Décryptage
Bioéthique
Les partisans des mères porteuses ne désarment pas
28 novembre 2008 | Pierre-Olivier Arduin*
Le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), commenté mercredi 26 novembre par son président en personne, le député PS Alain Claeys, lors des rencontres annuelles du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) [1], est une litanie de transgressions qui bouleversent de fond en comble la loi de bioéthique du 6 août 2004.
Citons par exemple l'ouverture de l'AMP aux femmes célibataires infertiles et aux couples homosexuels, régime d'autorisation sans restrictions de la recherche sur l'embryon, dépénalisation du clonage thérapeutique appelé transfert nucléaire... Nous y reviendrons ultérieurement en les mettant en perspective avec les autres propositions qui sont progressivement rendues publiques par les différents organismes désignés pour fournir un bilan de l'application de la loi : Agence de biomédecine, CCNE, Conseil d'État,... La bataille des rapports ne fait que commencer.
Il y a cependant une pratique que l'Opecst n'a pas voulu cautionner : c'est celle des mères porteuses, rebaptisée gestation pour autrui selon la terminologie consacrée pour atténuer la signification subversive de cette pratique et l'affubler d'un sentiment de générosité. Ce refus a déclenché la colère de la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval, figure de proue des partisans de sa dépénalisation. Elle persiste et signe dans une tribune publiée dans la livraison de Libération du 25 novembre [2].
Maternité éclatée
On se souvient qu'une mission sénatoriale s'était emparé de la question des mères porteuses, sous la présidence de la socialiste Michèle André, rendant le 25 juin 2008 des conclusions favorables à un revirement du droit en faveur de la gestation pour autrui. Rapport qui n'avait pas été du goût du président de la commission des Affaires sociales de la haute-assemblée qui avait rappelé à l'époque qu'il n'engageait pas le Sénat.
Cependant, il ne s'agissait pas vraiment d'une surprise, notamment en raison de différentes affaires qui ont donné lieu ces derniers mois à une médiatisation importante de la question. La plus emblématique concerne un couple français dont la femme est atteinte d'une malformation congénitale utérine l'empêchant de mener une grossesse. Ils décident de recourir en 1999 à une mère porteuse californienne qui accouche en 2000 de deux jumelles, immédiatement reconnues comme leurs filles naturelles par un tribunal américain. Poursuivis au pénal dès leur retour en France pour « adoption frauduleuse » et « enlèvement d'enfant », ils s'engagent dans un bras de fer juridique qui durera plus de sept ans pour imposer la reconnaissance de la filiation. Le 25 octobre 2007, la Cour d'appel de Paris jugeait conformes les papiers américains les désignant comme parents des jumelles. Pour Mme Delaisi de Parseval, cette décision historique doit passer dès à présent dans la législation. Le rapport sénatorial lui semblait être le bon moyen d'y parvenir.
Quelles sont les conditions proposées par le groupe de travail du Sénat ? Les parents intentionnels devraient constituer un couple hétérosexuel, stable, pouvant justifier d'au moins deux ans de vie commune et être en âge de procréer. On voit ce que cette disposition vaut quand l'Opecst souhaite ouvrir l'AMP aux couples homosexuels. La mère porteuse doit avoir au moins un enfant, ne pourra ni être sa mère génétique ni mener plus de deux grossesses pour le compte d'autrui. Au moins un des deux membres du couple devra être le parent « biologique » de l'enfant. Dans la formule retenue par le Sénat, la mère porteuse « prête » donc son utérus pour qu'un embryon conçu par assistance médicale à la procréation y soit implanté. Cet enfant sera créé soit avec les gamètes de ses deux parents intentionnels s'ils sont fertiles, soit en requerrant encore une fois à tiers, femme ou homme, qui fournirait son ovocyte ou son spermatozoïde si nécessaire. Dans l'éventualité où l'un des parents serait stérile, l'enfant pourrait donc avoir trois mères, une mère « génétique », une mère « utérine » et une mère « éducatrice ». Son père dans ce premier cas serait obligatoirement tout à la fois son père intentionnel et génétique. Dans le second, il aurait « seulement » deux mères mais avec deux pères, l'un génétique, l'autre « de coeur » comme on dit dans le jargon de la médecine de la reproduction.
