nous avançons que nous avons assisté au Vatican à l'exposé du professeur Yamanaka lui-même, invité par l'Académie pontificale pour la Vie pour sa découverte de la méthode de la reprogrammation chez la souris comme l'intitulé de sa publication l'atteste [18]. Ce qui confirme qu'il n'est nul besoin de passer par l'embryon humain pour comprendre les mécanismes du vivant.

Au passage, et nous l'avons fait remarquer au rapporteur de la mission parlementaire, on appréciera l'expertise acquise par l'Église dans ce domaine pointu de la biomédecine, le Saint-Siège devançant de plus d'un an la médiatisation des connaissances en la matière.

Les cellules souches adultes volent de succès en succès

À côté de cette catégorie des cellules iPS unique en son genre en terme de potentiel de pluripotence, les scientifiques ont exploré avec succès d'autres sources de cellules souches adultes. Comme le note la récente Instruction Dignitas personæ, « bien que ces cellules ne semblent pas avoir la même capacité de renouvellement et la même plasticité que les cellules embryonnaires, des études et des expérimentations de grande valeur scientifique tendent à leur accorder des résultats cliniques plus positifs [...] ; à cet égard ont été activées de nombreuses voies de recherche qui ouvrent des horizons nouveaux et prometteurs [19] ».

Le sang de cordon est particulièrement emblématique des progrès enregistrés en ce domaine. On sait parfaitement aujourd'hui que les cellules souches hématopoïétiques qu'il contient permettent de traiter plus de quatre-vingt pathologies, la grande majorité étant liée à des atteintes du système immunitaire ou sanguin. À la suite de l'excellent rapport de Marie-Thérèse Hermange, sénateur de Paris et membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique, on peut se féliciter que les responsables politiques, toutes tendances confondues, semblent enfin déterminés à offrir à la France le réseau de banques de sang de cordon dont elle a besoin, pour ses propres ressortissants d'abord, mais également dans un esprit de solidarité avec les pays émergents [20].

Toutefois, le sang de cordon recèle une autre vertu assez méconnue, pourtant démontrée en 2005 par le professeur McGuckin et le docteur Forraz, grands spécialistes de la question. À l'aide d'une technologie issue de la NASA faisant appel à des bioréacteurs fonctionnant en microgravité, ils ont pu isoler une catégorie bien particulière de cellules souches ombilicales dont la plasticité est comparable à celle des cellules embryonnaires, de nombreuses expériences témoignant de leur capacité in vitro à régénérer des tissus osseux, cartilagineux, vasculaires, musculaires, nerveux, hépatiques et cardiaques [21]. Ces cellules souches ayant un profil biochimique similaire aux cellules souches embryonnaires, elles ont été tout naturellement appelées Cord Blood-derived Embryonic-like Stem cells (CBES) pour qualifier leurs propriétés de différenciation [22].

Dans la foulée de cette découverte, cette équipe est parvenue à reconstruire des tissus hépatiques en trois dimensions. Cette expérience est évidemment fondamentale pour le développement des thérapies cellulaires dans les maladies du foie mais également dans le champ très vaste des études de toxicité et de tolérance des médicaments sur la fonction hépatique [23]. C'est ici le dernier argument de l'Agence de la biomédecine qui s'écroule, à savoir le pseudo intérêt des cellules embryonnaires pour l'industrie pharmaceutique.
La publication en 2007 de l'obtention de cellules pancréatiques sécrétrices d'insuline parachève définitivement la consécration de ces entités cellulaires dont l'existence n'était pas même soupçonnée il y a trois ans [24].

On se reportera avec profit au dossier de presse du consortium international Novus sanguis créé conjointement l'année dernière par Colin McGuckin et Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme-Lejeune. Accidents vasculaires cérébraux, diabète juvénile, pathologies du foie et du rein, infarctus du myocarde, maladies de la cornée,... autant de pathologies qui font l'objet de projets de recherche alliant études fondamentale et clinique [25].

