Messieurs les cardinaux,
Chers confrères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce,
Mesdames et Messieurs,
Chers Missionnaires de la Charité,
Pèlerins et fidèles,
Frères et sœurs dans le Christ,
Nous sommes revenus aujourd’hui sur la Place Saint-Pierre, nombreux et pleins de joie, pour remercier le Seigneur pour le don de la canonisation de Mère Teresa de Calcutta, sainte Teresa de Calcutta.
Que de motifs nous avons pour être profondément reconnaissants envers le Seigneur ! Nous le remercions pour le témoignage de foi héroïque des saints, par lequel il rend toujours féconde son Église et nous donne, à nous, ses enfants, un signe sûr de son amour (cf. Préface des saints II).
Nous le remercions en particulier de nous avoir donné sainte Teresa de Calcutta qui, par son incessante prière, source de grandes œuvres de miséricorde corporelle et spirituelle, a été un miroir clair de l’amour de Dieu et un admirable exemple de service rendu au prochain, surtout aux personnes les plus pauvres, laissées pour compte, abandonnées : miroir et exemple desquels tirer de précieuses indications et incitations pour vivre en bons disciples du Seigneur, pour nous convertir de la tiédeur et de la médiocrité, pour nous laisser tous enflammer du feu de l’amour du Christ : « Caritas Christi urget nos », l’amour du Christ nous presse, the love of Christ impels us (2 Cor 5,14).
Mère Teresa aimait se définir comme « un crayon dans les mains du Seigneur ». Mais quels poèmes de charité, de compassion, de réconfort et de joie ce petit crayon a-t-il su écrire ! Des poèmes d’amour et de tendresse pour les plus pauvres parmi les pauvres, auxquels elle a consacré son existence !
Voici comment elle rapporte la claire perception de sa « vocation dans la vocation », reçue en septembre 1946, alors qu’elle se trouvait en voyage pour les Exercices spirituels : « J’ouvris les yeux sur la souffrance et je compris à fond l’essence de ma vocation […] Je sentis que le Seigneur me demandait de renoncer à la vie tranquille à l’intérieur de ma congrégation religieuse pour sortir dans les rues servir les pauvres. C’était un ordre. Ce n’était pas une suggestion, une invitation ou une proposition (Cit. in Renzo Allegri, Madre Teresa mi ha detto, Ancora Ed., Milano, 2010).
Mère Teresa « a ouvert les yeux sur la souffrance », l’a embrassée avec un regard de compassion, tout son être a été interpellé et secoué par cette rencontre qui lui a, en un certain sens, transpercé le cœur, à l’exemple de Jésus qui s’est ému pour la souffrance de la créature humaine, incapable de se relever seule.
Comment ne pas relire à la lumière de son histoire les paroles que le pape François nous a adressées dans la Bulle d’indiction du Jubilé de la miséricorde, quand il écrit : « Ne tombons pas dans l’indifférence qui humilie, dans l’habitude qui anesthésie l’âme et empêche de découvrir la nouveauté, dans le cynisme destructeur. Ouvrons nos yeux pour voir les misères du monde, les blessures de tant de frères et sœurs privés de dignité, et sentons-nous appelés à entendre leur cri qui appelle à l’aide. Que nos mains serrent leurs mains et les attirent vers nous afin qu’ils sentent la chaleur de notre présence, de l’amitié et de la fraternité. (MV n. 15).
Mais quel est le « secret » de Mère Teresa ? Ce n’est certainement pas un secret, parce que nous venons de le proclamer à voix haute dans l’Évangile : « En vérité, je vous le dis : tout ce que vous avez fait à un seul de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40). Mère Teresa a découvert dans les pauvres le visage du Christ « qui s’est fait pauvre pour nous, afin de nous enrichir de sa pauvreté » (cf. 2 Co 8,9) et elle a répondu à son amour sans mesure par un amour sans mesure pour les pauvres. « Caritas Christi urget nos », l’amour du Christ nous presse, the love of Christ impels us (2 Co 5,14).
Elle a pu être un signe de miséricorde très lumineux – « La miséricorde a été pour elle « le sel » qui donnait du goût à toute ses œuvres et la « lumière » qui éclairait les ténèbres de ceux qui n’avaient même plus de larmes pour pleurer leur pauvreté et leur souffrance », a dit le Saint-Père dans l’homélie d’hier – parce qu’elle s’est laissé éclairer par le Christ adoré, aimé et loué dans l’Eucharistie, comme elle l’expliquait elle-même : « Nos vies doivent être continuellement nourries par l’Eucharistie parce que, si nous n’étions pas capables de voir le Christ sous les apparences du pain, il ne nous serait pas possible non plus de le découvrir sous les humbles apparences des corps abîmés des pauvres » (cf. Teresa di Calcutta, L’amore che disseta, p. 16).