Ce qui est sûr, c'est que la mère demandeuse ne deviendra la mère légale qu'après une procédure d'adoption de l'enfant abandonné par la mère gestante. Pour la pédopsychiatre Myriam Szejer, fondatrice de l'association La Cause des bébés, « la prescription de fécondation in vitro nécessaire à la GPA équivaut à une ordonnance d'abandon » [3]. Selon la procédure validée par la mission sénatoriale, le couple demandeur et la mère porteuse devront en effet obtenir un agrément de la part de l'Agence de biomédecine, après examen de leurs états de santé psychique et physique. Le transfert d'embryon sera subordonné à l'autorisation du juge qui vérifiera les agréments, informera les parties sur les conséquences de leur engagement en matière de filiation de l'enfant, recueillera les consentements écrits et fixera le montant d'un « dédommagement raisonnable » selon l'expression du groupe de travail. C'est « ce protocole de maternité partagée » - ou plutôt de maternité éclatée pour reprendre l'expression de Tugdual Derville - que défend bec et ongles Geneviève Delaisi de Parseval qui a par ailleurs été auditionnée par les sénateurs.
Une contradiction radicale des principes du droit
En France, les lois de bioéthique de 1994 et 2004 prohibent explicitement le concept de mères porteuses dans l'article 16-7 du Code civil : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle. » En effet, dans l'esprit de notre appareil juridique, la mère est celle qui a donné la vie (en dehors de l'adoption qui se justifie toujours au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant). Porter en son sein un enfant et lui donner naissance rend juridiquement effective la filiation maternelle. Le concept de mère porteuse contredit radicalement nos principes de droit, en particulier ceux d'indisponibilité et de non patrimonialité du corps humain.
Du côté de la mère porteuse, nous sommes bien dans l'instrumentalisation de la personne même si celle-ci est volontaire. Le contrat a pour objet de « prêter » son utérus, contre un « dédommagement », conférant un droit patrimonial à son corps strictement interdit dans le droit français (articles 16-1 et 16-5 du Code civil). La mère porteuse met à disposition des requérants ses fonctions reproductrices, entraînant une confusion entre procréation, reproduction et simple production d'une marchandise, l'enfant, au moyen de son instrument de travail, l'utérus. L'incompatibilité entre la dignité humaine et le rôle purement instrumental donné au corps est totale. La personne n'a pas le pouvoir de renoncer à sa dignité comme l'a rappelé un jugement du Conseil d'État en 1995. Un nain qu'on lançait tous les soirs sur un matelas pour amuser le public s'est vu interdire son « travail », le Conseil d'État estimant que la personne subissait un traitement dégradant et n'était pas libre de renier sa qualité d'homme même avec son consentement. Le principe de liberté ou d'autonomie ne peut pas tout justifier ainsi que le remarque à propos le CCNE dans le mémoire qu'il vient de rendre : « L'autonomie ne se réduit pas au caprice du bon vouloir [...]. Le principe doit être complété par ceux de solidarité et de responsabilité à l'égard du plus faible [4] ». Or, qu'en est-il justement du plus vulnérable qu'est l'enfant ?
Nous sommes indéniablement placés dans une situation qui le chosifie de façon très inquiétante la mère porteuse s'engageant « à céder l'enfant qu'elle aura porté en posant un acte de disposition relatif à une personne. Il s'en suit une réification de l'enfant traité non comme un sujet de droit, mais comme un objet de créance ou comme une chose due en vue du contrat [5] ». L'acte de renoncer à un enfant et de le céder contre rétribution nous fait basculer dans le monde des choses, appropriables et disponibles, à l'inverse de la personne, radicalement indisponible. Les choses ont un prix, l'homme a une dignité, loi fondamentale de notre civilisation, même pour ceux qui n'ont pas de Dieu. Benoît XVI nous avait déjà mis en garde dans sa première encyclique contre l'imposition de ce modèle :
« L'homme considère maintenant le corps comme la part seulement matérielle de lui-même qu'il utilise et exploite de manière calculée [...]. Nous nous trouvons devant une dégradation du corps humain qui n'est plus l'expression vivante de la totalité de notre être mais qui se trouve comme cantonné au domaine purement biologique. [...] L'être humain devient une simple marchandise [6] ».
Sans compter que se poserait la question de la qualité du produit négocié dans le contrat : qu'adviendrait-il si celui-ci ne répondait pas au désir des commanditaires en cas de handicap par exemple ? Pour parer à cette éventualité, les sénateurs n'ont pas hésité à octroyer à la mère porteuse une clause de rupture de ]contrat en ayant à tout moment le pouvoir d'exercer don « droit à l'avortement » [7].