Recevant en audience les chercheurs invités par l'Académie pontificale pour la Vie, dont les professeurs Shinya Yamanaka et Colin McGuckin, Benoît XVI en tirait une leçon exemplaire : « Le fait que, au cours de ce congrès, vous ayez exprimé l'engagement et l'espérance de poursuivre de nouveaux résultats thérapeutiques en utilisant les cellules souches du corps adulte sans avoir recours à la suppression d'êtres humains venant d'être conçus et le fait que les résultats récompensent vos travaux constituent une confirmation de la validité de l'invitation constante de l'Eglise au respect total de l'être humain dès sa conception [26]. »

Tout se passe en effet comme si la science, en se privant d'un authentique éclairage moral, conduisait les chercheurs dans des ornières. A contrario, la prise en compte du respect de l'être humain dans sa phase embryonnaire permet tout à la fois de réconcilier la science et l'éthique et d'espérer que ces nouvelles voies riches de promesses s'avèrent fécondes.


Prochains articles :
Recherche sur l'embryon : la dignité avant l'utilité (II/III)
Recherche sur l'embryon : quelles options législatives ? (III/III)


[1] J. Thomson and al., "Embryonic stem cell lines derived from human blastocysts", Science 1998; 282:1145-1147.
[2] Francis Bacon (1561-1626), La Nouvelle Atlantide (1623), Paris, GF-Flammarion, 1995, p. 133.
[3] Art. L. 2151-5 du Code de la santé publique.
[4] Décret n° 2006-121 du 6 février 2006 relatif à la recherche sur l'embryon et sur les cellules embryonnaires et modifiant le code de la santé publique (dispositions réglementaires).
[5] « Le fait de procéder à la conception in vitro d'embryons humains à des fins de recherche est puni de 7 ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende » (art. L. 2163-4 CSP).
[6] Jacques Testard, Audition du 18 mars 2009.
[7] CCNE, Questionnement pour les États généraux de la bioéthique, 9 octobre 2008, p. 3.
[8] Le Monde, 25 janvier 2009.
[9] Alain Privat, directeur de recherche à l'Inserm, Audition du 28 avril 2009.
[10] Pierre-Louis Fagniez, Cellules souches et choix éthiques, Rapport au Premier ministre, La Documentation française, 2006, p. 56.
[11] Gènéthique, « Les cellules souches embryonnaires humaines déclenchent une réaction immunitaire », 29 août 2008.
[12] Jacques Testard, « Cannibales et marchands à la recherche de l'embryon », Libération, 27 avril 2009.
[13] Agence de la biomédecine, Rapport annuel et bilan des activités 2007, p. 62.
[14] S. Yamanaka, K. Takahashi and al., "Induction of pluripotent stem cells from adult human fibroblasts by defined factors", Cell, 2007, 131 : 861-872.
[15] J. Thomson and al., "Human induced pluripotent stem cells free of vector and transgene sequences", Science, published online, 26 mars 2009.
[16] K. Eggan and al., "Induced pluripotent stem cells generated from patients with ALS can be differentiated into motor neurons", Science, 29 août 2008, 321 (5893) : 1218-21.
[17] G. Daley and al., "Disease specific induced pluripotent stem cell", Cell, 6 août 2008.
18 S. Yamanaka, K. Takahashi and al., "Induction of pluripotent stem cells from mouse embryonic and adult fibroblast cultures by defined factors", Cell, 2006, 126: 663-676.
[19] Dignitas personæ, n. 31.
[20] Marie-Thérèse Hermange, Le sang de cordon : collecter pour chercher, soigner et guérir, rapport n. 79 de la commission des Affaires sociales, 4 novembre 2008.
[21] Laure Coulombel, directeur de recherche à l'Inserm, a cité cette classe de cellules pluripotentes issues du sang de cordon dans son audition du 7 avril 2009.
[22] C. McGuckin, N. Forraz and al., "Production of stem cells with embryonic characteristics from human umbilical cord blood", Cell Proliferation, vol. 38, issue 4, pp. 245-255, 2005.
[23] Tissue Engineering 2006, 12:1042-1043.
[24] Cell Proliferation 2007, vol. 40, issue 3, pp. 367-380
[25] http://www.novussanguis.org/docs/DossierPresse-FR.pdf.
[26] Benoît XVI, Discours aux participants du colloque « Les cellules souches : quel avenir pour la thérapie ? », 16 septembre 2006

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