En outre, elle savait bien qu’une des formes les plus lancinantes de pauvreté consiste à se savoir non aimé, non désiré, méprisé. Une forme de pauvreté présente aussi dans les pays et dans les familles moins pauvres, y compris chez les personnes appartenant à des catégories qui disposent de moyens et de possibilités, mais qui font l’expérience du vide intérieur de celui qui a perdu la signification et la direction de sa vie, ou qui sont violemment atteints par la désolation de liens brisés, par la dureté de la solitude, par le sentiment d’être oubliés de tous ou de ne servir à personne. Cela l’a conduite à identifier les enfants non encore nés et menacés dans leur existence comme « les plus pauvres parmi les pauvres ». Chacun d’eux dépend en effet, plus que tout autre être humain, de l’amour et des soins de sa mère et de la protection de la société. L’enfant conçu ne possède rien, toute son espérance et ses nécessités sont dans les mains des autres. Il porte en lui un projet de vie et d’avenir et demande à être accueilli et protégé pour pouvoir devenir ce qu’il est déjà : l’un de nous, que le Seigneur a pensé depuis l’éternité pour une grande mission à accomplir, celle d’ « aimer et d’être aimé », comme aimait à le répéter Mère Teresa.
C’est pourquoi elle a courageusement pris la défense de la vie naissante, avec cette franchise de parole et régularité d’action qui est le signal le plus lumineux de la présence des prophètes et des saints, qui ne se mettent à genoux devant personne sinon le Tout-puissant, sont libres intérieurement parce qu’ils sont forts intérieurement et ne s’inclinent pas devant les modes ou les idoles du moment, mais se reflètent dans la conscience éclairée par le soleil de l’Évangile. En elle, nous découvrons ce tandem heureux et inséparable de l’exercice héroïque de la charité avec la clarté dans la proclamation de la vérité, nous voyons l’activité constante, alimentée par la profondeur de la contemplation, le mystère du bien accompli dans l’humilité et sans fatigue, fruit d’un amour qui « fait mal ».
A ce propos, elle a affirmé, dans son célèbre discours pour la remise du Prix Nobel à Oslo, le 11 décembre 1979 : « Il est très important pour nous de comprendre que l’amour, pour être vrai, doit faire mal. Cela a fait mal à Jésus de nous aimer, cela lui a fait mal ». Et, remerciant les bienfaiteurs présents et futurs, elle affirma : « Je ne veux pas que vous me donniez de votre superflu, je veux que vous me donniez jusqu’à ce que cela vous fasse mal ». A mon avis, ces paroles sont comme un seuil par lequel, une fois franchi, nous entrons dans l’abîme qui a enveloppé la vie de la sainte, sur ces hauteurs et dans ces profondeurs qui sont difficile à explorer parce que nous parcourons de près les souffrances du Christ, son don d’amour inconditionnel et les blessures très profondes qu’il a dû subir.
C’est l’insondable densité de la Croix, de ce « faire mal » du bien fait pour l’amour de Dieu, à cause du frottement qu’il provoque à l’égard de tous ceux qui y résistent, en raison des limites des créatures, de leur péché et de la mort qui en est le salaire. Et c’est aussi – comme cela se perçoit dans les nombreuses lettres qu’elle a adressées à son directeur spirituel – « la nuit obscure de la foi », dans laquelle vivent ensemble un amour brûlant pour le Seigneur crucifié et pour ses frères démunis de soins et de pain, une foi solide et pure et, en même temps, la terrible sensation de l’éloignement de Dieu et de son silence. Quelque chose de similaire au cri du Christ sur la Croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27, 46).
Une autre des sept paroles prononcées par Jésus pendant son agonie sur la croix : elle voulut qu’elle soit écrite en anglais dans toutes les maisons de sa congrégation, à côté du crucifix : « I thirst », j’ai soif : soif d’eau fraîche et limpide, soif d’âmes à consoler et à racheter de leurs laideurs pour les rendre belles et agréables aux yeux de Dieu, soif de Dieu, de sa présence vitale et lumineuse. « I thirst » : telle est la soif qui brûlait dans Mère Teresa, sa croix et son exaltation, son tourment et sa gloire. Dans cette vie, pour le bien accompli, elle a reçu le Prix Nobel pour la paix et beaucoup d’autres reconnaissances et elle a vu fleurir son œuvre, surtout dans les Congrégations des Sœurs missionnaires de la charité et des Frères missionnaires de la charité, qu’elle a fondées pour poursuivre celle-ci ». Désormais au paradis, avec Marie, la Mère de Dieu et tous les saints, elle reçoit le prix le plus élevé préparé pour elle depuis la fondation du monde, le prix réservé aux justes, aux doux, aux humbles de cœur, à ceux qui, en accueillant les pauvres, accueillent le Christ.
Quand Mère Teresa est passé de cette terre au ciel, le 5 septembre 1997, pendant quelques longues minutes, Calcutta est restée complètement sans lumière. Sur cette terre, elle était un signe transparent qui indiquait le ciel. Le jour de sa mort, le ciel voulut mettre un sceau sur sa vie et nous communiquer qu’une nouvelle lumière s’était éclairée au-dessus de nous. Maintenant, après la reconnaissance « officielle » de sa sainteté, elle brille encore plus vivement. Que cette lumière, qui est la lumière éternelle de l’Évangile, continue d’éclairer notre pèlerinage terrestre et les sentiers de ce monde difficile !
Sainte Teresa de Calcutta, priez pour nous !
Cardinal Parolin - 5 septembre 2016