Les effets délétères de la séparation mère-enfant
D'autre part, dépénaliser la GPA ne reviendrait-il pas à tenir pour rien la relation materno-foetale au moment même où celle-ci est de plus en plus documentée dans sa contribution à construire la personnalité de l'enfant et de sa mère ? Cette déchirure programmée du lien mère-enfant ne tient pas au regard des nouvelles découvertes médicales de ce qu'on peut appeler la science de la vie intra-utérine. Xavier Lacroix, qui a pris ses fonctions comme représentant de l'Église catholique au sein du Comité national d'éthique déplore quant à lui que soient occultées les dernières données scientifiques sur l'apport de la relation materno-foetale dans la construction de l'enfant.
La « gestation et l'accouchement » donnent lieu à « une interaction d'une immense finesse entre le corps de la femme et celui de l'enfant [qui] ressent les émotions de sa mère et est sensible à ses rêves. Inversement a lieu chez la femme tout un processus qu'on appelle l'attachement : on tremble donc à l'idée d'une grossesse vécue dans l'indifférence [8] ».
Citons quelques données médicales sur ces échanges précoces mère/enfant. La femme garde très longtemps la mémoire cellulaire de l'enfant avec la circulation de cellules foetales pendant de nombreuses années dans son propre corps (microchimérisme). L'enfant in utero détecte une multitude de substances dans le liquide amniotique et s'imprègne de cet univers olfactif et gustatif qu'il retrouvera à la naissance dans le lait maternel. Les chercheurs ont montré qu'il perçoit par ce canal l'état émotionnel de sa mère. Il a une sensibilité vestibulaire particulièrement développée au point que les médecins disent qu'il est une « grande oreille » : il perçoit la voix maternelle, la voix paternelle, celles de ses frères et soeurs, les mémorise avec brio. Tout cela prépare le lien avec sa famille à la naissance. Là aussi, il sent les états émotionnels de sa mère grâce aux ondes sonores qu'il interprète avec beaucoup de précision.
Comment imaginer programmer intentionnellement une rupture du processus d'attachement à la naissance ? Des spécialistes n'acceptent pas cette éventualité. Ainsi Caroline Eliacheff et René Frydman :
« La grossesse n'est pas un simple portage, c'est une expérience fondamentale qui façonne les deux protagonistes : la future mère et l'enfant en gestation. On découvre à peine la complexité et la richesse des échanges entre la mère et l'enfant in utero. Ce ne sont pas des élucubrations de psychanalystes. Les chercheurs scientifiques de toutes les disciplines n'en sont qu'au début de leurs découvertes concernant les mécanismes de ces échanges et leurs conséquences [9] ».
Myriam Szejer ne dit pas autre chose :
« L'importance de l'épigénétique (influence de l'environnement sur l'expression des gènes) sur le développement physique et psychique du foetus est connue, de même que celle du lien affectif entre la femme enceinte et l'enfant qu'elle porte et les effets délétères de la séparation mère-bébé à la naissance (a fortiori lorsqu'elle est définitive). Pour ne pas couper ce lien, les médecins posent le nouveau-né sur le sein de sa mère après l'accouchement, afin de lui restituer ses repères anténataux mémorisés et inscrits pour lui comme identitaires. Ils ont inventé les unités kangourous, le « peau-à-peau » et l'hospitalisation mère-bébé, car c'est dans le post-partum précoce que se construisent les fondements du narcissisme de l'humain. Pédiatres et accoucheurs ont vu combien ces pratiques amélioraient le pronostic des survies, la longueur des hospitalisations, le succès des allaitements. Comment pourraient-ils parallèlement prescrire l'abandon ? Ce ne sont pas des gamètes que le nouveau-né reconnaît comme mère, mais celle qui l'a porté. On sait que la blessure de l'abandon, incicatrisable tant chez l'abandonné que chez l'abandonnante, fonctionne comme une amputation bilatérale du Moi [...] Il relève de notre responsabilité de ne pas autoriser une pratique dont l'enfant sera délibérément la victime [10] ».
Mais qu'importe, pour Geneviève Delaisi de Parseval, il ne faut pas faire « d'amalgame entre état de grossesse et maternité ». La mère porteuse pouvant porter l'enfant d'une autre sans s'y attacher, affirme-t-elle, brandissant des études internationales. Il est vrai que cette femme qui porte un enfant dans le but de le donner à un couple commanditaire se place obligatoirement en situation d'abandon psychologique, ne serait-ce que par mécanisme d'autodéfense. Mais le sera-t-elle vraiment lorsqu'elle sentira bouger l'enfant en son sein ? Que penseront ses propres enfants en constatant que leur mère livre celui qu'ils étaient en droit de considérer comme leur petit frère ou leur petite soeur ?
Les sénateurs ont voulu en tenir compte, refusant de gommer le principe selon lequel la mère est la femme qui accouche : ils accordent donc un droit au remords ou droit au repentir, si elle souhaite in fine devenir la mère éducatrice (rappelons qu'elle ne peut être la mère génétique de l'enfant !). Quant aux études avancées, essentiellement d'origine finlandaise, elles se penchent presque exclusivement sur les conséquences obstétricales de la GPA : rien sur l'impact psychologique chez la femme ou l'enfant. Philippe Bas, qui doit rendre un rapport sur la loi de bioéthique au nom du Conseil d'État, l'a d'ailleurs confirmé à un auditeur lors de la rencontre publique du CCNE le 26 novembre. Cette personne qui s'est présenté comme ingénieur agronome, a fait part de son étonnement à ce que soit mis en avant à tout bout de champ le principe de précaution lorsqu'il s'agit du monde végétal et a demandé au conseiller d'État s'il ne fallait pas un peu plus souvent l'appliquer à l'encontre des pratiques qui ont l'homme pour objet. Propos pertinent que n'a pas renié l'ancien ministre de la santé.
La faux parallèle avec l'adoption
Enfin, le parallèle régulièrement opéré entre adoption et gestation pour autrui ne tient pas une seconde : les parents adoptants viennent au secours d'un enfant déjà là et orphelin de ses deux parents naturels. Le choix de la paternité et de la maternité adoptives « n'est pas à l'origine de l'enfant. Il ne cause pas son existence. Il ne le fait pas fabriquer. Là se trouve toute la différence. Les parents adoptifs se situent dans une logique d'accueil d'un enfant déjà né. Ils ouvrent les bras et leur foyer à cet enfant au passé douloureux. L'enfant n'est guère construit par leur désir, mais reçu d'un autre, c'est-à-dire de ses parents disparus [...]. Les parents adoptifs entrent ainsi dans une dynamique de participation à une histoire, à un dessein qui les dépasse et dont ils ne sont pas les premiers responsables [11] ». Dans le cadre de l'adoption, on offre une famille à un enfant privé de famille : la société tente de pallier au mieux à une situation que personne n'envie à l'enfant. Avec la GPA, on suscite délibérément ces difficultés au mépris de l'enfant [12].
***
Dans un raisonnement que l'on n'a que trop entendu, on nous fait croire qu'il suffit d'encadrer la pratique. Or, ici, c'est tout notre édifice juridique qu'il faut abattre avec les principes miliaires de dignité, d'indisponibilité du corps humain et de distinction entre les choses et les personnes. Là aussi le CCNE demande de bien y réfléchir rappelant que le droit possède un rôle structurant sur le plan anthropologique : « Toute discussion sur la GPA devra intégrer cette dimension et s'interroger sur les raisons et les conséquences d'une modification du modèle ancestral de la maternité, avant même d'évaluer les bénéfices et les risques de cette technique pour les personnes concernées [13] ».
Toute révérence gardée, on a tout de même du mal à croire que des élus de la nation aient pu échafauder un tel tissu d'incohérences et que des psychanalystes fameux soutiennent son bien fondé. Dés lors, on ne s'étonnera pas que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, pourtant à la remorque de bien des revendications sociétales actuelles, ait rejeté cette idée au nom de l'intérêt de l'enfant à naître.
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[1] Journées annuelles d'éthique, Réflexion sur les états-généraux de la bioéthique, mercredi 26 novembre 2008, Université Paris Descartes.
[2] Geneviève Delaisi de Parseval et François Olivennes, « Les Mères porteuses, une parenté moderne », Libération, 25 novembre 2008
[3] Myriam Szejer et Pierre Winter, « Abandon sur ordonnance », Libération, 23 juillet 2008.
[4] CCNE, Questionnement pour les états généraux de la bioéthique, 9 octobre 2008, p. 7.
[5] Les conventions de mère porteuse, Institut européen de bioéthique.
[6] Benoît XVI, Deus caritas est, n. 5.
[7] Pierre-Olivier Arduin, « Mères porteuses : l'enfant à tout prix », L'Homme nouveau, n. 1427 du 30 août 2008.
[8] La Croix, 26 juin 2008.
[9] Caroline Eliacheff, René Frydman, « Mères porteuses, à quel prix ? », Le Monde, 30 juin 2008.
[10] Ibid.
[11] Olivier Bonnewijn, Ethique sexuelle et familiale, Editions de l'Emmanuel, Paris, 2006, p. 276.
[12] Lettre Genethique, Vers une légalisation des mères porteuses ?, n. 106, octobre 2008.
[13] CCNE, op. cit., p. 3.